Isocrate, le prêtre Testis unus et l’abbé Thise
citoyen de Longuyon.
« On ne dispute jamais sur la vertu, parce qu’elle vient de Dieu : on se querelle sur des opinions qui viennent des hommes. »
Isocrate. De quoi s’agit-il, M. l’abbé ? a-t-on blessé le dogme et la morale ?
Testis unus. Non, mais la discipline.
Isocrate. Laquelle ? car il y en a deux, et vous savez que la discipline extérieure appartient plus au pouvoir civil qu’à l’église, suivant la raison et selon le droit que s’est réservé votre fameux Constantin-Labarum, qui s’est dit l’évêque des choses extérieures.
Testis unus. Je n’admets pas de distinction en ce cas, et je soutiens, unguibus et rostro, que le gouvernement civil ne peut pas plus toucher à l’église qu’aux cantiques de pere Pichenot.
Isocrate. Laissons-là la discipline, car vous savez qu’elle est à la religion, ce que le vêtement est à l’homme ; le dogme et la morale, voilà l’essentiel !
Testis unus. Et les loix de l’église ! et la théologie ! et les canons ! et les conférences ! et la somme de St. Thomas !
Isocrate. Tout cela m’épouvante et m’obscurcit, tandis que rien ne m’éclaire et ne me rassure comme le bon sens, si difficile à avoir, et qui rendroit les livres si courts ; comme ce bon sens, si simple, parce qu’il est raisonnable, qui critique les sciences humaines et les redresse, qui n’a point de part à une infinité de doctrines et qui ne sauroit subsister avec des erreurs. Si dans l’église célebre, par des subtilités et des arguties, qui ont engendré des docteurs, lesquels docteurs ont engendré des erreurs, lesquelles erreurs ont engendré des meurtres, on eût fait usage de ce bon sens, si difficile à saisir, si difficile à garder, et dont la présomption et l’orgueil seuls débordent, la religion eût conservé tout son éclat ; elle eût consolé les hommes, au-lieu de servir à les faire détruire ; le monde eût été paisible, les gouvernemens se fussent perfectionnés, et le trône du despotisme ne se fût point appuyé sur l’autel qui ne le soutient que pour l’engloutir. En effet, les malheurs qu’on éprouva dans les trois premiers siecles de l’église, peuvent être regardés comme une punition d’avoir abandonné la simplicité de l’évangile pour les subtilités de l’école. Combien ils se sont reproduits dans les siecles suivans ? combien ils se reproduiront encore ? et tout cela pour des mots. Oh ! Messieurs les prêtres, vous ressemblez à ce conquérant de la Chine qui poussa ses sujets à une révolte générale, pour avoir voulu les obliger à se rogner les ongles ou les cheveux. Vous êtes tout de feu pour vos doctrines extrinseques, sur-tout pour ce qui touche la ville aux sept montagnes, pour ce qui touche le pape.
Testis unus. Comme vous parlez du clergé et du pape, savez-vous qu’ils sont infaillibles ; que rien n’est au-dessus de la cour de Rome ?
Isocrate. Quand Jean XXII, en 1328, disoit aux Grecs que la cour de Rome étoit, de droit divin, chef de l’église universelle, les Grecs lui répondirent : ideò diabolicus tecum, et Dominus nobiscum.
Testis unus. Dans quel livre avez-vous vu cela ? il faut le brûler, entendez-vous ? vous devez ce sacrifice à l’église !
Isocrate. Et si je vous lisois ce que Voltaire a écrit sur le pape !
Testis unus. Mais Voltaire est damné ! ô mon fils, ne suivez pas son exemple ! adorez le pape.
Isocrate. À ce nom je me prosterne, je sais fort bien, et les journaux chrétiens me l’ont appris, que le pape doit être souverain du monde, attendu qu’il est écrit que Simon, fils de Joue en Galilée, ayant surnom Pierre, on lui dit : tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon assemblée.
Testis unus. Vous plaisantez !
Isocrate. Comme vous voudrez, mais je raisonne, et je vous fais une question ; qu’est-ce que le pape ?
Testis unus. C’est…… attendez, je vais chercher les œuvres de St. Bernard, pour savoir ce qu’il est.
Isocrate. Je vous en dispense. Lisez Montesquieu, voici ce qu’il dit : « Le pape est le chef des chrétiens, c’est une vieille idole qu’on encense par habitude, il étoit autrefois redoutable aux princes mêmes, car il les déposoit aussi facilement que nos magnifiques sultans déposent les rois d’Yrimette et de Georgie ; mais on ne le craint plus, il se dit successeur d’un des premiers princes chrétiens qu’on appelle St. Pierre, et c’est certainement une riche succession ».
