Jean de La Fontaine (RDDM)/02

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JEAN DE LA FONTAINE
COURS LIBRE PROFESSÉ A L’UNIVERSITÉ DE STRASBOURG

DEUXIÈME ET TROISIÈME LEÇONS [1]


I. — CHEZ LE SURINTENDANT FOUQUET


I. — NICOLAS FOUQUET

La Fontaine est présenté au surintendant Fouquet dans le cours de l’année 1657 : il a alors trente-six ans.

C’est l’heure où le destin semble sourire à toutes les ambitions de Fouquet. Depuis sept ans il est procureur général au Parlement de Paris, depuis quatre ans surintendant des finances avec Servien. La souplesse de son esprit abondant en ressources et fertile en flatteries lui a conquis la confiance de Mazarin : au Parlement, il désarme ou achète les adversaires du ministre, tandis que, financier inventif, il comble au jour le jour les vides que creusent dans le trésor public les dépenses de la guerre et les exactions de Mazarin lui-même. Dès lors, pour assurer son pouvoir et déjouer les retours de la fortune, il se ménage secrètement les moyens de tenter un coup d’Etat ; il a ses diplomates et sa police. En même temps, il se fait des partisans, des amis, une cour, une clientèle.

On n’a qu’à regarder l’homme, tel que le montrent ses portraits : des yeux de ruse, des lèvres jouisseuses, de belles mains séductrices, un air de feinte nonchalance, et l’on devine sans peine comment il sut attirer et retenir auprès de lui des financiers comme La Basinière et d’Hervart, des courtisans comme La Feuillade, Créqui, Lauzun, des femmes réputées pour leur esprit ou leur beauté comme Mme du Plessis-Bellière.de Sévigné, d’Uzelles, de Brienne. Sa seconde femme, Marie-Madeleine de Castille, beauté brune aux mains fines et à la taille svelte, lui apporte le secours de sa grâce et de son esprit. Fidèle à la tradition de Richelieu, conti-nuée par Mazarin, il réunit des collections de tableaux, de livres, de manuscrits, d’antiques et de curiosités de toutes sortes. Il protège et pensionne des poètes, des artistes et des savants.

En lui rien du grossier parvenu. Il sort d’une famille parlementaire et a été élevé parmi des amateurs de livres, de tableaux et de médailles. Il aime véritablement les lettres, il reçoit ses pensionnés, il lit leurs vers, il se plaît à les conseiller et à les guider. Lui-même rime des madrigaux et des devises ; ses productions sont d’une ex-trême platitude, mais son goût vaut mieux que sa poésie. Il protège une foule de littérateurs médiocres, mais Scarron, Ben-serade, Mlle de Scudéry, Quinault, Corneille ont part à ses bienfaits. Enfin, non content d’embellir sa maison de Saint-Mandé et d’y accumuler des livres rares et des œuvres d’art, il vient de commencer à Vaux la construction d’un château magnifique. Les plans en ont été signés par l’architecte Le Vau, au mois d’août 1656, et déjà les bâtiments sortent de terre ; André Le Nôtre ordonne les parterres, les eaux et les bosquets ; Le Brun esquisse les compositions qui décoreront les plafonds et les voûtes ; à Rome, Poussin modèle les Termes qui orneront les jardins [2].


II. — LES EMBARRAS DE LA FONTAINE

La Fontaine fut introduit chez le surintendant par un oncle de sa femme, M. Jannart, « substitut faisant charge de procureur » et fort avant dans les bonnes grâces de Fouquet. Il retrouva parmi les familiers de la maison nombre de poètes qu’il avait déjà rencontrés à Paris, alors qu’avec Maucroix et Tallemant, il fréquentait chez Pellisson. Celui-ci, devenu distributeur des bienfaits du surintendant, ne fut pas des derniers ii appuyer le protégé de Jannart.

Elle était deux fois opportune, l’intervention de l’oncle Jannart.

Qui sait ce qu’il fût advenu de La Fontaine, s’il eût vieilli à Château-Thierry ? Tandis qu’il lisait longuement les poètes, frères de son génie, et entendait à son oreille les voix familières de la campagne, la Muse l’avait appelé. L’eût-il jamais écoutée ? Eût-il secoué la torpeur de ses rêveries, s’il n’avait été transporté soudain sur un théâtre plus vaste et plus brillant, et s’il n’avait cédé, comme le font les plus indolents, au plaisir d’être applaudi ? La première poésie qu’il lut dans un « consistoire » tenu chez Fouquet, ce fut la légère épitre à la légère abbesse de Mouzon. Il fut ce jour-là complimenté par Mme de Sévigné, et en récompense, lui tourna un joli madrigal. Certes, il devait priser entre tous les éloges ceux de Mme de Sévigné ; il y avait tant d’affinités de goût et d’esprit entre ces deux écrivains, qui, au dire de Sainte-Beuve, « ont au plus haut degré et communiquent le plus aisément ces deux choses involontaires, la joie et le charme ! » Mais les louanges de la marquise n’étaient point les seules qui devaient réjouir La Fontaine. Il fut toujours sensible à la douceur de plaire ; c’est elle qui désormais va l’arracher à ses longues somnolences, aiguillonner son pa-resseux génie.

La protection de Fouquet eut pour La Fontaine un autre avantage qui, celui-là, n’était pas d’ordre littéraire. La pension qui accompagna cette faveur (on en ignore le chiffre, mais on sait que la munificence du surintendant contrastait avec la ladrerie de Mazarin) tira le poète de cruels embarras d’argent. Ses affaires commençaient alors à se déranger. Lui-même s’est accusé d’avoir mangé « le fonds avec le revenu. » Mais s’il dilapida son bien, ce ne fut pas toujours impéritie ou imprévoyance. On possède de lui quelques lettres qu’il écrivit à l’oncle Jannart [3]. Elles montrent qu’il n’était incapable ni de parler le langage des affaires ni de voir clair dans un embrouillement d’intérêts. Bien des mauvaises chances concoururent à le ruiner. Comment n’eût-il pas souffert de la grande misère qui fondit sur la Champagne, quand, en 1652, les Lorrains envahirent la province, poussèrent jusqu’à Château-Thierry, ravagèrent les campagnes, prirent et pillèrent la ville ? En 1653, il vendit une propriété à Oulchy-le-Château ; en 1656, une forme qui appartenait à sa femme. En 4658, les deux époux furent forcés de procéder d’accord à une séparation de biens. La même année, le père de La Fontaine mourut ; sa succession était grevée d’un passif de plus de 36 000 livres. En même temps, Claude, le frère qui était entré dans les ordres, réclamait 8 000 livres en vertu d’un arrangement antérieur qui n’était pas à son honneur. En toutes ces affaires, le poète n’avait pas agi comme un gaspilleur irréfléchi, mais avait obéi à de délicats scrupules [4].

Quoi qu’il en fût, il était grand temps qu’un dieu lui vint faire des loisirs.


III. — ADONIS

Le premier ouvrage dédié à Fouquet est le poème d’Adonis. Il est précédé d’un compliment en prose, humble et cérémonieux. Bientôt La Fontaine s’adressera à son bienfaiteur sur un ton plus libre, plus familier. Aujourd’hui, il n’est qu’un poète inconnu, qui vient de débarquer de Château-Thierry, un peu confus de la surprenante aventure qui l’amène à la cour de Fouquet, car il n’a pour tout bagage qu’une comédie imitée de Térence et dont les comédiens n’ont point voulu. « Je n’ai pas dit-il, assez de vanité pour espérer que ces fruits de ma solitude vous puissent plaire. Les plus beaux vergers du Parnasse en produisent peu qui méritent de vous être offerts. » Et il célèbre selon les rites le goût de Fouquet, son expérience consommée, sa générosité « sans exemple, » la grandeur de ses sentiments, sa modestie, l’élévation de son esprit.

Pour rendre l’offrande plus agréable, Pellisson avait voulu qu’elle prît la forme d’un admirable manuscrit calligraphié par Jarry sur un précieux vélin et orné de fines peintures ; les initiales de Fouquet et de sa femme s’entrelaçaient dans des chiffres élégants ; parmi des guirlandes, des feuillages et des rubans se jouait l’écureuil, emblème du surintendant. Chauveau avait dessiné à l’encre de Chine Vénus en pleurs auprès du corps du chasseur inanimé. Une reliure de maroquin rouge avec un charmant décor au petit fer, revêtait le manuscrit. Cette merveille a gardé toute sa fraîcheur, elle est aujourd’hui conservée dans les collections de la ville de Paris.

Adonis ne fut publié que onze ans plus tard à la suite des Amours de Psyché et de Cupidon. L’épitre à Fouquet avait alors disparu ; non pas que le poète fût infidèle à la mémoire de son ami, mais comment aurait-on pu, en 1669, imprimer ces mots : « l’Etat ne peut se passer de ses soins, » alors que, depuis huit années, Fouquet était enfermé à Pignerol ? Disparus aussi quatorze vers de dédicace où était glorifié le surintendant, « Honneur du nom public, défenseur de nos droits. » Une certaine Aminte en qui l’on a voulu, avec plus ou moins de vraisemblance, reconnaître la duchesse de Bouillon, héri-tait de l’hommage jadis rendu à Fouquet.

