J’ai compromis ma femme
J’AI
COMPROMIS MA FEMME
COMÉDIE-VAUDEVILLE EN UN ACTE
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Gymnasel, le 13 février 1861.
Acteurs qui ont créé les rôles
Verdinet, agent de change : MM. Geoffroy
Galinois, ancien notaire : Lesueur
Ernest de Monnerville : Gilbert
Hector de Marbeuf : Tousé
Jean : Lefort
Madame Désaubrais : Mmes Georgina
Henriette Verdinet : Albrecht
Le théâtre représente un salon commun de l’hôtel ; deux portes au fond ; portes à droite et à gauche ; piano à droite, deuxième plan ; fauteuils, chaises, canapé, table, etc.
Scène première
Madame Désaubrais, Henriette, Galinois, Hector ; puis Jean
Au lever du rideau, madame Désaubrais et Henriette sont assises à gauche, près d’une table. Madame Désaubrais fait de la tapisserie, et Henriette attache des rubans à son chapeau de paille. Hector est debout près du piano et feuillette un album ; Galinois, assis, lit le journal.
Est-ce tout, monsieur ?
Y sommes-nous, monsieur ?
En tête, mademoiselle.
Mademoiselle !… Si mon mari l’entendait !
Comme elle est jolie sans chapeau !
"Madame Désaubrais et sa nièce, de Paris…"
C’est bien cela.
Et moi, monsieur ?
Vous y êtes aussi, jeune homme. (Lisant.) "M. Hector Marbeuf… de Paris."
Comment, Marbeuf ? Ils n’ont pas mis de ?
Si, ils ont mis : "de Paris."
Non ; ils n’ont pas mis : "de Marbeuf" ?
Non, ils ont économisé la particule.
Tiens ! ils m’ont estropié aussi. (Lisant.) "M. Gatinois, ancien notaire." (Parlé.) Je m’appelle Galinois… mais je ne réclamerai pas.
Là !… Maintenant je puis défier le vent.
Elle est encore plus jolie avec son chapeau.
Il est bientôt midi… Si nous allions à la poste ?
Volontiers ! (Bas à sa tante.) Nous y trouverons sans doute une lettre de mon mari.
Toute réflexion faite, j’ai envie de risquer ma demande en mariage.
Monsieur, on envoie dire de l’établissement que votre bain est prêt.
C’est bien… J’y vais.
Je vous engage à vous dépêcher, parce que, vu l’affluence, on n’accorde qu’une demi-heure à chaque-baigneur.
C’est le règlement.
Hier, j’ai échoué dans ma baignoire.
Messieurs…
Mesdames, voulez-vous me permettre de vous accompagner ?
Avec plaisir.
Je prends le bras de la tante… et, en route, je lui fais ma demande.
Ensemble.
Air de Mangeant (Monsieur va au cercle)
Galinois
Du temps il faut qu’on profite,
Chaque moment est compté ;
Au bain rendons-nous bien vite,
Car le bain, c’est la santé !
Jean
Du temps il faut qu’on profite,
Chaque moment est compté ;
Au bain rendez-vous bien vite,
Car le bain, c’est la santé !
Hector, à part
Lorsque la tante m’invite
Par un regard de bonté,
Sachons profiter bien vite
Du bonheur d’être écouté.
À la poste allons bien vite ;
De ce Paris regretté,
Une lettre a le mérite
De nous rendre la gaîté.
Hector sort par le fond, à gauche, en donnant le bras à madame Désaubrais ; Henriette les suit ; Galinois sort du même côté.
Scène II
Midi !… la diligence de Tarbes doit être arrivée.
Monnerville entre par le fond à droite, suivi d’un commissionnaire qui porte sa malle et son sac de nuit.
Garçon !
Un baigneur !… Monsieur désire une chambre ?
Mieux que cela, mon ami… un appartement.
Nous avons le numéro 7… Il communique avec le 8 et le 9… Deux chambres et un salon.
Très bien.
M. Jules ?… Qu’est-ce que c’est que ça ?
C’est un peintre de Bagnères, qui nous devait cinquante francs.
Ah ! je comprends ! (Au commissionnaire, lui indiquant la droite.) Par ici !
Il entre à la suite d’un commissionnaire.
Garçon !
Monsieur ! (À part.) Encore un baigneur ?
Où est ma femme ?
Votre femme, monsieur ?… Je ne la connais pas… Comment est-elle ?
Elle est… très jolie !
Dans notre établissement, ces dames le sont toutes.
Je te demande madame Verdinet… Henriette Verdinet !
Ah !… Au fait, c’est juste… Alors, où est ma tante ?
Quelle tante ?
Madame Désaubrais !
Madame Désaubrais !… Ah ! oui, monsieur… elle est ici… avec sa nièce… une charmante demoiselle.
Eh bien, cette demoiselle-là, c’est ma femme !
Ah bah !… Alors, vous êtes son mari ?
Naturellement… Où sont ces dames ?
Elles viennent de sortir pour aller à la poste. (Indiquant la gauche.) Voici leur appartement.
C’est bien ; je les attendrai… Ont-elles déjeuné ?
Non, monsieur, pas encore.
Tu mettras un couvert de plus.
Si Monsieur veut me donner son sac de nuit.
Il le prend, et veut s’emparer de l’autre paquet.
Non, pas ça, c’est sacré !
Jean entre à gauche avec le sac de nuit.
