J'il de noir/01

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Cosmo (p. 7-8).


PRÉFACE


Les poètes restent parfois coincés, coincés dans leur bitume et leur mécanique, coincés entre les mains de praticiens rouges et quelquefois, même les larmes ne peuvent plus les désaltérer.

Et dans ce pays coincé qui est nôtre, Gaston Gouin a été débouté comme les querelles qui nous habitent. Il nous résumait tous, nos fols espoirs et nos révoltes ; à la fois étudiant, professeur, journaliste, patriote militant et perpétuellement poète torturant et torturé, dit et contredit.

Il incarnait singulièrement le québécois quotidien : tributaire à la fois de la mentalité urbaine et rurale, continuellement mobile et d’une haute capacité de conscience de soi, mais aussi spontané, direct, engagé, profond. Un pur produit de cette décade bouleversante.

Il aura été terriblement ce que pouvait notre époque : un homme profondément désaccordé. En lui triomphait et perçait le faisceau de puissance et d’identité alors que ce qu’il était lui-même demeurait caché. Et cette dislocation n’était pas un des moindres éléments de sa force, quand elle le conduisait à l’action ; hors de l’action, l’albatros s’exaspérait au sol, aspirait à l’infini. Ce qui, sans qu’il s’en rendît pleinement compte, le fascinait, c’était l’existence de ce double intime et secret dont l’absence, la violation lui étaient intolérables et cette densité invincible concourait, de son vivant même, à créer autour de lui un certain mythe.

De fait, son cheminement nous exaltait tous. Sa recherche obsédante d’une identité profonde et intégrale de lui-même, lui apportait, depuis peu, une lueur au-delà de ce qu’il avait requis successivement de l’action et de l’art : vaincre le sentiment de dépendance de l’homme.

Il se savait terriblement mortel et n’avait que faire de la sérénité ; la sagesse échoue à la vieillesse… En lui, le corps ou l’esprit était incurable. Il ne cherchait pas la sérénité, mais l’invulnérabilité. Il s’est brûlé avec ce qu’il voulait brûler en lui et il flamboie de sa métamorphose en communion.

Son terrible orgueil découvrait, sinon de l’humilité, du moins un goût violent et intermittent de simplicité, tantôt par discipline, tantôt par sensibilité. Chez lui, l’horreur de la respectabilité côtoyait naturellement son dégoût de la propriété, de l’argent. Jusqu’à l’extrême, il a vécu passionnément… l’amour fou.

Jamais il ne cherchait un apaisement, mais une victoire, une paix conquise. Pour lui, il était quelque part un Absolu, et toujours, perpétuellement, il vivait en quête de ce Graal inaltérable. Où se trouve cet Absolu, dernière instance de la grandeur de l’homme, qui réfuterait un certain sentiment de lourde dépendance et nous donnerait la paix… l’amour ?

Ô ce destin enfin raccordé à lui-même !

Gaëtan Dostie


P. S. Gaston Gouin avait déjà porté ce manuscrit chez son éditeur, avant sa mort tragique. Il nous avait abondamment parlé de la réalisation de ce recueil et nous avait à nouveau demandé de le seconder comme nous l’avions fait pour Temps Obus. Nous nous sommes fait un devoir de respecter sa volonté et, par-dessus tout, son œuvre.
G. D.