Il est terriblement encombré de préciosités, d’ingéniosités et de périphrases, le premier poème de La Fontaine, laborieuse imitation des Métamorphoses d’Ovide. Cependant de la Pléiade à Chénier, l’auteur d’Adonis est le seul qui ait dans notre langue traduit le sentiment de la poésie antique. On en pourrait donner pour preuve quelques passages de l’interminable récit de la chasse où périt Adonis, les vers, prémices du génie de La Fontaine, où est dépeint le bonheur des deux amants cachés au fond des bois et surtout la scène des adieux où à la grâce antique se mêle une tendre mélancolie que ne connurent ni Ovide ni Virgile :


O vous, tristes plaisirs où leur âme se noie,
Vains et derniers efforts d’une imparfaite joie,
Moments pour qui le Sort rend leurs vœux superflus,
Délicieux moments, vous ne reviendrez plus !


Des accents aussi nouveaux purent surprendre et charmer les hôtes de Fouquet. Mais un poème de six cents vers, et du genre héroïque n’était pas un divertissement de salon. La mode était à des ouvrages plus brefs, moins soutenus, d’un tour moins sévère, moins pompeux. C’était le goût du surintendant ; c’était donc le goût de ceux qui vivaient de ses faveurs ou recherchaient son amitié. La Fontaine le suivit sans se faire prier. Il devait écrire dans la préface de ses Fables : « On ne considère en France que ce qui plaît : c’est la grande règle et pour ainsi dire la seule, » et dans la préface de Psyché : « Mon principal but est toujours de plaire : pour en venir là je considère toujours le goût du siècle. » Or, en 1659, « le goût du siècle » exigeait des ballades, des épîtres, des madrigaux : La Fontaine lit des ballades, des épitres, des madrigaux ; il les fit si bien, il les tourna avec tant de naturel, d’aisance et de gaité qu’au bout de quelques mois il était devenu un des familiers de la maison.


IV. — LES VERS DE REDEVANCE

Il ne fut jamais à demeure chez Fouquet, il logeait alors chez les Jannart, et faisait de fréquents voyages à Château-Thierry pour exercer sa charge de maître des eaux et forêts ; mais le surintendant l’accueillait volontiers. Le ton sur lequel le poète se plaignit un jour d’avoir croqué le marmot à la porte de Fouquet, laisse deviner sur quel pied s’étaient établies les relations du protecteur et du protégé.

Ce jour-là il s’était rendu à Saint-Mandé pour offrir au surintendant « le tribut d’une profonde révérence. » (Fouquet se plaisait dans cette magnifique résidence de Saint-Mandé alors célèbre par sa bibliothèque, ses galeries et ses jardins.) Après une heure d’attente, La Fontaine avait dû partir. Mais tout de même, que Fouquet n’aille pas s’imaginer que notre homme en pensa mourir de chagrin.


Je me console et vous excuse.


Je me console et vous excuse... Un an après la cérémonieuse dédicace d’Adonis, La Fontaine a fait du chemin.

Les excuses qu’il découvre à son ami, ce sont les tracas de la politique et de la finance, l’assaut des quémandeurs. Ceux-là ne sont pas des poètes : qu’on les mette dehors.


Mais que pour les amants des Muses,
Votre Suisse n’ait point d’excuses,
Et moins pour moi que pour pas un :
Je ne serai pas importun ;
Je prendrai votre heure et la mienne.


Et la mienne ! En attendant, il joint à sa plainte une description assez égrillarde de deux coffres qui ont contenu les momies des rois Céphrim et Kiopès : ils étaient exposés dans la galerie où il a vainement attendu que le surintendant s’arrachât au soin des af-faires publiques.

Après cette épitre il est assez plaisant de relire un passage des Mémoires de l’abbé de Choisy : « Fouquet faisait semblant de travailler seul dans son cabinet de Saint-Mandé ; et pendant que toute la Cour, prévenue de sa future grandeur, était dans son antichambre, louant à haute voix le travail infatigable de ce grand homme, il descendait par un escalier dérobé dans un petit jardin, où ses nymphes que je nommerais bien si je voulais, et des mieux chaus-sées, lui venaient tenir compagnie au poids de l’or. »

À quelle somme s’élevait la pension de La Fontaine ? On l’ignore ; mais on sait le montant de celle de Fouquet, car s’amusant à renverser les rôles, La Fontaine feignait de pensionner le surintendant. Il s’engageait à le payer par quartier à la Saint-Jean, au premier d’octobre, à l’an neuf et à Pâques,


………… en belle monnoie
De Madrigaux, d’ouvrages ayant cours,


le tout gagé par le bien qu’il avait sur les bords du Permesse, en vertu d’un contrat passé par devant maître PeIlisson, « sur le Parnasse notaire, » lequel à chaque terme donnait au débiteur une quittance gentiment rimée.

La Fontaine s’acquitta de sa dette avec une ponctualité méritoire, si ce n’est que finalement il omit des « sonnets pleins de dévotion » promis pour l’échéance de Pâques. À chaque terme, le surintendant reçut une ballade, un madrigal, une épître ou de « menus vers. » Il reçut même des odes où le poète célébrait le mariage de Monsieur avec Henriette d’Angleterre, la grossesse de la Reine, la gloire du Roi, et ce ne fut pas là le plus beau de son revenu ; La Fontaine était meilleur disciple de Voiture que de Malherbe. D’ailleurs, son lyrisme se tempérait à l’occasion de bonhomie.

Non moins assidu au service de la surintendante qu’à celui du surintendant, il adressait à Mme Fouquet une épitre sur la naissance de son dernier fils. Dans ce morceau il donna une jolie preuve de sa légendaire étourderie.

« Vous voilà mère de deux Amours, » disait-il à Mme Fouquet, oubliant qu’elle avait déjà deux autres fils. On le lui fit remarquer ; il s’excusa près du père, en prose cette fois : « Entre autres fautes, j’y avais mis un deux pour un trois, ce qui est la plus grande rêverie dont un nourrisson du Parnasse se puisse aviser ; la bévue ne vient que de là, car je prends trop d’intérêt en ce qui regarde votre famille pour ne pas savoir de combien d’Amours et de Grâces elle est composée. »


V. — LE SONGE DE VAUX

Ces badinages devaient peu coûter à La Fontaine. Mais, un jour, il reçut une fâcheuse commande : on l’invitait à composer une description poétique des merveilles de Vaux.

En 1656, les travaux étaient encore loin de leur achèvement ; la décoration du château ne sera pas encore terminée quand surviendra la disgrâce de Fouquet ; mais La Fontaine avait sous les yeux les estampes du graveur Sylvestre où toutes choses étaient représentées comme elles devaient être dans l’avenir. Les jardins étaient « tout nouveau plantés, » et les décrire dans cet état eût été « en donner, dit-il, une idée peu agréable et qui, au bout de vingt ans, aurait été sans ressemblance : » il en fut quitte pour « prévenir le temps. » Enfin, comme il n’était pas grand clerc en architecture, force lui fut de recourir aux « mémoires » des architectes. Le pire, c’était le danger de rebuter le lecteur, car « une longue suite de descriptions historiques serait une chose fort ennuyeuse : » pour égayer son poème, il inventa donc « quelques épisodes galants. »

Afin de dépeindre avec moins d’invraisemblance les futures beautés de Vaux, il se résolut à l’artifice d’un songe. « Ce n’est pas, observe-t-il ingénument, qu’un songe soit aussi suivi ni même si long que le mien sera ; mais il est permis de passer le cours ordinaire dans ces rencontres. » En effet, ce songe eût été d’une longueur démesurée si la chute du surintendant n’était venue l’interrompre ; nous ne possédons que des fragments du poème.

Les « épisodes galants » ne sont pas tous d’une veine également heureuse. Dans les Aventures d’un saumon et d’un esturgeon, La Fontaine s’essaie avec gaucherie à cette railleuse bonhomie et à cette libre versification qui feront la grâce de ses Fables. Dans Vénus et Mars, il compose, d’après une suite de tapisseries, un de ses contes les plus malicieux et les plus parfaits. C’est un redoutable mélange de fadeur et de préciosité que Comment Sylvie honora de sa présence les dernières chansons d’un cygne qui se mouroit, et des aven-tures du cygne. Mais c’est un délice que « la danse aux chansons » de Cythérée, de l’Amour, des grâces et. des nymphes, sous un rayon de lune, dans « un pré tout bordé de saules, » tandis que Cupidon fredonne de jolis couplets.

Une échappée sur les bois et les prairies ! Soudain le poète retrouve son naturel et sa verve. Il admire, — peut-être, — les terrasses, les broderies, les miroirs et les gerbes d’eaux harmonieusement ordonnées par Le Nôtre, mais ce n’est pas en se promenant le long des charmilles taillées et des eaux prisonnières du jardin régulier qu’il a trouvé ces vers :


Errer dans un jardin, s’égarer dans un bois,
Se coucher sur des fleurs, respirer leur haleine,
Écouter en rêvant le bruit d’une fontaine,
Ou celui d’un ruisseau roulant sur des cailloux.


Il sent la beauté des glorieuses allégories de Le Brun, mais quand il aperçoit les Muses fastueusement drapées qui décorent une des salles de Vaux, il pense mélancoliquement qu’elles étaient bien plus belles « dans le silence des bois. »


Quoi ? Je vous trouve ici, mes divines maîtresses !...
………….
Pourquoi vous vêtez-vous de robes éclatantes ?
Muses, qu’avez-vous fait de ces jupes volantes
Avec quoi, dans les bois, sans jamais vous lasser,
Parmi la cour de Faune, on vous voyoit danser.


VI. — CLYMÈNE.

Il y avait de l’agrément dans les « menus vers » que, quatre fois l’an, La Fontaine offrait au surintendant ; il y en avait beaucoup dans quelques fragments du Songe de Vaux, bien davantage encore dans la comédie de Clymène qui date du même temps. Singulière comédie qui ne fut pas écrite pour être représentée ; mélange de ballet, de pastorale, de satire littéraire et d’élégie, avec je ne sais quoi de libre et de fantasque qui a ravi Théodore de Banville ; fantaisie où la mythologie n’est qu’une amusante mascarade à la faveur de laquelle La Fontaine avoue ses goûts et conte ses amours.

