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Chez l’auteur (Œuvres complètes de Lamartine, tome 4p. 523-530).

NOTE TREIZIÈME

(NEUVIÈME ÉPOQUE. — Page 402.)

Celles-là, décrivant des cercles sans compas,
Après avoir passé, ne repasseront pas.
Du firmament entier la page intarissable
Ne renfermerait pas le chiffre incalculable
Des siècles qui seront écoulés jusqu’au jour
Où leur orbite immense aura fermé son tour.

Les comètes, considérées par la plupart des philosophes anciens comme de simples météores, sont des astres véritables, circulant autour du Soleil, d’après des lois semblables à celles qui régissent les mouvements planétaires ; seulement, leurs orbites, au lieu d’être presque circulaires comme celles des planètes, sont des ellipses extrêmement allongées pour le plus grand nombre, et dont le Soleil occupe toujours un des foyers.

Nous trouvons, dans l’article de la Revue britannique déjà cité, un passage curieux relatif aux comètes ; mais, avant de le transcrire ici, nous croyons nécessaire de faire connaître quelques notions préliminaires sur les comètes, notions empruntées aux célèbres notices scientifiques de M. F. Arago, insérées dans l’Annuaire du Bureau des Longitudes.


» Comète, d’après l’étymologie du mot, veut dire étoile chevelue.

» Le point lumineux plus ou moins éclatant qui s’aperçoit au centre d’une comète s’appelle le noyau.

» La nébulosité, le brouillard, l’espèce d’auréole lumineuse qui entoure le noyau de tout côté porte le nom de chevelure.

» Le noyau et la chevelure réunis forment la tête de la comète.

» Les traînées lumineuses plus ou moins longues dont la plupart des comètes sont accompagnées, quelle que soit d’ailleurs leur situation relativement à la route suivie par ces astres, s’appellent maintenant leurs queues.

» Tout astre chevelu qui se transportait successivement dans diverses constellations était désigné, chez les anciens, par le nom de comète. Les astronomes modernes appelleraient de même, malgré l’étymologie, un astre qui pourrait n’avoir ni queue ni chevelure. À leurs yeux, les comètes ont pour caractères distinctifs : 1o d’être douées d’un mouvement propre ; 2o de parcourir dans l’espace des courbes tellement allongées, de se transporter, dans certaines parties de leur course, à de si grandes distances de la Terre, qu’elles cessent alors d’être visibles.

» Le mouvement propre distingue les comètes de ces étoiles nouvelles dont l’histoire de l’astronomie fait mention, et qui, après s’être montrées tout à coup dans certaines constellations, s’y éteignent sans avoir changé de place.

» La forme extrêmement allongée de leurs orbites établit aussi entre elles et les planètes une ligne de démarcation également tranchée.

» Le Soleil occupe toujours un des foyers de l’orbite elliptique de chaque comète.

» Le sommet de l’ellipse le plus voisin du Soleil s’appelle le périhélie ; l’autre sommet prend le nom d’aphélie. »


« Six comètes à courtes périodes circulent autour du Soleil. Chacune d’elles se fait remarquer par quelque particularité. La comète d’Encke, dont les perturbations ont fourni le moyen de déterminer avec plus de précision la masse de Mercure, emploie environ mille deux cent quatre jours à terminer sa révolution. À chaque nouveau retour, cette période est raccourcie par la résistance de l’éther, qui diminue la vitesse de la comète ; il en résulte que, sa distance au Soleil devenant plus petite, la durée de sa révolution se raccourcit. Avant que ce fait eût été constaté, on regardait l’espace comme vide ; mais l’existence d’un fluide éthéré a été confirmée par la diminution que la même cause a fait éprouver à la révolution de la comète de Biéla, dont la durée est de six ans trois quarts. Toutefois, la diminution opérée dans la révolution de cette comète, qui circule entre la Terre et Jupiter, n’est que la moitié de celle qu’a éprouvée la comète d’Encke, qui accomplit son cours entre Pallas et Mercure. Il faut donc que la densité du fluide éthéré augmente à l’approche du Soleil. Avec le temps, l’affluence attractive de Jupiter, puissante cause de tant de perturbations, modifiera les orbites de ces comètes.

» En 1846, la comète de Biéla se montra double, au grand étonnement des observateurs. Quelle a pu être la cause de cette division ? C’est un mystère qu’on n’a pas su pénétrer. Quoi qu’il en soit, les astres jumeaux ont cheminé de conserve, leurs queues dirigées parallèlement, et leurs têtes réunies par un arc lumineux. Leurs noyaux étaient séparés par un intervalle un peu moindre que les deux tiers du rayon de l’orbite lunaire, environ soixante-trois mille cinq cents lieues. La nouvelle tête parut sombre d’abord ; mais elle grandit tellement en diamètre et en éclat, qu’elle égala bientôt la tête primitive, et la surpassa même d’un tiers par sa lumière. En outre, elle laissa voir près de son centre un point lumineux, brillant comme un diamant, et dont l’éclat semblait redoubler de temps en temps ; cependant elle redevint sombre peu à peu. On s’assura que la durée de sa période surpassait celle de sa compagne d’un peu plus de huit jours. Ceci indique qu’elles se sépareront tout à fait.

