Jocelyn/Notes de Jocelyn/Note cinquième

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Chez l’auteur (Œuvres complètes de Lamartine, tome 4p. 467-489).

NOTE CINQUIÈME

(QUATRIÈME ÉPOQUE. — Page 193.)

La neige qui fondait au tact du rayon rosé,
Avant d’aller blanchir les pentes qu’elle arrose…

À l’époque de la première publication de Jocelyn, quelques critiques bienveillants accusèrent mes descriptions alpestres de la grotte des Aigles de transfigurer la nature. Ils me soupçonnaient d’avoir doré de trop de soleil, et surchargé de végétations luxuriantes et fantastiques comme des arabesques, le cadre de cet épisode de mon poëme. J’ai lu depuis un récit de voyage dans les montagnes du Dauphiné, publié quelques années après par M. A. Le Clerc ; et il se trouve que les notes et les croquis du touriste sont, pour ainsi dire, les dessins au trait de mes paysages. Je place ici ce large et pittoresque panorama, comme le daguerréotype et le plan en relief de mon tableau.


I

« Il n’est pas de pays dont on parle plus et qu’on connaisse moins que le Dauphiné. Dédaigneux des richesses que nous possédons, nous courons sans cesse après les biens que nous n’avons pas. Un voyage en Italie ou en Suisse forme le complément presque obligé de toute éducation de jeune homme ; mais personne ne s’est encore avisé de penser qu’en France il pouvait y avoir et il y avait d’aussi belles montagnes, des sites aussi remarquables et aussi dignes d’admiration et de curiosité, que ceux de la Suisse. De cela personne ne s’en doute, et les habitants de Grenoble l’ignorent peut-être eux-mêmes. La partie basse du pays est parfois seule parcourue par quelques rares visiteurs qui, ayant à dépenser dans leur course une somme indéfinie de temps, s’inquiètent peu, pour se rendre à Genève, de prendre la route plus courte de la Bresse, ou d’allonger le chemin par les traverses du Dauphiné. N’oublions pas non plus, dans le petit nombre des visiteurs du Dauphiné, les quelques hommes oisifs qui ont toujours à leur service une petite indisposition qui leur conseille d’aller se retremper dans le Styx des eaux minérales d’Aix en Savoie, ou, selon le côté vers lequel a tourné la girouette de leur malade imagination, leur dit de prendre les eaux d’Ariége ou d’Allevard. Puis comptons encore quelques familles d’Anglais nomades, voyageurs par système, coureurs de grandes routes par économie, promenant par toute l’Europe leur spleen, leur faux amour d’antiquités ; passant aujourd’hui en Dauphiné par hasard, comme hier ils traversaient la Savoie, comme demain ils seront sur la route du Nord ou sur celle du Midi ; car ils vont droit devant eux, sans but et sans destination, tant que la route déploie un ruban à parcourir. Mais cette espèce de visiteurs, comme toutes les autres, se borne à explorer l’intérieur d’une ville, à musarder autour de la statue d’une place, à flâner dans une église dont l’apparence est plus ou moins gothique, à bâiller en voulant déchiffrer une inscription d’un vieux tumulus ; elle se borne à côtoyer la partie littorale du Dauphiné, mais se donne garde de s’aventurer vers les rochers des Alpes. Il est vrai de dire que tous n’ont pas, pour tenter ces diverses excursions, les mêmes motifs que ceux qui me décidèrent pour la première fois à les essayer. Ces raisons se trouvent contenues dans une petite anecdote que je n’oserais raconter, si préalablement je ne demandais, en faveur de la brièveté et de l’intention, pardon au lecteur de m’être mis en scène.

» Un soir, on jouait sur le théâtre de Lyon un drame en trois actes et en prose, de ma composition. Le sujet, si larmoyant que je l’avais pu choisir, n’excita d’abord qu’un intérêt assez faible ; mais comme je n’étais pas d’une nature très-exigeante, je me contentai pendant longtemps des applaudissements que quelques amis dévoués dépensaient assez généreusement en ma faveur. Mais, à la fin du deuxième acte, un malencontreux acteur manqua son entrée ; le public s’impatienta, et moi, perdant la tête et croyant déjà entendre une bordée outrageuse de sifflets, je sortis précipitamment, pour me dérober à ce que, dans mon innocence, je n’étais pas encore habitué à regarder comme un simple inconvénient, et j’allai me renfermer chez moi plein d’angoisses, et dévorant d’abondantes larmes. J’étais là depuis une heure, lorsque je m’entendis appeler par mon nom. C’était un de mes bons amis qui m’avait le plus servi à la représentation de ma pièce, et qui, voyant ma cause désespérée, accourait me faire accepter des consolations, et m’offrir de venir passer quelques jours avec lui dans un château en Dauphiné, qu’habitait alors sa famille. Je me décidai sur-le-champ, et, sans prévenir ma mère autrement que par un petit mot d’écrit, nous montâmes en voiture, et, quelques secondes après, nous courions sur la route de Lyon à Grenoble.

» La route fut d’abord assez triste ; peu à peu ces idées se dissipèrent : je me voyais libre sous un beau ciel, avec un beau paysage autour de moi, bien que toutefois il ne m’apparût qu’à la clarté d’une belle lune ; en sorte que lorsque nous arrivâmes à Voiron, petite ville à quatre lieues environ de Grenoble, j’avais déjà entièrement oublié ce qui venait de se passer.

» Le lendemain de très-grand matin je fus éveillé par un grand bruit de chevaux qui piaffaient dans la cour du château. C’étaient quelques-uns de nos anciens camarades de collége retirés à Voiron, qui, instruits par mon hôte de notre arrivée, me ménageaient la singulière surprise d’une excursion dans les montagnes qui séparent le Dauphiné de la Savoie. Je me hâtai de me lever, et, tout compte fait, nous nous trouvâmes rassemblés au nombre de dix, bien dispos, pleins d’ardeur, et prêts à tenter la conquête du monde. Six étaient à cheval ; les quatre autres étaient admirablement placés dans une calèche, et paraissaient les rois de la fête. Nous traversâmes Voiron à la grande surprise de la foule, qui nous regardait passer sans comprendre rien à cette ovation inaccoutumée. J’admirai au galop sa place, au milieu de laquelle s’étend une verte pelouse où jouent de beaux enfants, et entourée de gracieuses allées d’arbres, sous le berceau desquels s’agite à la nuit tombante la foule des promeneurs ; j’admirai sa fontaine tapissée de mousse, et gardée à ses quatre angles par quatre naïades en pierre blanche, qui découvrent leurs urnes pour laisser l’eau s’échapper dans le bassin ; et, bientôt emportés par nos cavaliers, qui se souciaient peu de s’arrêter longtemps devant ces objets qu’ils voyaient chaque jour, nous arrivâmes vers la partie haute de la ville, appelée la Halle. C’est là le berceau de Voiron. D’abord c’est un petit village auquel on n’ose encore donner un nom, et que tient emprisonné le comte de Sermorent ; puis il devient un petit bourg ; il s’agrandit de jour en jour, il se pare à la moderne, il lutte avec sa seigneurie ; puis enfin, secouant tout à fait le joug, il s’affranchit du vasselage, déclare la guerre à Sermorent, s’en rend maître, et le réduit à n’être que son satellite et son faubourg.

