J-B. Rozier Les cris de Paris

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J-B. Rozier Les cris de Paris
La vie parisienne à travers le XIXe siècle, tome 2, Texte établi par Charles Simond, Plon2 (p. 710).


Les cris de Paris.

Quel bruit assourdissant vient frapper mon oreille !
Quel tapage, bon Dieu, quand Paris se réveille !
D’abord, c’est l’Auvergnat, dont j’entends la clameur
Se répandant au loin : Voilà le rétameur !
Puis vient son compagnon criant à perdre haleine :
Faites raccomoder robinets et fontaine !
Un autre, sur un ton qu’il cherche à varier,
Pousse, les yeux en l’air, son cri de Vitrier !
Tout cela me plaît fort… Si vous voulez m’en croire,
Nous allons en citer quelques-uns pour mémoire.
Quoique n’atteignant pas au même diapason,
Ils nous charment toujours annonçant la saison
Qu’en son cours régulier le temps fait reparaître.
Pour combien n’est-ce pas le plus sûr chronomètre !
Et quand, tremblants, transis, nous soufflons dans nos doigts,
Faites-nous, disent-ils, un grand feu sous les toits !
Écoutez cet augure affublé d’une hotte,
Il annonce tout haut : Du bon poussier de motte !
Et cette bonne vieille, au coin du carrefour,
S’enrouant à crier : Poires cuites au four !
Voyez-vous les bambins entourant la marchande
Et convoitant de l’œil une part si friande ?…
Voici le repasseur hurlant : Couteaux !… ciseaux !…
Une autre : Du mouron pour les petits oiseaux !…
Ce dernier, qui fend l’air d’une voix forte et rauque,
Vient nous offrir ses œufs : À la coque ! à la coque !
On voit poindre plus loin le grand opérateur.
Il tond les chiens frisés, dont il est la frayeur,
Voici la poissonnière, et si fraîche et si vive,
Avec son éventaire : Il arrive !… il arrive !…
Quelle fraîcheur, voyez !… Aussitôt les chalands
S’empressent d’acheter et soles et merlans.
Mais voici du printemps la brise parfumée ;
Tout renaît… tout sourit !… La nature embaumée
Commence à nous offrir ses plus vertes primeurs…
Aussi quelle gaîté !… quelle folle rumeur !…
Écoutez ce Normand, bien connu des concierges :
Des pois verts au boisseau !… Grosses bottes d’asperges !
Il marche à pas comptés en poussant son brancard,
Puis sa voix s’affaiblit et se perd à l’écart.
Vous subissez encore une autre roucoulade :
Navets !… les bons navets !… artichauts et salades !…
Il s’échappe dans l’air un autre cri plus doux :
C’est la montmorency !… la livre à quatre sous !…
Il passe une voiture : À la fraise !… à la fraise !…
Tout près vous entendez : Au choix !… tout est à treize !…
Mais je crains d’abuser de votre attention.
Si je m’arrête ici, c’est par discrétion.
Dépeindre tous ces cris serait acte arbitraire ;
À ce point qui voudrait se montrer téméraire ?…
Pourtant, qui ne connaît le marchand de ballons !
Peaux de lapins, ferraille, habits neufs, vieux galons !…
Du garçon de café le Boum épouvantable,
Et du restaurateur le Voilà formidable !…
Sans oublier : Prenez, Mesdames, du plaisir !…
Et les petits gâteaux : Messieurs, venez choisir !…
Le marchand de cerneaux, la robuste écaillère,
Puis, au milieu des fleurs, la jeune bouquetière :
Fleurissez vos amours !… À cet appel charmant
Qui pourrait résister ? J’approche hardiment
Et je choisis soudain, parmi ces fleurs nouvelles,
Celles qui m’ont paru de toutes les plus belles…
À tous les assistants mon cœur veut les offrir ;
Comme elles, puissions-nous voir nos ans refleurir !

J. B. Rozier.