La scène est au Parnasse ; Apollon converse avec les neuf Muses et se plaint :


De ne voir presque plus de bons vers, sur l’amour.
………….
Amour et vers, tout est fort à la cavalière.


Cependant, sur les bords de l’Hippocrène, il vient de voir


Acanthe fort touché de certaine Clymène.


Mais qui donc est cette Clymène ? Erato (Muse de la poésie légère) répond :


Sire, j’en puis parler : c’est ma meilleure amie.
La province, il est vrai, fut toujours son séjour ;
Ainsi l’on n’en fait point de bruit en votre cour.


Les autres Muses déclarent qu’elles aussi connaissent cette belle provinciale. Apollon, qui a tout l’air d’un surintendant tenant « consistoire » de poètes et de précieuses, invite les Neuf sœurs à chanter tour à tour. Alors commence sur le thème des amours d’Acanthe et de Clymène une suite de variations, selon des modes poétiques différents.

Euterpe et Terpsichore commencent dans le style de l’Eglogue, se renvoyant les strophes, puis les vers. Ensuite, c’est le tour de Melpomène et de Thalie : elles jouent une scène où la première fait Clymène et la seconde Acanthe. Clymène dit à Acanthe qu’il perd son temps et ses soins :


Voulez-vous qu’on vous aime, aimez-nous un peu moins.


Acanthe jure qu’il ne peut cesser d’aimer :


Mourir en vous aimant est toute mon envie :
Mon amour m’est plus cher mille fois que la vie !
Laissez-moi mon amour, Madame, au nom des dieux !


Ils sont presque de Racine, ces vers tendres et passionnés !

Clymène confesse que, si elle ne veut plus aimer, c’est que l’amour a déjà « traversé sa vie. » Et la dispute continue, l’éternelle dispute de celui qui aime et de celle qui n’aime point.


CLYMÈNE


Aimez-vous mieux souffrir contre mon propre gré,
Que si, m’obéissant, vous étiez bien traité ?
Je vous rendrois heureux.


ACANTHE


Selon votre manière,
Du bonheur d’un ami, d’un parent ou d’un frère.


Outré de la froideur de sa maîtresse, Acanthe la menace de la prendre au mot et de ne plus être pour elle qu’un ami...

Mais Apollon interrompt le dialogue amoureux et invite les deux Muses à passer du « poétique » au « plaisant. » Melpomène se récrie à la pensée de rendre Acanthe « plaisant. » Le maître du jeu l’exige : les deux Muses prennent des masques de comédie.

Un matin, Acanthe pénètre secrètement chez Clymène et la trouve sur son lit, endormie. Il soupire si fort qu’elle s’éveille en sursaut ; elle invite Acanthe à s’asseoir sur son lit. Jeux de coquetterie. Baiser offert à l’ami, dédaigné par l’amant. Ce badinage galant est d’une grâce infinie. Acanthe semble à la fin se résigner.


Eh bien, je consens d’être ami pour un moment.


Mais c’est à la prudente Clymène d’abandonner la partie.


Sous la peau de l’ami, je craindrois que l’amant
Ne demeurât caché pendant tout le mystère.
L’heure sonne, il est tard ; n’avez-vous point affaire ?

ACANTHE.


Non ; et quand j’en aurois, ces moments sont trop doux.

CLYMÈNE.


Je me veux habiller ; adieu, retirez-vous.


Clio est ensuite appelée à divertir la compagnie. Apollon a envie


De goûter de ce genre où Marot excelloit.


Clio, qui n’est pas en verve, offre un triolet ; mais Apollon, ironique :


C’est trop ; vous nous deviez proposer un distique.


La Muse paresseuse voudrait s’en tirer avec un dizain. Apollon exige une ballade, et Clio s’exécute.

Calliope entame une ode à la manière de Malherbe, où elle supplie l’Amour de fléchir Clymène :


Tu devrois l’obliger, pour l’honneur de tes temples,
D’aimer ainsi que nous.


Mais cette précieuse d’Uranie l’arrête dès la fin de la première stance, et sèchement :


Les Muses n’aiment pas.


Déconcertée, Calliope se tait et passe la lyre à Polymnie, qui fait parler Acanthe à la façon d’Horace.

Apollon trouve que le jeu devient un peu » monotone ; il dispense Uranie de continuer le divertissement, et, suivi des neuf Muses, se rend sur les bords de l’Hippocrène pour y rencontrer Acanthe lui-même.

Celui-ci parle seul, en proie à un véritable délire ; il confie son allégresse aux Zéphyrs et aux Échos ; il remercie éperdument l’Amour de lui avoir été enfin propice. Apollon veut savoir la raison de cette joie. Alors Acanthe fait le récit de son heureuse fortune. De ce récit La Fontaine, en publiant Clymène, a dit qu’il n’était pas « tout à fait tel que ceux de ses contes, » mais qu’il ne s’en éloignait pas « tout à fait. » En effet, il ressemble à un conte en ceci que l’auteur n’a pu s’empêcher d’y placer une équivoque grivoise ; mais il en diffère par un accent de tendre volupté qu’on ne retrouvera nulle part, dans ses vers, aussi ardent, aussi jeune, aussi vrai.

Pour récompenser Acanthe d’avoir chanté son nom et sa puissance, l’Amour l’a conduit dans la chambre de Clymène, et l’amant a pu baiser le pied nu de l’indifférente. La belle s’est alors cachée au fond de ses draps. Mais l’Amour conseille à Acanthe de demeurer et lui dit tout bas à l’oreille :


 « ... Baisez-la hardiment.
Je lui tiendrai les mains ; vous n’aurez point d’obstacle. »
Je me suis avancé : le reste est un miracle.
Amour en fait ainsi ; ce sont coups de sa main.

APOLLON.


Comment ?

ACANTHE.


Clymène a fait la moitié du chemin.

POLYMNIE.


Que vous autres mortels êtes fous dans vos flammes !
Les dieux obtiennent bien d’autres dons de leurs dames,
Sans triompher ainsi.

ACANTHE.


Polymnie, ils sont dieux.

APOLLON.


Je l’étois, et Daphné ne m’en traita pas mieux ;
Perdons ce souvenir. Vous triomphez, Acanthe :
Nous vous laissons, adieu ; notre troupe est contente.


Il nous semble voir la troupe continuant sa promenade et ses causeries sous la conduite de Fouquet-Phœbus, s’acheminer lentement vers le pa-lais, à travers les jardins de Le Nôtre, tandis qu’Acanthe s’enfonce dans un vallon agreste et reprend sa songerie au murmure du ruisseau de l’Anqueil, son Hippocrène ; car Acanthe, c’est La Fontaine. Lui-même se désigne quand il montre les Muses s’évertuant à tirer Acanthe de ses profondes rêveries et quand Thalie trace ce portrait :


<poemSire, Acanthe est un homme inégal à tel point, Que d’un moment à l’autre on ne le connoit point : Inégal en amour, en plaisir, en affaire ; Tantôt gai, tantôt triste ; un jour il désespère ; Un autre jour il croit que la chose ira bien : Pour vous en parler franc, nous n’y connoissons rien. </poem>


Quant à Clymène, cette provinciale serait-elle, comme on l’a conjecturé, l’épouse du lieutenant du roi à Château-Thierry ? Tallemant a conté une certaine historiette, qui ressemble à l’aventure d’Acanthe.

Cette même Clymène a inspiré à La Fontaine quatre belles élégies où il a exhalé les mêmes plaintes que dans sa comédie, mais elles n’écartent pas le voile qui nous dérobe lu visage de la véritable Clymène. Nous y voyons seulement qu’elle s’acharnait à offrir son amitié à tous ses soupirants. Elle l’avait offerte à un de ses amants qui, depuis, était mort ; elle l’offrait à La Fontaine en lui tenant des discours peu faits pour apaiser son chagrin et sa jalousie.

D’ailleurs cette Clymène avait des rivales à Paris. Nous en connaissons au moins une par son nom, c’est Claudine Colletet.

Guillaume Colletet, un des littérateurs pensionnés par Fouquet, avait épousé sa ser-vante, une très jolie blonde, un peu sotte, et qui jouissait d’une grande réputation littéraire : elle récitait agréablement des poésies que son mari fabriquait pour elle et dont elle se disait l’auteur. Les poètes venaient festoyer chez leur confrère, courtisaient Claudine, louaient ses vers. La Fontaine, fort épris de la jeune muse, lui adressait des madrigaux. Un jour, Colletet mourut. Il avait pris la précaution de léguer à sa femme quelques vers où celle-ci annonçait au monde qu’elle avait enseveli, avec son mari, « son cœur et sa plume, » et ce fut le chant du cygne. La veuve tint si bien parole qu’on finit par éventer la ruse. Vexé d’avoir été dupe, La Fontaine rompit et décocha à Claudine de petites stances injurieuses ; puis il fit imprimer ces madrigaux et ces stances et y joignit une lettre à un ami « qui s’était étonné de ce qu’il eût été ainsi attrapé : »


Et d’où venez-vous de vous étonner ainsi ? Savez-vous pas bien que, pour peu que j’aime, je ne vois dans les défauts des personnes non plus qu’une taupe qui auroit cent pieds de terre sur elle ?... Dès que j’ai un grain d’amour, je ne manque pas d’y mêler tout ce qu’il y a d’encens dans mon magasin : cela fait le meilleur effet du monde ; je dis des sottises en vers et en prose, et serois fâché d’en avoir dit une qui ne fût pas solennelle ; enfin je loue de toutes mes forces... Ce qu’il y a, c’est que l’inconstance remet les choses en leur ordre.