» En continuant à monter par une rue pierreuse, nous trouvâmes, comme dernière limite à la ville de Voiron, la petite église des Pénitents. C’est celle que la population tient en la plus grande estime ; aussi, malgré l’empressement de mes compagnons de route, qui se souciaient peu de s’y arrêter, j’insistai, et j’obtins quelques minutes pour la visiter. L’église des Pénitents est encore, à cette heure, d’une simplicité qui approche de l’indigence : tout ce qui sert au culte est en bois et en argile, non sans doute qu’elle n’eût pu avec le temps se parer d’or et d’argent ; mais elle préfère garder la première pauvreté qui fut la dot du Christ sur la terre, et elle aime mieux conserver par là le souvenir de sa première existence. Tout pourtant s’y trouve d’une admirable propreté : les chaises sont en paille grossière, et leurs bras sont d’un bois blanc sur lequel on croirait difficilement que le ciseau de l’ouvrier a pu passer, tant il paraît brut ; mais, à voir sa blancheur, on dirait qu’il vient seulement d’être dépouillé de son écorce ; les stalles du chœur de l’église reluisent comme le buffet d’une ménagère ; les tableaux, plus que modestes, qui, de distance en distance, marquent autour de l’édifice les diverses stations de la croix, étalent dans tout leur brillant le peu d’or de leurs cadres. On voit enfin que c’est la charité et l’humilité, et non l’ostentation, qui ont fait les frais de la chapelle.

» On me laissa le temps nécessaire pour tout voir, tout examiner, et je profitai de la permission ; car cette petite église que je visitais pour la première fois avait déjà toutes mes sympathies. Enfin, nous sortîmes pour continuer notre excursion. Je me laissai guider par mes compagnons à travers un long corridor qui nous ouvrit un passage dans un sentier très-étroit, où deux ou trois personnes auraient eu peine à passer de front. Je cherchai des yeux la grande route, elle avait disparu. Devant nous se dressait une haute montagne dont la tête nue et escarpée paraissait, sinon impossible, du moins très-difficile à gravir, même par le plus intrépide chasseur de chamois. Au-dessous de nous, en revanche, un immense précipice qu’entr’ouvrait, autant que la vue pouvait s’étendre, un rocher à angles tantôt rentrants et tantôt saillants. Plus de chemins, plus de maisons, plus de chevaux : tout avait disparu. Ma surprise était extrême.

» — Eh bien ! qu’as-tu donc à regarder ce gouffre ? me crie-t-on de toutes parts. Ce n’est pas de ce côté, je pense, que tu veux diriger tes pas ? Vois-tu sur la crête de ce roc ce sapin que l’œil peut à peine distinguer d’ici ? Dans deux heures, il faut que nous l’embrassions ; car c’est sous son ombrage que nous dresserons la table du déjeuner.

» — Soit, repris-je, essayant de faire bonne contenance, mais visiblement déconcerté de voir m’échapper la bonne calèche qui m’avait voituré jusque-là ; marchons, messieurs !

» — Marcher ! non pas : à cheval et en voiture !

» Mon étonnement redoublait, et je cherchais en vain les moyens de cheminer dans les flancs d’une montagne qui paraissait si ardue, avec un attirail qui comportait toute la latitude d’une grande route ; et j’allais témoigner mon incrédulité, lorsque mon attention fut surprise par la vue d’une petite éminence qu’on me montra à quelques pas de l’endroit où nous nous trouvions.

» — Eh bien ! quoi de nouveau ? m’écriai-je.

» — Il y a, s’écria notre discoureur en chef, celui à qui avait été conféré, à l’unanimité, le droit de prendre la parole toutes les fois que, sur notre route, il se présenterait quelques chroniques ou légendes à raconter ou à expliquer, il y a que ce lieu s’appelle la Pointe du Prophète, et voici pourquoi : À peu près vers l’an 80 du siècle dernier, un ermite y avait construit sa cabane ; ses jours et ses nuits s’y passaient dans la contemplation et la prière, et, dans tout le pays, il était révéré comme un homme d’une grande sainteté. Un jour de fête, que quelques familles s’étaient rendues près de lui pour lui demander des prières et lui porter le pain et les racines qui faisaient sa nourriture, elles le trouvèrent en extase sur la pointe du roc, les bras croisés sur sa poitrine, et les yeux levés vers le ciel. Elles ne voulurent pas le distraire de sa contemplation, et, s’agenouillant, elles attendirent qu’il vînt de lui-même vers elles. Tout à coup un rayon de lumière sembla descendre du ciel et s’arrêter sur sa tête ; une force toute-puissante l’enleva de terre et le soutint suspendu, puis sa bouche s’ouvrit ; et l’ermite, se tournant de leur côté, laissa échapper quelques paroles qui prédisaient très-distinctement la révolution qui devait éclater en France quelques années après. Lorsqu’il eut fini, sa couronne de lumière s’éclipsa, et, la force miraculeuse qui le soutenait venant à le lâcher, il tomba dans le précipice. Saisies de frayeur, les familles prièrent longtemps prosternées à la même place, puis elles allèrent à la recherche du corps du saint ermite ; mais il leur fut impossible d’en découvrir les moindres traces. Elles descendirent alors à la ville, et racontèrent le prodige dont elles venaient d’être témoins. Une procession s’organisa bientôt pour consacrer ce grand événement, et chaque année la foule se porta avec une grande dévotion vers la Pointe du Prophète, jusqu’à ce que la révolution prédite vint interrompre le cours de ce pieux pèlerinage. Voici la légende.

» En écoutant ce récit, nous avions fait insensiblement quelques pas. Lorsqu’il fut terminé : En voiture ! à cheval ! s’écrièrent nos compagnons. Je crus que je continuais à être victime de la même plaisanterie, car je ne voyais ni voiture ni chevaux ; lorsqu’en me retournant je m’aperçus que quelques pas avaient suffi pour changer complètement notre situation topographique : je me trouvai au milieu d’une grande route royale creusée au milieu du roc, et à deux pas de nous je vis nos chevaux et notre calèche qui nous attendaient patiemment.

» Notre course commençait admirablement ; le temps était superbe, la montée était lente et presque imperceptible ; le paysage nous offrait au loin, couchées le long de la montagne, et comme étagées les unes sur les autres, des plaines de vignes d’où parfois s’échappait la tête blanche d’un cerisier en fleur, ou la couronne rose d’un pêcher. Nous égayions la route par des épigrammes sur toutes les burlesques enseignes des cabarets disposés sur le chemin comme par étapes, ou même sur celles qui se contentaient de la formule habituelle : Ici on donne à boire et à manger. Sanglante ironie pour le malheureux qui chemine sans sou ni maille, et qui serait si bien disposé à profiter de l’obligeante hospitalité qui semble lui être offerte. Notre discoureur en chef, qui avait sa tête meublée de toutes les chroniques du pays, ne laissait passer aucun château, aucune masure, sans avoir quelque chose à nous apprendre sur leur compte. Devant nous, disait-il, ce roc coiffé d’un casque et qui semble nous regarder porte le nom de Tête-de-Minerve. On a cru que la déesse des arts et de la guerre, lorsqu’elle sortit tout armée du cerveau de son père Jupiter, trouva l’hospitalité dans une grotte de cette montagne, et que, reconnaissante, la déesse lui donna sa ressemblance. Plus loin, cette aspérité simule une tour, et présente vers ses extrémités une bordure qui l’entoure dans toute sa circonférence. Vous croiriez une galerie tracée par le ciseau autour de l’escarpement du roc, et ouverte aux pas curieux des visiteurs. La légende nous a transmis que sur cette espèce de chemin une jeune fille poursuivie par un Sarrasin, et ne voyant plus aucun moyen de lui échapper, se jeta à genoux, et pria la Vierge de la soustraire aux violences de son oppresseur. Soudain derrière elle un grand bruit se fit entendre : l’endroit de la galerie que franchissait le Sarrasin, et qui ne le séparait plus de la jeune fille que de quelques pas, venait de se détacher, et avait précipité le ravisseur dans l’abîme. Ce lieu est célèbre dans le pays, et tout le monde montre avec piété ce que, dans son idiome original, il appelle le Pertuis du Sarrasin.