Testis unus. Montesquieu est un impie ! avez-vous lu le pere Patouillet ? comme il vous peint le pape ! comme il détaille toutes ses prérogatives ! c’est de l’éloquence cela !
Isocrate. Chacun peint ses idoles à sa maniere, chacun met ce qu’il veut dans ses archives. On n’inscrit au Vatican que les conciles approuvés par la cour de Rome.
Testis unus. Je vous soutiens, Monsieur, que le pape est le roi de l’église, qu’il a toujours existé, et que son autorité a toujours été reconnue.
Isocrate. Voulez-vous de l’érudition ? eh bien disconvenez-moi qu’avant que la protection des empereurs eût permis aux évêques de s’assembler et de former des conciles œcuméniques, l’église n’avoit point encore de chef visible dont l’autorité fût reconnue et constatée ; car, mettant à part les droits que les évêques de Rome pouvoient réclamer comme successeurs de Saint Pierre, il est certain que dans le fait ils ne tiroient leur crédit que de leur position, c’est-à-dire de l’avantage qu’ils avoient de siéger dans la capitale ; mais avant que les empereurs eussent embrassé la foi, et sur-tout lorsqu’ils la persécutoient, cette prééminence ne pouvoit pas être très-marquée. En effet, nous voyons qu’au commencement du quatrieme siecle, lors de la fameuse querelle de Donat, évêque de Cazernoires, contre Cécilien, évêque de Carthage, Miltiave, évêque ou pape de Rome, (car ces deux mots étoient synonymes,) ayant assemblé un concile à Rome, les décrets de ce concile ne furent pas observés : de sorte que Constantin fut obligé d’en indiquer un autre à Arles, où le pape Silvestre n’assista ni en personne, ni par député, et dont il n’apprit les décrets que par une simple lettre d’avis, sans qu’on lui demandât ni son accession, ni son approbation.
Testis unus. Les choses ont changé, et maintenant le pape a de droit divin la primatie de juridiction sur l’église universelle, et sur chaque évêque en particulier. Par exemple, suivant les théologiens, la concession du jubilé et des autres indulgences, est un acte de juridiction ; le pape en distribue dans tous les dioceses, et les évêques eux-mêmes en sont gratifiés ? c’est une chose sûre, et je m’y attache, parce que je suis dévoré du zele de la maison du seigneur : zelus domûs suæ comedit me.
Isocrate. Je veux bien lui passer cette suprématie, aussi l’assemblée nationale ne lui ôte pas ; mais la juridiction extérieure ?
Testis unus. Il l’a aussi.
Isocrate. Mais tout récemment le cardinal Rohan-la-Motte a été jugé en dernier ressort par un tribunal civil, sans que le pape s’en mêlât.
Testis unus. Cela est contraire au concile de Trente.
Isocrate. Mais le concile n’a pas été reçu en France pour la discipline ?
Testis unus. Tant pis…… car c’est vouloir que l’église soit sans puissance coactive sur le tout comme sur les parties, et conséquemment qu’elle ne soit pas inspirée par le St. Esprit.
Isocrate. Le St. Esprit ? Est-ce lui qui a fait décider au concile de Constantinople, en 680, que Jesus-Christ avoit deux volontés ; au dernier concile de Latran, que les seuls catholiques seroient sauvés ? Est-ce le St. Esprit qui a fait ouvrir aux cardinaux le bal qui a précédé le concile de Trente ? Est-ce le St. Esprit qui donna l’idée de ce troc de gentilhommes, fait entre Léon X et François I, par lequel ils se sont donné ce qu’ils ne possédoient point ; qui a suggéré à des cardinaux de faire Charles V cardinal ; qui a inventé les annates, les cédiles, la rote, la daterie, les cardinaux, inconnus du temps de St. Pierre, ce camérice, qui aide le pape à dire son breviaire, et les domestiques du St. Pere qui ont des bénéfices pour des gages ? Est-ce le St. Esprit qui a fait dire à un prêtre de nos jours, en vertu d’anciens conciles, qu’il étoit juste de faire une boucherie des huguenots, parce qu’ils n’étoient pas catholiques, apostoliques, et sur-tout romains ; est-ce enfin le St. Esprit qui nous a donné une foule d’évêques tarés et simoniaques, et qui nous donne des prêtres ennemis de la révolution et de la constitution ?
Testis unus. Mais, Monsieur, nous ne sommes plus dans la question.
Isocrate. Nous ne serions pas déviés, s’il se fût agi de morale.
