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J’ai donc mal entendu

La bibliothèque libre.
Poèmes Premier et second carnets de poèmesmanuscrits autographes (p. 11-12).
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V

J’ai donc mal entendu, car j’ai l’oreille dure,
Quoi vous me demander de réciter des vers !
Je n’aurais pas fini ma tâche ; je vous jure
    Quand j’en remplirais l’univers.

Mais, mondieu, les salons retentissent encore
De compliments flatteurs faits en grand appareil
Tout rit aux mariés, et la nouvelle aurore
    a du sourire à leur réveil.

Restons silencieux, laissons à la nature
Le soin de célébrer leur joie et leur bonheur ;
Ses chants seront plus vrais, sa voix sera plus pure,
    Elle séduira mieux le cœur.

Que dirais-je en effet ? Leurs vertus sont si belles,
Qu’en vain je tacherais de vous les esquisser ;

Les vers les plus charmants paliraient auprès d’elles ;
    Je ne dois pas même essayer.

Ils forment en eux d’eux une si noble idylle,
Il est tant d’harmonie en leur charmant rapport,
Que si je prends ma lyre, hélas! peine inutile,
   Je ne puis la mettre d’accord.

Oui, pour les célébrer, métaphore hardie
Resterait inférieure à la réalité ;
On verrait se traîner, même la poésie
    Au dessous de la vérité.

Le plus fécond auteur en tentant cet ouvrage
Épuiserait sa vie et sa verve, et ses chants ;
C’est que ses bornes sont plus lointaines que l’âge,
    Et sont plus longues que le temps.

Par nos chants importuns et leur vaine abondance
Gardons de les troubler ; et puis de jour en jour,
Vous verrez qu’au bonheur, il suffit du silence,
    Du recueillement à l’amour.