Iroquoisie/Tome I/17

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Les études de l’Institut d’histoire de l’Amérique française (Tome Ip. 281-292).


CHAPITRE XVII


(1644)

Les hostilités s’ouvrent de bonne heure dans l’île de Montréal. Quelques attaques se produisent, car Dollier de Casson écrit ce qui suit : « Enfin nos français se lassèrent de se voir tous les jours insultés par les Iroquois…, ils importunaient M. de Maisonneuve… disant qu’il n’y avait aucune apparence de s’entendre fusiller chaque jour… »[1]. Aussi, quand, le 30 mars, sous la conduite de Pilote, les dogues donnent l’éveil, les Montréalistes brûlent de combattre. Ils devinent dans quel secteur de la forêt l’ennemi est à l’affût ; et ils se rendent auprès du Gouverneur pour obtenir la permission de tirailler un peu. Celui-ci leur donnait d’ordinaire la réponse suivante : « Le temps n’est pas encore venu, mes enfants. La mort de cent Iroquois que nous pourrions tuer, ne diminuerait pas la force de ces barbares qui arrivent, par bandes, de tous côtés, tandis que la perte de quelques hommes affaiblirait de beaucoup la colonie ». Craignant qu’à la longue sa prudence ne soit interprétée comme manque de courage, il prend trente hommes avec lui et sort de l’enceinte, laissant les autres sous le commandement de M. D’Ailleboust.

Il reste de la neige sur le sol. Les Français n’ont pas de raquettes aux pieds. Dissimulés dans la forêt depuis quatre jours, les Iroquois les voient probablement s’aventurer hors du poste et ils prennent leurs dispositions.

Quand les Montréalistes arrivent à bonne distance, la fusillade éclate. Le gouverneur donne à ses gens l’ordre de s’abriter derrière les arbres. Les adversaires se canardent d’abord sans se faire beaucoup de mal. Mais à la longue, les munitions des Français s’épuisent. Maisonneuve voit aussi tomber quelques-uns de ses hommes. Il découvre que l’ennemi est bien supérieur en nombre. Jugeant enfin que le combat tourne mal, il donne l’ordre de se replier.

Chaussés de raquettes, les Agniers courent et manœuvrent facilement. Les Montréalistes, eux, enfoncent dans la neige. Maisonneuve oriente alors la retraite vers un chemin encore solide sur lequel les habitants avaient hâlé l’hiver le bois de charpente de l’hôpital. Jusqu’ici la retraite est ordonnée, face à l’ennemi, Maisonneuve à l’arrière. Une fois la route atteinte, la panique envahit les colons. Ils fuient. Le chef demeure seul. De temps à autre, il se retourne et tire sur les poursuivants. Déjà, les plus rapides sont sur ses talons ; ils pourraient le capturer, mais ils réservent cet honneur à leur capitaine. Ce dernier arrive enfin à bonne distance ; il saisit Maisonneuve à la gorge. Celui-ci tire sur l’Iroquois ; il rate un premier coup. Tirant une seconde fois par-dessus son épaule, il le tue, et, délivré, poursuit librement sa course. Les ennemis s’occupent de leur chef et demeurent à l’arrière.

Les trois montréalistes suivants ont succombé dans le combat : Guillaume Lebeau, enterré le même jour ; Jean Mattemale et Pierre Bigot, dont les funérailles auront lieu le lendemain. Deux autres sont prisonniers et les Agniers les brûleront pendant quatre jours avec cruauté. Les Iroquois ont perdu leur capitaine. Peut-être ont-ils subi d’autres pertes ; les Montréalistes ne retourneront que le lendemain sur le lieu du combat et ils n’y trouveront ni mort ni blessé.

D’autres escarmouches auront lieu autour du poste. Dollier de Casson parlera de « ce rude combat et plusieurs autres qui se firent pendant cette année »[2].

En 1644, l’ennemi divise son armée d’invasion en dix partis différents ; « Les Iroquois…, ont jeté la terreur cette année dans le pays. Ils étaient divisés ce printemps dernier en dix bandes éparses çà et là sur la grande Rivière pour écumer tout ce qu’ils rencontreraient »[3]. Cinq opèrent dans les lieux suivants : île de Montréal, rivière des Prairies, fort Richelieu, lac Saint-Pierre, Trois-Rivières. Les autres se tiendront au-dessus de l’île de Montréal, au Long-Sault, à la Chaudière, dans le pays des Hurons.