Testis unus. Nous voulions parler du décret qui prescrit aux prêtres de faire un serment pour l’observation d’une loi opposée à l’esprit de l’église ; ce décret porte un coup mortel à la religion.
Isocrate. Est-ce que la religion dépend des hommes ? que peuvent leurs efforts contr’elle ? « que peut contre le roc une vague animée » ?
Testis unus. Non, Monsieur ; il n’y a plus de religion, dès que l’assemblée nationale a voulu changer la hiérarchie, et qu’elle a refusé de décréter explicitement que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion nationale.
Isocrate. Voilà un raisonnement digne des ébionites ; mais avant de le détruire, dites-moi ce que c’est qu’une religion.
Testis unus. La religion est d’une part l’évangile, et de l’autre les conciles, qui veulent que hors du sein de l’église il n’y a pas de salut, et que si l’on ne croit à l’infaillibilité du pape, comme à la grace concommittante, on sera damné.
Isocrate. Dieu me préserve d’approfondir l’infaillibilité du pape, la grace concommittante, et mille choses bardées de semblables noms ; j’ai trop de respect pour la grace concommittante sur-tout, je me tairai sur elle, cela ne coûte rien à un galant homme : mais je vous observerai que la religion n’est autre chose que le rapport de l’homme avec Dieu ; qu’elle est la science et l’observation du culte qui est dû à l’éternel ; qu’elle est, comme dit Homere, (ce grand poëte qu’on a privé des honneurs du calendrier,) la colonne auguste qui pose sur la terre, et dont le faîte est au ciel ? je vous dirai que c’est blasphêmer contre la divinité que de raisonner comme vous le faites, et de cette maniere : la vérité n’est que dans un coin de la terre ; la religion n’est qu’à Rome, parce que les cardinaux l’ont voulu ainsi ; or, l’erreur est sur les trois quarts de la terre, et le crime est au-delà de Rome ; donc les catholiques, apostoliques et romains seuls seront sauvés. Il nous appartient bien, à nous, foibles mortels, de déclarer qu’une vérité commune à tout le genre humain est une vertu pour nous ! d’ailleurs, commande-t-on à la conscience ? Oh ! Messieurs les fins de la terre, vous auriez bien voulu qu’on lui dictât des loix rigoureuses et contraignantes ; comme vous aviez une belle occasion d’armer le fanatisme et d’égorger pour vos plaisirs ceux qui n’auroient pas cru au trône pontifical, qui passoit tout simplement pour une chaire avant le onzieme siecle.
Testis unus. Mais, Monsieur, l’on a tout bouleversé, pourquoi l’archevêque de Trêves n’a-t-il plus de juridiction sur une partie de la France ?
Isocrate. On n’a rien bouleversé, on a tout édifié ; comme on a fait quatre-vingt-trois départemens, on a voulu quatre-vingt-trois dioceses, ce qui est conforme à l’esprit d’uniformité que l’évangile recommande, ce qui est essentiel au régime des états ; aussi tout le monde sait que les premiers dioceses de l’église romaine ont suivi les divisions territoriales de l’empire romain ; par-là, on a rétabli l’ordre. Voyez si cette démarcation touche au dogme, si elle blesse la morale ? non sans doute, ce n’est ici qu’un travail d’arpenteur. Pourquoi donc les prêtres se plaignent-ils ? l’église a-t-elle murmuré de ce que Constantin régla l’étendue des évêchés en Orient et en Occident ? n’a-t-elle pas au contraire applaudi à ce régulateur ? ne l’a-t-elle pas béatifié, quoiqu’il ait consulté les astrologues, tué son fils Crispus, sa femme Fausta, et qu’il soit mort hérétique ?
Vous m’objectez la juridiction de l’archevêque de Trêves ; est-ce de la spirituelle ou de la temporelle que vous parlez ? quant à sa juridiction spirituelle, elle s’étend par-tout, n’est fixée nulle part : « Allez et baptisez par toute la terre, a dit Jesus-Christ ». Voilà la mission d’un évêque, c’étoit celle des apôtres, l’une doit être ce qu’étoit l’autre et pas plus : quant à sa juridiction temporelle, il n’en a, comme vous le savez, que du consentement du souverain ; à moins qu’il ne dise comme Grégoire VII, à qui l’on observoit que son royaume n’étoit pas de ce monde, « s’il s’agit du terrestre, cela m’appartient, donnez-le moi ou je vous damne ».