» En novembre 1843, M. Faye découvrit une comète dont la période est d’environ huit ans. On la prit pour celle que Lexell avait vue en 1770, à laquelle il avait calculé une période de cinq ans et demi ; mais M. Le Verrier a montré qu’il n’en était rien. De tous les corps compris dans le système solaire, la comète de Lexell est celui qui a éprouvé le plus de dérangement dans sa marche par l’action perturbatrice de Jupiter ; aussi la forme de son orbite a été changée plusieurs fois. Avant 1770, on ne voyait pas cette comète ; l’attraction de Jupiter la rendit visible ; mais cette même attraction, agissant plus tard en sens contraire, a de nouveau changé la forme de son orbite, de telle sorte qu’elle n’est plus revenue dans notre système. On ne peut donc pas la faire entrer dans la liste des comètes à courtes périodes.

» M. Brorsen, de Kiel, a découvert, le 26 février 1846, une comète dont la période est d’un peu plus de cinq ans et demi, et qui a probablement éprouvé autant de dérangement que celle de Lexell. Le 20 mai de la même année, elle s’approcha de Jupiter presque aussi près que son satellite. À ce degré de rapprochement, l’attraction de Jupiter a été dix fois plus grande que celle du Soleil ; en conséquence, l’orbite de la comète aura dû éprouver un changement considérable.

» Une autre comète périodique, trouvée à Rome par le père De Vico le 22 août 1844, sera probablement écartée de sa route par la même cause. Celle que M. Péters découvrit à Naples le 26 juin 1846 reviendra vraisemblablement à son périhélie en 1862, car sa période est de seize ans ; toutefois, il reste de l’incertitude sur les éléments de son orbite. C’est la force attractive de Jupiter qui a appelé dans notre système les comètes de Lexell, de Faye et de Vico. M. Le Verrier a calculé que les deux dernières y sont restées plus d’un siècle ; que, pendant ce temps, elles se sont souvent approchées de la Terre assez près pour avoir pu être aperçues. Pareille chose arriverait difficilement aujourd’hui, que tant d’observateurs sont constamment occupés à épier les comètes et les autres phénomènes célestes.

» Il y a six autres comètes, à plus longues périodes, dont on est fondé à espérer le retour. Après une révolution de soixante-seize ans et huit mois, la célèbre comète de Halley est revenue à son périhélie au temps assigné par le calcul, à peu de jours près. C’est pour l’astronomie un triomphe d’autant plus grand, que Neptune était alors inconnu et la masse d’Uranus mal déterminée. La comète découverte par Olbers en 1815 se meut dans une orbite moindre que celle de Halley, car elle revient dans notre système après soixante-quatorze pans. La quatrième comète à grande période, trouvée par le père De Vico en 1846, a certainement une orbite elliptique. Cependant les périodes obtenues pour cet astre, par les calculateurs, varient de cinquante-cinq à quatre-vingt-dix-neuf ans. Deux autres de ces comètes, récemment observées par M. Brorsen, reviendront certainement à leur périhélie, l’une en cinq cents ans, l’autre après huit cents ; il reste encore des doutes sur l’exactitude de cette dernière période. La comète de 1596 se rapproche tellement de celle de juin 1845, que M. d’Arrest a pensé que c’était un seul et même astre, accomplissant autour du Soleil une période de deux cent quarante-neuf ans. S’il faut s’en rapporter aux calculs de M. Argelander, l’orbite de la grande comète de 1811 serait énorme, car sa période s’étendrait à trois mille soixante-six ans.

» La comète de 1262 paraît être identique avec celle de 1556. On peut, en conséquence, en espérer le retour cette année même (1850). À la première de ces époques, elle fut observée en Chine ; l’historien chinois en parle comme d’une merveille : l’étendue de sa queue dépassait 100°.

» Ce fut à Vienne qu’on en vit la seconde apparition, sous le règne de Charles-Quint. Cette fois elle avait perdu de sa magnificence ; peut-être, à son prochain retour, sa splendeur se trouvera-t-elle complétement évanouie ; mais ce retour aura-t-il lieu ? Qui sait, en effet, ce que peut éprouver de dérangement un astre errant, à ce point qu’il s’éloigne du Soleil à une distance double de celle de Neptune ? Les perturbations des comètes pourront révéler aux générations futures l’existence de corps relégués hors de toute portée de la vue humaine, dans les plages immenses et inaccessibles qui séparent le Soleil du firmament étoilé. De toutes les comètes à longues périodes, celle de Halley est la seule dont la révolution soit suffisamment connue pour nous fournir de semblables enseignements ; toutefois, ses excursions dans l’espace sont comparativement restreintes.