Aussi, aucun groupe ne peut voyager dans la colonie sans se heurter à l’un de ces partis. Un mois environ après le combat de Montréal, six jeunes Hurons quittent les Trois-Rivières. Quatre étaient venus directement de leur pays pour s’instruire du christianisme ; les autres s’étaient joints à eux après avoir échappé aux Iroquois. Les jours qui suivent immédiatement la débâcle leur paraissent le temps le plus propice pour retourner en Huronie : l’Agnier vient ordinairement plus tard au Saint-Laurent. Les Français, qui connaissent leur dessein leur offrent de beaux présents pour amener avec eux le père Bressani, jésuite, italien de nation, de même qu’un domestique qui doivent se rendre à Sainte-Marie.

Les Hurons acceptent les propositions des missionnaires. Les canots se chargent de colis pour la colonie française qui n’a rien reçu depuis une couple d’années et qui manque des articles les plus indispensables. Quelques Algonquins et Hurons païens seront du voyage. Aucune crainte ne règne parmi ces Indiens : « …Ils s’imaginaient que la paix avait déjà été conclue entre eux et les Iroquois, suivant un pourparler qu’on avait commencé sur ce sujet avant qu’ils partissent de leur pays »[4]. C’est la seule allusion que l’on trouve dans les documents contemporains à des négociations de paix qui ont eu lieu entre les Iroquois et les Hurons à la fin de l’été ou à l’automne 1643. Ont-elles porté sur la question des pelleteries ? Les Hurons ont-ils songé à faire la traite chez leurs ennemis à condition d’être laissés en paix ?

Mais le danger demeure grand. Les huit chrétiens de l’expédition se préparent soigneusement à la mort. Puis le départ a lieu. À une lieue des Trois-Rivières, par beau temps, le canot qui porte le père Bressani fait naufrage. Les passagers en sont quittes pour un bain froid ; aucun colis ne se perd ; et le groupe fait halte avant d’atteindre le lac Saint-Pierre afin de passer la nuit sur la rive. L’événement est de mauvais augure cependant. Le lendemain, 28 mars, il fait froid, il neige, et des pans de glace s’écoulent vers la mer. Les voyageurs dégradent. Déjà les outardes remontent vers les steppes arctiques. La proie est alléchante. Aussitôt les arquebuses entrent en jeu, et les détonations attirent l’attention d’une trentaine de guerriers agniers qui rôdent déjà dans la région.

Le 29 avril, la flottille se remet en route. Et, soudain, après avoir doublé une pointe entre Machiche et la rivière du Loup, elle subit l’attaque imprévue de trois grands canots iroquois. Le père Bressani ordonne à ses gens de ne pas combattre : la partie est peu « égale ni en hommes ni en armes »[5]. Il est immédiatement fait prisonnier avec les occupants du premier canot. Les deux autres embarcations fuient à force de rames ; bientôt les Hurons peuvent se croire hors du danger. Mais en doublant une autre pointe, ils sont de nouveau attaqués par « deux autres canots iroquois bien armés… ». Un Huron épaule son arquebuse, mais il est tué avant d’avoir tiré ; ses compagnons se laissent alors capturer sans résistance.

Les Agniers descendent sur la rive. Ils se divisent le butin des Jésuites de Huronie « qui n’ont rien reçu depuis trois ans » ; ils déchirent les lettres qui leur étaient destinées. Le cadavre du Huron tué leur fournit un festin. Puis après, ils se dirigent vers leur pays, avec leurs prisonniers et les marchandises françaises. À mi-chemin, l’un des captifs s’échappe et revient aux Trois-Rivières. Le missionnaire, dit-il, n’a encore subi aucun supplice grave ; mais les Agniers menacent de le brûler à l’entrée du premier village, en représailles pour la mort du capitaine que Maisonneuve a tué à Montréal. C’est le même prisonnier qui raconte que dix bandes ont quitté l’Iroquoisie dès la fonte des neiges. Maisonneuve aurait combattu l’une d’entre elles ; une autre avait capturé le père Bressani ; une troisième avait déjà surpris à la rivière des Prairies « une bande d’Algonquins qui furent tous emmenés prisonniers, la plupart incontinent brûlés au village des Iroquois… »

