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Jocelyn/Post-scriptum

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Chez l’auteur (Œuvres complètes de Lamartine, tome 4p. 15-17).

POST-SCRIPTUM
DES ÉDITIONS PRÉCÉDENTES


Maintenant un mot sur des choses plus graves.

Quelques personnes ont cru voir dans Jocelyn deux intentions du livre sur lesquelles l’auteur doit s’expliquer : un plaidoyer contre le célibat des prêtres ; une attaque à la religion : ces personnes sont dans l’erreur. Quant au célibat des prêtres, quelles que puissent être, à cet égard, les opinions de l’auteur, opinions qui ne seraient pas même une hérésie, puisque l’Église romaine reconnaît le mariage des prêtres catholiques dans l’Orient, l’idée de faire d’un poëme une controverse en vers pour ou contre tel ou tel point de discipline n’est pas même entrée dans sa tête.

Quant à une attaque au christianisme catholique, ce serait méconnaître également et l’instinct du poëte et le tact moral de l’homme, que de supposer une intention de polémique hostile dans un ouvrage de poésie pure, dont l’unique mérite, s’il en avait un, serait le sentiment moral et religieux dont chaque vers est imprégné.

S’il y a quelque chose au monde de libre et d’inviolable, c’est la pensée et la conviction : l’auteur n’a point à faire ici profession de foi ; mais il fait profession de vénération, de reconnaissance et d’amour pour une religion qui a apporté ou résumé tout le mystère de l’humanité ; qui a incarné la raison divine dans la raison humaine ; qui a fait un dogme de la morale et une législation de la vertu ; qui a donné pendant deux mille ans une âme, un corps, une voix, une loi, à l’instinct religieux de tant de milliards d’êtres humains, une langue à toutes les prières, un mobile à tous les dévouements, une espérance à toutes les douleurs. Alors même qu’il pourrait différer sur le sens plus ou moins symbolique de tel ou tel dogme de cette grande communion des esprits, pourrait-il jamais, sans ingratitude et sans crime, être hostile à une religion qui fut le lait de son enfance, qui fut la religion de sa mère, qui lui a tout appris à lui-même des choses d’en haut, et souiller de sable ou de gravier ce pain de vie dont se nourrissent et se fortifient tant de millions d’âmes et d’intelligences ? Ce ne sera jamais sa pensée ; ce ne fut pas sa pensée en écrivant ce livre. Il n’en a eu qu’une : inspirer l’adoration de Dieu, l’amour des hommes, et le goût du beau et de l’honnête à tous ceux qui sentent en eux ces nobles et divins instincts. Les controverses engendrent souvent les disputes, et l’intelligence aussi doit avoir sa charité.

Enfin, on m’a accusé ou loué de panthéisme ; j’aimerais autant qu’on m’accusât d’athéisme, cette grande cécité morale de quelques hommes privés, par je ne sais quelle affliction providentielle, du premier sens de l’humanité, du sens qui voit Dieu. Parce que le poëte voit Dieu partout, on a cru qu’il le voyait en tout. On a pris pour panthéisme aussi le mot de saint Paul, ce premier commentateur du christianisme : In illo vivimus, movemur et sumus. C’est le mien. Mais refuser l’individualité suprême, la conscience et la domination de soi-même à Celui qui nous a donné l’individualité, la conscience de nous-mêmes et la liberté, c’est refuser la lumière au soleil et la goutte d’eau à l’Océan. Non : mon Dieu est le Dieu de l’Évangile, le Père qui est au ciel, c’est-à-dire qui est partout.

Mais en voilà trop sur un si petit livre, qui ne doit rien soulever de si lourd, qui ne doit rien toucher de si haut.

Paris, 26 mars 1836.