Jocaste (1879)

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Jocaste et [[Le Chat maigre|Le Chat maigre]]Calmann-Lévy (p. i-xvi).
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À M. CHARLES EDMOND





Cher monsieur,


J’aurais voulu vous offrir quelque récit généreux, comme vous savez si bien en faire. Jocaste, que je vous prie d’accepter, est plein de trouble et de violence. C’est une histoire scélérate, et de tous les personnages qui s’y trouvent mêlés, les meilleurs ne sont pas tout à fait purs.

J’y ai joint une petite chronique que nous nommerons, si vous voulez, Le Chat Maigre, et dans laquelle il n’y a que des fous. Un des plus puissants créateurs de ce siècle disait un jour à un homme raisonnable : « Les fous seuls m’amusent. » Puissent les miens vous divertir philosophiquement une heure, au coin de votre feu !

Combien vous fûtes mieux inspiré quand, le Jour des Morts, vous avez suivi dans quelque village d’Alsace un vieux maître d’école et un vieux forestier ! Ils portaient l’un et l’autre une couronne sur une tombe ; puis, comme ils étaient seuls au monde en ce jour de pieux souvenirs, sous un ciel sombre et agité, ils s’en allèrent souper ensemble dans la maison forestière.

Vous les avez surpris l’un et l’autre dans la robuste innocence de leur âme, et tout ce que vous avez rapporté de leurs entretiens est bon, et fait éprouver ce doux rafraîchissement — dulce refrigerium — dont parlent les marbres funéraires des premiers chrétiens de Rome.

Votre maître d’école et votre forestier, bien qu’endurcis par l’âge et les travaux de la vie, portent sans le savoir un cœur tendre et gonflé de délicieux souvenirs. Les poètes nous parlent de ces vieux chênes creux qu’habite un essaim d’abeilles et dont l’écorce rugueuse dégoutte de miel. La mémoire de votre excellent magister est pleine de naïves et touchantes histoires. Il y a surtout une petite fille dont il ne parle qu’avec ravissement, et dont il cite des mots admirables. J’en veux rapporter un pour les personnes qui liront cette lettre après vous.

« Je posai la petite à terre (c’est le maître d’école qui parle) et, la main dans la main, nous reprîmes le chemin ensemble. Force m’a été alors de lui raconter le malheur qui venait de me frapper. « Plus de fête pour aujourd’hui, ma mignonne, lui dis-je à la fin ; nous sommes en deuil. Mon frère — tu l’as bien connu, il t’aimait bien, il t’apportait des joujoux, — le voilà mort. On le déposera sous terre. Ne pleure donc pas, ma chérie ; c’est à moi seul de pleurer. Oui, il est mort. Que veux-tu ? Il faut en prendre son parti. Quant à la fête, nous la remettrons à l’année prochaine. Tu ne perdras rien à l’attendre. » L’enfant s’arrêta court, et, fixant sur moi ses grands yeux bleus effarés :

« — L’année prochaine, me dit-elle, ton frère ne sera donc plus mort ? » (Le lendemain de la Toussaint, dans la Revue alsacienne de mai 1878.)

Comme ce mot, avec sa droiture naïve et sa sublime ignorance, nous entre avant dans l’âme ! Et l’on sait à Bellevue une petite créature surnommée bien justement l’Éléphant, car elle se serait aisément cachée l’an passé dans le manchon de sa marraine, qui jette en babillant des mots d’une limpidité profonde, comme celui que vous avez si bien noté.

J’ai appris une simple histoire d’enfant que j’aurais eu plaisir à vous dédier. Mais celle-là, bien que je la connaisse dans ses plus fins détails, je ne l’écrirai jamais. Elle rappellerait en plus d’un endroit les scènes délicieuses de Blunderstone la Rookery, et mes personnages, si vrais qu’ils fussent, pâliraient et s’effaceraient comme de vaines ombres auprès des hôtes à jamais charmants du cottage de Dickens. Après tout, puisque je vous parle en ce moment, je puis bien vous dire cette histoire qui ne sera jamais écrite. La voici :


andré.