Le père Bressani sera torturé avec un raffinement inouï de cruauté : « …Toutes ces souffrances le mirent en tel état qu’il devint si puant et infect que chacun s’éloignait de lui comme d’une charogne »[6]. Tous croient qu’il subira le supplice du feu. Le 19 juin se tient un grand conseil. Il s’y trouve deux mille personnes. Les chefs décident, sans que personne sache exactement pour quelle raison, que le missionnaire ne perdra pas la vie. « …Eux-mêmes s’étonnaient après de leur résolution… comme les Hollandais et le bon Couture… l’ont rapporté »[7]. Ils le donnent à une vieille Iroquoise ; celle-ci commande à son fils de le vendre aux Hollandais. Ce dernier obéit et le 15 novembre 1644 le père Bressani arrive à La Rochelle.


(1644)

Après le combat de Montréal et la capture du père Bressani, les Algonquins de Sillery se dispersent. Ils croient que les Iroquois vont descendre le fleuve pour les attaquer. Et la réduction ne leur semble pas pourvue d’assez bons retranchements pour supporter le choc. Cette fuite « obligea les Religieuses Hospitalières, avec l’avis de Monsieur le Gouverneur, des Pères et des Habitants, de céder au temps et de se transporter en leur maison de Québec… »[8]. Cette dernière n’a encore que des murs et un toit. Les sauvagesses suivent les Religieuses et habitent des maison érigées à côté du monastère.

Les Algonquins sont toujours hantés par l’idée de la vengeance. Ceux de Sillery forment un parti de guerre. Le lieu du rassemblement est aux Trois-Rivières. Cent vingt guerriers s’y rassemblent. Païens et convertis forment bientôt deux camps : « …Les nôtres voulurent toujours cabaner à part pour n’avoir aucune communication avec les méchants »[9] ; ils ne veulent pas participer aux cérémonies superstitieuses. Le Gouverneur des Trois-Rivières chasse même du fort des Indiens qui sont revenus à leurs coutumes. La veille du départ, les païens observent les rites anciens : festins, danse, cris, hurlements ; les convertis se recueillent et prient. Malgré ces dissensions, le détachement atteint Montréal, Le père Buteux le rencontre là. Parlant des néophytes, voici ce qu’il dit : « Ils étaient les premiers à s’embarquer pour aller à la découverte de l’ennemi et entrer bien avant dans les bois aux lieux les plus dangereux, ils allaient partout… sans aucune démonstration de crainte… »[10]. Le missionnaire redescend le fleuve avec eux. La capture du père Bressani les a émus : « C’est une chose honteuse… que les Iroquois nous battent partout, et que nous demeurions sans sentiment et sans faire autre chose que fuir : on dit maintenant à ce sujet que nous ne sommes plus des hommes, mais des femmes… »[11].

Dans le cours du mois de juin, les Agniers triomphent d’un groupe de seize à dix-huit Hurons qui retournent en leur pays après la traite ; et ceux qui échappent à l’ennemi rencontrent soixante de leurs compatriotes qui avaient quitté la Huronie « à dessein de combattre les Iroquois »[12]. Ils se joignent à eux. Ce parti suit les traces du détachement algonquin précèdent et, lui aussi, il aborde aux Trois-Rivières sans rencontrer un seul ennemi. Là, il apprend cependant que l’on a vu des canots étrangers dans le lac Saint-Pierre. Il se grossit aussitôt d’Algonquins désireux de combattre et il retourne sur ses pas. Au lac, il découvre des traces de l’ennemi. Mais il atteint le fort Richelieu sans l’avoir vu. C’est la nuit ; quelques guerriers se reposent et les autres partent à l’aventure sur le Richelieu.

L’obscurité est presque complète. Les canots hurons naviguent sans bruit. Ils passent sans s’en apercevoir à travers une avant-garde de trente Iroquois environ qui étaient à l’affût « pour découvrir si quelques Français ou quelques Sauvages de nos aillés ne paraîtraient pas sur l’eau ou sur la terre »[13].