» Ainsi, cheminant de chroniques en chroniques, nous arrivâmes au petit village de Saint-Étienne de Crossey, à l’entrée duquel les deux montagnes se resserrent et s’arrondissent, comme pour figurer deux obélisques. Le village s’assied sur une espèce d’amphithéâtre dont les pieds se baignent dans un étang qui y entretient pendant l’été une délicieuse fraîcheur. La vue se promène au loin librement sur de fertiles campagnes. Ce lieu était bien tentant pour y construire sa tente et s’y reposer, mais il fut décidé que nous ne nous arrêterions qu’arrivés à la grotte de Saint-Étienne ; et comme la route qui nous restait encore à faire allait avoir lieu jusqu’à notre destination en gravissant le rocher, nous descendîmes de voiture et de chevaux, et nous cheminâmes par un petit sentier perdu au milieu d’un grand bois de pins.

» Il y avait à peine une demi-heure que nous marchions, lorsque, le bois cessant tout à coup, nous nous trouvâmes sur une roche à nu, ou du moins sur laquelle on n’apercevait à intervalle que quelques bruyères croissant çà et là dans les crevasses ; puis nous vîmes à nos pieds, sortant sans bruit d’un interstice du rocher, une source d’eaux minérales, savonneuses, blanchâtres, et en assez grande abondance. Cette eau, que nous goûtâmes avec précaution, a une odeur sulfureuse très-prononcée ; elle est tiède, et présente une saveur très-âcre ; mais, soit à cause de son isolement dans les montagnes, soit à cause de l’abondance des eaux minérales dans le département de l’Isère, la science ne s’est pas même occupée à rechercher les propriétés qu’elle pourrait avoir, et a dédaigné de faire des expériences. Toutefois, il nous a semblé qu’on n’avait pas toujours montré la même indifférence pour ces eaux, et que, dans un temps reculé, on les avait utilisées ; car, à quelques pas de la source, on voit encore quelques pans de murailles lourdes et massives, et qui semblent remonter au temps des conquêtes romaines. Nous n’y trouvâmes rien, il est vrai, qui nous conduisît à penser que ces ruines fussent autrefois des thermes ; mais la position de la maison nous parut trop voisine de la source pour ne pas croire que la première fut pour quelque chose dans l’existence de la seconde.

» Après quelques moments donnés à l’inspection de ces lieux, nous continuâmes notre route. Le sol que nous foulions à cette heure avait complètement changé de nature : autant celui que nous parcourions quelques moments auparavant était commode, animé, luxuriant de végétation, agréable à l’œil par la beauté et la variété de sa production, autant celui-ci était sauvage, difficile, inhospitalier. Rien n’y accusait la présence d’un être animé : à peine de loin en loin quelques bouquets de rhododendrum se présentaient à nous ; pas un oiseau ne volait dans l’air ; pas un cri, pas un bruit ne se faisait entendre ; le chamois lui-même, cet hôte si abondant des montagnes du Dauphiné, avait déserté cette solitude. Notre course, du reste, ne s’effectuait pas sans danger. Pour tout chemin, nous n’avions que d’énormes pierres détachées de la montagne commune, que nous gravissions une à une, et sur laquelle, avant de nous y risquer complètement, nous assurions nos pas, de crainte que la pierre, venant à se détacher, ne nous entraînât avec elle dans l’abîme que nous pouvions voir ouvert au-dessous de nous. Aussi, pendant tout le temps que dura cette rude ascension, le silence le plus complet régna entre nous. Nous ne songions plus à rire, plus à égayer la longueur du chemin par des chansons ; c’est à peine si parfois un œil furtif, se détachant timidement du bloc de pierre qui allait être gravi, osait s’aventurer à une petite distance, et s’arrêter quelques secondes sur les accidents curieusement bizarres de la montagne.

» Enfin nous arrivâmes au pied d’un demi-rocher ; c’était là le but de notre course. À peu près à la hauteur d’un premier étage, dans les flancs de la pierre, on voyait une crevasse assez étroite pour faire douter à première vue qu’un homme, même des plus minces, y pût pénétrer. C’était la porte de la grotte pour laquelle nous avions fait une si longue et si périlleuse route.

» Restait à trouver un moyen de pénétrer dans la grotte, et j’avoue que je me déclarais tout à fait incompétent pour le découvrir. Mais bientôt je fus tiré de mon embarras en voyant agir mes compagnons. Ils commencèrent à dévider une longue couronne de fortes cordes ; puis quand ils furent venus à bout de ce premier travail, l’un d’eux, s’en saisissant par une de ses extrémités, la lança violemment et avec justesse contre la crevasse. La corde, ainsi jetée, alla se prendre dans un anneau de fer auquel je n’avais pas pris garde, et qui était vissé solidement dans la pierre ; quand elle retomba, elle était retenue par son milieu dans l’anneau, et nous offrait ainsi, pour faire le siége de la grotte, un moyen sinon bien commode, du moins à peu près praticable ; il ne s’agissait que de se hisser par elle jusqu’à la hauteur de la brèche. Celui qui avait lancé la corde, et qui n’en était pas à son coup d’essai, nous montra le chemin, et bientôt l’épreuve avait complètement réussi : nous étions tous dans les flancs de la grotte, dont l’entrée, qui m’avait paru si étroite, sembla s’agrandir pour nous livrer passage.

