Jolis péchés des nymphes du Palais-Royal/15

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Chez Korikoko, Libraire du Palais (J.-J. Gay) (p. 83-87).

CONFESSION

D’HORTENSE

SEIN DE NYMPHE ÉMUE.

Mes chères amies, je n’en ai pas très long à vous conter ; je ne ferai pas de grandes phrases, comme certaines de mes compagnes ; je n’irai pas chercher de midi à quatorze heures. D’abord je fus servante dans des maisons bourgeoises ; ça allait assez bien alors, car le maître me payait pour ne pas faire la cruelle avec lui quand madame était dans son comptoir ; et madame, de son côté, me faisait de petits présents pour me taire, quand son galant était caché dans l’alcôve ou sous le lit. Ce n’était pas tout, mademoiselle, la fille de la maison, me caressait, me donnait même de l’argent pour favoriser ses entrevues nocturnes avec son Ferdinand, et le garçon de boutique me donnait des pains de sucre et des bouteilles de liqueurs, qui ne lui coûtaient pas cher, il est vrai, pour obtenir l’honneur de ma couche. De cette manière, l’eau venait au moulin par vingt sources. Cependant, à force de tours de passe-passe, on me chassa ; je vins à prendre service chez une marchande de modes : rien ne pouvait être plus de mon fait : les messages galants ne finissaient pas ; c’était un rendez-vous au Delta, puis à Tivoli, puis aux Montagnes Belleville. Le plaisant de l’histoire, c’est que souvent le donneur de rendez-vous oubliait dans mes bras sa belle, et que je prenais sa place dans la partie projetée. Je suis bien d’une figure assez friponne pour remplacer une marchande de modes !

Tout le monde convint ici avec Hortense qu’elle avait bien l’air assez rouée pour ça.

Lasse de toutes ces intrigues sans grand profit, je résolus de me lancer dans le grand et à cet effet, je louai une belle robe, un chapeau élégant, un cachemire, et surtout un bel enfant ; et, dans cet équipage, j’allai m’asseoir, avec ma femme de chambre de louage, aux Tuileries, sur les une heure. J’y étais à peine qu’un homme d’un certain âge vint s’asseoir près de moi, et prit le prétexte de mon fils, à qui il donna des bonbons d’une bonbonnière enrichie de perles, pour lier conversation avec la mère. Je glissai adroitement que, veuve d’un général tué à Moscou, j’avais éprouvé de grands malheurs. Bref, il m’offrit son équipage, et cinquante louis furent le prix de cette ingénieuse équipée. Quelques jours après, je m’avisai de faire la chanteuse voilée ; j’ai la voix assez belle ; j’avais à peine roucoulé trois ou quatre romances près le boulevard Coblentz, qu’un monsieur, qui avait examiné l’élégance de ma taille et la blancheur de mes épaules un peu découvertes à dessein, me glissa un billet dans lequel il me fixait un rendez-vous. Cette bonne fortune me valut plus de deux mille écus ; car, jouant la vertu malheureuse, le provincial me mit dans mes meubles, et paya au centuple des faveurs que je mettais chaque jour au rabais. De ses mains je passai dans celles d’un joueur dont j’eus la folie de m’amouracher : toutes mes richesses passèrent à la roulette, et j’y aurais été jouée moi-même, si mes appas avaient eu cours dans cette maison. Ruinée, et justement punie, je le confesse, de mes indélicates impostures, je fis quelque temps la coquine honteuse ; mais persécutée par le besoin, je me déterminai enfin à me réfugier sous le toit hospitalier des Galeries : là, me disais-je, je ne tromperai plus personne et ne pourrai pas vendre du plaisir à faux poids, puisque je ne me présenterai jamais que pour ce que je suis ; depuis ce temps je trotte j’arpente le Palais, et me félicite chaque jour d’une si sage résolution.

Hortense ayant achevé sa narration, madame la présidente annonça la clôture des Confessions. Alors les dames d’annonces, aidées des maîtresses de cérémonies, apportèrent une riche corbeille ornée de fleurs, dans laquelle on voyait trois couronnes bien distinctes : la première composée de violettes, la deuxième de roses très épanouies et la troisième de pampres et de raisins.

La couronne de pampres et de raisins fut donnée à Julie la Grosse Rieuse, comme le joyeux sujet de la troupe qui représentait le mieux une de ces superbes bacchantes qui, dans les fêtes de Silène, parcouraient la Grèce un thyrse à la main et le front ceint de grappes : sa philosophie naturelle parut d’ailleurs le système le meilleur à adopter dans ce monde, où le plus sage parti à prendre est de rire de tout.

Après Julie, Clémentine obtint la couronne de roses très épanouies ; l’intérêt compliqué de ses aventures parut au grand juge mériter ce second prix.

Enfin Rose Pompon baissa son beau front pour recevoir la couronne de violettes, comme symbole de la finesse et du parfum exquis qu’on avait reconnus dans ses goûts et ses narrations ; il fut même arrêté à l’unanimité des voix, que le tour piquant du cadenas parisien ou la précaution inutile, qui faisait une partie principale des événements de sa vie galante, serait le sujet de la gravure à placer en regard du titre des confessions galantes des nymphes. Des accessits d’encouragement furent donnés à Délia Brioche, à Hortense, à Frasca et autres. Galatée et Adeline-Nina reçurent même l’accolade fraternelle de madame la Présidente, et enfin la séance fut levée au cri de vive Vénus ! qui retentirent dans toutes les salles. Une table magnifiquement servie était dressée dans le grand salon de compagnie, où, après s’être copieusement restaurées, nos Nymphes se livrèrent aux plaisirs de la danse, qui se prolongea très avant dans la nuit. Enfin, le petit jour mit un terme à cette fête annuelle. Madame la Présidente se retira la première dans ses petits appartements, en exhortant son édifiant troupeau à se conduire de plus en plus avec sagesse et décence, et surtout à bien se garder des loups ravissants qui rôdaient ça et là dans tous les quartiers de la capitale. Nos nymphes s’empressèrent de répondre à cette recommandation, que toutes ayant vu le loup maintes fois, elles le redoutaient fort peu.

Chacun s’en fut se livrer aux douceurs de Morphée, tirant son rideau sur les éclats du jours. Tirons aussi le nôtre sur les Confessions des Nymphes, et désirons que nos lecteurs trouvent les gazes dont nous les avons enveloppées, aussi légères que gracieuses.