Ils poursuivent leur route, ils se rendent assez loin, et ils aperçoivent enfin « quantité de feux dans les bois… ». Après s’être assurés que ce sont des Agniers qui bivouaquent là et qu’ils sont en grand nombre, les Hurons font volte-face pour revenir au fort. Ils s’assemblent pour se consulter, et quand ils arrêtent, ils entendent « deux canots qui voguaient à force de rames ».

À ce moment-là, les Hurons sont pris entre le gros de l’armée ennemie, et son avant-garde, à travers laquelle ils ont passé, mais qui a entendu des bruits et qui remonte maintenant la rivière pour s’assurer qu’il n’y a personne. Leur position est donc critique. Ils décident immédiatement de continuer leur route vers le fort en culbutant cette avant-garde. Aussitôt, ils « se battent à coups d’arquebuses et de flèches sans grand effet, parce qu’il était nuit… »[14] Mais ils passent pendant que les sentinelles iroquoises rallient l’armée. Ils se hâtent, et soudain ils entendent un Huron crier sur le rivage. C’est un de leurs compatriotes, autrefois fait prisonnier, et qui a été incorporé dans le parti ennemi maintenant posté plus haut sur le Richelieu. Ils le prennent immédiatement avec eux. « Combien êtes-vous ici leur demande-t-il ? Nous ne sommes que soixante, répondent les Hurons ; sauvez-vous, repart-il, car outre les canots que vous avez rencontrés, qui faisaient trente Iroquois, il y en a une centaine cachés tout proche d’ici »[15]. Les Hurons abandonnent alors toute idée de combattre un détachement aussi puissant et ils reviennent avec le fugitif qui avait couru après eux. Celui-ci leur révèle encore qu’une dizaine d’ennemis ont quitté le parti principal « pour aller à la chasse des Français… » ; dans le moment, ces maraudeurs sont à l’affût, près du fort Richelieu, « cachés derrière des broussailles et des arbres, où ils attendaient que les Français sortissent le matin pour aller visiter des rets tendus bien proche de leur fort ». Les Hurons forment immédiatement le dessein d’attaquer ces malheureux. Ils les localisent bientôt. Ils tentent de les entourer. Mais, entendant du bruit, les Iroquois « se lèvent comme une volée de perdrix effarées ». Pas assez vite cependant pour éviter tous la capture, car trois d’entre eux restent aux mains de leurs ennemis. Un huron est blessé mais il guérit bientôt après.

Ce détachement iroquois posté sur le Richelieu, attend sans doute le passage d’un convoi de pelleteries. Il est relativement puissant. Ne se jugeant plus en sûreté, Hurons et Algonquins retournent aux Trois-Rivières avec leurs prisonniers. Ils s’y présentent le 26 juillet, vers quatre heures du matin. La population aperçoit un premier canot ; les cris annoncent qu’un Huron est mort, ce qui se trouva faux. Mais bientôt, ce sont des voix joyeuses qui s’entendent : une quinzaine de canots « s’en venaient doucement au gré de l’eau, portant environ quatre-vingt soldats qui frappaient de leurs avirons sur le bord de ces canots chantant tous ensemble, et faisant danser les prisonniers à la cadence de leur voix et de leur bruit ; ils étaient tous assis dans ces petits bateaux d’écorce, excepté les trois pauvres victimes, qui paraissaient par-dessus les autres, qui chantaient aussi courageusement que les victorieux, faisant paraître au bransle de leur corps et au regard de leurs yeux que le feu et la mort qu’ils attendaient, ne leur faisaient point peur »[16].

Les triomphateurs s’en vont dans les wigwams des Algonquins. Le prisonnier qui est échu à ces derniers subit sur les lieux quelques tortures préliminaires, comme de lui arracher les ongles, de lui couper les doigts, de lui brûler les pieds avec des pierres ardentes. M. Champflour, gouverneur de la place, leur envoie demander de suspendre leur colère ; il est nécessaire d’avertir Montmagny « et que l’affaire est d’importance »[17].

Montmagny est immédiatement avisé de la capture des prisonniers. Car les Français ont formé le projet suivant : « …On pouvait traiter de paix par l’entremise de ces captifs, que la paix était le bien et le salut de tout le pays »[18]. Mais ce n’est pas petite entreprise que de calmer la fureur algonquine : le bûcher est prêt, Indiennes et Indiens ont la torche à la main. On fait intervenir les Algonquins catholiques ; ils calment leurs compatriotes.