Elle les y remettait très souvent : les inexorables Clymène vengeaient les infortunées Claudine.

Revenons à la comédie de Clymène. Elle nous fait voir La Fontaine amoureux, mais elle nous révèle aussi ses prédilections littéraires, son admiration pour Voiture, pour Malherbe, pour Horace, son mépris pour le « bétail servile et sot » des imitateurs, son courroux contre les méchants poètes.


Il est vrai que jamais on n’a vu tant d’auteurs :
Chacun forge des vers ; mais pour la poésie,
Cette princesse est morte, aucun ne s’en soucie.
Avec un peu de rime on va vous fabriquer
Cent versificateurs en un jour, sans manquer.
Ce langage divin, ces charmantes ligures,
Qui touchoient autrefois les âmes les plus dures,
Et par qui les rochers et les bois attirés
Tressailloient à des traits de l’Olympe admirés ;
Cela, dis-je, n’est plus maintenant en usage.
On vous méprise, et nous, et ce divin langage.
« Qu’est-ce ? dit-on. — Des vers. » Suffit ; le peuple y court.

Et il faudrait citer encore une scène plaisante où la gentille Erato fait la nique aux pré-cieuses, à ces précieuses qui peuplaient la cour du surintendant...


VII. — LA FÊTE DU 17 AOUT 1661 ET LA DISGRACE DE FOUQUET

Le 22 août 1661, La Fontaine écrivait à Maucroix qui se trouvait alors à Rome en mission secrète pour les affaires du surintendant. Dans une longue lettre, mêlée de prose et de vers, il lui faisait le récit de la fête que Fouquet venait d’offrir au Roi, cinq jours auparavant, dans les jardins de Vaux. Il décrivait à son ami toutes les splendeurs de la journée : l’arrivée du Roi, de la Reine-Mère, de Monsieur, de Madame, de la cour tout entière ; la promenade à travers les jardins et autour des cascades ; les magnificences du souper ; le théâtre dressé dans le parc ; la Béjart sortant comme une nymphe d’une vaste coquille pour réciter un prologue de Pellisson ; les termes et les statues disparaissant pour livrer passage aux faunes et aux bacchantes qui faisaient des danses ; la représentation des Fâcheux de Molière ; le feu d’artifice ; les roulements de tambours ; et, après la collation, une nuée de fusées et de serpentaux s’élevant avec un grand fracas au-dessus de la coupole du château. A ce tintamarre, rapporte La Fontaine, deux chevaux attelés au carrosse de la Reine se cabrèrent et allèrent se noyer dans les fossés. « Je ne croyois pas, dit-il, que cette relation dût avoir une fin si tragique et si lamentable. »

Bien plus tragique et lamentable fut l’épilogue de la fête. Depuis la mort de Mazarin, Fouquet semblait s’ingénier à creuser le gouffre où allait s’abîmer sa fortune. Persuadé que, tout à ses plaisirs, le jeune Roi se lasserait de réformer les finances du royaume, il avait redoublé d’audace et de prodigalité. Il n’avait pas su pré-voir quel avantage devait donner à Colbert son labeur obstiné et sa haine persévérante : l’écureuil se moquait de la couleuvre. Cependant Louis XIV supportait impatiemment le faste de ce sujet prêt à la rébellion. Quand Fouquet commit l’imprudence de convoiter jusqu’aux faveurs de Mlle La Vallière, sa perte fut résolue. Le spectacle des merveilles de Vaux ne fit qu’exaspérer la colère du souverain. Quelques jours plus tard, le 5 septembre, Fouquet fut arrêté à Nantes sur l’ordre du Roi.

Lorsque la nouvelle en parvint à Paris, La Fontaine envoya à Maucroix ce billet désolé :


Je ne puis te rien dire de ce que tu m’as écrit sur mes affaires, mon cher ami ; elles ne me touchent pas tant que le malheur qui vient d’arriver au surintendant. Il est arrêté, et le Roi est violent contre lui, au point qu’il dit avoir entre les mains des pièces qui le feront pendre. Ah ! s’il le fait, il sera autrement cruel que ses ennemis ; d’autant qu’il n’a pas, comme eux, intérêt d’être injuste. Mme de Bellière a reçu un billet où on lui mande qu’on a de l’inquiétude pour M. Pellis-son : si ça est, c’est encore un grand surcroît de malheur. Adieu, mon cher ami ; je t’en dirois beaucoup davantage si j’avois l’esprit tranquille présentement ; mais, la prochaine fois, je me dédommagerai pour aujourd’hui. Feriunt summos fulmina montes.


La plupart des courtisans besoigneux et des littérateurs faméliques qui avaient part aux libéralités de Fouquet, s’en allèrent sans scrupule faire leur cour à Colbert. De rares amis restèrent fidèles au disgracié. Les plus compromis comme Gourville et Saint-Evremond, songèrent à leur sûreté. Pellisson, Mme de Sévigné et La Fontaine sauvèrent l’honneur des lettres. Fouquet avait commis des trahisons et des concussions trop certaines pour que ses amis pussent songer à nier sa culpabilité. Pellisson déploya sa solide et ingénieuse dialectique pour plaider les circonstances atténuantes. Quant à La Fontaine, il se garda bien de défendre Fouquet contre ses accusateurs : à quoi bon ? Appartenait-il à un poète d’en remontrer au Roi et aux juges ? Il plaindra une grande infortune et invitera les nymphes de Vaux à mêler leurs plaintes et leurs supplications aux siennes.


Les destins sont contents : Oronte est malheureux.
Vous l’avez vu naguère au bord de vos fontaines,
Qui sans craindre du Sort les faveurs incertaines,
Plein d’éclat, plein de gloire, adoré des mortels,
Recevoit des honneurs qu’on ne doit qu’aux autels.
Hélas ! qu’il est déchu de ce bonheur suprême !


Et le bon La Fontaine regrette, un peu naïvement, que Fouquet n’ait point partagé ses goûts simples et idylliques,


Ah ! si ce faux éclat n’eût point fait ses plaisirs,
Si le séjour de Vaux eût borné ses désirs,
Qu’il pouvoit doucement laisser couler son âge !
……………

Au Roi il ne parlera que de clémence : que Louis XIV suive l’exemple a du magnanime Henri. » Toute l’élégie tient dans ce dernier vers, un des plus beaux de la poésie française :


Et c’est être innocent que d’être malheureux.


On ne sait si Louis XIV lut ces vers ; mais beaucoup d’autres les lurent, et ce n’était point sans raison que dix ans plus tard La Fontaine pouvait dire :


J’accoutumai chacun à plaindre ses malheurs.


En 1663, il composa encore une ode pour implorer le roi. L’accent, cette fois, était moins juste, moins profond. Il fit parvenir son ouvrage au pri-sonnier de Pignerol qui en fut médiocrement satisfait et dont il dut réfuter les critiques. Fouquet avait trouvé le morceau trop poétique pour plaire au monarque : La Fontaine allègue l’exemple de Malherbe. Fouquet avait jugé que le poète « demandait trop bassement une chose qu’on doit mépriser : » La Fontaine lui répond, avec quelque raison, qu’il parle en son propre nom et qu’il n’y a point de termes « si humbles, si pathétiques et si pressants, qu’il ne doive s’en servir en cette rencontre. »

Fouquet resta en prison jusqu’à sa mort, mais La Fontaine ne perdit jamais le souvenir de son amitié : nous en aurons la preuve.


J’ai insisté sur les premiers poèmes de La Fontaine et particulièrement sur Clymène. Bien que le poète y raille en passant la futilité, la préciosité, la manière fleurie et toutes les mignardises de ses contemporains, lui-même a commis souvent les péchés dont il accuse les autres. Il suit nonchalamment le caprice de la mode.

Quelle est cette mode ? C’est Mlle de Scudéry, l’auteur de Clélie, l’amie de Pellisson, qui va nous le dire, en exposant quelles qualités lui paraissent convenir à la poésie française :


Elle raillera sans malice, dit-elle, blâmera sans aigreur, sera ingénieusement badine et divertissante. Elle aura tantôt de la tendresse et tantôt de l’enjouement, elle souffrira même quelques traits de morale délicatement touchés ; elle sera quelquefois pleine d’inventions agréables et d’ingénieuses feintes. On y mêlera l’amour et l’esprit tout ensemble ; elle aura un certain air du monde qui la distinguera des autres poèmes et elle sera enfin la fleur de l’esprit de ceux qui y sont excellents.

A-t-on jamais mieux défini les œuvres que composa La Fontaine durant les années qu’il vécut auprès de Fouquet ? Clymène n’est-elle pas vraiment la fleur de son esprit ?

Un critique sévère a trouvé que l’idéal de Mlle de Scudéry, — c’était d’ailleurs, celui de Fouquet, — ne faisait pas la part assez large à la sensibilité et à la vie, que le sublime n’y avait pas sa part. — La sensibilité ! La vie ! Le sublime ! O temps trois fois heureux que celui où, en échange de ses libéralités, Mécène ne demandait à ses protégés qu’une ballade, un madrigal, une épigramme !

Peu importent le gagne-pain et le passe-temps des rimeurs médiocres. Les vrais poètes, comme La Fontaine, croient toujours que la Princesse se meurt, mais toujours elle en réchappe, malgré leurs gémissements et leur courroux. Ce sont eux-mêmes qui la ressuscitent. Ils suivent d’abord les modes littéraires, sans trop se soucier de savoir si elles font la part assez large à la sensibilité et à la vie. Mais, viennent le malheur et la souffrance, ils laissent parler leur cœur... Alors la Princesse apparaît aux yeux des hommes plus jeune, plus belle, plus touchante que jamais. Après Adonis, après les « menus vers, » après Clymène, c’est l’immortelle Elégie aux Nymphes de Vaux.