» Les observations de la comète de Halley forment une des parties les plus intéressantes de l’admirable ouvrage de sir John Herschel sur les nébuleuses de l’hémisphère austral. Lorsque, le 28 octobre 1837, il vit cette comète au cap de Bonne-Espérance, elle différait peu d’une étoile de la troisième grandeur à peine munie d’une queue. Mais, le soir du 29, elle avait revêtu une apparence nouvelle et singulière : son noyau, petit, brillant, fortement condensé, était coiffé, du côté du Soleil, d’un étroit croissant qui émettait une lueur nébuleuse et formait un arc de 90°, dont la convexité était tournée vers le Soleil, et la concavité vers le noyau de la comète. À partir de cet instant, elle reprit l’aspect ordinaire de ces sortes d’astres. Quand elle eut franchi son périhélie, rien de plus surprenant que le changement total qui s’effectua. Sa tête, vivement accusée, ressemblait, suivant sir John, à la lueur d’une lampe d’Argand transmise par une enveloppe de verre dépoli. Dans l’intérieur se voyait quelque chose de lumineux qui offrait en miniature la configuration d’une comète, ayant à part une tête, un noyau, et une queue beaucoup plus brillante que la tête. Le tout était enveloppé par la chevelure, qui, comme de coutume, allait se fondre avec la queue.

» D’innombrables étoiles de toutes grandeurs se voyaient, de temps à autre, à travers la tête de cette comète ; quelques-unes étaient très-rapprochées du noyau. On n’eut jamais lieu de penser que leur lumière eût disparu pendant qu’elles le traversaient.

» Ce que cette comète offrit de plus particulièrement remarquable, ce fut l’étonnante rapidité avec laquelle ses dimensions s’accrurent. Le 25 janvier 1838, la tête, sans y comprendre la chevelure, avait grandi dans le rapport de cinq à six ; vingt-quatre heures plus tard, son volume était plus que doublé ; on pourrait presque dire qu’on la voyait grandir. Durant cette expansion, les formes conservèrent leurs rapports. Le 28, la chevelure s’évanouit de la manière la plus surprenante ; il ne resta que quelques traces caudales, irrégulières et nébuleuses, qui divergeaient en partant de la tête. Le noyau avait cessé d’être nuageux ; c’était alors un point tranché, brillant, semblable à un satellite de Jupiter enveloppé d’un brouillard lumineux. « Je ne puis guère douter, dit sir John, que la comète ne se fût complétement évaporée par la chaleur qu’elle avait reçue du Soleil, à son périhélie ; qu’elle ne se fût dissipée en vapeur transparente, et qu’elle ne soit maintenant en voie de se condenser rapidement, et de se précipiter sur le noyau. »

» Il semble impossible d’expliquer par la seule gravitation la forme que présentent les têtes des comètes, le développement de leurs queues, et l’étendue de l’espace qu’elles balayent autour du Soleil, lorsqu’à leur périhélie leurs queues restent constamment dirigées à l’opposé de cet astre. Cinq jours après le passage au périhélie de la comète de 1680, sa queue s’étendait beaucoup au delà de l’orbite de la Terre ; dans ce court intervalle, sa direction varia de 150°. Ces phénomènes indiquent l’action simultanée d’une force attractive et d’une force répulsive. « Si nous admettons, dit sir John, que la matière dont se compose la queue est à la fois repoussée par le Soleil et attirée par le noyau, il ne reste plus de difficulté. » Si on établit avec sir John cette hypothèse, que le Soleil est sans cesse chargé d’électricité, et la chose n’est nullement improbable, lors du passage de la comète au périhélie, pendant que sa substance sera vaporisée, la séparation des deux électricités s’opérera, le noyau devenant négatif et la queue positive : alors l’électricité du Soleil dirigera le mouvement de la queue précisément comme un corps électrisé positivement le doit faire par rapport à un corps non conducteur chargé d’électricité positive à l’une de ses extrémités, et d’électricité négative à l’autre. L’excès d’énergie de la force électrique sur la force de gravitation, s’exerçant sur des substances d’une égale inertie, appuierait fortement cette hypothèse.

» La duplication de la comète de Biéla est probablement due à une force répulsive devenue supérieure à l’attraction de la masse de matière nébuleuse. Ce singulier événement promet aux observateurs des phénomènes d’un ordre nouveau, lors du retour de cet astre. En effet, il semble que nous soyons à la veille de quelque découverte remarquable touchant la nature des régions éthérées. Ces connaissances nous seront apportées des profondeurs de l’espace par les comètes qui en viennent chaque année : elles en seront, pour ainsi dire, les messagères ; les astronomes, si vigilants à observer leurs mouvements et leur constitution physique, sauront développer les indications qu’ils y puiseront.