Scène III
Des meringues à la pistache que j’apporte à ma femme… C’est sa passion… Les meringues et moi, voilà tout ce qu’elle aime. Aussi, tous les jours, en sortant de la Bourse, j’entre chez Julien… le pâtissier du Vaudeville… et l’on peut me voir, entre quatre et cinq, avec ma ficelle au bout du doigt… Par exemple, c’est la première fois que je voyage avec cette frêle pâtisserie… ce n’est pas précisément commode… Je tiens cela à la main depuis Paris… je n’ai pas fermé l’œil… Cependant, à Mont-de-Marsan, je crois que je me suis oublié un moment… j’ai bien peur de m’être endormi dessus… Voyons un peu…
Il ouvre avec précaution un coin de papier pour s’assurer du dégât.
Mariée !… elle est mariée ! Au moment où je me disposais à faire ma demande, j’ai appris que nous allions à la poste chercher une lettre de son mari.
J’ai positivement dormi… Il y en a une douteuse. (Il pose ses meringues sur la table. Apercevant Hector.) Eh ! mais… je ne me trompe pas… M. Hector de Marbeuf, mon client !…
M. Verdinet, mon agent de change !
Ils se serrent la main.Ah ! si je m’attendais à vous rencontrer dans les Pyrénées…
Et moi donc ! (Il pose son chapeau sur les meringues.) Comme on se retrouve !… Qu’est-ce qu’on fait à Paris ?
On fait 69 70.
Toujours agent de change ?
Toujours !… Parlez, j’ai mon carnet.
Il le tire de sa poche.
Comment ! d’ici ?
Par le télégraphe… Nous disons deux cents Saragosse ; on lutine beaucoup les Saragosse, en ce moment.
Oh ! merci : je n’ai pas le cœur aux affaires : je suis amoureux.
Amoureux ! (Remettant son carnet dans sa poche.) Rien à faire !
Je n’ai pas de chance !… celle que j’aime est mariée…
Dame !
Moi, ça ne m’arrêtait pas… Au contraire !… J’avais la spécialité des femmes mariées… quand j’étais garçon.
Vraiment ?
Ah ! J’étais un fier bandit, allez !… le bandit Verdinet !… Mais, maintenant, j’ai engraissé, je suis au parquet, je ne marivaude plus… qu’avec les Saragosse ! Vous n’y mordez pas ? Bonsoir !
Fausse sortie.
Un instant, que diable !… Peut-on demander à M. Verdinet… au bandit Verdinet, quelle arme il employait pour dévaliser les maris ?
Eh ! je ne sais pas si je dois…
Pourquoi ?
Au fait… un client… (Ils s’asseyent.) D’abord, mon cher ami, quand vous voulez vous faufiler dans un ménage, ne vous présentez jamais comme garçon !
Vraiment !… Pourquoi ça ?
Voyez-vous… les maris ne connaissent qu’un ennemi… le célibataire… l’affreux célibataire ! Dès qu’il paraît, on ferme les portes, on lève la herse et l’on crie sur toute la ligne : "Sentinelles, prenez garde à vous !…" Tandis qu’un homme marié… c’est un confrère, un allié ; moi, j’étais toujours marié depuis six mois.
C’est très joli… Mais, quand on demandait à voir madame Verdinet…
Ah ! c’est là que mon triomphe commençait ! Je m’élevais véritablement à la hauteur de Machiavel ! Je rougissais… je balbutiais… et je finissais par avouer, en demandant le secret, que ma femme, la malheureuse… oubliant ses devoirs et ses serments…
Hein ?
Avait déserté le toit conjugal par un jour d’orage !…
Comment ! vous vous donniez pour un mari ?…
Complètement ! Ah ! dame, il faut du courage. Alors, il se passait dans le ménage que j’attaquais deux phénomènes très curieux… Le mari devenait très gai, il pouffait de rire en me regardant… les maris sont étonnants pour rire de cela !
Et la femme ?
La femme prenait des teintes sérieuses… elle me regardait d’un air singulier qui voulait dire : "Pauvre garçon ! si jeune ! le voilà seul, abandonné, son ave nir est brisé…" Moi, je poussais d’énormes soupirs ; il ne faut pas oublier ça ! Pour l’un, j’étais comique ; pour l’autre, intéressant. J’avais besoin d’être consolé… et, comme les femmes ont par-dessus tout l’instinct de la consolation…
Mais c’est très fort, cela !
Tiens ! si vous croyez que les agents de change sont des imbéciles ! (Riant.) Je me souviens encore de ma dernière expérience… je l’ai pratiquée sur un notaire…
Oh ! un notaire !… Vous ne respectez rien !
C’était le tiers porteur !
Ah ! très joli !… Au bout de deux mois, je voulus partir… Impossible ! Il trouvait que je n’étais pas assez consolé… et sa femme aussi ! Il voulait m’emmener chez lui, à sa campagne.
Qu’avez-vous fait ?
Je m’en suis débarrassé en lui donnant mon adresse… une fausse adresse… et je n’en ai plus entendu parler !
Ma foi ! j’ai bien envie d’essayer de votre recette… qu’est-ce que je risque ?
Marié et trompé ! tout est là !
Adieu !
Vous sortez ?
Je vais boire mon second verre d’eau. (À part.) Je cours rattraper ces dames !
Il prend son chapeau, qu’il avait posé sur les meringues, et sort vivement par le fond à gauche.
Scène IV
Sac à papier ! il a mis son chapeau sur les meringues ! (Il prend le paquet et soulève un coin du papier avec précaution.) Ca y est !… il y en a deux douteuses maintenant ! Posons-les là !
