Jean Narrache chez le diable/11
QU’EST-CE QUE
LA RENOMMÉE ?
— « J’entends souvent parler de poètes, de peintres, de musiciens, d’artistes de tout genre qui ont atteint à la renommée. Au juste, qu’est-ce que la renommée ? » me demanda le diable.
— « Hum ! pour t’expliquer cela, il va me falloir te faire un dessin. Reprenons donc notre chien de tantôt. »
— « Décidément, tu as un faible pour les chiens ! »
— « Force d’habitude, mon vieux ! J’ai toujours mené une vie de chien. Donc, figure-toi que des gamins ont attaché une casserole au bout d’une longue corde, à la queue du chien. »
— « Oui ? je me demande bien où la renommée va se trouver ! Continue, je t’écoute, » me dit le diable, d’un air narquois.
— « Aussitôt que le chien s’est mis à marcher, la casserole a commencé à danser sur le pavé, en faisant du bruit. Le voici qui part, effrayé, en courant de toutes ses forces. Plus le chien court, plus la casserole fait de tapage, et plus la casserole fait de tapage, plus le chien court. Le voici maintenant, épuisé, la langue pendante, le cœur palpitant, les yeux hors des orbites, qui se terre sous un perron. Enfin ! pour lui, c’est la paix, le repos, le grand silence, la solitude ! Mais, le voici qui tente de repartir à petits pas peureux. Hélas ! la maudite casserole le suit encore, et recommence son infernal vacarme ! Adieu douce paix, merveilleux silence, adorable solitude ! Eh bien, mon vieux, la casserole, c’est la renommée ! »
— « Tu conviendras tout de même que bien des gens, poètes, sculpteurs, musiciens, artistes de tout genre et même simples mortels adorent ce bruit de casserole. »
— « Je ne te contredis pas. »
— « C’est Victor Hugo, je crois, qui disait que la renommée était la menue monnaie de la gloire. »
— « C’est fort possible qu’il ait dit cela, lui qui connut la renommée et la gloire. En tout cas, il me semble que ceux qui ne peuvent accéder à la gloire s’en consolent avec la casserole. »
— « Que veux-tu, faute de pain, on mange de la galette. »