» La grotte est divisée en deux étages bien distincts ; on pénètre dans le second au moyen d’une espèce de trappe à laquelle conduisent plusieurs énormes pierres simulant des escaliers. Chaque étage se compose lui-même d’une grande chambre et d’une plus petite. De longues poutres en bois, qui les traversent dans toute leur longueur, indiquent que la nature n’a pas seule travaillé à la création de cette grotte, et que la main des hommes, dans un temps qu’il est impossible d’assigner d’une manière fixe, lui est venue en aide. Des tronçons d’armes et d’outils en fer, ainsi que quelques vases en poterie de forme grossière, ont aussi été trouvés dans ces lieux, et témoignent qu’ils ont été pour un homme, pour une famille peut-être, un refuge au moins momentané. Que ce fait ait eu lieu à une époque bien reculée, que cette grotte ait été la retraite d’un habitant de Cularo fuyant la domination romaine, ou s’abritant contre la prescription d’un proconsul, ou bien qu’il se soit passé dans le temps plus rapproché des guerres de religion, c’est ce que personne ne saurait dire ; et le champ si vaste des suppositions reste ouvert à tout le monde. Les parois de la grotte sont très-unies, et en somme elle n’offre rien de remarquable, si ce n’est son étendue, sa distribution, et l’abri qu’elle offre contre l’humidité. Les pluies de la montagne ne vont pas jusqu’à elle. Après l’avoir longuement examinée sous toutes ses faces et dans toutes ses parties, nous revînmes à l’entrée, d’où nous vîmes, au pied de la montagne et tout près de nous, une autre grotte entièrement faite de la main des hommes ; c’est celle par laquelle Napoléon fit passer la grande route qui conduit de France en Savoie ; elle a un quart de lieue de long, et s’appelle la grotte des Échelles. Nous formâmes le projet d’aller la voir le lendemain. La faim nous pressait ; nous nous hâtâmes de descendre par le même chemin qui nous avait amenés, c’est-à-dire que nous nous laissâmes glisser le long de la corde jusqu’au pied de la montagne, ce qui me sembla beaucoup plus facile que pour monter. Enfin nous reprîmes la route de Saint-Étienne de Crossey, où j’espérais me reposer de la fatigue que m’avait occasionnée cette longue course, dont je n’avais pas l’habitude. Mais mes compagnons n’en avaient pas décidé ainsi. Il me fallut encore gravir pendant un quart d’heure un coteau dans la partie haute du village. Là enfin, au pied d’un arbre bien touffu, je vis une table qu’on dressait, et sur laquelle on disposait dix couverts.

» — Nous t’avions bien dit, me cria-t-on, que nous déjeunerions au pied de l’arbre que tu pouvais à peine distinguer de l’église des Pénitents : eh bien ! cet arbre, le voici, et il ne tient qu’à toi de l’embrasser.

» — Si vous voulez parler plus juste, fis-je en m’attablant, dites donc, je vous prie : Que nous dînerions.

» Trois heures sonnaient au clocher de l’église de Saint-Étienne.


II


» En sortant de Grenoble par la porte Saint-Laurent, comme pour donner l’éveil à l’attention du touriste, et pour l’initier subitement aux magnificences du coup d’œil dont il va être le spectateur, on trouve une route large et commode, au pied de laquelle descend une haute montagne toute hérissée de bastions, de meurtrières et de forteresses, pendant que de l’autre côté s’étend une immense vallée, verte d’arbres et de prairies, qui semble prendre plaisir à suivre les contours et les sinuosités de la rivière, et puiser, en s’y baignant, une inaltérable fécondité. L’Isère est une rivière toute de caprice ; elle ne ressemble pas à la Saône, molle et paresseuse, qui a l’air de faire sa route comme une femme surprise et épuisée par la fatigue. Ce n’est pas non plus le Rhône impétueux et fier, qui hennit comme un coursier sous l’éperon ; encore moins la Seine inoffensive et dormante, et qui ne se réveille de son somme que lorsqu’une crue extraordinaire a tout à coup enflé ses eaux. Mais c’est tout cela tour à tour : ses flots, lents et sablonneux, à quelques lieues plus haut deviennent clairs et rapides, limpides comme du cristal, et fougueux comme les vagues brisées d’un torrent. Il y a un charme infini dans les accidents apportés au paysage par les fantaisies de cette rivière ; elle se lance à droite et à gauche, elle se projette en arc à travers la plaine, ondoie comme un serpent, ou se précipite droit devant elle comme un jouteur pressé d’arriver.

» Les montagnes qui la regardent passer, avec leurs cimes couronnées de neige et leurs riantes collines, sont, dans ce large paysage, comme dans un tableau d’intérieur une aïeule aux cheveux blancs, qui accorde un sourire aux jeux de ses petits-enfants. Ces montagnes sont des merveilles de contraste et de beauté. La chaîne qui se prolonge à droite de la rivière semble avoir subi de violentes et anciennes catastrophes. À tout moment elle vous apparaît au détour de la route ou dans l’enfoncement de la plaine, pêle-mêle avec ses rochers, ses forêts et ses cascades. La chaîne entière est taillée à pic vers la cime, et ressemble à une immense et colossale muraille hérissée de créneaux. Celle de la rive opposée n’a pas de rochers à son sommet ; le terrain ondule et se développe en mamelons jusqu’à la crête. De distance en distance, le terrain s’enfonce en entonnoir pour l’écoulement des eaux de la montagne ; et, dans les temps de pluie et à la fonte des neiges, tous ces entonnoirs sont occupés par des torrents qui regorgent dans l’Isère. Les flancs des montagnes sont couverts de champs, de prairies et de vignes ; les hauteurs sont vêtues d’immenses forêts. À la fin de l’automne, ces forêts ressemblent assez bien à des peaux tigrées : le noir sapin se détache vivement sur un fond jaune, et la blancheur des trembles contraste avec les tons sombres du mélèze. Çà et là, du haut des pins gigantesques, tombent des cascades qui se détachent des rochers et se répandent en pluie dans les airs. Quelquefois vous entendez les gémissements de l’eau qui frappe contre la pierre, et vous ne savez où la trouver : ce sont des torrents qui coulent dans des abîmes cachés.

» La première fois que l’on voyage dans un pays de montagnes, ou quand on y revient après une longue absence, on ressent une émotion que je ne saurais mieux comparer qu’à une première impression de la musique. La nature des pays de plaines est sourde et muette ; rien n’y répond au cœur, rien n’y est sympathique à l’âme, rien ne vous satisfait. Ici vous avez une nature vivante, pleine de luxe et de puissance ; une nature que vous comprenez, qui vous entend et vous répond. Il se fait autour de vous un bruit mystérieux et mélancolique : les sapins résonnent comme l’orgue au moindre souffle de l’air ; le vent soupire dans les bois ou pleure sur la montagne ; le murmure de la rivière monte jusqu’à vous, et se mêle à l’harmonie universelle ; les torrents s’épanchent avec de grandes clameurs ; puis toutes ces voix répétées, condensées, prolongées par les échos, meurent et renaissent éternellement. Il y a là toute une vie d’impressions austères et passionnées. Un orage s’élève-t-il, ce n’est plus simplement une brutale dévastation, c’est un spectacle des plus grandioses dont vous prenez votre part. Le tonnerre éclate : il se fait un chœur funèbre dans les échos, dont le dernier bruit se prolonge et s’éteint, semblable au cri d’un homme tombant dans un précipice. Les rochers eux-mêmes ne sont plus des masses inertes et sans vie : à voir passer sur leurs fronts les nuages qui se croisent avec violence, vous diriez ces chefs puissants qui, du haut d’une éminence, assistent aux batailles où se jouent leurs empires, et qui en règlent les mouvements. Les cascades élèvent la voix, les cavernes et les forêts laissent échapper des hurlements profonds, le vent souffle sur les eaux : si, au milieu de la tempête, vous jetez votre voix, elle résonne dans la vallée comme un vase métallique. Tout semble, nous l’avons dit déjà, parler et répondre : tantôt c’est le gouffre des avalanches que l’on entend, tantôt c’est la forêt, tantôt l’ouragan de la montagne, tantôt le clapotement de la rivière.