Il place le paquet sur le piano.
À sec !… ils m’ont encore laisser à sec ! je n’ai pas eu ma demi-heure !
Il pose sa canne avec colère sur le piano, et touche aux meringues.
Sapristi ! faites donc attention !
Tiens, vous Edmond ?
Oh ! aïe ! mon notaire de Plombières !
Mon ami… mon bon ami !…
Ce cher Gallinois ! si je m’attendais à le rencontrer…
Depuis trois ans…
Je suis allé pour vous voir… rue des Petites-Ecuries…
Vous ne m’avez pas trouvé ? J’ai déménagé !
Verdinet… je vous en veux de ne pas m’avoir écrit !
Que voulez-vous !… j’ai voyagé…
Ah ! oui !… pour oublier… toujours vos chagrins domestiques… (Avec intérêt.) Voyons, êtes-vous plus heureux ?
Oui… oui… le temps… les distractions…
Pauvre ami !… Et ce misérable, qu’est-il devenu ?
Quel misérable ?
Ernest…
Qui ça, Ernest ?
Eh bien, Monnerville… celui qui a séduit votre femme !
Qu’en avez-vous fait ?… Vous vouliez le tuer ?…
Je m’en suis débarrassé…
Ah ! et comment ?
Comment ? (À part.) Il m’ennuie, ce notaire ! (Haut.) C’était un soir… sur le boulevard… devant Tortoni. Le temps était couvert… de gros nuages blafards grimaçaient à l’horizon…
Ah ! c’est horrible !
Il achetait la Patrie, le misérable ! D’un bond, je fus près de lui, et, d’un geste…
Hein ?
Je lui coupai la figure avec mon gant ! V’lan ! v’lan !
Une provocation ! un duel !
Rassurez-vous !… il a refusé de se battre !
Le lâche !… Et depuis ?…
Il est parti ?
Et il a bien fait… car si je le rencontrais !…
Je vous comprends…
Mais ces détails m’attristent… et, si vous voulez me faire plaisir, Gallinois, nous ne parlerons plus de ça !…. plus jamais ! (Changeant de ton.) Etes-vous pour longtemps à Bagnères ?
J’allais partir… ils ont une manière de baigner si désagréable… Mais vous voilà… je reste !
Ne vous gênez pas pour moi… je vous en prie…
Du tout ! du tout ! je sais ce qu’on doit à l’amitié… je ne vous quitte plus !
Excellent ami ! (À part.) Que le diable l’emporte ! (Haut, avec hésitation.) Et Madame ? Madame est-elle avec vous ?
Non… cette année, je voyage seul.
Scène V
Ma tante ! ma tante ! le voici !
Henriette !
Edmond !
Ils se jettent dans les bras l’un de l’autre et s’embrassent.
Tiens ! ils se connaissent !
Mon neveu…
Chère tante !
Mais que c’est donc gentil à toi d’être venu nous surprendre… Nous ne t’attendions que la semaine prochaine.
Vous n’avez donc pas reçu ma lettre ?
Elle nous arrive à l’instant.
Hein ! sa femme ! (Bas à Verdinet.) C’est votre femme ?
Oui… Plus bas !
Elle est donc revenue ?… Vous l’avez donc reprise ?
Oui… Plus bas !… Je vous expliquerai cela… (Haut, se retournant vers Henriette.) Ma bonne Henriette !
Avez-vous bien pensé à moi, à Paris ?
Oh ! ça !
La petite gaillarde ! Je lui aurais donné le prix Montyon !
Madame Désaubrais - Mon neveu… permettez-moi de vous présenter M. Galinois…
Ah ! c’est inutile ! nous nous connaissons depuis longtemps.
Ah bah !…
J’ai été son confident à une époque..
Enfin, je l’ai consolé dans ses malheurs.
Tu as eu des malheurs, mon ami ?
C’est vous qui le demandez !…
Mais taisez-vous donc ! (À part.) Il est fatigant, ce notaire-là ! (Prenant le paquet aux meringues, et le présentant à sa femme.) Tiens, chère amie, regarde…
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Tu ne reconnais pas la ficelle ?
Des meringues à la pistache !
Que je t’ai apportées de chez Julien.
Oh ! que tu es gentil !
Et il lui apporte des meringues à la pistache ! (Avec conviction.) Il est excellent, cet homme !
Monsieur, votre déjeuner est servi…
Si Monsieur veut inscrire son nom sur le livre des voyageurs…
Plus tard ! après déjeuner !
Ensemble
Air de Mangeant (des Vestes)
Verdinet et Henriette
Pour moi quel heureux jour !
J’oublie tout par ta présence ;
Les ennuis de l’absence
Font place aux plaisirs du retour.
Galinois, Madame Désaubrais, Jean
Pour eux quel heureux jour !
Tout s’oublie par sa présence ;
Les ennuis de l’absence
Font place aux plaisirs du retour.
Henriette, madame Désaubrais et Verdinet entrent par la gauche.
Scène VI
Il paraît qu’il a pardonné, ce brave garçon !…
Monsieur… il vient de nous arriver un grand personnage… un monsieur qui prend pour lui tout seul deux chambres et un salon…
Attendez… il vient d’écrire son nom. (Lisant.) "Ernest de Monnerville."
Hein ? Monnerville ? (Il arrache le livre des mains de Jean.) C’est bien cela !… Lui ! dans le même hôtel que Verdinet !
C’est un beau jeune homme… il m’a donné cinq francs…
Pourquoi ?