Au surplus, je ne vois pas qu’il soit plus naturel et plus convenable pour le département des Ardennes d’avoir un évêque à quarante lieues des frontieres, que d’en posséder un dans son sein, comme des enfans possedent leur pere au milieu d’eux ; je ne vois pas non plus qu’il soit bien évangélique de croire à un évêque qui se dit prince temporel, et qui, sous ce rapport, peut prendre les armes, cela me paroît inconciliable avec une religion qui n’aime pas le sang.
Testis unus. Que me direz-vous, Monsieur, de la sacrilege loi qui met dans les mains du peuple la nomination des évêques ?
Isocrate. Que me direz-vous, Monsieur, de l’indécent usage qui confioit aux catins le droit de faire monter au siege épiscopal, un abbé à l’eau rose, un faquin perdu de débauches ?
Testis unus. Que me direz-vous, Monsieur, de l’expropriation du clergé ? je tremble qu’un jour la France se trouve au bord de la banqueroute ; comment subsisterons-nous, puisque le gage de notre subsistance est aliéné ? Nous dirions comme les soldats d’Alexandre, nous avons tout conquis et nous manquons de tout ! cent coups de tonnerre m’épouvanteroient moins que d’entendre dire à un prêtre : J’ai faim !
Isocrate. Des propriétés, la crainte de manquer de subsistance, voilà du terrestre, M. l’abbé ; eh ! ne savez-vous pas que St. Pierre n’avoit pas une pite à donner aux pauvres qui l’attendoient à la porte du temple de Jérusalem ; connoissez-vous ce vers de Perse :
Cette pensée auroit mieux convenu sur le frontispice de la chapelle de Clément VII, que cette inscription fastueuse et insolente. « Les rois de Thrace, de Saba et des Isles, lui apporteront des présens, tous les rois se prosterneront devant lui, toutes les nations le serviront. »
Testis unus. Oh ! Monsieur, je le vois bien, la foi est perdue !
Isocrate. La raison a repris son empire.
Testis unus. Il n’y a plus de raison puisque le pape n’est plus rien, et qu’on ne correspondra plus avec lui.
Isocrate. On révérera toujours le pape, mais on n’adorera plus son siege ; on consultera sa raison, mais on ne baisera plus sa pantoufle ; on en fera un sage et non plus un Dieu.
Testis unus. Et les bulles ?
Isocrate. Quand il y aura de bonnes loix générales pour l’église, comme pour les gouvernemens, il n’y aura plus besoin de loix particulieres, et conséquemment de bulles ; on bannira les dispenses, comme on a banni les privileges exclusifs, et sur-tout on ne les achetera plus.
Testis unus. Nous allons être dans le schisme.
Isocrate. Oui, parce que les évêques dissidens et les prêtres non assermentés, qui sont leurs garçons de boutique, perdent de vue les devoirs de l’homme, pour ne s’occuper que des opinions des prêtres ; parce qu’ils ne demandent plus à un chrétien s’il craint Dieu, mais s’il est orthodoxe ; parce qu’ils lui demandent s’il est prêt à sacrifier son sang pour l’honneur des mitres, des rabats, des soutanes, de la daterie, de la rote, pour la science obscure et logographique de la théologie, pour reconquérir des droits féodaux, et une immensité de riches abbayes et autres biens ecclésiastiques perdus pour les évêques, et sur-tout pour les beaux yeux du cardinal Colier, qui n’a plus le moyen de faire servir la graisse et la rosée du ciel à l’entretien d’un sérail, d’un riche équipage, d’une foule de fainéans et de mille fantaisies toutes honteuses.
Testis unus. Vous serez excommunié.
Isocrate. Platon l’eût été.
Testis unus. Le décret de l’assemblée nationale n’aura pas lieu. Les prêtres s’armeront de la croix, et l’on exterminera les démocrates, suivant le chapitre XIII du Deutéronome, qui dit : « Si tu te rencontres dans une ville où regne l’idolâtrie, mets tout au fil de l’épée ».
Isocrate. Ce sont-là les menus plaisirs du clergé.
Testis unus. Eh bien ! « Tuez moutons, sotte canaille ; quel péché ! »
Isocrate. Allez, M. l’abbé, vous me faites horreur ! Jettez un regard en arriere, l’auteur de l’évangile avoit voulu épargner le sang, l’église l’a toujours fait couler ; c’est le retour de cet affreux malheur que l’assemblée nationale a voulu prévenir, et vous en murmurez !
L’abbé Thise. Têtes nues, allons sur la montagne, comme Moïse, lever les mains au ciel, les Aarons combattent dans la plaine ; on danse autour des cadavres démocrates de Vaison, l’évêque chante le Te Deum ; allons remercier le ciel.
Testis unus (s’écrie tout saturé de joie.) « À ce noble courroux, je reconnois les prêtres ».