II. — LE VOYAGE EN LIMOUSIN. — Mlle DE LA FONTAINE


I — L’ÉCUYER MALGRÉ LUI

La chute de Fouquet fut pour La Fontaine une grande a miction. Ses meilleurs amis subissaient, comme lui, le contre-coup de la catastrophe. Pellisson était embastillé. Elle était finie, la mission secrète de Maucroix, et, après s’être expliqué devant la justice, le chanoine devait regagner Reims, désabusé de la gloire et de la diplomatie. Puis, plus de surintendant, partant plus de pension. Ajoutez aux chagrins et aux inquiétudes, une fièvre maligne, et, par-dessus toutes ces calamités, le grave ennui d’un procès.

Une déclaration royale du 8 février 1661 punissait d’une amende de 2 000 livres quiconque avait usurpé la noblesse et pris le titre d’écuyer. Simple mesure fiscale : il s’agissait d’atteindre ceux qui avaient pris sans droit, ou pour mieux dire sans payer, une qualité qui s’acquérait alors à beaux deniers comptants. Le Roi avait affermé à un « partisan » nommé La Vallée-Cornay le recouvrement des amendes, et Me Thomas Bousseau, procureur au Parlement, consignait au greffe les noms des usurpateurs. On produisit deux actes dans lesquels La Fontaine était indûment désigné comme écuyer. Il fut condamné par défaut.

Dans le désarroi où étaient déjà ses affaires, surtout depuis l’arrestation de Fouquet, cette amende allait achever sa ruine. Ce fut alors qu’il adressa au duc de Bouillon une épitre d’un tour tantôt plaisant, tantôt émouvant, afin que celui-ci s’occupât de le tirer d’embarras.

Godefroy-Maurice duc de Bouillon, seigneur de Château-Thierry, venait d’épouser, le 23 avril 1662, une des nièces de Mazarin, Marie-Anne Mancini. On retrouvera souvent, dans l’histoire de La Fontaine, les noms du duc et de la duchesse.

Dans ce charmant placet il commence par railler le terrible La Vallée-Cornay, mais il ajoute tout de suite :


Prince, je ris, mais ce n’est qu’en ces vers ;
L’ennui me vient de mille endroits divers,
Du Parlement, des Aides, de la Chambre,
Du lieu fameux par le sept de septembre,
De la Bastille, et puis du Limosin ;
Il me viendra des Indes à la fin.


Le « lieu fameux par le sept de septembre : » c’est la Chambre de justice qui juge Fouquet ; « La Fontaine se trompe de deux jours sur la date de l’arrestation). La Bastille, c’est la prison de Pellisson. Le Limousin, c’est le lieu d’exil de Mme Fouquet.

Il proteste de son mépris pour ceux qui usurpent la noblesse. (Là-dessus, nous le croyons sans peine). Ceux-là, il les faut punir.


Mais le moins fier, mais le moins vain des hommes,
Qui n’a jamais prétendu s’appuyer
Du vain honneur de ce mot d’écuyer,
Qui rit de ceux qui veulent le parêtre,
Qui ne l’est point, qui n’a point voulu l’être :
C’est ce qui rend mon esprit étonné !
Avec cela je me vois condamné,

Mais par défaut. J’étois lors en Champagne,
Donnant, rêvant, allant par la campagne.
Mon procureur dessus quelque autre point,
Et ne songeant à moi ni peu ni point,
Tant il croyoit que l’affaire étoit bonne.
On l’a surpris ; que Dieu le lui pardonne.


Il se défend en très bon avocat. D’abord il a toujours été compris dans les tailles : or les tailles étaient un impôt que payait quiconque n’appartenait ni à la noblesse, ni à l’Eglise, et c’était tout justement afin d’y échapper que tant de gens se donnaient pour nobles. En second lieu, ce titre d’écuyer, il ne l’a jamais pris dans un contrat important :


Thomas Bousseau n’a su produire en somme
Que deux contrats si chétifs que rien plus,
Signés de moi, mais sans les avoir lus :
Et lisez-vous tout ce qu’on vous apporte ?
J’aurois signé ma mort de même sorte.


Sur ce point encore, comment contredire Jean de La Fontaine ?

Si le Roi permet que La Fontaine en soit réduit à payer l’amende, l’infortuné devra obtenir quatre places à l’hôpital.


Une pour moi, pour ma femme une aussi,
Pour mon frère une, encor que de ceci
Il soit injuste après tout qu’il pâtisse,
Bref, pour mon fils, y compris sa nourrice.


Son frère Claude avait abandonné sa part du bien paternel, en échange d’une pension. Pour apitoyer le duc de Bouillon, La Fontaine exagère ses sentiments de famille, et il va un peu loin quand il étend sa sollicitude jusqu’à la nourrice de son fils : ce dernier avait alors neuf ans.

Il demande au duc de ne pas implorer la clémence du Roi pour une affaire de si peu d’importance ; il suffira d’agir


Près de celui qui dispose de tout,


c’est-à-dire de Colbert. On imagine que Bouillon dut sourire de cette requête ingénue : solliciter Colbert pour le protégé de Fouquet, l’ami de Pellisson, l’auteur de cette Élégie, qui, depuis un an, émeut la pitié du public en faveur du surintendant déchu ! Le poète lui-même parait soupçonner que la chose est scabreuse, car il souhaite que la jeune duchesse joigne son « entremise » à celle de son époux, et dise, elle aussi, « un mot sur cette affaire. »

Quelle fut la suite ? On l’ignore ; mais on sait que la duchesse resta toute sa vie une des meilleures amies de La Fontaine, et que celui-ci, jusque dans sa vieillesse, lui prodigua les louanges les plus tendres et les plus délicates.


II. — LE DÉPART POUR LE LIMOUSIN

L’année suivante, La Fontaine s’en allait dans le Limousin pour y accompagner l’oncle Jannart. Le substitut de Fouquet était, en vertu d’une lettre de cachet, exilé à Limoges, (à Limoges ! déjà). La Fontaine voulut-il, en cette occasion, donner à son parent une preuve d’affection ? Céda-t-il au caprice de voyager ? Ou bien était-il compris dans l’ordre du Roi ? Lui-même ne nous l’a point dit très clairement dans les lettres qu’il envoya alors à sa femme et qui ont été réunies sous le titre de Relation d’un voyage de Paris en Limousin.

Cette relation a été souvent rapprochée du célèbre Voyage d’Encausse fait par MM. Chapelle et Bachaumont. Que l’exemple de son ami Chapelle ait décidé La Fontaine à conter sa promenade en Limousin sous la forme de lettres mêlées de prose et de vers, c’est vraisemblable. Mais aujourd’hui il nous est difficile de trouver quelque sel et quelque agrément au petit ouvrage de Chapelle et de Bachaumont ; c’est une suite de facéties fâcheuses, souvent grossières, et de petits vers plats et prosaïques. Au contraire, qu’elles ont conservé de charme et de fraicheur, les lettres de La Fontaine ! Elles sont farcies de mythologie, et le ton badin du conteur agace un peu, à la longue ; et je sais aussi que ce ne sont point de vraies lettres intimes, que le tour en est apprêté, que Mlle de La Fontaine était chargée, à n’en pas douter, de les mettre sous les yeux de quelques beaux esprits ; elles n’en sont pas moins, de tous les écrits de La Fontaine, celui où il a le plus librement parlé de ses sentiments et de ses goûts. Notez qu’elles n’ont jamais été imprimées de son vivant. Puis le voyage est une pierre de touche ; c’est là que chacun se livre et se révèle : on ne connaîtra jamais son meilleur ami, si l’on n’a fait route avec lui. Les rencontres inattendues, les petits déboires, la perpétuelle nouveauté du spectacle, tout oblige le voyageur à dévoiler son caractère et son humeur. Embarquons-nous donc avec La Fontaine dans le carrosse qui va le conduire à petites journées de Paris à Limoges.

Avant leur départ, Jannart et La Fontaine sont venus se rafraîchir chez Mme G., dans sa maison de Clamart, « au-dessous de cette fameuse montagne où est situé Meudon. » La Fontaine s’y régale d’un beurre excellent, meilleur sans doute que celui de la Tueterie : « Je me suis souhaité vingt fois de pareilles vaches, un pareil herbage, des eaux pareilles, et ce qui s’ensuit, hormis la batteuse qui est un peu vieille. » Il se promène dans le jardin de son hôtesse : « il a, dit-il, des endroits fort champêtres, et c’est ce que j’aime sur toutes choses. » Il vante les chênes et les châtaigniers qui bordent les terrasses et « ce bois qui paroît en l’enfoncement, avec la noirceur d’une forêt âgée de dix siècles. » Il admire un vaste amphithéâtre de gazons. Et quand, après avoir célébré ces « beautés simples et divines, » il s’écrie :


Vive la magnificence
Qui ne coûte qu’à planter !


on se demande s’il ne pense pas à la coûteuse magnificence des jardins de Vaux.


