Jean Macé et la fondation de la Ligue de l'enseignement/Chapitre 7

La bibliothèque libre.

vii

le mouvement de la ligue

La Ligue allait entrer dans la seconde phase de son mouvement. Dès le 15 mai 1867, Jean Macé trouvait déjà suffisant le nombre des adhésions recueillies, pour qu’il fût possible de songer à la convocation d’une assemblée générale de la Ligue ; il l’annonçait pour le 15 novembre prochain à Paris, juste un an après la publication de l’appel définitif. La date était bien choisie pour permettre de juger des progrès accomplis.

L’Assemblée ne put avoir lieu, l’autorisation ministérielle étant parvenue trop tard, le 7 novembre seulement. Dès le 1er, Jean Macé avait annoncé par circulaire l’ajournement de la réunion ; mais en même temps, il adressait à tous ses correspondants le projet de statuts qui devait y être discuté. Il le soumettait à leur examen individuel et invitait les groupes déjà formés, ou en voie de formation, à le mettre en discussion.

Voici ce projet :

Article 1er. — La Ligue de l’Enseignement a pour but de provoquer par toute la France l’initiative individuelle au profit du développement de l’instruction publique.

Art. 2. — Son œuvre consiste :

1° À fonder des bibliothèques et des cours publics pour les adultes, des écoles pour les enfants, là où le besoin s’en fera sentir ;

2° À soutenir et à faire prospérer davantage les institutions de ce genre qui existent déjà.

Art. 3. — Il demeure entendu que, soit dans la composition des bibliothèques, soit dans l’enseignement des cours, soit dans le programme des écoles, fondés ou soutenus par la Ligue, on s’abstiendra de tout ce qui pourrait avoir une couleur de polémique, politique ou religieuse.

Art. 4. — Les membres de la Ligue resteront toujours juges du chiffre, de la durée et de l’emploi de la cotisation souscrite par eux.

Art. 5. — Ils se grouperont, comme ils l’entendront, en sociétés indépendantes, réglant elles-mêmes leur mode d’administration, la nature et l’étendue de leur action.

Art. 6. — La Ligue aura une agence, nommée et rétribuée par elle, chargée :

1° De propager l’œuvre ;

2° De publier le bulletin de la Ligue ;

3° De convoquer l’assemblée générale qui aura lieu tous les ans.

Art. 7. — L’agence rendra compte de sa gestion à une commission de contrôle, et publiera dans chaque bulletin l’état détaillé de ses recettes et de ses dépenses.

Art. 8. — Nulle modification aux présents statuts ne pourra être votée en assemblée générale sans avoir été au préalable communiquée à l’agence centrale, et portée par elle à la connaissance de toutes les Sociétés dont la Ligue se composera.

Ne pouvant rendre compte de la situation de la Ligue en assemblée générale, Jean Macé le fit dans un rapport écrit à cette même date du 15 novembre. Nous avons yu le chiffre des adhérents au 1er novembre, 4 792 répartis sur 77 départements. Jean Macé en donnait le détail ; il passait rapidement en revue les groupes déjà formés, puis signalait l’attention avec laquelle le mouvement de la Ligue avait été suivi à l’étranger, en Italie, en Allemagne, surtout en Belgique. Il en prenait occasion pour faire appel une fois de plus à l’amour-propre national.

« Voici notre Ligue annoncée, reconnue, acclamée dans les autres pays ! Nous ne pouvons plus la laisser avorter sans un affront pour nous. Après avoir donné si clairement à entendre, par une telle affluence de signatures, que nous voulions faire cette chose-là, nous sommes engagés d’honneur à la faire.

