Jean de la Roche/21

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Calmann-Lévy (p. 222-237).



XXI


Une heure après, nous redescendions vers un vallon du fond duquel s’élève une colline verte, jadis couronnée par une forteresse. C’est la Roche-Vendeix, un cône dans une coupe profonde, comme le Puy-de-Diane auprès de Murol. L’antique forteresse de Vendeix a aussi une histoire, mais tout vestige a disparu. Love voulut monter jusqu’à l’emplacement couvert d’arbustes pour se faire une idée de la situation stratégique, et elle monta en dépit d’une averse assez serrée. Je pouvais l’y suivre, car M. Butler et son fils, un peu fatigués tous deux, s’étaient mis à l’abri sous un hangar en paille auprès d’une maisonnette du hameau et n’avaient aucun besoin de moi ; mais j’étais dans un de mes accès d’aversion et de ressentiment, et je n’aspirais qu’à voir la fin de cette odieuse journée. Je regardais donc avec une indifférence dédaigneuse miss Love, enveloppée de son léger manteau de caoutchouc, la tête couverte du capuchon, gravir légèrement le cône, plus ressemblante de loin à un petit capucin qu’à une belle fille, et je m’efforçais de la trouver disgracieuse et ridicule, lorsque mon nom, prononcé par Hope, me rendit attentif à l’entretien du jeune homme avec son père. J’étais à l’abri d’eux, contre une charrette où je m’appuyai dans l’attitude d’un homme qui dort, et je ne perdis pas un mot de leur conversation en anglais.

— Je vous jure, disait Hope, qu’elle regrette de ne s’être pas mariée, et que ce Jean de la Roche lui a laissé des souvenirs.

— Moi, reprit le père, je vous jure que vous vous exagérez les souvenirs et les regrets qu’elle peut avoir.

— Eh bien, admettons que j’exagère. Il n’en est pas moins vrai qu’elle n’est pas sans souvenirs et sans regrets, et que, par conséquent, elle n’est pas heureuse et qu’elle s’en prend à moi, quoiqu’elle ne l’avoue pas. Je vois bien que, toutes les fois que le hasard ramène ce souvenir-là, elle me regarde avec des yeux tristes, et qu’elle s’ennuie avec nous, comme le jour où nous avons été voir les ruines de Murol. Souvenez-vous… Nous avions parlé de M. de la Roche à propos du dyke de la Verdière… Je l’ai plaisantée à cause du souvenir étonnant qu’elle avait gardé des descriptions de M. Jean, et elle a boudé, elle qui ne boude jamais ; vous-même, vous en avez fait la remarque.

M. Butler garda quelques instants le silence, et reprit la parole avec une sorte de solennité que je ne lui connaissais pas.

— Mon fils, dit-il, parlez-vous très-sérieusement ou à la légère ?

— Je parle très-sérieusement.

— Vous êtes bien persuadé que votre sœur a des regrets ?

— J’en suis persuadé.

— Eh bien, répliqua le père après une nouvelle pause, je vous dirai comme je disais tantôt à votre sœur : Qu’en voulez-vous conclure ?

— Que vous a-t-elle répondu ?

— Elle m’a répondu : Rien.

— Mais elle a pleuré, s’écria le jeune homme ; convenez, mon père, qu’elle a pleuré. Je m’en suis aperçu, moi, quand je suis revenu auprès de vous pour déjeuner, et, comme ce n’est pas la première fois qu’il lui arrive de pleurer en se cachant de moi, j’ai eu du chagrin et même du dépit. Vous me l’avez reproché, et j’avoue que j’ai eu tort. Je vous en demande pardon… Mais avouez aussi qu’il est bien triste de ne pas voir heureuse une personne que l’on aime tant !…

M. Butler prit encore quelques instants pour répondre. Il paraissait faire un grand effort sur lui-même pour rentrer dans la notion du monde social et dans les préoccupations domestiques ; mais il sortit vainqueur de cette lutte entre sa justice naturelle et son apathie contemplative, car il parla à son fils avec une sévérité dont je ne l’aurais jamais cru capable.