Vous avez connu le docteur Trévière. Vous vous rappelez sa large face ouverte et lumineuse et son beau regard bleu. Il avait la main et l’âme d’un grand chirurgien. On admirait sa présence d’esprit dans les circonstances difficiles. Un jour qu’il faisait à l’amphithéâtre une grave opération, le patient, à demi opéré, tomba dans une extrême faiblesse. Plus de chaleur, plus de circulation ; l’homme passait. Alors Trévière saisit à deux bras, poitrine contre poitrine, et secoua avec la puissance d’un lutteur ce corps sanglant et mutilé. Puis il reprit son scalpel et le mania avec cette audace prudente qui lui était habituelle. La circulation était rétablie, l’homme était sauvé.

En quittant le tablier, Trévière redevenait naïf et bonhomme. On aimait son gros rire. Quelques mois après l’opération que je viens de rappeler, il se fit, en essuyant son bistouri, une piqûre à laquelle il ne prit pas garde et qui lui inocula une affection purulente dont il mourut en deux jours, à l’âge de trente-trois ans. Il laissait une femme et un enfant qu’il adorait.

On voyait, tous les jours de soleil, sous les sapins du bois de Boulogne, une jeune femme en deuil qui faisait de la guipure et regardait par-dessus son aiguille un petit garçon à quatre pattes entre sa pelle, sa brouette et des petits tas de terre. C’était madame Trévière. Le soleil caressait la chaude pâleur de sa face et un trop plein de vie et d’âme s’échappait en effluves de sa poitrine, parfois oppressée, et de ses grands yeux bruns pailletés d’or. Elle couvait du regard son enfant qui, pour lui montrer les « pâtés » de terre qu’il avait faits, levait sur elle sa tête rousse et ses yeux bleus, la tête et les yeux de son père.

Il était rond et rose. Puis il s’amincit en grandissant et ses joues, tiquetées de taches de rousseur, pâlirent. Sa mère s’inquiétait. Parfois, tandis qu’il s’amusait à courir dans le bois avec ses petits camarades, s’il frôlait la chaise où elle brodait, elle le saisissait au vol, lui soulevait le menton sans rien dire, fronçait le sourcil en examinant ce visage pâlot et secouait imperceptiblement la tête, tandis qu’il reprenait sa volée. La nuit, au moindre bruit, elle se relevait et restait nu-pieds, penchée sur le petit lit. Des médecins, anciens camarades de son mari, la rassurèrent. L’enfant n’était que délicat. Mais il lui fallait la pleine campagne.

Madame Trévière fit ses malles et partit pour Brolles, où les parents de son mari étaient cultivateurs. Car vous savez que Trévière était fils de paysans et que jusqu’à douze ans il dénicha des merles en revenant de l’école.

On s’embrassa sous les jambons pendus aux solives de la salle enfumée. La mère Trévière, accroupie devant les tisons de la grande cheminée et ne lâchant pas la queue de la poêle, regardait d’un œil méfiant la Parisienne et sa bonne. Mais elle trouva le petit « bien mignon et tout le portrait de son père ». Quant au bonhomme Trévière, sec et roide dans sa veste de gros drap, il était bien content de voir son petit-fils André.

On n’avait pas fini de souper, et déjà André donnait de gros baisers à son grand-papa, dont le menton piquait, piquait. Puis, monté tout droit sur les genoux du bonhomme, il lui enfonçait le poing dans la joue, en lui demandant pourquoi c’était creux.

— Parce que je n’ai plus de dents.

— Et pourquoi tu n’as plus de dents ?

— Parce qu’elles étaient devenues noires et que je les ai semées dans le sillon pour voir s’il n’en pousserait point des blanches.

Et André riait de tout son cœur. Les joues de son grand-père, c’était bien autre chose que les joues de sa maman !

Les deux vieillards se couchèrent, selon leur coutume, dans la salle basse, sous la courtine de colonnade tendue à la poutrelle de l’escalier. La bonne de madame Trévière monta avec inquiétude, par une roide échelle, dans le grenier, où elle coucha parmi les oignons.