Un ami de Bruges, M. Ernest Discailles, m’a écrit, lecture faite de notre troisième bulletin :

« Qui donc affirmait que la France est morte, est bien morte à l’enthousiasme, aux grandes pensées, aux idées de solidarité et de dévouement ? Votre Ligue vient de lui donner un éclatant démenti. »

Le démenti ne me paraît pas encore d’un éclat suffisant, voyant l’affaire de plus près, et il y en a d’autres, Dieu merci ! Il faut convenir pourtant que ce concours offert spontanément par tant de citoyens, que cette manifestation d’un besoin public, se produisant à ciel ouvert, sans autorisation préalable et sans l’ombre d’une entrave, depuis un an qu’elle a été provoquée, ont de quoi donner à réfléchir aux étrangers qui ne se font pas une idée parfaitement juste de l’état réel des choses dans notre pays, et qui nous croient trop facilement sur parole, quand ils nous voient le vilipender devant eux, avec un luxe d’abnégation qui leur paraît concluant, parce qu’aucun d’eux ne s’y laisserait aller s’il s’agissait du sien. Ils ne sont pas esclaves à ce point des impulsions de l’idée ! Autant les querelles de supériorités nationales sont misérables, autant est légitime et sacré le sentiment d’honneur et de dignité personnelle qui fait qu’on ne veut pas déchoir, aux yeux d’autrui, dans la personne de son pays. C’est à ce sentiment-là que je fais appel auprès de ceux qui ont donné leur signature à la Ligue. Ils ne voudront pas faire dire, avec la preuve du fait, ce que j’ai entendu hasarder quand j’en ai parlé pour la première fois à l’étranger, qu’elle n’était pas possible en France. »

Le mouvement financier se chiffrait par 12 362 fr. 05 de recettes et 8 770 fr. 60 de dépenses.

À vrai dire, les cercles créés n’étaient pas nombreux, les groupes se constituaient lentement ; mais dans quelques-uns l’activité était grande, le zèle, le dévouement se dépensaient sans compter. Tel était le cercle messin.

Ce n’est pas à Metz, c’est dans un petit village du Loiret, à Chevilly, que s’était formé le premier cercle de la Ligue, dès le mois de décembre 1866. Mais c’était là une application de l’idée incomplète, forcément restreinte dans son développement ; grâce à son milieu et aux ressources en hommes et en argent dont il disposait, le cercle messin devait avoir une tout autre importance. Sa fondation fait date dans l’histoire de la Ligue, 21 juin 1867. Jusque-là, en effet, l’idée avait pu se propager dans les journaux sans être attaquée : ceux qui en devaient être les adversaires se réservaient pour son application. On le vit bien dès le lendemain de la constitution du cercle messin. La Ligue comptait à Metz 130 adhérents. Le préfet de la Moselle était M. Paul Odent, le même qui, à Colmar, avait autorisé la création de la société des bibliothèques du Haut-Rhin. Les promoteurs du mouvement lui demandèrent une autorisation de réunion qu’il accorda immédiatement. Des statuts furent adoptés. Le 28 juin, le préfet les approuvait. Le 11 août suivant, le cercle ouvrait une bibliothèque dans un local loué au centre de la ville et y commençait des cours dont le programme embrassa tout l’enseignement universitaire, moins le grec et le latin.

L’autorité n’avait fait nulle opposition. Le préfet avait autorisé ; l’évêque excommunia.

Le vaillant citoyen qui avait pris l’initiative du cercle messin, M. Vacca, professeur de sciences au lycée, était président de la loge maçonnique. Il avait trouvé là d’utiles et intelligents concours. L’évêque s’empara de ce fait pour signaler la Ligue de l’Enseignement et la Franc-Maçonnerie comme deux œuvres également détestables et fulminer de son mieux.

« Nous croirions manquer à un devoir essentiel de notre charge pastorale, dit-il dans un mandement, si nous ne signalions à vos défiances une institution récente qui vient de se former dans notre ville épiscopale, sous la dénomination de cercle messin de la Ligue de l’Enseignement. Tout nous rend suspects, et cette Ligue et les cours qu’elle a déjà ouverts.

1o Son Origine

2o Ses statuts : la société ne s’occupera ni de politique ni de religion.