Pour ma conversation… Il m’a demandé des renseignements sur toutes les personnes qui habitent l’hôtel… sur les dames surtout…
Ah ! il s’est informé des dames ?
Oui, il m’a l’air d’un amateur.
Plus de doute !… il a suivi madame Verdinet… il veut se rapprocher d’elle… Oh ! mais je ne dois pas souffrir cela ! Edmond est mon ami… Ce monsieur partira… à l’instant ! (Haut.) Jean !
Monsieur ?
À vous ?… Oui, monsieur. (Voyant entrer Monnerville.) Le voici !
Laisse-nous.
Jean sort.
Scène VII
Il est beaucoup mieux que Verdinet. (Haut.) C’est à M. de Monnerville que j’ai l’honneur de parler ?
Oui, monsieur.
Ernest de Monnerville ?
Oui, monsieur… mais je n’ai pas l’honneur…
C’est bien lui ! (Haut, d’un ton solennel.) Monsieur, comme ami… comme confident… et j’oserai même ajouter, comme ancien notaire… il est de mon devoir de vous dire…
Garçon ! garçon !
Eh bien, monsieur ?
Il est de mon devoir de vous dire… qu’une personne, arrivée de Paris, vous attend sous le vestibule… à l’instant.
Comment ! déjà ?… Je n’attendais que demain… Merci, monsieur !
Ils se saluent ; Monnerville sort vivement par le fond.
Scène VIII
Garçon, du feu !
Il était temps !
Pendant que ma femme grignote ses meringues, je vais fumer un cigare.
Pourvu que l’autre ne revienne pas !
Ah ! le livre des voyageurs… Il faut que j’inscrive mon nom.
Il prend le registre.
Quoi donc ?
Rien… Je viens de l’inscrire moi-même !… (À part.) S’il voyait le nom de Monnerville !…
Quel air tragique !
C’est le soleil… J’ai attrapé un coup de soleil.
Le journal de la localité. (Lisant.) "Liste des voyageurs…"
Non, non !
Ah çà ! mais…
Je l’ai retenu avant vous !
Oh ! je ne suis pas pressé !… Quelle figure féroce !
C’est le soleil !
C’est une mauvaise plaisanterie !
L’autre ! (À Verdinet.) Votre femme vous appelle.
Si, on vous demande… (Le poussant.) Allez ! allez !…
Verdinet entre à gauche, et Monnerville paraît au fond, à droite.
Scène IX
Il était temps !
Ah çà, monsieur… c’est une mystification… personne ne me demande…
Chut !… Moins haut !… Je voulais vous éloigner.
Moi ?… Pourquoi ?
Il est ici.
Qui ?
Edmond !
Quel Edmond ?
Verdinet ?… Je ne connais pas !
Bien ! jeune homme !… C’est très bien, d’être discret… mais je sais tout… tout !
Tout… quoi ? (À part.) Il m’ennuie, ce monsieur !
L’histoire de vos amours avec madame Verdinet !
Ah ! vous savez ?…
Qu’elle a quitté son mari pour vous.
Madame Verdinet ?
Il a bu du laudanum, lui, le malheureux !… Mais il l’a reprise… sa femme !… il a pardonné !
Oui.
Seulement, dès qu’il entend prononcer votre nom, il bondit !… Le passé lui remonte au cerveau, et, s’il vous rencontrait…
Eh bien ?
Quelle scène ?
Vous savez bien… pendant que vous achetiez la Patrie… le gant…
Le gant ?
Avec lequel il vous a coupé la figure…
Hein ?
Vous avez même refusé de vous battre… Je connais toute l’histoire.
Pardon, monsieur… De qui tenez-vous ces détails ?
Du mari lui-même… de Verdinet.
Ah ! c’est lui qui vous a dit que j’avais séduit sa femme ?
Oui.
Qu’il m’avait souffleté ?
Parfaitement.
Naturellement.
Moi, Monnerville ?…
Oui, Ernest de Monnerville.
Voilà qui devient curieux !
Monnerville, j’ai une prière à vous adresser… comme ami… comme confident… j’oserai même ajouter, comme ancien notaire… Ernest, soyez généreux !…. Ne portez pas de nouveau le trouble dans un ménage que vous avez déjà… saccagé.
Soyez tranquille.
Je vous demande plus encore… Il faut vous éloigner.
Moi ?
Galinois
Air : Partez, madame
Par amitié, rendez-moi ce service,
Pour assurer mon repos, mon bonheur,
Accomplissez ce dernier sacrifice…
Il coûtera sans doute à votre cœur ;
Mais rendez-vous à la voix de l’honneur.
Obéissez… Dieu, qui nous récompense,
Dans vos douleurs sera votre soutien,
Et vous aurez… là… votre conscience,
Qui vous dira : "Monnerville, très bien ! "
(Parlé.) C’est convenu… vous allez partir ?
Un instant !
Il le faut !… La chambre de Verdinet est là… (Il indique la gauche.) Evitez surtout de le rencontrer… La diligence part à quatre heures… rentrez… faites vos paquets… je vais retenir votre place.
Mais, permettez…
Allons, Ernest, du courage… du courage !… Je vais retenir votre place.
Il sort vivement par le fond à droite.
Scène X
Parbleu ! je suis curieux de connaître ce mari… qui m’a souffleté…. Voici sa chambre. (Il se dirige vers la porte de gauche ; Verdinet paraît.) C’est lui, sans doute !
Ma femme ne m’appelait pas du tout.
Je ne l’ai jamais vu. (Haut.) C’est à M. Verdinet que j’ai l’honneur de parler ?