On avait réservé à la Parisienne et au petit la chambre d’honneur, où était le lit nuptial, dans lequel les bonnes gens n’avaient couché qu’une fois, et l’armoire de chêne, bourrée de linge, fermée à clef. La couchette qui avait autrefois servi à l’enfant de la maison avait été tirée du grenier pour le petit-fils. On l’avait dressée dans le coin le plus abrité, sous une tablette chargée de pots de confitures. Madame Trévière, en femme ordonnée, fit pour se reconnaître trente-six petits tours sur le plancher de sapin qui craquait. Mais elle eut la déception de ne découvrir aucun porte-manteau. Le plafond à poutres saillantes et les murs étaient blanchis à la chaux. Madame Trévière remarqua peu les images coloriées qui égayaient cette belle chambre ; pourtant, elle vit au-dessus du lit nuptial une gravure représentant des enfants en veste noire et en pantalon blanc, un brassard au coude, un cierge à la main, défilant dans une église gothique. Elle lut au-dessous cette formule gravée, avec les noms, date et signature remplis à la main : Je soussigné certifie que Pierre-Agénor Trévière a fait sa première communion dans l’église paroissiale de Brolles, le 15 mai 1849. Gontard, curé.

La veuve lut et poussa un soupir, un de ces soupirs de femme raisonnable et forte qui sont, avec les larmes d’amour, les plus beaux trésors de la terre. Ceux qui sont aimés ne devraient pas mourir.

Quand elle eut déshabillé André :

— Allons, lui dit-elle, fais ta prière.

Il murmura :

— Maman, je t’aime.

Et sur cette dévotion, laissant tomber sa tête et fermant les deux poings, il s’endormit en paix.

À son réveil, il découvrit la basse-cour. Surpris, émerveillé, enchanté, il vit les poules, la vache, le vieux cheval borgne et le cochon. Le cochon surtout le ravit. Et le charme dura des jours et des jours. Quand c’était l’heure du repas, on parvenait à grand’peine à le ramener, couvert de paille et de fumier, avec des toiles d’araignée dans les cheveux et du purin dans les bottines, les mains noires, les genoux écorchés, les joues roses, riant, heureux.

— Ne m’approche pas, petit monstre ! lui criait sa mère.

Et c’étaient des embrassements sans fin.

Assis devant la table sur le bord de la bancelle et mordant un énorme pilon de volaille, il avait l’air d’un petit Hercule dévorant sa massue.

Il mangeait sans s’en apercevoir, oubliait de boire et babillait :

— Maman, qu’est-ce que c’est qu’un poulet vert ?

— Cela ne peut être qu’un perroquet, répondit trop légèrement la Parisienne.

C’est ainsi qu’André fut induit à désigner par le nom de perroquets les canards de son grand-père, ce qui rendait ses récits prodigieusement obscurs.

Mais il ne s’en laissait pas facilement imposer.

— Maman, sais-tu ce que grand-père m’a dit ? Il m’a dit que c’étaient les poules qui faisaient les œufs. Mais je sais bien que non. Je sais bien que c’est le fruitier de l’avenue de Neuilly qui fait les œufs ; alors on les porte aux poules pour qu’elles les réchauffent. Car, comment veux-tu, maman, que les poules fassent des œufs, puisqu’elles n’ont pas de mains ?

Et André continua à explorer la nature. En se promenant dans la forêt avec sa maman, il éprouvait toutes les émotions de Robinson Crusoé. Un jour, tandis que la veuve, assise sous un chêne, au bord de la route, travaillait à sa guipure, il trouva une taupe. C’est très grand, une taupe. Il est vrai que celle-là était morte. Elle avait même du sang au museau. Sa maman lui cria :

— André ! veux-tu bien laisser ces horreurs... Tiens : regarde vite là, dans l’arbre.

Et il aperçut un écureuil qui sautait dans les branches. Sa maman avait raison : l’écureuil était plus joli que la taupe.

Mais il avait passé trop vite, et André demandait si les écureuils ont des ailes, quand un passant, dont la face mâle et franche était encadrée d’une belle barbe brune, tira son chapeau de paille et s’arrêta devant madame Trévière.