Montmagny veut aussi que les Hurons lui abandonnent leurs deux prisonniers. Ceux-ci font la sourde oreille. Des Algonquins suggèrent alors au Gouverneur de convoquer un conseil, d’inviter les Hurons, de leur offrir des présents en échange de leurs captifs. Alors, par une belle journée, Montmagny fait déposer dans la cour du fort « trois grands présents, composés de haches, de couvertures, de chaudières, de fers de flèches et de choses semblables ». Et il invite les principaux chefs algonquins et hurons qui sont aux Trois-Rivières.

Un interprète explique la signification des présents. Et d’autre part, « il les avait déjà fait presser puissamment, et leur avait représenté par de fortes raisons qu’il était très important qu’ils fissent la paix avec leurs ennemis, et que l’unique moyen était de renvoyer un de ces captifs, qui disposerait ses compatriotes à un bon accord et à une bonne paix entre toutes ces nations »[19]. Les Algonquins livrent immédiatement leur prisonnier qui ne peut plus marcher ; ils acceptent les présents offerts. Pleins de respect pour le Gouverneur, ils expriment leur besoin de paix d’une façon énergique et imagée.

Mais les Hurons ne sont pas traitables. L’un de leurs capitaines prononce un discours dédaigneux : « Je suis homme de guerre et non pas un marchand, dit-il, je suis venu pour combattre, et non en marchandise ; ma gloire n’est pas de rapporter des présents, mais de ramener des prisonniers, et partant je ne puis toucher à vos haches ni à vos chaudières ; si vous avez tant d’envie d’avoir nos prisonniers, prenez-les, j’ai encore assez de cœur pour en aller chercher d’autres »[20]. Mais un Huron chrétien parle ensuite avec plus de modération. Il explique que le parti se compose de jeunes guerriers, et non de sachems qui peuvent régler des affaires de ce genre. Les deux prisonniers seront remis en Huronie à ces derniers qui en disposeront selon l’intérêt de l’État. Les Algonquins, eux, ne sont pas dans la même situation ; leurs capitaines sont sur les lieux et ils peuvent prendre une décision tout de suite. Le refus ne doit donc pas blesser Montmagny. Toutes les personnes présentes ne reconnaissent-elles pas en plus « que la paix est désirable, que c’est le bien du pays que la rivière soit libre… » ? Les Hurons eux-mêmes sont de cet avis. Ils n’ont fait aucun mal à leurs prisonniers. Il est probable que leurs chefs ne contrarieront pas la volonté de Montmagny. Puis le parti doit maintenant remonter en son pays ; et la présence des captifs dans ses rangs le protégera.

Ces paroles de bon sens donnent pleine satisfaction à Montmagny. Et son interprète leur fait réponse « qu’il n’avait que faire des prisonniers sinon pour traiter la paix, et que si les Hurons la voulaient traiter, qu’il était content, mais qu’ils ne manquassent pas de parole en choses si importantes »[21].

Les deux autres prisonniers iroquois apparaissent à ce moment dans la cour du fort. Ils voient les présents que les Français offrent pour leur libération. Ils expriment leur reconnaissance. Les Hurons leur promettent même la liberté pour une date ultérieure ; ils les ramèneront dans ce même poste des Trois-Rivières pour conclure la paix. Enfin « le résultat de ces conseils ou assemblées fut, qu’on crut que si les Hurons entreprenaient de traiter la paix, qu’ils le feraient plus efficacement que les Français, ayant plus de connaissance que nous des façons d’agir des sauvages »[22]. L’initiative est donc laissée aux Hurons ; ils connaissent mieux les mœurs iroquoises, les coutumes indiennes, le milieu, et ils ont meilleure chance d’aboutir au succès. Toutes les espérances actuelles sont fondées sur le fait que l’un des captifs, qui se nomme Totiakencharron, est un notable dans sa nation ; et les Iroquois entrent presque toujours dans des négociations, ils concluent même la paix pour obtenir la libération de leurs prisonniers, et surtout de leurs capitaines et sachems. Ces peuples simples se plient avec souplesse aux circonstances.