— Hope, lui dit-il, je n’ai pas l’habitude des reproches ni le goût des réprimandes ; vous savez qu’il peut se passer des mois et des années sans que je me départe d’un système de tolérance et de mansuétude que j’ai cru bon jusqu’à ce jour. Eh bien, ce jour où nous voici amène pour moi une découverte, un nouveau point de vue sur ces choses du cœur que vous ne me paraissez pas suffisamment comprendre. Voici pourtant l’âge venu pour vous de ne plus abuser du droit que l’on accorde aux enfants d’émettre des volontés dont ils ne sentent pas la portée et dont ils ne prévoient pas les conséquences. Vous avez été jaloux de mon affection et de celle de votre sœur au point de nous menacer de mourir, si nous admettions un nouveau venu dans la famille…

— Menacer ! s’écria Hope ; moi ! j’ai menacé de mourir ?… Pardon, mon père, mais je ne mérite pas ce que vous me dites là. Tout enfant que j’étais, je n’aurais jamais dit une si mauvaise parole, et, si j’ai été malade d’inquiétude et de chagrin, croyez-vous donc que ce soit ma faute ?

— Non, ce n’était pas votre faute, et vous n’avez pas menacé volontairement. Votre force morale ne pouvait pas encore réagir contre un mauvais sentiment. Vous étiez trop jeune, et votre santé était trop réellement compromise ; mais, aujourd’hui, mon cher Hope, vous vous portez bien et vous avez l’âge de raison. Persistez-vous à interdire à votre sœur le mariage et le bonheur d’être mère ?

— Je vois bien, mon père, qu’il y a quelque nouveau projet, et que l’on n’a pas appris sans joie que M. de la Roche n’était ni mort ni marié.

— Eh bien, si Love a ressenti cette joie, et si elle se souvient d’avoir aimé ce jeune homme !…

— Aimé un inconnu ! un homme qu’elle a vu huit ou dix fois ! Croyez-vous cela possible ?

— Oui, je le crois possible, et j’admets que cela soit. Concluez, Hope ; j’exige que vous vous prononciez aujourd’hui.

Hope ne répondit pas, et, dans un mouvement de colère et de douleur, il déchira son gant, qu’il tourmentait dans ses mains, et en jeta les deux morceaux par terre.

Cette manifestation irrita M. Butler, qui se leva le visage animé, la voix émue, et, avec cette expansion soudaine et irrésistible des gens qui évitent longtemps les émotions pour les retrouver plus vives et plus impérieuses quand il n’y a plus moyen de reculer :

— Hope ! s’écria-t-il, je vois que vous êtes décidément un enfant gâté et un cœur égoïste. Votre sœur s’est sacrifiée à nous deux ; moi, je l’ai compris et je me le reproche. Vous, pour n’avoir pas à vous le reprocher, vous affectez de ne pas le comprendre. Eh bien, je vous déclare que vous sentirez aujourd’hui, pour la première fois de votre vie, le blâme et l’autorité de votre père. J’interrogerai ma fille, et je vous jure que, si elle aime quelqu’un, ce quelqu’un-là prendra place à côté de vous dans mon cœur et dans ma famille. Dites-vous bien à vous-même que cela doit être et sera, et, si votre santé doit souffrir du dépit que cela vous cause, sachez que j’aime mieux vous voir mort qu’ingrat et lâche.

Ayant ainsi parlé, M. Butler retomba comme étouffé sur le tas de paille qui lui avait servi de siège. Hope était toujours assis par terre sur des copeaux. Il resta immobile, pâle et le sourcil contracté ; puis, après un silence que le père ne voulait pas rompre le premier, le jeune homme se leva comme pour sortir du hangar.

— Vous n’avez rien à répondre ? lui dit M. Butler avec effort.

— Non, répondit l’orgueilleux enfant d’un faux air de soumission : puisque vous avez exprimé votre volonté, je n’ai rien à dire.

— Et rien à me promettre ?