C’est l’exclusion systématique de la religion. »

Plaisant reproche, en vérité. Si les hommes de la Ligue se fussent occupés de religion, quels cris n’eût-on pas jetés ? Ils n’en parlaient pas, leur crime était plus grand encore.

L’évêque ajoutait : « Quelques personnes, en adhérant à cette ligue du cercle messin, avaient cru donner leur concours à une œuvre bienfaisante ; en réalité, elles l’ont donnée à une œuvre de ces sociétés secrètes tant de fois condamnées par le Saint-Siège. »

L’ennemi se révélait. Disons-le tout de suite : cette première attaque fit du bien à la Ligue. Elle lui attira immédiatement les sympathies de la Franc-Maçonnerie, elle lui donna pour propagateurs dévoués tous les membres des loges qui, voyant dans la Ligue une œuvre sœur de la leur par la noblesse et la générosité de l’idée, l’utilité du but, ne lui marchandèrent point leur concours.

Ce mandement eut encore un autre résultat. Le ministre de l’instruction publique était M. Duruy. Il s’efforçait de transformer l’enseignement des jeunes filles en favorisant l’ouverture de cours laïques d’enseignement secondaire faits pour elles par des professeurs de l’Université. Cela était peut-être plus grave encore aux yeux de l’évêque qui n’eut garde d’épargner le ministre et lui lança ses foudres en même temps qu’au F∴ Jean Macé. Après une telle communauté de sort, il était difficile que le gouvernement fit acte d’hostilité envers la Ligue.

Le cercle messin servit aussitôt d’exemple. À Reims, à Dieppe, à Colmar, au Havre, à Orléans, à Rouen, à Nancy, on se constitua à son image. Je ne cite que les principales villes. Le mouvement gagna rapidement, de proche en proche. Il franchit les murs des villes. Des villages eurent leur groupe. Il y eut, pendant l’année 1868 et la première partie de 1869, une véritable émulation. On en retrouve les échos dans le bulletin que Jean Macé publia de Beblenheim à partir du 15 mai 1868. C’est la chronique de la Ligue, avec ses efforts successifs, nombreux, variés, comme les hommes et les lieux. On assiste, en lisant ces pages, à l’envahissement de la France, progressif et régulier, par une idée. Jean Macé le raconte simplement, noblement, avec la sérénités d’âme qui convient au propagateur d’une si grande œuvre, sans s’arrêter aux attaques passionnées dont il est l’objet, et conseillant à tous cette hauteur de vues et cette générosité de sentiments. À peine, de temps à autre, rectifie-t-il une erreur grossière, dément-il une calomnie. Il a promis dès le premier jour de s’interdire toute polémique. Ainsi seulement, il aura, il conservera cette autorité morale nécéssaire pour maintenir l’œuvre dans les limites où elle doit se tenir, à l’écart de toutes luttes politiques ou religieuses. Il reste fidèle à cet engagement. Mais on sent à chaque page le sentiment de satisfaction profonde qui emplit son cœur à mesure que l’œuvre se propage. Une phrase, un mot le trahissent. L’apôtre, l’homme de labeur énergique et obstiné trouvait là même sa récompense, la plus douce à coup sûr qui pût lui être donnée. Il raconte, il conseille, il encourage. À relire ces pages, ces articles, ces entrefilets même, nous qui connaissons l’homme, nous éprouvons un peu de l’émotion qu’il dut ressentir à les écrire. Par instants, il revient sur son œuvre, voulant une fois de plus en bien marquer le caractère. Sans doute, quelque part une attaque violente s’est produite, une appréciation calomniatrice, mensongère, du rôle de la Ligue, de son but. Il faut répondre. Jean Macé le fait en écrivant, par exemple, la Philosophie de la Ligue. Cela n’a que six pages, mais d’une élévation morale singulière. Lisez ce passage sur les principes religieux et politiques de la Ligue, car elle en a assurément, dit-il, et ce serait se méprendre sur le sens des mots, que d’interpréter l’abandon proclamé des luttes de controverse, comme l’absence de toute croyance précise en religion et en politique :

