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Jolis péchés des nymphes du Palais-Royal/00

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Chez Korikoko, Libraire du Palais (J.-J. Gay) (p. v-viii).

DISCOURS PRÉLIMINAIRE

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EULALIE

LA SCANDALEUSE

à ses très chères et honorées camarades, les filles du palais de la capitale, des faubourgs et de la banlieue.

Permettez, chères et voluptueuses complices, que je voue dédie ces Confessions ingénues et franches ; et, puisque vous m’avez révélé sans ménagement toutes les espiègleries de votre vie galante, n’est-il pas juste que je vous fasse hommage de cette œuvre légère ?

Oui, ces Confessions sont votre ouvrage, et, quoique vous m’ayez fait l’hommage de me choisir pour le bel esprit rédacteur de la troupe, il n’en est pas moins vrai que tous les éléments de cette savante composition me viennent de vos propres aveux.

Quel orgueil j’éprouve donc de faire connaître au public attentif et curieux, et cela avec votre approbation, tous les précieux mystères que vous m’avez confiés !… Éloignez-vous, rimailleurs, auteurs faméliques, qui nous avez fait tant de fois agir et parler sans nous connaître, brisez vos pinceaux grossiers, je vais déchirer tous les masques, et la pudeur s’accusera elle-même ici de ses funestes égarements. C’est Vénus à genoux qui, faisant son testament, demande grâce aux dieux de ses plus secrètes erreurs. Il faut espérer qu’un si beau repentir lui méritera quelque indulgence.

— On va bien rire, sans doute, bien s’amuser à nos dépens, me direz-vous ; des Nymphes du Palais, auteurs ! C’est trop plaisant, dira ce caustique.

Et pourquoi pas ? Puisque tout le monde se mêle de littérature, pour quelle raison n’aurions-nous pas aussi nos grands écrivains ?…

Venez à notre secours, ombre de Ninon, spirituelle Sapho, érotique Arnould ; répandez sur nos écrits ce charme heureux qui touche ; aiguisez nos traits du sel piquant de la saillie et donnez à notre imagination le séduisant délire de la vôtre ; dites-nous surtout comment, sans effaroucher de chastes et pudibonds regards, on peut narrer les historiettes les plus chatouilleuses, les gaudrioles les plus piquantes ; et toi, immortel Piron, le patriarche des poètes galants, apprends-nous encore sur quel ton on doit parler des folies de Vénus ; non de ce style graveleux qui n’admet aucune gaze et déshabille la volupté sans ménagement, mais avec cette délicatesse charmante qui ne soulève la ceinture de Vénus qu’à l’abri des ombres les plus épaisses, et ne parle jamais du libertinage en expressions libertines.

Tour à tour narratrices et confidentes, nous allons donc, mes tendres amies, prendre alternativement la plume dans ces importantes révélations ; car vous n’exigerez pas sans doute, malgré mon zèle, que je demeure toujours seule chargée du soin de blanchir votre linge sale…

Allons, puisque vous exigez que ce soit moi qui commence, je me résigne ; vous reconnaîtrez l’excès de ma sincérité à l’excès de mes passions.

La faute en est aux dieux qui me firent si folle.

Recevez, vertueuses et sages compagnes, les salutations angéliques de votre affectionnée complice, très repentante,


Eulalie la Scandaleuse.

Fait en notre Palais, l’an **** des bamboches sentimentales.