Ernest de Monnerville !
Tiens ! ma station existe… (Haut.) Enchanté, monsieur !… Monsieur vient prendre les eaux ?
Il paraît, monsieur, que j’ai séduit votre femme ?
Comment ?
Ah ! ce n’est pas tout !… Il paraît que vous m’avez souffleté… et il paraît que j’ai refusé de me battre…
Qui a pu vous dire ?…
Un de vos amis… un ancien notaire, qui me quitte à l’instant.
Il ne fait que des sottises, ce vieil animal-là !
Vous comprenez, monsieur, que tout cela demande une explication.
Oh ! mon Dieu, monsieur… c’est bien simple… vous allez rire…
Je ne crois pas, monsieur.
J’étais jeune… j’étais garçon… comme vous, peut-être… Je courais un peu les femmes… les femmes mariées surtout… comme vous, peut-être.
Veuillez continuer.
Il ne rit pas ! (Haut.) J’avais imaginé une ruse charmante… que je vais vous donner… vous pourrez en faire votre profit contre les maris… (Riant.) Ah ! ah ! les maris !
Après ?
Il n’est pas gai !… c’est un gandin… triste !… (Haut.) Je me faisais passer pour un mari trompé… cela inspirait de la confiance ; on s’intéressait à moi, on me plaignait… on me consolait… et vous savez… de la pitié à l’amour, il n’y a qu’un pas… (S’efforçant de rire.) Un tout petit pas.
Pardon, monsieur… mais je ne vois pas ce que mon nom avait à faire dans tout cela.
Voilà… Pour que ma femme fût séduite… il me fallait un séducteur… Alors, j’ai pris un nom en l’air, un nom de station…, Monnerville… ligne d’Orléans… quatre kilomètres d’Etampes… Je me disais : "Cela n’existe pas…" Vous voyez, c’est bien simple ! bien innocent… Touchez là, monsieur !
Il lui tend la main.
Oh ! ça…
Et comme je suis seul à porter ce nom…
Et la station ?… nous avons aussi la station !
Excusez-moi… mais je ne goûte pas cette plaisanterie…
Il ne rit pas !
Je n’ai pas besoin de vous dire qu’il m’est impossible d’accepter la position que vous m’avez faite… Je vous prie donc de reconnaître publiquement que la scène de Tortoni est de pure invention…
Publiquement ?… Et ma femme !… Je ne peux pas aller lui raconter…
C’est juste… mais je vous prie alors de la démentir auprès de M. votre ami.
Galinois ?… Parfaitement ! (Se ravisant.) Ah ! c’est-à-dire… non ! c’est impossible !
Pourquoi ?
Je ne peux pas aller raconter… (À part.) Le mari !
Oui… Si vous saviez… Vous allez rire…
N’en parlons plus… (Changeant de ton.) Il y a, je crois, grand concert ce soir au salon ?
Oui.
Vous aimez la musique ?
Beaucoup !… Nous y serons tous… la Borghi chante…
Je compte y aller faire un tour… vers huit heures…
Il s’adoucit !… (Haut.) Enchanté !… j’aurai le plaisir de…
J’aurai l’honneur de vous marcher sur le pied… à huit heures un quart.
Hein ?
Vous me ferez l’honneur de vous fâcher…
Moi ?
Et j’aurai l’honneur de vous donner un soufflet.
Oh ! un soufflet… de bonne compagnie… avec le gant !…
Il m’offre ça comme une partie de dominos… (Haut.) Mais, monsieur…
À ce soir, monsieur… huit heures un quart.
Il se dirige vers la porte.
Plus souvent que j’irai !
Scène XI
Mon ami, une bonne nouvelle.
Quoi ?
Nous allons au concert ce soir… Voici les billets !
Allons, bien !
Ah ! c’est là sa femme ?… Mais elle est charmante.
C’est vrai… j’ai tout mangé… même les…
Douteuses !
Quelle ravissante petite femme ! (Il s’approche de Verdinet, bas.) Dites donc, j’ai changé d’avis… je ne vous marcherai pas sur le pied.
Hein ! vous renoncez au gant ?
J’y renonce.
Ah ! cher ami !… Je disais aussi…
Savez-vous que vous avez une femme charmante ?
N’est-ce pas ? Et en toilette !… Vous la verrez ce soir…
Je l’espère bien !… ce soir… demain… tous les jours…
Comment, tous les jours !
Dame !… vous m’avez fait passer pour son séducteur…
Et comme j’ai horreur du mensonge… je ferai tous mes efforts pour que vous n’ayez pas menti…
Plaît-il ?
Présentez-moi…
Ah ! mais non ! permettez !…
Ah ! présentez-moi !
Oui… certainement… (Aux dames.) Mesdames, permettez-moi de vous présenter M. de Monnerville… une station… une connaissance…
Comment, une connaissance ! dites donc un ami… (Passant devant Verdinet.) Et un bon ami… (À Henriette.) Vous me le devez, madame…
Comment ?
Oui, madame. Il y a trois ans, j’ai été assez heureux pour lui sauver la vie.
Hein ?… qu’est-ce qu’il chante ?…
Il pêchait, à la ligne… au bord de la Marne.
Vous pêchez à la ligne ?
Moi ?
Tu ne m’avais jamais parlé de ce talent-là ! Oh ! que je voudrais donc te voir avec un grand bâton !
Elle rit.