» J’avais l’intention de rester plusieurs jours dans les montagnes : aussi, quoique nous fussions loin encore de l’ouverture de la chasse, j’endossai les vêtements commodes du chasseur, et un fusil pour tirer aux oiseaux de proie. Il était presque nuit lorsque j’arrivai à la Buissière, petit village à six lieues de Grenoble. Je me préparai à y passer la nuit, et à faire mon ascension au Granier. Je remplis donc mon carnier de provisions, et ma gourde du meilleur vin que je pus trouver ; puis je m’enquis du soin d’avoir un guide. À mon grand étonnement, il me fut impossible d’en trouver un, soit que les habitants du village ne connussent pas la montagne, ce qui est fort possible, car, comme je l’ai dit, le Dauphiné est peu exploré, et plus inconnu encore de ceux qui l’habitent que des rares visiteurs que le hasard y conduit ; soit qu’il n’y eût pas d’individus assez pauvres pour faire ce métier. J’étais décidé à m’aventurer tout seul à travers les rochers et les précipices, lorsqu’un bûcheron, qui devait aller le lendemain couper du bois dans les forêts de la Chartreuse, ayant su mon embarras, me fit proposer de faire la route ensemble : il va sans dire que j’acceptai avec joie.

» Le lendemain matin à quatre heures, nous étions sur pied. Mon compagnon de voyage me fit l’effet d’un bon et joyeux homme qui ne faisait pas mentir le proverbe : Rusé comme un Dauphinois. Quoique paysan, il avait un certain degré d’instruction ; sa conversation, moitié en patois, moitié en français, avait un tour d’originalité qui ne laissait pas que d’être piquante ; aussi nous nous mîmes à l’aise tout d’abord l’un vis-à-vis de l’autre, et au bout d’un quart d’heure nous étions de vieilles connaissances. Pour faire comme lui, j’avalai quelques verres de clairette, et nous nous mîmes à marcher, accompagnés de deux robustes chiens dont il avait l’habitude de se faire suivre dans ces sortes d’excursions.

» Notre chemin fut d’abord très-facile : c’était une route assez large, et ombragée par de hauts châtaigniers d’une fraîcheur exquise ; puis le sentier devint plus rapide et plus tendu, puis enfin nous le vîmes se dresser presque perpendiculairement devant nous. Après une marche forcée de trois heures, nous étions arrivés à une très-grande hauteur au-dessus d’un abîme au bas duquel nous entendions mugir un torrent. Nous avions à traverser un défilé étroit par un chemin de deux pieds de large, creusé dans les flancs d’un rocher à pic. C’était notre seul passage pour traverser un gouffre si profond que l’œil à peine pouvait en mesurer la fin.

» Nous voici au pas de l’Alpette, me dit mon compagnon de route. Et ici je demanderai au lecteur pardon de ne pas conserver intégralement la naïveté d’expression et de langage de sa conversation : la faute en est uniquement à ma mémoire ; mais si j’altère forcément ses mots, je suis sûr du moins de conserver le véritable sens de ses paroles.

» — Prenez-garde, me dit-il, aux séductions de l’abîme. Les montagnes ont aussi leurs sirènes, plus redoutables que celles de la mer, car c’est aux yeux qu’elles s’adressent.

» — Soyez tranquille, lui dis-je en riant, essayant de me convaincre moi-même de mes forces, et de me donner une contenance d’audace que j’étais bien loin d’avoir : mes yeux soutiendraient au besoin le regard du basilic.

» — Ne plaisantez pas, reprit-il en laissant échapper un tout bénin juron dont l’écho s’empara, et qu’il répéta pendant quelques secondes : il n’y a pas huit jours qu’un jeune homme a été pris de vertige à dix pas de l’endroit où nous sommes, et s’est laissé tomber dans le précipice. Portez vos yeux sur le rocher à droite, et donnez-moi la main ; quand nous aurons franchi ce pas, vous regarderez, si cela vous est agréable.

» N’ayant rien de mieux à faire, je me rendis : je pris sa main et le suivis.

» Il faut l’avoir éprouvé pour savoir tout ce qu’il y a d’âcre et de piquante volupté dans cet horrible danger qu’on court ainsi pour son plaisir, dans ce téméraire passage sur un précipice de deux mille pieds de profondeur, lorsqu’un vertige ou un faux pas peut vous le faire mesurer la tête la première. Quelques brouillards confus obscurcissaient encore les premières clartés du jour, et le demi-crépuscule qui se prolongeait étendant un rideau de brume sur le précipice le rendait encore plus affreux ; il le remplissait d’ombres fantastiques, de figures bizarres qui tourbillonnaient et se confondaient dans une mêlée générale, lorsque le vent jetait quelques nuages fuyards entre elle et la terre.

» Je tenais la main de mon guide, et je le suivais en m’appuyant aux rochers de l’autre main comme un aveugle le long d’un mur, et j’attachais mes yeux à quelques touffes de genièvre qui croissaient dans un des interstices de la roche, et je cherchais à éloigner mes regards de l’abîme ; mais à peine eus-je fait une vingtaine de pas, qu’oublieux du danger, je me laissai aller à la distraction, et instinctivement mes yeux descendirent jusqu’au fond du gouffre. Au même instant, j’éprouvai l’émotion la plus étrange que j’aie jamais ressentie : je ne l’oublierai jamais. Mon cœur se troubla et battit avec force, mes jambes tremblèrent, toutes mes pensées se perdirent comme dans un nuage, et je n’éprouvai plus rien, sinon cette incroyable et sauvage volupté qui s’empare de tout votre être dans ces songes où il semble qu’une force surnaturelle vous emporte dans l’air, et vous laisse retomber à travers un espace qui ne finit jamais. Mon compagnon, qui s’aperçut à temps de ce qui m’arrivait, me secoua vivement le bras, et m’arracha ainsi aux fascinations de l’abîme. Quand nous eûmes traversé cet épouvantable défilé, nous nous assîmes un moment sous un mélèze pour nous reposer. Nous avions devant nous la magnifique vallée de l’Isère, qui s’élargissait à cet endroit comme une immense arène dont les Alpes étaient l’amphithéâtre. Dans un coin du ciel, un pan de lune se montrait encore ; puis le soleil crevant le brouillard commençait à rendre la brume moins épaisse, et à travers les échappées laissait venir à nous quelques rayons encore pâles et tièdes qui riaient sur nos vêtements, imprégnés d’humidité se résolvant en petits flocons de fumée qui fuyaient dans l’air. La nature semblait vouloir se réveiller de son engourdissement : aucun bruit d’être vivant ne se faisait entendre ; seuls le lointain murmure de la rivière et les hurlements de la cascade venaient à nous. Et ces bruits vagues et non interrompus, chantant toujours la même gamme et sur le même ton, semblaient la première respiration de la nature sortant des bras du sommeil. En présence des grandes scènes qui se déroulaient à mes pieds avec une mystérieuse et sauvage solennité à cette heure du jour, mon cœur fut saisi d’une émotion profonde et soudaine qui me sollicitait invinciblement à la prière et à l’adoration. Tandis que mon compagnon, qui avait entendu ses chiens aboyer dans un ravin, se portait au débouché d’un bois de chênes, j’étais presque involontairement tombé à genoux, et je m’écriais : « Mon Dieu, que vous êtes grand et que votre terre est belle ! » Dans mon ravissement, je ne cessais, bien que je ne les aperçusse que très-indistinctement à travers un reste de brouillard, de regarder alternativement les montagnes, la rivière, les arbres, et d’écouter le bruit d’un léger vent s’engouffrant dans les sapins, et de l’eau courant s’engloutir dans les précipices.