III. — SUR LES ROUTES DE FRANCE

Les voyageurs se rendent le 26 août 1663 à Bourg-la-Reine pour y prendre le carrosse qui les doit mener à Limoges. « Nous y attendîmes près de trois heures ; et, pour nous désennuyer, ou pour nous ennuyer encore davantage (je ne sais pas bien lequel je dois dire), nous ouïmes une messe paroissiale. La procession, l’eau bénite, le prône, rien n’y manquoit. De bonne fortune pour nous, le curé étoit ignorant et ne prêcha pas. » Jamais homme ne fut plus ingénument dépourvu de religion que La Fontaine, — jusqu’au jour de sa conversion. « Dieu voulut enfin que le carrosse passât : le valet de pied y étoit. »

Celui que La Fontaine appelle le valet de pied ou le valet du roi était M. de Châteauneuf, l’exempt chargé d’accompagner Jannart jusqu’au lieu de son exil.


Point de moines, mais en récompense trois femmes, un marchand qui ne disoit mot, et un notaire qui chantoit toujours, et qui chantoit très mal ; il repor-toit en son pays quatre volumes de chansons. Parmi les trois femmes, il y avoit une Poitevine qui se qualifioit comtesse : elle paroissoit assez jeune et de taille raisonnable, témoignoit avoir de l’esprit, déguisoit son nom et venoit de plaider en séparation contre son mari.


Voilà toute la voiturée. Et le carrosse route sur la grande route d’Orléans. A Etampes, des maisons qui, depuis la Fronde des Princes, sont restées sans toits et sans fenêtres, évoquent l’image des guerres civiles. « J’y trouvai beaucoup de gothique, » dit en souriant La Fontaine. On sait ce que « gothique » veut dire au dix-septième siècle.

Le lendemain, tandis qu’on traverse la Beauce, pays ennuyeux, M. de Châteauneuf et la comtesse poitevine se livrent à une controverse.


Notre comtesse en fut cause : elle est de la religion, et nous montra un livre de du Moulin. M. de Châteauneuf l’entreprit et lui dit que sa religion ne valoit rien, pour bien des raisons. Premièrement, Luther a eu je ne sais combien de bâtards ; les huguenots ne vont jamais à la messe : enfin il lui conseilloit de se convertir, si elle ne vouloit aller en enfer ; car le purgatoire n’étoit pas fait pour des gens comme elle. La Poitevine se mit aussitôt sur l’Écriture, et demanda un passage où il fût parlé du purgatoire ; pendant cela le notaire chantoit toujours ; M. Jannart et moi, nous endormîmes.


Il dormait beaucoup ; mais quand il était éveillé, il savait à merveille regarder les choses, dévisager les gens. Sa rêverie ne faisait pas tort à sa curiosité. Il adorait la campagne, mais ni les villes ni les monuments ne le laissaient indifférent, et les visages qu’il voyait passer restaient gravés dans sa mémoire.

Le voici à Orléans. Il va se promener sur le pont, admire le coucher du soleil, et passe devant un ancien monument à la Pucelle (élevé en 1468, il a disparu pendant la Révolution) et note simplement : « C’est un monument qui se sent de la pauvreté de son siècle. » Mais il s’amuse longtemps au spectacle des barques qui, leurs amples voiles déployées, sillonnent la Loire avec « une majesté de navires ; » et il s’imagine voir « le port de Constantinople en petit. » Il contemple enfin la ville ; « le mail et les autres arbres qu’on a plantés en beaucoup d’endroits le long du rempart, font qu’elle paroit à demi fermée de murailles vertes. »

Il fait aussi un fidèle et joli portrait de Blois, vu de la rive gauche du fleuve ; et elle est bien curieuse, cette description du château :


Il a été bâti à plusieurs reprises, une partie sous François Ier, l’autre sous quelqu’un de ses devanciers. Il y a en face un corps de logis à la moderne, que feu Monsieur a fait commencer : toutes ces trois pièces ne font, Dieu merci, nulle symétrie, et n’ont rapport ni convenance l’une avec l’autre ; l’architecte a évité cela autant qu’il a pu. Ce qu’a fait François Ier, à le regarder du dehors, me contenta plus que tout le reste : il y a force petites galeries, petites fenêtres, petits balcons, petits ornements, sans régularité et sans ordre ; cela fait quelque chose de grand qui plaît assez.


Ces pièces « qui ne font, Dieu merci, aucune symétrie, » ces ornements « sans régularité et sans ordre » qui font « quelque chose de grand qui plait assez : » un pareil jugement surprend chez un contemporain de Le Vau, de Le Brun et de Le Nôtre ; mois il décèle à merveille l’originalité du goût de La Fontaine. Il aimait trop Marot et Rabelais pour rester insensible à la séduction de l’architecture de la Renaissance. En son temps, quel autre eût, comme lui, préféré la diversité à la symé-trie, le caprice à la règle ?

Et quel autre, hormis Mme de Sévigné, aurait su, comme lui, rendre l’attrait d’un paysage ? Tout en cheminant sur la levée de la Loire, il ne se lasse pas de jouir de la vue des coteaux,


…….. coteaux enchantés,
Belles maisons, beaux parcs et bien plantés ;


et de la Loire elle-même il fait cette belle peinture :


On la voit rarement s’écarter de sa route ;
Elle a peu de replis dans son cours mesuré ;
Ce n’est pas un ruisseau qui serpente en un pré,
C’est la fille d’Amphitrite.
………..
Elle répand son cristal
Avec magnificence ;
Et le jardin de la France
Méritoit un tel canal.


A Amboise, il est peu charmé par l’architecture du château. « Ce qu’il y a de beau, dit-il, c’est la vue : elle est grande, majestueuse, d’une étendue immense... » Mais il ajoute tristement :


De tout cela le pauvre M. Fouquet ne put jamais, pendant son séjour, jouir un petit moment : on avoit bouché toutes les fenêtres de sa chambre, et on n’y avoit laissé qu’un trou par le haut.


En effet, après son arrestation à Nantes, Fouquet avait été quelque temps incarcéré à Amboise. La Fontaine demande à voir la chambre du prisonnier.


Triste plaisir, je vous le confesse, mais enfin je le demandai. Le soldat qui nous conduisoit n’avoit pas la clef : au défaut, je fus longtemps à considérer la porte, et me fis conter la manière dont le prisonnier étoit gardé. Je vous en ferois volon-tiers la description, mais ce souvenir est trop affligeant.


Vous peindre un tel appartement,
Ce seroit attirer vos larmes ;
Je l’ai fait insensiblement :
Cette plainte a pour moi des charmes.


Qu’il y a de mesure et de délicatesse dans ces accents de compassion ! Ce vers d’une si mélodieuse douceur :


Cette plainte a pour moi des charmes,


est la confession ingénue d’une âme tendre et voluptueuse qui chérit, c’est elle qui l’a avoué,


Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique.


A Port de Pilles, La Fontaine se détourne de son chemin pour aller, en compagnie de M. de Châteauneuf, visiter la ville et le château de Richelieu. « Les Allemands, écrit-il, se dérangent bien pour cela de plusieurs journées. » Au XVIIe siècle, l’Allemand, pour les personnes casanières, représentait le « touriste » par excellence. L’Anglais lui a succédé dans ce rôle.

La ville, construite, comme le château, sur les plans de Jacques Lemercier, était formée d’une large rue qui débouchait sur deux places symétriques et était bordée d’une double rangée d’hôtels, tous d’une ordonnance identique. Ces belles demeures avaient été élevées par des courtisans désireux de plaire au ministre tout-puissant, mais qui s’étaient gardés d’y venir habiter. La Fontaine dit plaisamment que cette ville grandiose et déserte aura bientôt « la gloire d’être le plus beau village de l’univers. »

Quant au château (depuis le commencement du XIXe siècle, il ne reste plus trace des bâtiments), Richelieu, qui n’y vint jamais, y avait fait entasser d’inestimables chefs-d’œuvre. La Fontaine en parcourt les appartements, les galeries et en énumère les richesses, d’après les renseignements que lui fournit une concierge obligeante. On n’avait pas encore, en ce temps-là, inventé la critique d’art, et, tout bonnement, La Fontaine rapporte les sujets des peintures et des sculptures qui décorent le palais, agrémentant son récit de fadaises parfois fâcheuses. On dirait qu’il s’acquitte d’un pensum, et l’on se demande qui le lui a imposé, quel ami imprudent a réclamé de lui une description de Richelieu.

Cependant il s’arrête un instant à contempler les Esclaves de Michel-Ange, que le Cardinal a acquis et fait placer dans le vestibule du château, au pied du grand escalier (ils sont maintenant au Louvre). Il ba-dine à propos des galants que sa femme a réduits en esclavage ; mais revenant à Michel-Ange, il fait cette curieuse remarque :

Il y a un endroit qui n’est quasi qu’ébauché, soit que la mort, ne pouvant souffrir l’accomplissement d’un ouvrage qui devoit être immortel, ait arrêté Michel-Ange en cet endroit-là, soit que ce grand personnage l’ait fait à dessein, et afin que la postérité reconnût que personne n’est capable de toucher à une figure après lui. De quelque façon que cela soit, je n’en estime que davantage ces deux captifs, et je tiens que l’ouvrier tire autant de gloire de ce qui leur manque que de ce qu’il leur a donné de plus accompli.

Rapprochez de cette opinion singulière les réflexions que lui inspiraient tout à l’heure les bâtiments du château de Blois. Il trouvait quelque grâce à leur défaut de symétrie, et le voici maintenant qui vante l’ « inachevé » des sculptures de Michel- Ange ! Il serait puéril de bâtir là-dessus toute une esthétique et de l’attribuer à La Fontaine ; mais chez un être aussi spontané, le goût et le tempérament ne font qu’un. Il ne peut être choqué d’une architecture irrégulière, lui qui a confondu dans ses ouvrages tous les genres, tous les styles, mêlé dans ses vers tous les mètres et tous les rythmes. Et comment ne jouirait-il pis du charme de « l’inachevé, » lui qui s’est permis tant de négligences dont on ne devine pas toujours si elles sont l’effet d’un art consommé ou d’une naturelle indolence ?