Il me rend ridicule, à présent. (Haut.) Je pêche… c’est-à-dire…
Il était sur un train de bois…comme ça… occupé à ne rien prendre… Tout à coup, le pied lui glisse, il disparaît…
Ah ! mon Dieu !
Mais non.
Hein ?… Vous aviez disparu !… Moi, rêveur au pied d’un saule, je regardais couler l’eau. À la vue de ce malheureux qui se débattait dans l’abîme, je me précipite, je plonge, je le ramène !
Ah !
Il m’échappe !
Ah ! mon Dieu !
Et redisparaît sous le train de bois… Il était perdu !…
Mais…
Vous étiez perdu ! Je replonge, je le ressaisis par un bras, je le ramène encore… Sa main crispée m’entrait dans les chairs… mais qu’importe ! je nage, je redouble d’efforts, j’arrive, enfin… il était sauvé !
Ah çà, quelle histoire leur fait-il là ?
Tant de courage ! tant d’abnégation ! (Lui tendant la main.) Permettez-moi de serrer la main d’un ami…
Ah ! madame !
Il lui embrasse la main.
Charmante ! charmante !
Vous ne nous aviez jamais parlé de cette aventure.
C’est vrai. Est-ce que vous seriez ingrat, mon ami ?
Moi ? Mais…
Oh ! non, Verdinet n’est pas ingrat ! Si vous aviez été témoin de sa joie tout à l’heure, en me retrouvant… ce cher ami !…
Il lui serre la main.
Monsieur, je ne vous connais pas, je vous défends de me serrer la main !
Nous venions d’arranger une partie de cheval, en attendant le dîner.
Une partie de cheval ?…
Si Madame voulait nous faire l’honneur de se joindre à nous ?
Oh ! bien volontiers !
Pourquoi ?
Parce que… le temps n’est pas sûr !
Un soleil magnifique !
C’est convenu. Je vais commander les chevaux. (Bas à Verdinet.) Charmante ! charmante !
Monnerville sort par le fond, à droite.
Scène XII
C’est ridicule ! On n’accepte pas ainsi une promenade avec un inconnu !…
Comment, un inconnu ?
Un homme qui s’est jeté dans la Marne !
Un jeune homme distingué !
Courageux !
C’est cela !… montez-vous la tête ! Vous ne savez donc pas…
Voilà votre billet ! La diligence part à quatre heures…
Quoi ? quel billet ?
Non… rien… un billet de concert. (À part.) Monnerville est rentré chez lui… je respire.
Mon ami, as-tu apporté tes éperons pour monter à cheval ?
Oui, j’ai tout ce qu’il me faut. (À part.) Nous ne sommes pas encore partis !
Vous allez faire une promenade à cheval ?
Un temps de galop, avant dîner.
Bravo ! Pendant ce temps-là, j’embarquerai l’autre.
Mais, j’y pense, nous aurons un cavalier de plus…
Encore !… Qui cela ?
Un pauvre jeune homme qui est bien triste… Tout à l’heure, en revenant de la poste, il nous a raconté ses malheurs…
Il a tenté de se suicider avec du laudanum.
Tiens !
Parce qu’au bout de six mois de mariage, il a été trompé par sa femme.
Tiens !
C’est comme vous.
Taisez-vous donc !
Il remonte.
Ils se sont donc tous donné rendez-vous ici ?
Comprend-on qu’une femme soit assez oublieuse de ses devoirs pour quitter le foyer conjugal !
Vous avez tort de lui dire ça…
Pourquoi ?
Nous allons te le présenter… Il devait venir ici à deux heures, pour faire de la musique.
Nous tâcherons de le distraire. (Bas à Verdinet qui est descendu.) Un collègue !
Oh !… qu’il m’agace !…
Scène XIII
Hector entre par le fond avec des cahiers de musique sous le bras.
Venez, monsieur, que je vous présente à mon mari.
Monsieur… (Le reconnaissant.) Oh !
Oh !
Vous vous connaissez ?
Beaucoup… Ce cher Hector… un client ! (Bas.) Comment ! je vous prête mon fusil… et vous tirez sur moi !
Du reste, il a bien une tête à ça, le petit !
Ah ! tu fais la cour à ma femme, toi !… Je m’en vais te couler. (Haut.) Il m’a bien souvent raconté ses malheurs… ce pauvre ami ! mais, il faut être juste, Hector… Tous les torts ne sont pas du côté de madame de Marbeuf
Comment ?
Vous étiez vif, et parfois votre main s’oubliait jusqu’à…
Oh !…
Frapper une femme !…
Mais, monsieur…
Vous n’étiez pas non plus un mari très exemplaire… et la chronique parle d’une certaine danseuse…
Oh !
Une sauteuse !…
Permettez…
Avec laquelle vous fîtes un souper… célèbre !… Vous ne rentrâtes que le matin… encore fut-on obligé de vous rapporter… et dans quel état !…
Oh !
Des amours alcooliques !
Monsieur… mesdames ! je vous jure…
Assez !…Ma nièce, allons nous habiller !
Mais…
Assez !
Elle rentre à gauche avec madame Désaubrais.
En voilà un de blessé à mort… À l’autre, maintenant…
Ah çà ! monsieur, m’expliquerez-vous…
Assez ! assez !
Il entre à gauche.
Ah ! c’est comme cela ! Eh bien, je me vengerai !…
Il veut sortir, Galinois le retient.
Eh ! vous m’ennuyez !… (À part.) Verdinet me le payera !
Il sort furieux.
