Jean Rhobin/11

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Éditions Serge Brousseau (p. 133-137).


POSTFACE


Plusieurs années se sont écoulées depuis.

Compatriotes Canadiens français, où en sommes-nous aujourd’hui avec l’esprit de parti qui entrave notre progrès réel ?

Est-ce que de nos jours, nous n’avons pas à payer un peu cet égarement, ce caprice national d’avoir été avant tout bleus ou rouges en politique ?

Ignorons-nous que nous aurons à rendre compte à nos descendants de cette honteuse pratique qui fut longtemps notre ambition ? Allons-nous léguer à la postérité l’histoire de tant de mesquineries ? Savons-nous bien que ce n’est pas dans cet ascétisme que nous pourrons conserver nos droits, nos avantages ?

Heureusement, nous commençons à comprendre. Nous pouvons aussi nous réjouir de voir disparaître cette mentalité qui consiste à juger l’homme par le parti. Nous ne sommes plus la nation volage d’hier. Nous n’avons plus de temps à perdre à nous amuser aux joutes électorales.

Non. Grâces soient rendues au ciel, nous devenons plus sérieux !

Nous constatons tous les jours, que la majorité de notre peuple ambitionne de se grandir en abandonnant le faux patriotisme trop longtemps pratiqué. Nous méprisons l’esprit de parti. Déjà nous commençons à crier : honte aux partisans !

Si la génération présente, qui se prépare à conduire le pays dans quelques années, rougit déjà de cet esprit qui n’est pas encore complètement disparu, comment serons-nous jugés dans un siècle ? Quelle page honteuse de notre histoire avions-nous commencé d’écrire !

Nous n’avons pas que le seul devoir de conserver les droits transmis par les aïeux. Le vrai patriotisme nous oblige à continuer, dans la voie déjà tracée, à élargir la route, à créer nos propres souvenirs, si nous voulons, nous aussi, mourir et dormir notre dernier sommeil sous le drapeau des patriotes de notre histoire.

Oui ! Nous avons commencé, je le répète, à nous débarrasser de l’esprit de parti.

C’est aussi un grand réconfort, pour nous, Canadiens-français, de constater que nos hommes politiques présents deviennent, de jour en jour, plus prudents, plus sages. De plus en plus, ils semblent s’intéresser aux grands besoins du jour. Avant longtemps notre peuple saura se tenir en équilibre au milieu du monde si durement secoué par les cataclysmes modernes.

***

Le docteur Blondin vit toujours. Il ne vieillit point. Il devient de plus en plus chimérique. Il en est rendu aux tables tournantes, à la théosophie, à la préexistence des âmes, à la métempsychose. Il n’a pas vieilli. Il ne vieillira jamais. Pèlerin de l’absolu, il continue de chercher l’absolu. Toutes ces théories d’ailleurs ne l’empêchent pas d’être un bon chrétien à sa manière. Elles sont un à côté dans sa vie, qui ne produit pas d’interférences graves dans ses relations avec Dieu et avec son curé. Au début, celui-ci s’était montré inquiet ; mais il finit par comprendre que les lubies du docteur étaient inoffensives.

Le docteur Blondin ne vieillit pas, parce que son cerveau ne se fixe pas. Il continue de chercher. Certes il s’égare quelques fois, il cherche mal ; mais il échappe à la sclérose. Il conserve sa jeunesse et sa naïveté.

C’est sur le souvenir de ce brave homme un peu toqué que je me plais à refermer ce livre où me sont apparus, comme en une vision funèbre, les démissions constantes d’un certain genre d’hommes au talent facile.

Nous avons trop chez nous de Jean Rhobin et peut-être pas assez de docteurs Blondin. Ce qui nous manque terriblement en tout cas, c’est le type intermédiaire, ni visionnaire, ni fanatique, l’homme qui sait se dévouer, se donner, s’oublier lui-même au service d’une cause, en se débarrassant des préjugés séculaires.

Pendant que Jean Rhobin monte vers la fortune et la gloire, le docteur Blondin, pauvre et chimérique, continue de se dévouer dans son petit village ; et il laissera derrière lui le renom d’un homme de bien un peu toqué, tandis que l’autre, le grand homme de l’heure présente, aura bientôt perdu l’estime des honnêtes gens et ne sera plus qu’une machine à parvenir, que l’esclave de ses ambitions et de ses appétits.

Pauvre Jean Rhobin, pauvres politiciens, comme vous comprenez mal la vie et ses exigences ! La satisfaction de la plénitude du devoir accompli, comme je la préfère aux honneurs, à l’apparence de la puissance que vous confèrent vos fonctions administratives !

Sous votre extérieur doré, vous n’êtes que des esclaves, des prisonniers d’un parti, des victimes d’une fausse compréhension de la démocratie.

L’avenir pourtant s’ouvre, radieux, devant notre jeunesse. Nous ne produirons plus autant de Jean Rhobin. Notre peuple veut à tout prix se libérer des entraves qui l’oppriment, se donner à des hommes de caractère.