» Toutes les amertumes de ma vie avaient fui de ma pensée dans ce solennel moment : les secrètes tortures de ma pensée, les labeurs et les angoisses de mon âme sur la terre de ce siècle aride ; tout ce que j’avais souffert, ou plutôt tout ce que je croyais avoir souffert du monde, de la science et de moi-même ; ces châtiments terribles de l’incontinence de l’esprit pour tout ce qui est mystère (et peut-on faire un pas sans en rencontrer ? peut-on étendre la main sans que le doute vienne l’étreindre, sans que le découragement et l’amertume viennent nous assaillir, et nous fermer le passage ?) ; toutes ces luttes que je soutenais comme Jacob avec une ombre ; ces douleurs que je voulais fuir par le voyage, par l’exercice et la fatigue du corps, tout avait disparu. J’avais laissé mon fardeau au bas de la montagne, et mon cœur devenait léger à mesure que j’approchais du ciel. Quels que soient les agitations et les tourments des destinées de l’homme, il est rare qu’il ne trouve pas dans la nature, lorsqu’il la cherche dans la nature, une voix amie qui le console, une voix qui d’abord semble se plaindre avec lui, se mêler au murmure de sa douleur, puis qui l’apaise, le berce et l’endort dans des rêves de calme et de bonheur.

» Mon âme donc était consolée, et il me semblait que cette voix de la nature me parlait :

» Enfant, me disait-elle, vous vous laissez aller à désespérer de vous-même : avec l’intuition du bien et du beau, avec le fréquent désir de ceindre votre tête de la méritante couronne de justice, la force manque à vos bonnes résolutions : le chemin est difficile, et à sa vue la lassitude s’empare de vous, la chaleur du jour vous abat, vous ployez sous le moindre fardeau, ou plutôt vous vous refusez à la moindre activité, sous prétexte que le faix dépasse vos forces. Vous différez le combat, parce que, aidé d’une expérience malheureuse, vous vous plaisez à vous persuader qu’une déplorable fatalité vous ménage une sûre défaite. Voilà pourquoi vous êtes malheureux ! La tempête gronde autour de votre barque, mais un mot de vous peut charmer les flots et conjurer l’orage ; et pourtant la parole attendue ne sort pas de votre bouche. Votre instinct victorieux d’inactivité vous cloue sur votre siége comme sur une croix, et la volonté, qui un moment veut élever la voix, expire dans votre poitrine. L’athlète qui se prépare à la lutte s’exerce longtemps à l’avance par la gymnastique à assouplir son corps, par la sobriété à l’endurcir et à le rendre ferme comme un roc ; et quand l’heure est venue, il s’oint d’une huile fortifiante, et, sûr de lui-même, s’avance dans l’arène bouillant de courage. Vous, vous essayeriez bien la lutte ; mais la fatigue des préparatifs vous épouvante. Vous savez que vous vous égarez dans une fausse voie, mais la crainte d’un changement de route vous glace, et, plutôt que de revenir sur vos pas, vous force à persévérer dans votre erreur. Vous préférez croire que vous êtes emporté sans retour possible dans un cercle vicieux de pensées et d’habitudes coupables ; et, pour vous persuader à vous-même que la pente vous entraîne irrévocablement, vous feuilletez le passé, et vous vous arrêtez avec amour sur toutes les pages où vous lisez une trace de défaite. Enfant, vous vous exagérez votre faiblesse et vous calomniez votre force. Vous combattez le découragement à armes égales, et vous ne vous apercevez pas que c’est un ennemi qu’il faut vaincre par la ruse. Employez vos heures, forcez votre vie à l’activité, fatiguez votre corps et votre esprit, priez, priez ; et le fantôme s’en ira, et vous ne le verrez plus se pencher sur votre chevet dans vos insomnies, vous ne l’entendrez plus parler à votre malade imagination dans les heures enflammées du jour. »


» Je ne sais en vérité combien de temps aurait duré ce singulier monologue, ou, pour mieux dire, ce dialogue de ma pensée avec une autre pensée invisible et inconnue, si mon compagnon de route, que je n’avais pas entendu s’approcher, ne m’eût, tout à coup tiré de ma rêverie :

» — Eh bien ! eh bien, mon jeune ami, s’écria-t-il de toute la plénitude de sa voix, qui alla se répercuter dans les flancs de la montagne, dormons-nous ? Vous en avez tout l’air. Je vous préviens que ce n’est pas le moment. Est-ce déjà la fatigue qui vous cloue ainsi à cette place ? À votre âge, j’aurais arpenté quarante montagnes comme celle-ci. Nous avons du chemin à faire : en route !…

» Sensible au reproche de fatigue qui venait de m’être adressé, je m’étais élancé, tout prêt à prouver mon courage et l’excellence de mon jarret à celui qui en paraissait douter, et je répétai après lui : En route !

» Toutefois, je ne pus me décider à me mettre en route sans donner un dernier regard au spectacle que j’avais sous les yeux. Le jour était venu complétement, et le soleil, tombant d’aplomb sur la montagne, avait balayé le reste de la brume qui flottait sur ses flancs. Non, je n’ai rien vu d’aussi beau, d’aussi admirable, d’aussi surprenant, d’aussi ravissant, comme dirait madame de Sévigné. Sur ma tête, des rocs, surmontée eux-mêmes d’autres têtes de rocs qui semblent, aux yeux de l’homme, une succession d’échelons pour arriver à la Divinité. Sous mes pieds un sol calcaire et nu, sur lequel le moindre brin d’herbe n’aurait pu trouver la terre suffisante à nourrir sa racine. À mesure que le regard descendait des hauteurs de la montagne et s’abaissait dans la plaine, un paysage des plus variés se déroulait sous nos yeux. Devant nous, des campagnes luxuriantes, des prairies immenses développant un long tapis de verdure, ou des plaines autant que la vue pouvait s’étendre, étalant une pelouse de fleurs blanches du sarrasin ; les arbres qui les entourent, les fossés qui les ceignent, forment le cadre du tableau, au milieu duquel l’Isère, tantôt fière, fougueuse et précipitant ses eaux, tantôt calme et paisible, et recevant le tribut des ondes de tous les cours d’eau qui descendent de la montagne, comme une reine recevrait l’hommage et les soins de ses tributaires. De loin en loin s’élèvent quelques petits villages, dont les cheminées matinales laissent sortir une épaisse fumée qui s’envole en tourbillons grisâtres. De l’autre côté de l’Isère, la plaine semble brusquement interrompue par de nouvelles montagnes qui, semblables à celles sur laquelle nous nous étions abandonnés à l’aventure, étalent dans le bas et presque au sortir du sol tout le luxe d’une fécondité inaltérable, et qui peut suffire à tous les désirs, à tous les besoins de ses habitants, tandis que le front de la montagne nue et calcinée, dépouillé de sa chevelure d’arbres, semble un géant découronné, et sur lequel la foudre a laissé son signe terrible de malédiction. Pendant dix mois de l’année, la montagne est couverte d’une neige tellement épaisse et intense, que les rayons du plus chaud soleil semblent avoir peu d’empire sur elle ; en sorte qu’il lui faut de grands mois pour parvenir à la fondre, et à la faire couler en torrents le long des entonnoirs de la montagne. Mais il arrive toujours que lorsque ce résultat est obtenu, l’hiver, de son côté, est revenu, ramenant de nouveau le froid, la neige, les glaces, en sorte que la tête de la montagne reprend sa couronne blanche, qu’elle n’a presque pas eu le temps de quitter. C’est, du reste, un admirable contraste et du plus merveilleux effet, que cette neige du haut et cette verdure dans le bas.

