Poésies (Quarré)/Élégie

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Poésies d’Antoinette QuarréLamarche ; Ledoyen (p. 117-123).
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ÉLÉGIE.




ÉLÉGIE.



Ainsi tu m’oubliais, quand mon ame enivrée,
Heureuse de t’aimer, et comptant sur ta foi,
Caressait en secret ton image adorée
Et ne songeait qu’à toi.

Ainsi tu l’as brisé, ce cœur dont la tendresse,
Naïve et se fiant à d’innocens liens,

Était naguère encor ta plus douce richesse,
Le plus cher de tes biens.

Toi ! qui m’as si souvent juré que l’existence
Par moi seule enchantée était belle à tes yeux,
Qu’en tes rêves chéris d’avenir, d’espérance,
J’étais pour toi les cieux.

Que ta voix était douce et ta lèvre éloquente,
Quand tu peignais tes maux, par moi seule adoucis,
Quand tu m’entretenais de ta flamme naissante,
À mes côtés assis !

Ah ! que je t’écoutais attendrie et charmée !
Dans quelle pure extase, et quels ravissemens,
Mon ame recueillait de ta parole aimée
Tous les divins accens !


Admirant ton respect pour ma sainte croyance,
Ton amour pour des rois proscrits et malheureux,
Ta foi chevaleresque et la noble constance
De ton cœur généreux ;

J’étais si fière alors, dans mon tendre délire,
De partager ton sort, de m’être unie à toi,
Qu’à l’univers entier ma bouche eût voulu dire :
 « Il m’a donné sa foi. »

Oh ! je voudrais mourir, car désormais ma vie,
Veuve de tout espoir d’amour et de bonheur,
N’est qu’un champ dépouillé, qu’une palme flétrie,
Qu’un soupir de douleur.

Car il n’est plus, hélas ! rien pour moi sur la terre ;
Que m’importent des jours destinés à pleurer !

Quand ton cœur est brûlé d’une flamme adultère,
Puis-je encore espérer ?

Non ! que ma mort t’unisse à ta nouvelle amante ;
Porte à ses pieds l’amour que tu m’avais juré ;
Des feux les plus brûlans puise l’ivresse ardente
Sur son sein adoré.

Perds-toi dans cet amour, qu’il devienne ta vie,
Ton plus charmant espoir, ton unique bonheur ;
Et puis connais un jour la poignante agonie
De la voir sur ton cœur,

Glacée et dédaignant d’ineffables caresses,
Insensible à l’horreur de ton affreux tourment,
Réserver de son sein les plus riches tendresses
Pour un nouvel amant.


À traits lents et sans nombre épuisant le calice,
Savoure l’amertume ainsi que je l’ai fait ;
Et que la mort, loin d’être un cruel sacrifice,
Te paraisse un bienfait.

Mais non, va, dans mon cœur où n’entre point la haine,
Ce vœu fatal expire avant d’être formé :
À moi tous les chagrins, à moi toute la peine ;
À toi, mon bien-aimé !

La part que j’aurais pu demander à la vie
De nectar parfumé, d’ambroisie et de miel ;
Car, dans la coupe, hélas ! que sa main m’a remplie
Dieu n’a mis que du fiel.