Scène XIV
Voilà la jeunesse dorée ! des danseuses et de l’alcool !… Monnerville doit avoir fermé ses malles… Je crains toujours une rencontre ! (Appelant.) Jean ! Jean ! (À Jean qui entre par la droite.) M. de Monnerville est dans sa chambre ?
Non, monsieur ; je l’ai aperçu tout à l’heure qui traversait le jardin.
Entre chez lui et prends sa malle.
Comment, monsieur !…
Allons, dépêche-toi ! C’est convenu avec lui.
Ah !
Il entre à droite.
Voilà ; monsieur.
Porte tout cela à la diligence.
Comment ! ce monsieur part ?…
Va. Il m’a chargé de payer sa note.
Ah ! il part !
Il sort par le fond, à gauche, au moment où Henriette entre par la gauche.
Tiens ! qui est-ce qui part donc ? C’est vous, monsieur Galinois ?
Non… (Avec mystère.) C’est lui !… lui !
Qui, lui ?
Ernest !
Ernest.
Du courage !… Plus tard, vous me remercierez !… bien plus, vous me bénirez !
Il l’embrasse.
Je vais le faire enregistrer. Adieu ! (Revenant sur ses pas avec émotion.) Du courage ! du courage !…
Il sort par le fond, après l’avoir encore embrassée.
Scène XV
Mais qu’a-t-il donc ? Depuis ce matin, on dirait qu’il devient fou… Au reste, tout est bouleversé aujourd’hui : notre promenade à cheval, dont je me faisais une fête, mon mari a persuadé à ma tante qu’il n’était pas convenable de la faire avec un jeune homme que nous voyions pour la première fois… Quel ennui !…
Madame, tout est disposé, les chevaux nous attendent.
Mon Dieu, monsieur, je suis désolée, mais il me faut renoncer à cette partie.
Comment ?
Une migraine subite… Oh ! je souffre horriblement.
Oh ! oui.
Mais, si j’osais vous prier…
De quoi donc ?
De me confier votre main, je guéris les migraines… (Il lui prend la main.) En quelques minutes… par le magnétisme.
Ah bah ! vraiment ?
Vous riez, cela va déjà mieux.
Oh ! non.
Permettez !
Il lui tient une main et fait de l’autre des passes. Verdinet et madame Désaubrais entrent.
Hein ? que faites-vous donc ?
C’est… c’est Monsieur qui prétend guérir les migraines par le magnétisme.
Est-ce qu’il voudrait endormir ma femme ?
C’est ça, magnétisez ma tante. (Bas à madame Désaubrais.) C’est un bon tour à lui jouer.
Qu’appelez-vous un bon tour ?
Non… ce n’est pas cela que je voulais dire.
Que viens-je d’apprendre, mesdames, il nous faut renoncer à notre partie ?
Complètement. (Avec ironie.) Vous m’en voyez désespéré.
C’est une heure de plaisir dont vous me privez. (À madame Désaubrais.) Et je demande la permission de la passer auprès de vous.
Mais, bien volontiers, monsieur. (Bas à Verdinet.) Il est parfaitement élevé, ce jeune homme.
C’est ça, tenez compagnie à ma tante. Henriette et moi, nous allons faire un tour de jardin.
Vous n’y pensez pas !
Quoi donc ?
Ah ! sapristi ! si je ni ’attendais à celle-là ?…
Henriette touche quelques notes.
Ah ! Madame est musicienne ?
Oh ! comme tout le monde… Et vous, monsieur ?
Oh ! très peu, madame.
C’est-à-dire pas du tout. (Tout à coup) Tiens ! si je le faisais chanter… un moyen de le couler. (Haut.) Ernest, chantez-nous donc quelque chose pour ces dames.
Ah ! oui.
Moi ?… J’en suis incapable !
Allons donc ! vous avez une voix charmante et une méthode…
C’est une plaisanterie !
Vous nous avez ravis toute une soirée.
Quand donc ?
Ah ! oui… c’est vrai… je m’en souviens maintenant.
Oh ! monsieur, je vous en prie…
Voyons, ne vous faites pas prier.
Oh ! Monnerville, Monnerville !
Allons, mesdames… puisque vous le voulez… mais je plains vos oreilles.
Nous allons assister à quelque chose d’atroce. (Haut.) Henriette, ton duo… ton nocturne… ton petit duo de l’Etoile… (À part.) Hérissé de difficultés !
Il s’assied près de la table, et madame Désaubrais sur le canapé.
Le connaissez-vous ?
Je dois le connaître… Je suis à vos ordres. Veuillez commencer.
Je m’attends à un déluge de couacs !
Duo de Couder
Henriette, chantant
Le ciel est pur, la nuit est belle,
L’ombre se fait autour de nous ;
Là-bas, une étoile étincelle
Fixant sur nous son œil jaloux.L’œil jaloux d’une étoile ! Très bien, très bien ! (À part.) À lui, maintenant… nous allons rire !
Monnerville, chantant
Calme tes craintes, tes alarmes…
Tiens !
Monnerville, chantant
Elle brillait, je m’en souviens,
Le soir, où tout baigné de larmes,
Mon regard rencontra le tien.
Brava ! brava ! (À part.) C’est-à-dire non !… Il a une voix charmante, l’animal.
Monnerville
Douce étoile de nos amours,
Brille longtemps, brille toujours !
Oh ! très bien… très bien !
Sapristi ! je suis vexé de l’avoir fait chanter.
Henriette et Monnerville, ensemble
Douce étoile de nos amours,
Brille longtemps, brille toujours !