— Bonjour, madame ; vous vous portez bien ? Comme on se retrouve ! Voilà votre petit bonhomme ? Il est très gentil. On m’avait bien dit que vous logiez ici chez le père Trévière... Excusez-moi. Je le connais depuis si longtemps !

— Nous sommes venus ici parce que mon petit garçon avait besoin du grand air. Mais vous, monsieur, je me rappelle que vous habitiez déjà dans ces parages quand j’avais encore mon mari.

Comme la voix de la veuve s’éteignait, il reprit d’un ton grave :

— Je sais, madame.

Et, très naturellement, il inclina la tête comme pour saluer au passage le souvenir d’un grand deuil.

Puis, après un moment de silence :

— C’était le bon temps ! Que de braves gens il y avait alors, qui sont partis depuis ! Mes pauvres paysagistes ! Mon pauvre Millet ! C’est égal. Je suis resté l’ami des peintres, comme ils m’appellent tous là-bas, à Barbizon. Je les connais tous. Ce sont en général de bons enfants.

— Et votre fabrique de brosses ?

— Ma fabrique ? elle va toute seule.

André vint se jeter entre eux :

— Maman ! maman ! il y a sous une grosse pierre des bêtes au bon Dieu. Il y en a au moins un million, vrai !

— Tais-toi et va jouer, lui répondit sèchement sa mère.

L’ami des peintres reprit de sa belle voix chaude :

— Cela fait plaisir de se revoir ! Les amis me demandent bien souvent ce qu’est devenue la belle madame Trévière. Je leur dirai qu’elle est toujours et plus que jamais la belle madame Trévière. Au revoir, madame.

— Bonjour, monsieur Lassalle.

André reparut.

— Maman, est-ce que toutes les bêtes ne sont pas au bon Dieu ? Est-ce qu’il y a des bêtes au Diable ?... Maman ! tu ne me réponds pas... Pourquoi ? Et il la tira par sa jupe. Alors elle le gronda :

— André, il ne faut pas m’interrompre, quand je parle à quelqu’un. Tu m’entends ?

— Pourquoi ?

— Parce que ce n’est pas poli.

Il y eut quelques larmes qui finirent par un sourire dans des baisers. Ce fut encore une jolie journée. On voit sur les campagnes de ces ciels humides et traversés de rayons qui attristent et charment.

À quelques jours de là, par une grosse pluie, monsieur Lassalle, haut botté, fit une visite à la veuve.

— Bonjour, madame. Eh bien, père Trévière, plus solide que jamais ?...

— Le coffre est encore bon, mais les jambes ne valent plus rien.

— Et vous, la mère ? toujours le nez sur la marmite, donc ? Vous goûtez la soupe. C’est d’une bonne cuisinière.

Et ses rudes familiarités faisaient sourire la vieille, dont les prunelles pétillaient entre les pommettes ridées.

Il prit André sur ses genoux et lui pinça les joues. Mais l’enfant se dégagea brusquement et alla enfourcher les jambes de son grand-père.

— Tu es le cheval. Je suis le postillon. Hue !... Plus fort, plus fort !...

La visite se passa sans que la veuve et le visiteur eussent échangé quatre paroles, mais leurs regards avaient plusieurs fois croisé des lueurs, comme ces éclairs qui jaillissent entre ciel et terre dans les chaudes nuits d’été.

— Papa, est-ce que vous connaissez beaucoup ce monsieur ? demanda la jeune femme, avec un air d’indifférence.

— Je le connaissais avant qu’il portât culottes. Et qu’est-ce qui ne connaissait pas son père dans le pays ? De braves gens tout à fait, tout francs et tout ronds. Ils ont du bien. Monsieur Philippe... (nous l’appelons monsieur Philippe) n’emploie pas moins de soixante ouvriers dans son usine.

André crut le moment venu d’exprimer son sentiment :

— Il est vilain, le monsieur, dit-il.

Sa maman lui répondit vivement que, s’il ne parlait que pour dire des sottises, il ferait mieux de se taire.

Depuis lors, le hasard voulut que madame Trévière rencontrât monsieur Lassalle à tous les tournants des routes.

Et la maman d’André devenait inquiète, distraite, songeuse. Elle tressaillait au bruit du vent dans les feuilles. Elle oubliait sa guipure commencée et prenait l’habitude de soutenir son menton dans le creux de sa main.