Après avoir visité le château, La Fontaine se rend dans le jardin peuplé de statues, mais il n’a guère le temps de considérer les sculptures.

Le déclin du jour et la curiosité de voir une partie des jardins en furent la cause. Du lieu où nous regardions ces statues, on voit à droite une fort longue pelouse, et ensuite quelques allées profondes, couvertes, agréables, et où je me plairois extrêmement à avoir une aventure amoureuse ; en un mot, de ces ennemies du jour tant célébrées par les poètes ; à midi, véritablement, on y entrevoit quelque chose,

Comme au soir, lorsque l’ombre arrive en un séjour,
Où lorsqu’il n’est plus nuit, et n’est pas encor jour.

À la bonne heure, cette fois, nous retrouvons notre La Fontaine ; pas pour longtemps, car l’aventure souhaitée ne se présentant pas, voici que « par une puissance secrète » il se sent forcé de célébrer en alexandrins héroïques « la gloire du grand Armand. » Sur ces entrefaites survient M. de Châteauneuf, et tous deux finissent par gagner Châtellerault, où M. Jannart les attend chez un de ses amis.

La Fontaine et son oncle resteraient volontiers quelques jours à Châtellerault : les melons y sont excellents et les carpes succulentes ; puis on est en pays de connaissance et même de parenté, car La Fontaine y a retrouvé ce Pidoux octogénaire dont vous vous rappelez le joli portrait ; mais il faut obéir à l’ordre du Roi.

Par Chevigny, « misérable gîte et où commencent les mauvais chemins et l’odeur des aulx, » par Bellac où la chère est médiocre, les voyageurs arrivent à Limoges : ils pren-nent congé de M. de Châteauneuf.

Les premières impressions de La Fontaine sur Limoges et les Limousins sont mêlées : « Les hommes ont de l’esprit en ce pays-là, et les femmes de la blancheur ; mais leurs coutumes, façon de vivre, occupations, compliments sur tout ne me plaisent point. » Il annonce une autre lettre : elle n’a pas été retrouvée, ou bien n’a jamais été écrite.

Cette relation contribue à rendre plus vivante l’image que je voudrais tracer de La Fontaine. Grâce à elle nous sommes entrés plus avant dans l’intimité du bonhomme. Cependant, il est un point sur lequel les biographes se sont épuisés en recherches et en conjectures, c’est l’histoire de son ménage : je n’en ai point encore parlé, me réservant de le faire à propos de ces lettres adressées à Mlle de La Fontaine. Nulle part ailleurs, il n’a soufflé mot de sa femme.


IV. — Mlle DE LA FONTAINE

La Fontaine avait épousé, en 1647, Marie Héricart, fille de Louis Héricart, lieutenant criminel de La Ferté-Milon, maire perpétuel de cette ville. Il avait vingt-six ans, et elle quatorze et demi ; en 1653, ils eurent un fils ; en 1658, ils se séparèrent de biens ; le ménage fut désuni, et durant la seconde partie de sa vie, le mari vécut loin de sa femme : voilà tout ce que nous connaissons de l’existence conjugale de La Fontaine. Nous savons aussi qu’il a constamment trompé sa femme, il n’en a jamais fait mystère. Mlle de La Fontaine lui a-t-elle rendu œil pour œil, dent pour dent ?

On l’a soutenu en vertu d’un raisonnement singulier. La Fontaine, a-t-on dit, a témoigné à sa femme la froideur la plus méprisante. Or supposer qu’il a pu, sans d’excellentes raisons, observer une pareille attitude, c’est lui faire injure ; s’il n’a pas été trompé, c’est un homme abominable. Donc il faut, pour son honneur, qu’il ait été... trompé.

L’a-t-il été ? je l’ignore et me résigne volontiers à l’ignorer. S’il le fut, il ne dut pas s’en faire un long souci ; il était « chose légère. » S’il ne le fut pas, je doute qu’il en ait su beaucoup de gré à Mlle de La Fontaine. Il a dû éprouver quelque déplaisir en voyant que sa femme ne l’aimait point ou avait cessé de l’aimer, car, dans un joli conte égaré parmi ses fables. il plaint un mari amoureux de sa femme, et pour qui celle-ci n’a jamais


Propos flatteur et gracieux,
Mot d’amitié, ni doux sourire
Déifiant le pauvre Sire.


Et il ajoute


... Si l’amour n’assaisonne
Les plaisirs que l’hymen nous donne
Je ne vois pas qu’on en soit mieux [5].


Mais, déçu dans son amour, a-t-il attaché grande importance à la fidélité de son épouse ?

On pont encore supposer qu’il a été trompé, qu’il n’a pas tenu à en avoir l’inutile certi-tude, qu’il a, lui aussi, refusé de porter à ses lèvres la coupe enchantée.


Qu’est-ce enfin que ce mal dont tant de gens de bien
Se moquent avec juste cause ?
Quand on l’ignore, ce n’est rien.
Quand on le sait, c’est peu de chose.


Après avoir lu ces vers-là et bien d’autres du même ton, de consciencieux historiens dissertent encore sur l’opinion de La Fontaine touchant la vertu de sa femme ! Comme ils sentent qu’en ces sortes d’affaires un syllogisme n’est pas irrésistible, ils allèguent une des Historiettes de Tallemant :

« Sa femme, raconte l’anecdotier, est une coquette qui s’est mal gouvernée depuis quelque temps. Il ne s’en tourmente pas. On lui dit : « Un tel cajole votre femme. — : Ma foi, répond-il, qu’il fasse ce qu’il pourra, je ne m’en soucie pas. Il s’en lassera comme je l’ai fait. » Elle dit qu’il rêve tellement qu’il est quelquefois trois semaines sans croire être marié. Cette indifférence a fait enrager cette femme, elle sèche de chagrin. Lui est amoureux où il peut... »

Voilà, certes, un bien mauvais ménage. Tallemant, quoique fort méchante langue, est ici un témoin assez sûr, car il était très lié avec Maucroix et La Fontaine. Cette Historiette a été écrite en 1657, dix ans après le mariage. Mais à tout prendre, elle démontre qu’alors Mlle de La Fontaine « séchait de chagrin. » Or, si elle « séchait de chagrin, » c’était, selon toute apparence, qu’elle n’avait pas encore trouvé de consola-teur...

« Mais elle en a trouvé un ! s’écrient les personnes qui veillent sur l’honneur de La Fontaine, et nous le connaissons, c’est Antoine Poignan, offi-cier de dragons. » Elles nous renvoient à l’Histoire de l’Académie française par l’abbé d’Olivet et aux Mémoires de Louis Racine sur la vie de son père.

Selon d’Olivet, Mme de La Fontaine ne manquait « ni d’esprit ni de beauté, » mais pour l’humeur, elle tenait fort de cette Mme Honesta que La Fontaine a dépeinte dans son conte de Belphégor. « Aussi ne trouvait-il d’autre secret que celui de Belphégor pour vivre en paix. Je veux dire qu’il s’éloignait de sa femme le plus souvent et pour le plus longtemps qu’il pouvait, mais sans aigreur et sans bruit. » Il n’est pas impossible, que Mme Honesta reproduise quelques traits du caractère de Mlle de La Fontaine, mais le sujet de Belphégor est emprunté à Machiavel, et, quand l’auteur italien avait publié sa nouvelle, on avait déjà dit qu’il y avait représenté sa femme.

Vu peu plus loin, l’abbé d’Olivet, voulant donner une preuve de la crédulité de La Fontaine, raconte l’aventure de celui-ci avec « un nommé Poignan, ancien capitaine de dragons, retiré à Château-Thierry. » Citons textuellement l’anecdote qui est reproduite par tous les biographes de La Fontaine avec plus ou moins d’exactitude :

« Tout le temps que ce Poignan n’était pas au cabaret, il le passait auprès de Mme de La Fontaine qui était, comme j’ai dit, une Mme Honesta


d’un orgueil extrême
Et d’autant plus que de quelque vertu
Un tel orgueil paraissait revêtu.


Poignan, de son côté, n’était pas du tout galant. On en fit cependant de mauvais rap-ports à M. de La Fontaine, et on lui dit qu’il était déshonoré, s’il ne se battait contre Poignan. Il le crut. Un jour d’été, à quatre heures du matin, il va chez lui, le presse de s’habiller, et de le suivre avec son épée. Poignan le suit, sans savoir où ni pourquoi. Quand ils furent hors de la ville, La Fontaine lui dit : « Je veux me battre contre toi, on me l’a conseillé. » Et après lui en avoir expliqué le sujet, il met l’épée à la main. Poignan tire à l’instant sa sienne, et d’un coup ayant fait sauter celle de La Fontaine à dix pas, il le ramène chez lui, où la réconciliation se fit en déjeunant... » — On a conclu de ce récit que Poignan était l’amant de Mlle de La Fontaine. Il me semble que l’abbé d’Olivet dit tout justement le contraire. En 1747, c’est-à-dire cinquante ans après la mort de La Fontaine, Louis Racine, dans les Mémoires sur la vie de son père, certifia la vérité de l’anecdote rapportée par l’abbé d’Olivet et la conta à son tour en l’animant d’un plaisant dialogue entre les deux amis.