— J’ai à obéir, vous l’avez dit.

— Obéirez-vous du moins avec le cœur ? car la soumission passive que vous affectez ressemble à une protestation !

— Mon cœur n’a rien à voir là dedans que je sache, puisque c’est à lui précisément que vous imposez silence. Permettez-moi de réfléchir sur ce que ma conscience peut avoir à me prescrire.

Et il disparut, laissant son père anéanti.

Dès qu’il se vit seul, M. Butler, qui avait complétement oublié ma présence, fondit en larmes. Je ne pus supporter le spectacle de cette douleur, et je m’approchai de lui, résolu à lui tout avouer, à lui demander pardon des peines que je lui causais et à lui dire adieu pour toujours ; mais, dès qu’il me vit, il me prit les mains avec l’expansion d’un père en proie à l’inquiétude.

— Mon brave Jacques, me dit-il, suivez mon fils. Nous nous sommes querellés, et je crains… Je ne sais pas ce que je crains ! suivez-le, vous dis-je, et, s’il vous renvoie, ayez l’air de le quitter, mais ne le perdez pas de vue. Allez, mon ami, allez vite ! Mais, ajouta-t-il en me rappelant, si vous lui parlez, ne lui dites pas que je suis inquiet. Vous avez des enfants, vous savez qu’il faut avoir quelquefois l’air de ne pas les aimer quand ils ont tort !

J’obéis. Je suivis Hope à distance. Je le vis s’enfoncer dans le bois et se jeter à plat ventre dans les herbes, la tête dans ses mains, et agité de mouvements convulsifs ; mais cette crise, que je surveillais attentivement, dura peu : il se releva, marcha au hasard faisant des gestes, et arrachant des poignées de feuillage qu’il semait follement autour de lui. Au bout de quelque cent pas, il se calma, s’assit, parut rêver plutôt que réfléchir profondément, et, se retournant tout d’un coup pour revenir sur ses traces, il m’aperçut à peu de distance de lui.

— Jacques, me dit-il d’une voix brève, venez ici, je vous prie, et dites-moi quelque chose que je veux savoir. Est-il vrai que M. Jean de la Roche soit vivant ? Est-il revenu dans son château par hasard ! L’avez-vous vu ?

— Je n’ai pas dit cela, répondis-je sans songer davantage à copier l’air et l’accent montagnards ; j’ai dit qu’il était vivant.

— Et qu’il n’était pas marié ? reprit le jeune homme trop préoccupé pour remarquer mon changement de ton.

— Et qu’il n’était pas marié.

— Et où est-il maintenant ? Les gens de sa maison doivent le savoir ?

— Sa vieille gouvernante le sait.

— Alors, si je vous remettais une lettre pour lui, vous iriez la lui porter tout de suite, et elle la lui ferait parvenir.

— Elle l’aura plus vite si vous la mettez à la poste.

— Y a-t-il un bureau de poste à ce hameau qu’on voit d’ici ?

— J’ai remarqué sur la route, beaucoup plus près, une boîte aux lettres.

— Eh bien, attendez, je veux écrire à l’instant même, et vous jetterez la lettre à la boîte sans que personne vous voie. Donnez-moi le nécessaire à écrire qui est dans ma sacoche.

Je fouillai dans la sacoche que j’avais sur le dos, et j’y trouvai ce qu’il demandait. Il écrivit rapidement et d’inspiration, puis il cacheta, et me demanda le nom de la gouvernante ; après quoi, il me remit le paquet. Je feignis de m’éloigner, mais je me cachai à trois pas de là et j’ouvris la lettre qui était à mon adresse sous le couvert de Catherine. Elle contenait ce peu de lignes :


« Mon cher comte, je viens de recevoir de vos nouvelles pour la première fois depuis trois ans, et je suis si heureux d’apprendre que vous êtes encore de ce monde, que je veux vous le dire tout de suite. Ne soyez pas étonné de recevoir une lettre de moi, que vous avez peut-être oublié ; mais je ne suis plus un enfant, j’ai quinze ans, et je me rappelle es bontés que vous aviez pour moi, ainsi que l’intérêt que vous preniez à ma santé. Elle est excellente maintenant, et ne donne plus d’inquiétude à mes chers parents, qui me chargent de les rappeler à vos meilleurs souvenirs. Tous trois nous avons le sincère désir de vous revoir, et j’espère que vous ne tarderez pas à revenir en France.