Un soir d’automne, tandis qu’une grande tempête, venue de la mer, passait avec de longs hurlements sur la maison du père Trévière et sur toute la contrée, la veuve eut hâte de renvoyer la bonne qui faisait le feu et de coucher André. Pendant qu’elle lui tirait ses bas de laine et qu’elle tâtait à pleines mains les petits pieds froids, lui, écoutant les grondements sourds du vent et les tintements de la pluie contre les vitres, noua ses deux bras sur le cou de sa mère penchée.

— Maman, dit-il, j’ai peur. C’est bon d’avoir peur. Je suis bien. Je nage.

Nager était, dans son langage habituel, la plus forte expression du plaisir.

Mais elle, en lui donnant un baiser :

— Ne t’agite pas ; dors, mon chéri.

Puis elle alla s’asseoir près du feu et lut une lettre. À mesure qu’elle lisait, ses joues se coloraient ; un souffle chaud lui montait de la poitrine. Et, quand elle eut fini de lire, elle resta étendue dans son fauteuil, les mains inertes et l’âme perdue dans un rêve.

Elle songeait :

— Il m’aime ; il est si bon, si franc, si honnête ! Les soirées d’hiver sont bien tristes quand on est seule. Il s’est montré si délicat avec moi ! Certainement il a beaucoup de cœur. J’en vois la preuve, rien qu’à la manière dont il m’a fait sa demande.

Alors ses yeux rencontrèrent la gravure de la première communion. Je soussigné certifie que Pierre-Agénor Trévière...

Elle baissa les yeux. Puis elle songea de nouveau :

— Une femme ne sait pas bien élever toute seule un garçon... André aura un père.

— Maman !

Cet appel, sorti du petit lit, la fit tressaillir.

—Que me veux-tu, André ? Tu es bien agité ce soir !

— Maman, je pensais à une chose.

— Au lieu de dormir... À laquelle ?

— Papa est mort, n’est-ce pas ?

— Oui, mon pauvre enfant.

— Alors il ne reviendra plus ?

— Hélas ! non, mon chéri.

— Eh bien, maman, c’est bien heureux que papa soit mort. Parce que je t’aime tant, vois-tu, maman ? tant, que je t’aime pour tous les deux. Et, s’il revenait, je ne pourrais plus l’aimer du tout.

Elle le considéra quelque temps avec inquiétude et retomba dans le fauteuil, où elle resta immobile, la tête dans les mains.

Il y avait déjà plus de deux heures que l’enfant dormait aux bruits de la tempête quand, s’étant approchée de lui, elle soupira tout bas :

— Dors ! il ne reviendra pas. Dors ! il ne reviendra pas.

Il ne reviendra pas. M. Lassalle n’a plus d’espoir. Sa demande a été repoussée. Le soir, dans sa chambre décorée de paysages et de natures mortes, les pieds sur les chenets, il songe, en bourrant sa pipe et en remuant son grog, que les soirs d’hiver sont bien tristes, quand on est seul. Il n’a pas revu la veuve ; mais quand les amis lui demandent ce qu’elle est devenue, il répond courageusement, avec une belle humeur qui recouvre un chagrin profond :

— C’est toujours et plus que jamais la belle madame Trévière.


Voilà en quelques traits l’histoire que je n’écrirai pas. Elle est vraie. Recevez, faute de mieux, celles que j’ai écrites, je ne sais trop comment ni pourquoi. Le conteur est comme cette amie du vieux poète Mellin de Sainct-Gelais, qui avait plus de lunes en la tête qu’il n’y a de barques à Venise. J’avais assurément une lune rousse dans le cerveau quand je rédigeai, d’après des témoignages authentiques, le récit dont le titre, Jocaste, est dû à une circonstance à la fois très simple et très singulière. Quant à la lune du Chat Maigre, c’est celle qui se lève toute rouge sur les gouttières de Paris. Celle-là est sans terreurs et n’a rien de mystérieux. Je vous prie de recevoir ces deux récits comme un faible témoignage de gratitude et d’affection.

A. F.