Non content d’interpréter à contre-sens l’abbé d’Olivet, on a bâti un roman : avant son mariage, Marie Héricart aurait éprouvé un tendre sentiment pour son petit cousin Antoine Poignan qui n’avait pas alors vingt ans ; des parents barbares auraient donné la main de Marie au fils du maître des eaux et forêts de Château-Thierry ; mais un jour Antoine aurait reparu sous un uniforme d’officier de dragons ; entre Mars et Phœbus, la provinciale n’aurait pas hésité. Le bel officier se serait installé à Château-Thierry et y aurait passé sa vie auprès de Mlle de La Fontaine. On prétend même qu’il aurait « sans doute » vécu aux crochets de sa cousine. Ce récit qui ne repose sur rien, a été inventé, en 1894. Depuis, il a été repris, certifié, et amplifié par nombre de critiques qui en ont tiré les déductions psychologiques les plus saugrenues.

Sur son ménage, consultons encore La Fontaine. Par deux fois il a confessé ses torts. C’est d’abord dans les derniers vers des Aveux indiscrets.


Le nœud d’hymen doit être respecté,
Veut de la foi, veut de l’honnêteté.
……….
Je donne ici de beaux conseils, sans doute :
Les ai-je pris pour moi-même ? hélas ! non.


Plus significative encore la soudaine réticence qui, dans Philémon et Baucis, termine le tableau de la métamorphose des deux vieux époux :


Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne.
……….
Pour peu que des époux séjournent sous leur ombre
Ils s’aiment jusqu’au bout, malgré l’effort des ans,
Ah si !… Mais autre part j’ai porté mes présents.


Et autre part il les porta jusqu’à l’extrême vieillesse.

Quant à sa femme, dès les premières lignes de la première lettre du voyage en Limousin, nous apprenons ce qu’il pensait d’elle, et nous savons les raisons, bonnes ou mauvaises, qu’il avait eu de porter ses présents autre part.

D’abord il accuse Mme de La Fontaine de n’aimer lire que des romans. S’il lui adresse le récit de son voyage, c’est dans l’espoir de lui donner ainsi le goût des lectures sérieuses. « Vous ne jouez, dit-il, ni ne travaillez, ni ne vous souciez du ménage. » Il est admirable, La Fontaine : il reproche à sa femme 1o de ne pas aimer le jeu, lui qui peut-être l’aimait trop ; 2o de ne pas travailler, lui qui se vantait de sa paresse ; 3o de ne point s’occuper du ménage, lui qui mangea tout son bien. Et il continue : « Hors le temps que vos bonnes amies vous don-nent par charité, il n’y a que les romans qui vous divertissent. » Or lui-même se plait, c’est lui qui nous l’a dit, aux « livres d’amour. » Il espère pourtant qu’en badinant il pourra l’accoutumer à l’histoire des lieux et des per-sonnes. « Vous auriez, dit-il, de quoi vous désennuyer toute votre vie pourvu que... » Et voici le coup de grâce : « pourvu que ce soit sans intention de rien retenir, moins encore de rien citer. Ce n’est pas une bonne qualité pour une femme d’être savante ; et c’en est une très mauvaise d’affecter de pa-raître telle. » Ce discours à la manière de Chrysale veut dire en termes moins polis : Vous êtes, ma bonne amie, une pécore fainéante et prétentieuse, revêche et désordonnée, romanesque et pédante ; vous êtes insupportable.

Voilà, pour une part, le secret du mauvais ménage de La Fontaine ; pour l’autre, la plus grande, ce sont les frasques du mari, l’exemple de son indolence, cet air de n’être pas marié qui, au dire de Tallemant, faisait sécher de chagrin la délaissée. Et c’est justement cet air-là qu’il prend à tout propos dans ses lettres. Il n’a pas encore quitté Clamart qu’il songe déjà aux Limousines et à leurs « chaperons de drap rose-sèche sur des cols de velours noir : » s’il trouve un de ces jolis chaperons, il se promet de s’y amuser, « et par curiosité seulement, » ajoute-t-il. En effet il ne raconte à sa femme que ses « curiosités, » mais elles sont innombrables : une par étape. A Blois, il se fait montrer quelques jolies femmes, « comme à son ordinaire. » Dans les allées du parc de Richelieu, il rêve d’une « aventure amoureuse. » A Châtellerault, il voit une de ses parentes, grande fille à qui la petite vérole n’a pas enlevé toutes ses grâces ; il l’entretient peu et de choses in-différentes, mais s’il eût fait un plus long séjour, il l’eût « tournée de tant de côtés » qu’il aurait découvert « ce qu’elle a dans l’âme et si elle est capable d’une passion secrète ; » tout ce qu’il sait d’elle, c’est qu’elle aime fort les romans ; et ceci à l’adresse de sa femme : « C’est à vous qui les aimez fort aussi, de juger quelle conséquence on en peut tirer. » Il ne traverse pas Poitiers ; on lui a dit que la ville est « mal pavée, pleine d’écoliers, abondante en prêtres et en moines, » il regrette pourtant de ne l’avoir point vue, car « il y a en récompense nombre de belles, et l’on y fait l’amour aussi volontiers qu’en lieu de la terre. » A Bellac, rien ne lui aurait plu sans la fille du logis « jeune personne et assez jolie ; » après l’avoir cajolée « sur sa coiffure, » il va se coucher et s’endort profondément. « Si pourtant Morphée m’eût amené la fille de l’hôte, je pense bien que je ne l’aurais pas renvoyée ; il ne le fit point et je m’en passai. »

Concluons que, si la femme de La Fontaine avait eu toutes les vertus, même celles dont lui-même manquait le plus, le ménage n’eût pas été beaucoup meilleur. Il n’avait pas la fibre conjugale.

Avait-il davantage la fibre paternelle ? Il se souvient de son fils, pour tâcher d’éveiller la compassion du duc de Bouillon, il s’en souvient encore dans une lettre à sa femme pour la prier de faire des recommandations à leur marmot » : « Dites-lui que peut-être j’amènerai de ce pays-là quelque beau petit chaperon (une servante limousine) pour le faire jouer et lui tenir compagnie. » Dans toutes ses œuvres, aucune autre allusion à son enfant. On a dit qu’il avait remis à Maucroix le soin de l’éducation de son fils : c’est pos-sible ; une petite-fille de La Fontaine l’a affirmé, mais il faut se méfier des renseignements donnés par les descendants du poète. On a dit aussi qu’il aurait trouvé à son fils un emploi chez M. de Harlay et qu’en remerciement il aurait dédié au procureur général du Parlement les deux volumes des Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine publiés en 1685. Peut-être ; mais, dans l’épitre dédicatoire, pas un vers, pas un mot qui fasse allusion au service rendu. Négligeons les anecdotes et en particulier celle de La Fontaine passant un jour près de son fils sans même le reconnaître, mais retenons ces lignes qui dans le Voyage en Limousin terminent le portrait du vieux Pidoux. « De vous dire quelle est la famille de ce parent, et quel nombre d’enfants il a, c’est ce que je n’ai pas remarqué, mon humeur n’étant nullement de m’arrêter à ce petit peuple. » Il n’a jamais été tendre pour ce petit peuple, cela se voit dans nombre de ses fables.


V. — LA FONTAINE AU LUXEMBOURG

L’infortuné Jannart demeura longtemps à Limoges. Mais La Fontaine revint bientôt chez lui, ce qui semble prouver qu’il n’avait pas été véritablement exilé. Le 14 janvier 1664, il était à Paris où il obtenait un privilège du Roi pour l’impression de son premier recueil de contes.

La même année, le 14 juillet, il prêtait serment comme gentil homme servant de Mme la Duchesse douairière d’Orléans, veuve de Gaston, qui vivait retirée dans son palais du Luxembourg. La maison était triste et dévote. La Fontaine dut y passer des heures mélancoliques. Ses gages annuels n’étaient que de deux cents livres ; mais sa fonction lui laissait de grands loisirs : il pouvait souvent retourner à Château-Thierry, il pouvait surtout aller retrouver ses amis, festoyer avec eux, leur lire ses vers. D’ailleurs il n’était plus, comme chez Fouquet, obligé à une redevance poétique. Il se contenta, durant son séjour au Luxembourg, de rimer une gentille épitre pour le petit chien de Mme d’Orléans, et un sonnet amoureux pour la divine Poussay, fille d’honneur de Mlle d’Alençon.


Que de grâces, bons Dieux ! Tout rit dans Luxembourg.


Les quatre années de 1664 à 1768 sont celles où La Fontaine publie ses premiers chefs-d’œuvre : en 1664, un premier recueil de Nouvelles ; en 1665, la première partie des Contes et Nouvelles ; en 1666, la deuxième partie des Contes et Nouvelles ; en 1668, les six premiers livres des Fables.

Comment, passé la quarantaine, La Fontaine a-t-il soudain secoué sa nonchalance ? Comment est-il, en si peu de temps, parvenu à produire tous ces contes et toutes ces fables ? Pourquoi s’est-il aussi tard ap-pliqué aux deux genres où il allait tout de suite exceller ? Pour les contes, on en trouve déjà quelques modèles dans ses premiers essais : les Amours de Mars et de Vénus, dans le Songe de Vaux, le récit d’Acanthe à la fin de Clymène sont déjà des contes, et des meilleurs. Mais les Fables ! avant l’apparition du premier recueil, rien n’avait annoncé cet art neuf et du premier coup porté à sa perfection. La source a soudain jailli des profondeurs étendant au soleil sa nappe limpide et abondante. C’est un des plus beaux miracles de l’histoire de la poésie.


ANDRE HALLAYS.

  1. Voyez la Revue du 1er juillet
  2. Le surinten-dant Nicolas Foucquet, protecteur des lettres, des arts et des sciences, par U. V. Châte-lain.
  3. De 1656 à 1659.
  4. Sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, M. Louis Roche (La Vie de Jean de La Fontaine) a apporté du nouveau.
  5. Le mari, la femme et le voleur.