« Il y a deux manières d’échapper à la controverse : en se plaçant au-dessous ; c’est celle des indifférents et des sceptiques, qui se taisent par mépris : en se plaçant au-dessus ; c’est celle des vrais croyants, c’est la nôtre, je ne crains pas de le dire. La Ligue, en imposant à ses membres le sacrifice des satisfactions personnelles de polémique, a mis si peu son œuvre en dehors du terrain religieux et politique, le seul sur lequel on puisse bâtir en grand, qu’elle ne pouvait espérer et ne compte, en effet, d’adhérents sérieux, de travailleurs utiles que parmi les citoyens actifs, je veux dire : agissant, et les hommes sincèrement religieux.

Je m’explique.

Si la répartition plus équitable, entre tous les membres de la grande famille humaine, du trésor de connaissances, le patrimoine commun, est posée comme une œuvre de justice sociale et de fraternité, elle devient par cela même une œuvre éminemment religieuse, dans le sens pratique et universel du mot.

Les religions ont leurs dogmes, leur culte, leur sacerdoce, par lesquels elles diffèrent, et au nom desquels elles se combattent ; mais au fond de toutes, de toutes celles du moins auxquelles nous pouvons avoir affaire, se retrouve la loi du sacrifice volontaire aux idées de justice et de fraternité humaine. Cette loi, catholiques, protestants, juifs, mahométans, la reconnaissent également. C’est pour tous un commandement divin, dans lequel ils peuvent tous communier, et ceux-là même qui, ne voulant ni dogmes, ni culte, ni sacerdoce, se font une sorte de point d’honneur de renier le mot de religion, ceux-là acceptent comme les autres le commandement divin de toutes les religions. Je ne sais pas d’école au soleil qui l’ait rayé de son programme. Quelle que soit l’épithète qu’ils lui aient trouvée, la sanction qu’ils lui conçoivent, ils peuvent se donner la main avec les autres quand ils viennent lui rendre l’hommage véritable, celui de la pratique, et je les crois alors plus religieux, ne leur en déplaise, que ceux qui l’enveloppent de formules sacrées, pour la fouler ensuite aux pieds par les actes.

C’est l’acte en effet qui fait l’homme religieux, ce n’est pas la formule ; c’est l’obéissance à la loi du devoir, et non pas sa conception métaphysique ; et la controverse ne peut pas suivre ceux qui montent ensemble, du même cœur, à l’accomplissement du devoir universel d’amour et de justice. Sa place est plus bas, dans la région tourmentée où l’on se maudit pour des affirmations et des cérémonies.

Jusqu’à la déclaration de guerre de 1870, sitôt suivie des désastres qui remplacèrent dans l’opinion toutes préoccupations par les angoisses de la lutte et arrêtèrent brusquement dans sa marche ascendante le mouvement de la Ligue, on fut fidèle à une ligne de conduite si souvent et si noblement exprimée. Par là même la Ligue justifia, accéléra son succès. On fit de l’enseignement, dans le sens strict du mot. Les grands cercles, ceux qui avaient à leurs dispositions les hommes, les locaux, l’argent, ouvrirent des cours à côté des bibliothèques, où se distribua, vulgarisé, un véritable enseignement pratique et scientifique. Le programme du cercle messin pour l’hiver de 1868 comporte des cours de comptabilité, d’arithmétique, de physiologie, d’hygiène, chimie, dessin graphique appliqué, lecture et écriture, mécanique, dessin d’imitation, allemand, économie industrielle, physique, géométrie descriptive, législation commerciale, dessin graphique, grammaire, histoire. Ces cours avaient lieu chaque soir de huit à neuf heures dans le local du cercle. On fit plus encore : on organisa des excursions, de véritables voyages dans l’Est, voyages d’études autant que d’agrément. À moins de parti pris, il était bien difficile de trouver à redire à une pareille œuvre.