» Mon compagnon de voyage, en me faisant remarquer ce qui passait sous nos yeux, en me disant le nom des villages que nous apercevions dans le lointain comme au travers d’un verre magique, en me racontant les chroniques dont sa tête était meublée, appela mon attention sur une ruine située précisément en face de nous, sur un double mamelon superposé : elle consistait en un pan de muraille droite sur le premier mamelon, en un second pan de forme arrondie, figurant un reste de vieille tour, sur le second mamelon ; et quand j’eus regardé sans rien trouver qui tînt ma curiosité bien éveillée, il se chargea de le faire, et n’eut besoin que de dire ce seul mot : Ceci est le château Bayard.

» Ce lieu jadis célèbre, et qui mériterait de l’être encore à tant de titres, était un pèlerinage où l’on venait des contrées les plus éloignées honorer le berceau du chevalier auquel la postérité a conservé le beau nom de chevalier sans peur et sans reproche. Mais les révolutions, qui ne respectent rien, qui s’acharnent sur tout ce qui est grand et beau, sur tout ce qui est d’un noble exemple de fidélité et d’honneur, n’ont pas respecté le vieux manoir : celui qui s’était constitué le gardien et le dépositaire de ce précieux legs, à défaut d’héritier direct, qui avait consacré sa fortune à la noble mission de réparer les ravages que le temps avait faits au monument, celui-là a été proscrit, et obligé de discontinuer la noble tâche qu’il avait entreprise. Depuis ce temps, où l’on a vu vendre à l’encan les meubles qui servaient au noble chevalier, depuis ce temps l’édifice, attaqué plutôt par l’indifférence que par la vieillesse, s’en est allé fragments par fragments, sans que personne ait jamais rien fait, rien tenté pour arrêter sa ruine ; et le vent qui bat la montagne emporte chaque jour une pierre du vieux donjon, qu’elle roule, comme une feuille flétrie et détachée de l’arbre, au milieu du monceau commun.

» Hélas ! hélas ! tout meurt, tout s’en va ! hommes et châteaux, grands hommes qui ont fait la gloire de la France, châteaux qui s’étaient donné le mandat de perpétuer cette gloire ! Enfants ingrats et sceptiques, nous sommes indifférents à tout. Puisque nous ne pouvons empêcher la mort et la dissolution de passer sur nous et d’éclaircir nos rangs, ne devrions-nous pas au moins apporter tous nos efforts, tous nos soins, à conserver les œuvres de nos pères, tout ce qui les rappelle à nous, tout ce qu’ils ont aimé, tout ce qui a été une part d’eux-mêmes ? Mais, loin de là, les châteaux, de nos jours, sont une puissance vaincue ; et, comme les Gaulois nos aïeux sous les murs de Rome, nous répétons la terrible maxime : Væ victis ! Qui nous dira maintenant quelles seront les bornes de ces fureurs ou tout au moins de cette indifférence ?

» Voici donc tout ce qui reste de l’antique château bâti par Pierre Terrail iii, et d’où sont sortis tous ces nobles rejetons qui portaient dans leurs armes une fleur de lis d’or, et écrivaient sur leurs écus : Prouesse et loyauté ! hommes de guerre et d’Église, valeureux et pieux, qui se résument dans le dernier d’entre eux, celui qui eut l’honneur de sacrer chevalier un roi de France, Pierre Bayard du Terrail. Voici tout ce qui reste, un double pan de muraille ! Encore quelques jours, et tout aura disparu, et il n’en restera plus trace. Peut-être, dans quelques siècles, les chroniqueurs indécis engageront un tournoi de paroles pour chercher à connaître la véritable position de l’ancien château que tout le monde délaisse aujourd’hui. Nous nous trompons : ce lieu a, dans le pays, une grande renommée, et la possession de ce terrain est un objet d’envie pour tous les propriétaires des environs, car c’est là que se récolte le meilleur vin

» Notre première journée d’exploration se passa presque tout entière à voir, à admirer les points de vue que nous avions sous les yeux. Mon compagnon en vain m’excitait à nous remettre en route, me disant qu’il voulait arriver le lendemain au village de Saint-Pierre de Chartreuse ; mais là n’était pas mon compte. Je n’avais pas entrepris cette longue et périlleuse course pour me voir si tôt ravir ce que j’étais allé chercher si loin et au péril de mes jarrets. Enfin je le priai tant, qu’il accorda toute cette journée à ce qu’il appelait mon enfantine admiration, et il fut convenu qu’il arriverait un jour plus tard au couvent, où du reste je m’engageai à me rendre avec lui. Nous étions déjà d’inséparables amis. Ce qui me plaisait en lui, c’est qu’il avait toujours quelque chose à me montrer, toujours quelque chose à me faire espérer, à me faire désirer. Rien pour lui n’avait atteint la perfection, le sublime idéal ; il y avait toujours quelque chose de mieux à voir. C’est ainsi qu’il jetait son flegmatique sang-froid au milieu de toutes mes paroles, de tous mes mouvements d’admiration ; qu’il m’arrêtait dans tout ce que je disais, qu’il coupait court à toutes mes rêveries. C’est ainsi qu’il me disait sans cesse : Ce n’est rien encore ; plus loin vous verrez !

» Après avoir fait notre premier repas de la journée, sans compter, il est vrai, les quelques verres de clairette que nous avions avalés à la Buissière, je sentis tout à coup sa main qui me frappait sur l’épaule, et j’entendis sa voix qui me disait :

» — Eh bien ! que faisons-nous là ? notre journée est-elle terminée ? allons-nous coucher ici ?

» — Et dans quel lieu irons-nous qui lui soit préférable ? lui dis-je.

» — Oh ! oh ! vous n’avez rien vu encore : nos montagnes sont comme ces livres qu’il faut lire et relire sans cesse, si l’on veut parvenir à en saisir et à en comprendre toutes les beautés. Voyez-vous, mon jeune ami, croyez-en mon expérience : moi qui traverse ces rocs six fois au moins par année, j’ai appris qu’il fallait les visiter en tous sens, les voir en toutes saisons, à toute heure du jour et de la nuit, dans leur ensemble et dans leurs détails, pour pouvoir en apprécier les mille séductions. Allons, courage ! nous voici bientôt sur le dernier sommet de la montagne.