Il est quatre heures. (S’arrêtant.) Hein ?… Lui, avec elle ?
Chut ! Taisez-vous donc !
Elle fait signe à Galinois de s’asseoir. Monnerville et Henriette
Ah ! ah ! ah ! ah !
Brille toujours,
Etoile de nos amours !
Mais c’est lui… Monnerville !
Je le sais bien !
Il lui a donc pardonné aussi ?
Le duo finit.
Oh ! bravo ! charmant !
Elle va au piano ; Verdinet descend avec Galinois.
Mais vous avez une voix remarquable… N’est-ce pas, mon ami ?
Oh ! oh !
Oh ! oh !
Ténor léger.
Trop léger !
J’ai entendu cet hiver une romance dont je raffole… et qui est tout à fait dans votre voix : les Adieux à Venise.
Je l’ai malheureusement laissée à Paris.
Oh ! je vous en prie… allez la chercher.
La tante prête les mains à un commerce de romance, oh !
Charmante ! charmante !
Il entre à droite.
Scène XVI
Il me faut prendre un parti… ça ne peut pas durer comme, ça ! (Haut.) Vite, mesdames, vos malles, vos paquets !… Nous partons !
C’est ça, partez !
Comment ! nous partons ?
Et où allons-nous ?
En Suisse… Non, en Italie !
Mais qu’est-ce qui vous prend ?
C’est cette romance dont vous avez parlé… Venise !… Je veux voir Venise !
Venezia la Bella !
Mais nous connaissons l’Italie.
L’ancienne !… pas la nouvelle !
Ca ne se ressemble pas.
Allons !… vite, vite !
Mais, mon neveu…
Mais, mon ami…
Vos malles ! vos paquets !
Elles sortent.Scène XVII
Il marche, mon ami, il avance, il fait des progrès !
Mais il ne peut pas en faire plus qu’il n’en a fait.
Hein ? Ah ! oui… c’est juste !
Madame Verdinet n’est pas là ?
Qu’est-ce que tu lui veux ? (Voyant le bouquet.) Un bouquet !… pour ma femme !
Il le prend.
Mais, monsieur…
Laissez-nous… Sortez ! (Jean sort, Verdinet trouve un papier dans le bouquet.) Un billet !
Ce Monnerville est cynique… Rien ne l’arrête.
Tiens ! ce n’est pas de lui !
Hector de Marbeuf.
Le petit !
"Madame, je vous aime trop pour vous tromper…" (Parlé.) Ah ! le drôle, il payera pour tout le monde… Tenez, lisez !
Il remet le billet à Galinois.
"Madame, je vous aime trop pour vous tromper… je pars, mais je tiens à ne pas vous laisser de moi une opinion que, je ne mérite pas… M. Verdinet m’a calomnié…"
Paltoquet !
"Je n’ai jamais été marié… ni trompé…"
Ca, c’est vrai !
"C’était une ruse qui m’avait été suggérée par M. votre mari."
Exact !
"Et qui lui avait parfaitement réussi à Plombières… il y a trois ans."
"Pour séduire la femme d’un imbécile de notaire…"
Assez !… Donnez !
Voyons donc !… Un imbécile de notaire, à Plombières ; il y a trois ans ; mais il n’y avait que moi d’imb… de notaire à Plombières.
Patatras !
Scène XVIII
Garçon !… où diable sont mes malles ?
Sur l’impériale de la diligence !
Comment ?
Mais vous voilà, tout va s’éclaircir… Monsieur Monnerville, soyez franc : vous n’avez jamais connu madame Verdinet… vous n’avez jamais reçu de Tortoni sur la figure… c’est-à-dire, enfin… je sais tout.
Ainsi, cette comédie était inventée pour tromper un imbécile de notaire.
Ah bah !
Oui, monsieur, et c’était moi l’imb… le notaire.
Comment ?
Mais tout n’est pas fini, monsieur.
Pas d’éclat !… Je suis à vos ordres !
Chut ! ces dames !
Scène XIX
Nous voilà prêtes !
Eh bien, partons-nous ?
Plus tard !… Auparavant, j’ai une affaire à régler avec M. Galinois.
Puisque vous restez, mesdames, je vous demanderai la permission de vous présenter ma femme, qui arrive demain, avec sa mère.
Vous êtes marié ?
Depuis quinze jours… et je suis venu pour retenir l’appartement de ces dames.
Ah ! si je l’avais su !
Vous êtes bienheureux que je sois marié… Sans cela…
Cher ami, je vous comprends ! (À part.) Voilà une affaire réglée. À l’autre. (À Galinois.) Votre heure, monsieur ?
Ah ! vous êtes bien heureux que je ne sois pas marié… Sans cela…
Comment, cette dame aux mains colorées…
Chut ! une faiblesse !
Ah bah ! c’était ?…
Hein ?… Sa cuisinière ?…
Ensemble
Air de Couder
La douce, l’heureuse existence,
Chaque jour nous amène ici
Une nouvelle connaissance,
Qui, plus tard, devient un ami.
Verdinet, au public
Air d’Yelva
J’ai fait ce soir un acte téméraire ;
J’ai dévoilé mes ruses d’autrefois.
Pour s’en servir, plus d’un célibataire
Applaudira du geste et de la voix.
Mais les maris vont me trouver infâme ;
Pas de fureur ! c’est assez, je le sais,
D’avoir osé compromettre ma femme
Sans compromettre encore le succès.
Je me dirai : "J’ai compromis ma femme,
Mais je n’ai pas compromis le succès."
RIDEAU