À Metz, le préfet avait accordé immédiatement l’autorisation nécessaire ; à Rouen, le préfet témoigna du grand plaisir avec lequel il verrait se former le cercle rouennais de la Ligue de l’Enseignement. Le principal organisateur fut ici un homme dont le nom est encore à retenir comme celui d’un des champions les plus dévoués qu’ait eu la Ligue en province, M. Viénot, agréé au tribunal de commerce de Rouen. Le cercle fut définitivement constitué le 28 novembre 1868, sous la présidence de M. Raoul Duval, avocat général à la cour impériale.

Dans la Dordogne, le préfet, M. de Saint-Fulgent, prenait lui-même l’initiative de la formation d’une Société pour le développement de l’instruction primaire et allait la prêcher dans les cantons.

Par contre, à Reims, l’administration opposait d’incroyables lenteurs à la demande d’autorisation.

Heureusement, c’était là l’exception. L’administration, en général, ne fut pas hostile. On put ainsi se mettre franchement à la besogne. Quelques cercles suivirent entièrement l’exemple de Metz, ouvrant des cours, comme le cercle de Dieppe, formé en février 1868, celui de Colmar (28 février 1868), celui de Solgne, dans la Meuse (11 mai 1868). À Nancy (6 décembre 1868), à Toul (janvier 1869), au Havre (16 juillet 1868), à Marseille (juillet-août 1868), etc., on organisa des conférences. Le cercle d’Épinal (septembre 1868) créa une école laïque de filles. Partout on créa des bibliothèques où généralement les lecteurs vinrent en foule, tant elles répondaient à un véritable besoin de l’esprit public. Les plus fortunés des cercles publièrent des bulletins : on fit des échanges, et ainsi fut trouvée une nouvelle et fructueuse source d’émulation.

La Ligue passa la Méditerranée ; elle s’installa en Algérie. Des cercles se formèrent à Bône (décembre 1868), Guelma, Souk-Arrhas, la Calle (janvier 1869), Sétif (mars 1869), Philippeville (avril 1869), Batna (juin 1869), Constantine (août 1869) ; leur activité ne le céda en rien à celle des cercles de la métropole.

Je ne puis entrer dans les détails de l’existence propre de chacun des cercles ; aussi bien l’œuvre est-elle partout la même, dans ses lignes générales, à quelques différences près. On est animé d’une singulière ardeur à répandre l’instruction. C’est vraiment un beau spectacle que de voir d’ensemble ces efforts multiples et enthousiastes.

Dans son bulletin du 15 février 1870, Jean Macé donnant une statistique de la Ligue, comptait 59 cercles réunissant entre eux un budget connu de 70 455 fr. 85, souscrit par 17 850 membres. L’Est avait la plus grande part dans ces chiffres : 22 cercles avec 5 846 membres et 21 953 fr. 25 de cotisations ; le Midi venait ensuite : 9 cercles avec, grâce aux deux cercles de Marseille, 5, 563 membres et 17 291 francs de cotisations ; puis l’Ouest : 11 cercles, 1 718 membres, 15 829 fr. 85 de cotisations ; l’Algérie : 9 cercles, 1 853 membres, 12 770 francs de cotisations ; le Centre : 8 cercles, 1 736 membres, 11 310 fr. 85 de cotisations ; enfin le Nord, avec un cercle en voie d’organisation, à Nouvion-en-Thiérache (Aisne), 160 membres et 300 francs de cotisations.

C’était peu, assurément, pour l’étendue de la France ; c’était beaucoup cependant si l’on songeait aux humbles débuts de la Ligue, aux difficultés qu’elle avait dû vaincre, aux hostilités cléricales qui s’étaient élevées contre elle.

