Jean-Daniel Dumas, le héros de la Monongahéla/Année 1757

La bibliothèque libre.
G. Duchamps, libraire-éditeur (p. 85-89).

Année 1757


Son repos ne fut cependant pas de longue durée. De bonne heure en 1757, il prenait part à l’expédition de M. Rigaud de Vaudreuil contre le fort William-Henry.

Parti du fort Saint-Jean le 23 février, le détachement arrivait à Carillon au commencement du mois de mars et s’y reposait huit jours. Ayant reçu du renfort, la colonne, forte maintenant d’environ 1500 hommes, traversa le lac Saint-Sacrement et, après une marche de soixante lieues, arriva en vue du fort ennemi le 18 au soir. M. Dumas fut chargé de reconnaître les forces de la place. La garnison étant sur ses gardes, on se contenta de brûler tout ce qui entourait le fort, y compris trois cent cinquante petits bateaux, quatre brigantins de dix à quatorze canons, les moulins, les magasins et les maisons ; puis, ayant jugé qu’il était impossible d’enlever le fort d’emblée, et n’ayant point d’artillerie pour en faire le siège, M. Rigaud donna l’ordre du retour.[1] Il avait préparé les voies et facilité la tâche du marquis de Montcalm qui devait s’emparer de ce fort l’été suivant.

Le 1er  mai, le capitaine Dumas était promu major de Québec. La lettre suivante du ministre de la Marine accompagnait sa commission. On remarquera que le ministre a toujours présent à la mémoire le combat de la Monongahéla :


« À Versailles, le 27 mai 1757.

À M. Dumas,

« M. le Mis de Vaudreuil ayant proposé, Monsieur, de vous destiner pour la majorité de Québec, le Roy s’est d’autant plus volontiers déterminé à vous donner cette destination, qu’elle est une nouvelle preuve de la satisfaction que Sa Majesté ressent des services que vous lui avés rendus, particulièrement dans le combat contre le général Braddock et dans le commandement du fort Duquesne. Je suis persuadé que vous remplirés les détails de la majorité de manière à mériter d’autres grâces. Et je serai toujours bien aise de pouvoir vous en procurer. »

M. Dumas organisa et disciplina les milices canadiennes qu’il mit sur un pied effectif, comme l’atteste la lettre du chevalier de Lévis[2].

Il ne devait pas toutefois jouir longtemps de ce demi-repos. Le 19 juillet de cette année, il était de nouveau adjoint à M. Rigaud de Vaudreuil qui avait mission d’organiser au portage le bataillon de la Marine, ce bataillon devait être formé de huit compagnies de 60 hommes chacune, de la compagnie indépendante de Villiers forte de 300 hommes, et de six brigades de milice, composées de 450 Canadiens : le marquis de Montcalm préparait son attaque sur le fort William-Henry dont il s’empara le 9 du mois suivant.

Jusque-là, les Canadiens, habitués à se battre à la manière des Sauvages, c’est-à-dire, en se tenant à couvert, ne prisaient guère la discipline européenne, laquelle d’ailleurs, ne convenait pas toujours aux combats qu’on se livrait dans le pays. C’est ce que les commandants français ne semblent pas avoir toujours compris. Ils affectaient même de dédaigner les milices qui combattaient de cette manière, laquelle a pourtant valu de nombreux succès aux Canadiens. M. Dumas n’en eut donc que plus de mérite d’avoir réussi à les façonner à l’image des troupes régulières.

Dès que cet officier eut instruit et exercé les milices canadiennes, qu’il les eut initiées à la discipline européenne et les eut formées en compagnies et en brigades, elles combattirent comme les Français et se montrèrent tout aussi braves, tout aussi fermes dans le combat. De fait, ce furent les milices canadiennes conduites par M. Dumas qui furent les dernières à quitter le terrain lors de la bataille des Plaines d’Abraham.

Dans une lettre écrite à M. de Moras, le 10 octobre 1757, le chevalier de Lévis recommandait chaudement M. Dumas, en raison de ses états de services, tant en Canada que sur l’Ohio.


Le 10 octobre 1757.

« À Monsieur de Moras,

« Permettez-moi de vous supplier de vouloir bien accorder vos bontés et votre protection à M. Dumas, capitaine des troupes de cette colonie. Il a fait la dernière campagne sous mes ordres et sous ceux de M. de Rigaud de Vaudreuil, il a fait les fonctions de major et a eu le détail de toutes les milices qui ont été mises pour la première fois par brigades. C’est lui qui en a fait l’arrangement, qui lui a donné beaucoup de peines et de travail assidu. Les milices, qui jusqu’alors ne connoissoient pas l’ordre et la discipline ont servi comme les troupes réglées. Nous nous sommes si bien trouvés de cette formation qu’à l’avenir on en usera toujours de même ; mais il seroit à souhaiter pour le bien du service que M. Dumas en eût continuellement le détail. Ayant servi en France, il connoit mieux qu’un autre l’ordre et la police qui est absolument nécessaire parmi les gens de guerre. C’est un officier de distinction, qui a toutes les qualités qu’on peut désirer. J’ose vous assurer qu’il est très capable de se bien acquitter de tous les emplois dont vous voudrez bien le charger. Je ne puis vous en rendre d’assez bons témoignages. M. le marquis de Vaudreuil ne vous laissera pas ignorer ce qu’il mérite, et ce qu’il pense sur son compte. Ses services doivent d’ailleurs vous être connus assez, puisque c’est lui qui commandoit à l’affaire de la Belle-Rivière à la défaite du général Braddock ; c’est cette heureuse journée qui a mis le Canada à l’abri des premières incursions des Anglois. Je ne sais quelle grâce vous demandera M. le marquis de Vaudreuil pour M. Dumas ; toutes celles que vous voudrez bien lui accorder seront bien placées. En mon particulier, je serois bien flatté si la recommendation que j’ay l’honneur de vous en faire et les témoignages que je me crois obligé devoir vous rendre de ses services de la campagne dernière, pouvoient les lui procurer ; je vous en aurois une grande obligation. »

On ne saurait être à la fois plus gracieux et plus juste. L’estime et l’amitié du chevalier de Lévis étaient faveurs précieuses qu’il faisait bon mériter.



  1. Documents relating to the Colonial History of New York. Paris Documents. Vol. X, p. 571. F.-X. Garneau. Histoire du Canada, vol. II, p. 267.
  2. Le chevalier de Lévis à M. de Moras, 10 octobre 1757.