» Plusieurs comètes se meuvent dans des orbites évidemment elliptiques ; mais les éléments n’en sont pas assez bien connus pour qu’on soit certain de la durée de leur cours. La belle comète de 1843 reviendra probablement à son périhélie après une révolution de cent soixante-quinze ans et cent vingt-sept jours. Suivant M. Bogulawsky, elle a fait trente apparitions depuis l’an 74, et, chaque fois, elle n’a été visible qu’après son passage au périhélie. On dit qu’à son dernier passage par ce point, elle a effleuré la surface du Soleil, ou que, tout au moins, elle s’en est extrêmement rapprochée : aussi sa vitesse était-elle de 414 milles (166 lieues) par seconde. Mais si la longueur de son orbite est de 5,316 millions de milles, trois fois à peu près la distance de Neptune au Soleil, elle ne doit parcourir, suivant le calcul de M. Bogulawsky, qu’un peu plus de sept pieds par seconde quand elle est parvenue à son aphélie, vitesse suffisante pour la ramener vers le Soleil en 1990. Avant son passage au périhélie, sa queue était invisible ; mais, après ce passage, elle acquit un développement de 1,826 millions de milles en une heure et demie. Cette extrême rapidité d’expansion est inexplicable ; elle indique une force répulsive d’une énorme puissance, qui aurait pris naissance à son plus grand rapprochement du Soleil. C’est alors que se forment les queues, et que beaucoup de changements surprenants et soudains se manifestent dans les têtes de ces astres merveilleux, dont l’aspect est aussi varié que l’étendue en est immense. L’éclat de cette comète était si grand qu’on la voyait tout entière en plein jour. Une autre comète, que M. Hind découvrit le 11 février 1847, était, quoique petite, cent fois plus brillante qu’une étoile de la quatrième grandeur ; on pouvait la voir à 10° du Soleil. »

M. Arago a évalué a environ sept millions le nombre des comètes qui visitent notre système : il est facile, après cela, de comprendre pourquoi on en découvre annuellement un si grand nombre, dont beaucoup sont télescopiques. En 1846, il s’en montra deux à la fois dans le champ du télescope ; elles étaient pourtant fort distantes l’une de l’autre, et ne constituaient nullement une comète comme celle de Biéla, dont la duplication est restée un fait unique.


NOTE QUATORZIÈME

(NEUVIÈME ÉPOQUE. — Page 401.)

Et dans l’air constellé compter les lits d’étoiles,
Comme à l’ombre du bord on voit sous des flots clairs
La perle et le corail briller au fond des mers[1].

Nous continuons de citer l’article de la Revue britannique.


« L’illustre famille Herschel a imprimé le cachet de son génie dans toutes les branches de la science ; mais si l’une d’elles est devenue plus spécialement son domaine, c’est assurément celle qui s’occupe des étoiles et des nébuleuses. Les découvertes de sir William sont connues de toute l’Europe ; son héritage est dévolu à son fils : les observations de celui-ci nous révèlent un magnifique spectacle, en nous montrant l’action créatrice de la puissance suprême dans l’hémisphère austral, dont plusieurs parties étaient restées imparfaitement connues…

» Dans les intervalles qui séparent les étoiles, l’œil, secondé par les instruments, découvre une multitude d’objets situés à un immense éloignement. Ce sont comme des nuées blanches de formes et d’étendues diverses ; dans quelques-unes, on ne remarque rien de particulier ; dans d’autres, on distingue des étoiles ; enfin, il s’en trouve qui sont entièrement formées d’étoiles. La Voie lactée se compose de myriades d’étoiles dont la lueur confuse a motivé le nom que porte l’ensemble ; il en est de même de beaucoup de nébuleuses. Le nombre de celles qui se résolvent en étoiles est d’autant plus grand, qu’on fait usage d’instruments plus puissants. Sir William Herschel pensait qu’aucune nébuleuse ne devait résister à cette décomposition ; récemment, le télescope de lord Ross a autorisé les astronomes à regarder cette opinion comme fondée : cependant il serait prématuré de décider, sur ce fondement, qu’il n’existe point de matière nébuleuse proprement dite.

» On ne connaissait que quatre-vingt-seize nébuleuses, dont

  1. Ces vers, qui désignent si clairement la Voie lactée et les nébuleuses, précèdent, dans le récit de Jocelyn, ceux qui se rapportent aux mondes planétaires et aux comètes ; mais nous avons cru devoir intervertir cet ordre, pour mettre plus de clarté dans des notes destinées aux lecteurs peu familiarisés avec l’astronomie.