Récapitulons :

Six semaines après l’appel définitif du 15 novembre, un cercle était fondé, dans le village de Chevilly, dans le Loiret (décembre 1866). Le cercle de Metz vint en 1867, avec deux cercles constitués à son image dans deux villages voisins de Metz ; ajoutez le cercle rémois qui, en février 1870, n’était point encore autorisé ; voilà le progrès de 1867. En 1868, 24 cercles sont fondés en Alsace, en Lorraine et en Normandie principalement. 1869 donne 29 cercles dont ceux de l’Algérie.

Le mouvement était allé progressivement ; là même où nulle organisation ne venait marquer sa trace, il s’était fait sentir ; il avait produit partout une réelle et profonde impression sur les esprits.

Dès le 15 février 1870, Jean Macé pouvait dire, terminant sa notice sur la statistique de la Ligue :

« La Ligue n’est plus une utopie ; elle a conquis son droit de cité dans le pays. À ceux maintenant qui en comprennent l’utilité, qui se sont déjà mis à l’œuvre ou se préparent à s’y mettre, à développer une œuvre qui ne demande plus qu’à grandir pour devenir comme La Société fondée en Hollande, il y a quatre-vingts ans, par le pasteur de Monnikendam : Une force nationale sortie d’un bienfait national[1]. »

  1. Le mouvement n’existait pas seulement en France et en Belgique. Des ligues s’étaient formées, se formaient en Angleterre, en Irlande, en Hollande, dans le duché de Luxembourg, en Espagne, en Italie, en Autriche (Trente, Agram, Prague), en Danemark, en Égypte. Jean Macé a consacré son Bulletin du 15 juillet 1870 à la relation des efforts tentés par l’initiative privée dans ces différents pays et donne plus d’un renseignement intéressant. La National Education League des Anglais poursuivait l’établissement par une loi d’un système qui assurât le bienfait de l’éducation à tous les enfants du pays « en dehors de tout esprit de secte religieuse ». Elle organisa des comités locaux, tint des meetings, publia des brochures ; dans les seuls mois de janvier et février 1870, elle recueillit 285 864 francs de souscriptions. La Ligue irlandaise avait pour but de maintenir et développer le système d’écoles existant dans le pays, conformément au principe non sectaire (Unsectarian). La Ligue luxembourgeoise se modelait sur la Ligue française : elle avait pour but et pour moyen la stimulation de l’initiative individuelle. À Trente, la Ligue formée le 19 mars 1869, en présence de Jean Macé, se consacrait à l’œuvre des bibliothèques populaires ; à Agram, on donnait des conférences et elles étaient assez suivies pour qu’on pût tirer de ce succès un favorable augure pour la fondation de la Ligue croate ; l’Association allemande pour la propagation des connaissances utiles en Bohème fondait des bibliothèques, publiait même des livres, organisait des conférences. Dans le Danemark, de nombreux cercles ouvriers distribuaient un enseignement complémentaire de l’enseignement donné à l’école, dont la fréquentation était d’ailleurs obligatoire. La Ligue italienne suivait une marche analogue à celle de la Ligue française. Jean Macé avait pris part à l’organisation de la Ligue trentine et de la Ligue italienne. La création de la Ligue égyptienne lui appartient tout entière. Il l’entreprit pendant un voyage fait à l’occasion de l’inauguration du canal de Suez. Des deux adhérents que la Ligue française comptait en Égypte, au 1er novembre 1867, l’un était Nubar-Pacha, président du Conseil des ministres du vice-roi. Par son entremise, Jean Macé avait reçu 500 exemplaires d’un ouvrage de M. Charles Edmond, l’Égypte à l’Exposition universelle, qu’il avait distribués aux bibliothèques populaires de France, de Belgique et d’Italie. C’était là un commencement de relations dont on pouvait tirer parti. L’appui de M. Duruy aplanit les difficultés que Jean Macé aurait pu rencontrer près du gouvernement égyptien. La première réunion des membres fondateurs du cercle du Caire eut lieu, le 5 décembre 1869, chez le ministre de l’instruction publique, Ali-Pacha-Moubareck. Trois jours après, le cercle d’Alexandrie était fondé.