» Nous marchons encore quelques heures, et nous atteignons enfin le point le plus élevé de la dent du Granier. Sur ces entrefaites, la nuit était venue, elle avait considérablement rafraîchi l’atmosphère, et il régnait une bise aiguë sur la montagne. Nous assemblons quelques broussailles, nous les couvrons de jeunes sapins que nous sommes parvenus à faire rompre en nous suspendant à leurs cimes, et nous allumons un grand feu ou plutôt un incendie qui tourbillonne au gré de tous les vents.

» À la lueur et à la chaleur bienfaisante de ce large foyer, nous nous asseyons par terre, et, comme nous avions grande faim, nous demandons à nos carniers les provisions, et à nos gourdes le vin et les liqueurs que nous leur avons confiés. Je ne me souviens pas d’avoir jamais fait un festin pareil ; jamais perdreau truffé ne fut dévoré avec plus d’appétit que nos maigres volailles, et jamais vin qui a fait trois fois le voyage des Indes ne vaudra la piquette qui fit avec nous l’ascension du Granier.

» La lune s’était couchée sur ces entrefaites ; adieu les paysages, les perspectives ! Je jetai les yeux de tous côtés en soupirant ; je ne voyais plus rien que les ténèbres. Nous n’entendions plus que confusément les clameurs de la cascade et les grondements de la rivière. Les cris des chouettes et des hiboux interrompaient seuls le silence de la nuit. Tout dort, excepté vous, oiseaux de mauvais augure ! Vous êtes comme les pensées du désespoir, comme les soucis de l’envie et du remords ; vous attendez la nuit pour élever la voix, afin qu’aucun bruit étranger à vous ne vous empêche d’être entendus. Mais aujourd’hui, voix de malheur, criez aussi haut qu’il vous plaira ; je n’ai pas le temps de vous écouter. Bonsoir, je vais dormir.

» En finissant cette harangue tant soit peu grotesque, j’étendis mon manteau par terre, tout près du feu. Mon compagnon en fit autant, et nous nous endormîmes d’un sommeil profond.

» Nous dormions depuis un certain nombre d’heures, lorsque nous fûmes réveillés par des coups de fusil qui détonnèrent avec grand bruit dans les échos de la montagne. Je mis le nez hors de mon manteau, et je vis mon camarade de lit se lever à demi et regarder avec inquiétude.

» — Qu’est-ce que cela ? demandai-je.

» — Des contrebandiers, peut-être ! répondit-il.

» Nous avions à peine échangé ces mots, que nous entendîmes comme des cris tumultueux, puis les aboiements d’une meute nombreuse.

» — C’est une battue au loup, me dit-il ; j’en appris hier le projet au village d’Entremont.

» — Ah ! vous avez des loups ? fis-je avec beaucoup de curiosité.

» — Quelques-uns, dans les hauteurs.

» — J’en suis bien aise.

» — Bah ! et pourquoi ?

» — Par la raison assez simple que je n’en ai jamais vu, et que je serais fort satisfait de pouvoir me convaincre par moi-même de leur existence.

» — En ce cas, me répondit mon nouvel ami, le hasard vous sert à merveille. La preuve que vous demandez va déboucher par le ravin, selon toute apparence : attention…! La voilà, me dit-il en me montrant du doigt un quadrupède qui sortit assez gravement d’un bois voisin. Armez votre fusil, et attendez de pouvoir tirer presque à bout portant.

» Je m’adossai à un arbre et j’attendis. L’animal vint droit au-devant de moi, je me troublai, et je déchargeai mon fusil sur lui qu’il était encore à vingt pas de distance. Je le blessai légèrement. Il s’élança contre moi furieux et en poussant des hurlements terribles ; je sautai sur mes pistolets, que j’avais laissés à mes côtés ; et, me retournant brusquement, je me trouvai face à face avec mon adversaire. Nous nous apprêtâmes à notre duel étrange, et nous en étions à ce moment où les combattants ont l’habitude de se saluer avec l’épée avant d’engager la lutte, lorsque mon compagnon, qui était notre seul témoin, termina tout à coup notre querelle par une balle qui étendit mon loup mort à mes pieds.

» — Croirez-vous à l’existence des loups maintenant ? me dit-il en s’approchant de moi.

» — Je n’ai plus de raison pour en douter, lui répondis-je en lui tendant la main. Mais je crois à votre adresse plus encore qu’aux loups, s’il est possible. Vous m’avez évité une rude besogne.

» ........ Malgré tout le temps consumé à cette expédition, nous n’étions encore qu’au crépuscule. J’avais grande envie de voir de nouveau lever le soleil. Un lever de soleil est chose si neuve pour un paresseux de mon espèce ! J’avais lu autrefois dans les Mille et une Nuits, je crois, une magnifique description de l’aurore, et je m’étais longtemps persuadé que le soleil ne se levait que dans l’imagination de la bonne sultane Scheherazade pour ses génies aux cheveux d’or, ses fées aux doux yeux, et pour ses beaux princes dont le visage est inondé de lumière et la chevelure ruisselante de pierreries.

» Je gravis donc le haut point de la côte, et, m’asseyant au pied d’un hêtre, je me laissai aller à la contemplation des scènes si grandes et si nouvelles pour moi que j’avais sous les yeux. Je pouvais, de la hauteur où je me trouvais, embrasser d’un regard le plus vaste et le plus riche paysage. D’un côté, la vallée ou plutôt l’immense plaine du Rhône, sur le revers le bassin de l’Isère, et sur le troisième flanc de la montagne les collines et les vallons qui entourent la petite ville de Chambéry. Où arrêterai-je mes regards ? Là, l’immensité d’une plaine que les brouillards naissants du matin font ressembler à la mer ; ici, la sonore et magnifique vallée de Graisivaudan, qui va sourire au premier rayon du soleil ; là-bas, les collines ondoyantes, les clochers qui percent le feuillage, et le lac du Bourget encore enveloppé dans son manteau de sombres vapeurs. — La nature est belle, mais elle est froide encore, et son sommeil ressemble à la mort, tant elle dort profondément. Aucun souffle ne balance la cime des forêts ; les eaux ont perdu leurs murmures sonores ; le brouillard dort immobile sur toutes les plaines ; les oiseaux ne chantent pas encore. Ainsi calme et silencieuse, la nature est comme la statue de Pygmalion, elle n’attend plus que le souffle qui doit lui donner la vie !

» Mais l’orient commence à s’embraser, un ruban de feu court sur la montagne ; puis voilà l’astre éternel qui sort radieux de son lit de nuages. Le rayon céleste descend sur la terre, et voilà que la terre se réveille dans un cantique d’amour. Les oiseaux secouent leurs ailes en chantant, l’aigle s’élance vers la lumière qu’il aime, les brouillards des hauteurs s’écoulent comme des torrents, les bruits de la plaine montent jusqu’à nous, les troupeaux élèvent la voix du sein des prairies : n’entendez-vous pas les amoureuses élégies du rossignol et les tendres soupirs de la fauvette ? les passereaux promènent d’arbre en arbre leurs voluptés bruyantes, et l’alouette s’échappe dans l’air avec des cris de joie. Tout s’éveille dans des transports d’amour ; l’hymne universel éclate de toutes parts ; le désert s’est animé. Les rayons du soleil ont touché la statue, et Memnon s’est mis à chanter ! »

A. Le Clerc.