Jalousie (Jean Polonius)

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Poésies (p. 18-20).
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Jalousie



 
Il t’aime ! il t’aime ! — il me l’a dit :
Ses regards me l’ont fait comprendre ;
Fatal aveu ! secret maudit !
Est-ce moi qui devais l’entendre ?
Il t’aime ! — À ce mot accablant,
Mon front s’est couvert d’un nuage ;
J’ai senti se troubler mon sang,
Et ma lèvre a tremblé de rage.


Et j’ai pu le voir, l’écouter !
Sans rompre à grands cris le silence !
Sans repousser, sans rejeter
Son odieuse confidence !…
Mais non : mes traits ne devaient pas
Lui révéler que je t’adore !
Car t’aimer est un crime, hélas !
Et le dire est un crime encore.

Pourquoi, par quels fatals attraits
L’air où tu vis fait-il qu’on t’aime ?
Je voudrais dérober tes traits
Au monde, au jour, aux vieillards même.
Je hais ceux qui parlent de toi ;
Je hais ceux qui te trouvent belle ;
Je hais ton nom, si devant moi
Quelque autre bouche le rappelle !

Puisqu’un abîme est entre nous,
Eh ! bien, que le sort s’accomplisse !

Mais que ce gouffre trop jaloux
Nul autre au moins ne le franchisse !
Oui, je saurai, même sans toi,
Supporter l’air et la lumière,
Si le sort qui t’arrache à moi
T’arrache au reste de la terre.