» Hope Butler. »

Je remarquai la prudence et la clarté de cette lettre, qui devait me rendre l’espérance sans compromettre personne. Dans le cas où j’aurais cessé d’aspirer à la main de Love, on pouvait mettre les avances que je recevais sur le compte de la simplicité d’un adolescent, et, dans tous les cas, la lettre pouvait être égarée ou montrée sans être comprise par les indifférents.

Cette généreuse et soudaine résolution me donna pourtant à réfléchir. Je craignais de la part de Hope que ce ne fût une réparation désespérée de ses fautes, suivie de quelque funeste parti pris. Je retournai près de lui pour lui dire que j’avais fait sa commission sans être vu, et que, d’après l’heure, je pensais que son père devait songer à se remettre en route. Je le trouvai calme et presque souriant. Son orgueil était satisfait. Il se leva sans rien dire et revint au hangar autour duquel M. Butler errait en consultant de l’œil tous les sentiers ; mais le pauvre père s’arma d’un flegme britannique en voyant reparaître l’enfant de ses entrailles. Hope alla droit à lui et lui tendit la main. Ils échangèrent cette étreinte de l’air de deux gentlemen qui se réconcilient après une affaire d’honneur, et il n’y eut pas un mot prononcé ; seulement, le fils disait assez, par sa physionomie fière et franche, qu’il avait tout accepté, et le père approuvait, sans descendre à remercier, tandis qu’au fond de ses yeux humides il y avait une secrète et ardente bénédiction.

Un instant je me crus le plus heureux des hommes. L’obstacle semblait aplani. Hope était au demeurant un noble esprit et un brave cœur d’enfant. Gâté par trop de tendresse ou de condescendance, il fallait que son naturel fût excellent pour s’être conservé capable d’un si grand effort après une si courte lutte contre lui-même et une si longue habitude de se croire tout permis. M. Butler, en dépit de son besoin d’atermoiements et de sa répugnance à exister dans le monde des faits moraux, était au besoin assez vif dans ses décisions, et, s’il n’était pas capable de lutter avec suite, du moins il savait trouver dans son cœur et dans sa raison des arguments assez forts pour convaincre à un moment donné. D’ailleurs, cette autorité si rarement invoquée ne devait-elle pas paraître plus imposante quand elle faisait explosion ? J’eusse donc pu voir l’avenir possible et même riant, si Love m’eût aimé ; mais elle m’aimait si peu, ou avec tant de philosophie et d’empire sur elle-même ! Sans doute elle m’avait bien peu pleuré, puisqu’une larme d’elle était si remarquée et avait paru un cas si grave à son père inquiet et à son frère jaloux ! Et moi, que de torrents de pleurs j’avais versés pour elle ! Elle était bonne fille, et ses yeux s’humectaient un peu à mon souvenir ; elle parlait de moi avec un certain intérêt, et elle n’avait pas été fâchée d’apprendre que je n’étais pas mort dans quelque désert affreux ou par quelque tempête sinistre : n’avait-elle point dit cependant à M. Louandre que, toute réflexion faite, elle se trouvait plus heureuse dans sa liberté, et que la vie n’était pas assez longue pour s’occuper de sciences naturelles et d’amour conjugal ?