Montmagny décide ensuite de fournir une escorte aux Hurons qui retournent en leur pays. Un gros convoi de soixante canots se forme aux Trois-Rivières. Il est tout d’abord monté par le parti qui vient de combattre sur le Richelieu ; puis par vingt-deux des soixante soldats qu’Anne d’Autriche a envoyés dans la colonie. Les pères Jean de Brébeuf, Léonard Garreau et Chabannel les accompagnent. Le deux août, Marie de l’Incarnation écrira quelques lignes à ce sujet : « Maintenant ces barbares tiennent les avenues de la rivière, commençant à quatre lieues au-dessus de Québec, jusqu’à soixante lieues au delà, pour y guetter Français et Sauvages. Monsieur notre Gouverneur y est allé en compagnie de plusieurs soldats, afin d’y faire passer ces pauvres Hurons, Algonquins et notamment nos RR. PP. de la Mission qui montent aux Hurons et Nipissiriniens, que les Iroquois attendent de pied coi pour les emmener en leur pays avec leurs marchandises »[23]. Ce convoi arrivera le sept septembre en Huronie.

Et quand Marie de l’Incarnation écrit que le fleuve est bloqué à quatre lieues en amont de Québec, elle pense sans doute à un incident qui vient de se produire. Un Abénaquis a quitté Sillery avec un compagnon pour retourner en son pays. Tous deux doivent suivre le cours de la Chaudière. Ils ne reparaîtront jamais. En les cherchant, on découvrira des pistes d’Iroquois.

Les hostilités continuent, bien qu’à un rythme moins rapide. Le 14 septembre, un soldat travaille dans le champ, à une portée de mousquet des palissades du fort Richelieu. Quatre ou cinq Iroquois surgissent de la forêt, ils le capturent sans le blesser tant la surprise est parfaite. Mais le prisonnier se cramponne si énergiquement à une souche que les ennemis ne peuvent l’en arracher. Alors, ils lui assènent des coups de hache sur la tête ; et, constatant que la garnison les a découverts et tire déjà sur eux, ils s’enfuient, laissant leur victime pour morte. Le soldat se relève alors et marche vers le fort. Deux autres Agniers reviennent et lui donnent deux coups d’épée. Le Français s’affaisse de nouveau. Le chirurgien accourt malgré le danger ; il arrête l’épanchement du sang parmi les balles qui sifflent autour de lui. Ce soldat a reçu six blessures graves. Il se rétablira quand même.

Le 7 novembre, un jeune homme quitte l’enceinte pour chasser. Vite entouré d’un parti d’Agniers dissimulés dans les broussailles, il est mis à mort et scalpé.

Une troisième tragédie se produit le 12 novembre. Une couche de neige couvre le sol. Sept soldats sortent du fort pour couper du bois de chauffage. Ils chargent un traîneau et maintenant ils le halent avec effort. Soudain, un parti iroquois fond sur eux. Chaque Français a enroulé la corde autour de sa taille pour mieux tirer. Les plus habiles à se dégager s’enfuient. L’un d’eux n’y réussit pas, il reçoit des coups de tomahawk, il est renversé par terre et en partie scalpé. À ce moment la garnison accourt et tire sur l’ennemi. Le blessé se relève. Il a reçu sept à huit coups de hache ; il ne reprend connaissance qu’au bout de trois jours. Mais il se rétablira lui aussi.

Le fort Richelieu est constamment sous surveillance.


  1. Dollier de Casson, Histoire du Montréal, p. 50.
  2. Idem, p. 54.
  3. RDJ, 1644-19.
  4. Idem, 1644-41.
  5. Idem, 1644-41.
  6. Idem, 1644-44.
  7. Idem, 1644-45.
  8. Idem, 1644-20.
  9. Idem, 1644-19.
  10. Idem, 1644-19.
  11. Idem, 1644-12.
  12. Idem, 1644-45.
  13. Idem, 1644-45.
  14. Idem, 1644-46.
  15. Idem, 1644-46.
  16. Idem, 1644-46.
  17. Idem, 1644-47.
  18. Idem, 1644-47.
  19. Idem, 1644-47.
  20. Idem, 1644-48.
  21. Idem, 1644-49.
  22. Idem, 1644-49.
  23. Marie de l’Incarnation, Écrits spirituels et historiques, v. 3, p. 350.