Poésies (Quarré)/Invocation

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Poésies d’Antoinette QuarréLamarche ; Ledoyen (p. 105-116).




LIVRE DEUXIÈME.






INVOCATION.




Invocation.



Sylphe à la voix si pure, harmonieux génie,
Ô toi qui dans mon cœur
Murmures des accords d’une grace infinie,
Des chants pleins de douceur,

Des chants qui dans mon ame endorment la tempête,
Puissans comme autrefois,

Sur le cœur de Saül la harpe du prophète
Et le son de sa voix ;

Toi qui vins si souvent aux jours de la souffrance
Apaiser mon chagrin,
Comme un enfant en pleurs que sa mère balance
Et calme sur son sein ;

Toi dont la voix divine a pleuré dans mon ame,
Quand d’un amour trompé
L’invincible douleur brisa mon cœur de femme
D’un coup soudain frappé ;

Ami dont la présence ignorée et fidèle
Embellit mon séjour ;
Ame unie à la mienne, esprit, pure étincelle
D’harmonie et d’amour ;


Oh ! pourquoi tes accens, plus purs que la prière
Dont le rapide essor
Franchit des vastes cieux les fleuves de lumière
Et les nuages d’or ;

Pourquoi tes chants, plus doux que la brise embaumée
Qui, passant sur les fleurs,
Féconde leur calice et nous vient parfumée
De leurs tièdes odeurs ;

Oh ! pourquoi tous ces dons restent-ils dans mon ame
Ignorés et perdus ?
Génie aux saints transports, ange aux soupirs de flamme,
Pour moi fais encor plus !

Laisse mes doigts jaloux, sur ta harpe sonore,
Essayer le pouvoir

De ces désirs brûlans dont l’ardeur me dévore,
Quand, s’éveillant le soir,

Ton souffle inspirateur dans mon ame oppressée,
Fait déborder à flots
L’impétueux besoin d’exhaler ma pensée
En ravissans échos.

Révèle, il en est temps, à mon esprit qui t’aime,
L’harmonieux secret
De ces chants gracieux dont la douceur suprême
A pour moi tant d’attrait.

Ne crains pas que jamais ta lyre, destinée
À des accents divins,
Par d’indignes accens frémisse profanée
Dans mes coupables mains.


De ma fidélité mes malheurs sont les gages ;
Tu le sais, ici-bas,
Au livre des douleurs j’ai lu toutes les pages,
Encor bien jeune, hélas !

Et des pleurs, bien souvent mêlés à ma prière,
Ont, loin des yeux mortels,
Dans le secret du temple, inondé ma paupière
À l’ombre des autels.

Mais la voix qui soupire au ciel est entendue,
Et mon cœur éprouvé,
De la mer d’amertume où je flottais perdue,
Plus pur s’est relevé.

Dans mon sein gémissant, le pardon de l’injure
Est né de leur mépris.

Ils m’avaient enseigné l’outrage et le parjure ;
Toi, douleur ! tu m’appris

Quels trésors sont cachés dans l’ame du poète,
Cette ame aux ailes d’or,
Qui, froissée aux dédains que la foule lui jette,
Agrandit son essor,

Et, même au sein des maux, dont souvent on l’inonde,
Calme comme au beau jour,
Soupire un hymne saint, chante, et n’envie au monde
D’autre encens que l’amour.

Oui, m’enivrer d’amour, d’air pur, de mélodie,
Voilà mes seuls désirs.
Que m’importent ces biens que le vulgaire envie !
Moi, j’ai d’autres plaisirs.


La voix du rossignol au zéphir mariée,
Le parfum d’une fleur,
Aux yeux d’un malheureux une larme essuyée,
C’est assez pour mon cœur.

Laisse-moi donc chanter, laisse-moi, saint génie,
Dérober à ta voix
Un seul de ces accords dont la douce magie
M’enivra tant de fois.

Comme l’oiseau, caché sous la feuille tremblante,
Chante à l’abri du jour,
Laisse-moi soupirer sur ta harpe vibrante
Quelques hymnes d’amour.

À peine, aux jours de mai, dans nos bois est éclose
La fleur de l’églantier ;

Que ses parfums légers, son haleine de rose,
Embaument le sentier.

Laisse-moi donc, comme elle, en des flots d’harmonie,
Pleins d’un charme divin,
Exhaler ces trésors de tendresse infinie
Renfermés dans mon sein.