Je la vis redescendre la Roche-Vendeix aussi légère qu’un oiseau. Elle avait ôté son vilain capuchon, elle avait retrouvé l’élégance et les souplesses inouïes de sa démarche, et, quand elle allait revenir près de nous, ses yeux seraient aussi purs et son sourire aussi franc que si elle n’eût rien appris sur mon compte. Devais-je poursuivre ma folle entreprise ? Ne l’avais-je pas accomplie d’ailleurs ? Ne savais-je pas ce que j’avais voulu savoir, qu’elle était toujours belle, que je l’aimais toujours, que je n’en guérirais jamais, et qu’elle n’avait pas plus changé de cœur que de figure, c’est-à-dire que je pouvais compter avec elle sur une amitié douce et loyale, mais jamais sur une passion comme celle dont j’étais dévoré ?

Je repassais mes amertumes dans mon âme inassouvie, tandis qu’elle approchait du fond du vallon, et que, du haut du chemin, je suivais tous ses mouvements. Tout à coup je la vis glisser sur l’herbe fine et mouillée du cône volcanique, se relever et s’arrêter, puis s’asseoir comme incapable de faire un pas de plus, François, qui ne l’avait pas quittée, mais qu’elle avait devancé, était déjà auprès d’elle. Hope et M. Butler, qui la regardaient aussi venir, s’élancèrent pour la rejoindre ; mais j’étais arrivé avant eux par des bonds fantastiques, au risque de me casser les deux jambes.

— Ce n’est rien, ce n’est rien, nous cria-t-elle en agitant son mouchoir et en s’efforçant de rire.

Elle ne s’était pas moins donné une entorse et souffrait horriblement, car, en voulant se forcer à marcher, elle devint pâle comme la mort et faillit s’évanouir. Je la pris dans mes bras sans consulter personne, et je la portai au ruisseau, où son père lui fit mettre le pied dans l’eau froide et courante. Il s’occupa ensuite avec Hope de déchirer les mouchoirs pour faire des ligatures, et, quand ce pauvre petit pied enflé fut pansé convenablement, je repris la blessée dans mes bras et je la portai à la voiture. C’était un étroit char à bancs du pays qui conduisait quelquefois nos voyageurs une partie de la journée par les petits chemins tracés dans les bois, et qui venait les retrouver ou les attendre à un point convenu quand ils avaient parcouru une certaine distance à vol d’oiseau. Un second char à bancs encore plus rustique était loué pour les guides, afin qu’ils pussent suivre la famille et se reposer en même temps qu’elle dans les courses de ce genre que la disposition des rares chemins praticables rendait quelquefois possibles.

Ce jour-là, nous fûmes assaillis par un orage effroyable. Longtemps escortés par un grand vautour roux dont les cris lamentables semblaient appeler la tempête, nous reçûmes toutes les cataractes du ciel sans être mouillés, vu que les bons Butler, dont la voiture était couverte, nous forcèrent de prendre leurs surtouts imperméables. François, qui fut appelé à cet effet, m’apporta le manteau de Love en me disant de sa part que, puisque j’avais eu si chaud pour la porter en remontant le vallon de la Roche-Vendeix, elle voulait me préserver d’un refroidissement.

Nous avions d’excellents petits chevaux bretons qui nous firent rapidement courir le long des rampes de la curieuse vallée de Saint-Sorgues, toute hérissée de cônes volcaniques, plus élevés et plus anciens que ceux de la route de Saint-Nectaire. Jamais je ne vis le pays si beau qu’au début de cet orage, quand la pluie commença à étendre successivement ses rideaux transparents sur les divers plans du paysage avant que le soleil rouge et menaçant eût fini de s’éteindre dans les nuées ; mais ce spectacle magique dura peu. L’averse devint si lourde et si épaisse, qu’on ne respirait plus. La foudre même ne pouvait l’éclairer, et nous courions dans un demi-jour fauve et bizarre, oppressés par l’électricité répandue dans l’air, assourdis par le tonnerre et emportés par nos intrépides poneys comme des pierres qui roulent sans savoir où elles vont. Pour moi, enveloppé du manteau de Love et tout ému encore de l’avoir sentie elle-même contre mon cœur, d’où j’essayais en vain de chasser son culte, je m’assoupissais dans une rêverie fiévreuse et sensuelle, ne me rendant plus compte de rien, et remettant au lendemain la douleur et la fatigue de réfléchir.