Journal (Eugène Delacroix)/11 mars 1832

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 164-166).

Dimanche 11 mars. — A la rivière Sébou, au passage de El-Aïtem[1].

Depuis trois jours nous sommes suivis par un shérif de Fez, ami de Bias, qui veut absolument avoir un cadeau.

Quand les Maures veulent obtenir quelque chose, comme une grâce, de manière à n’être pas refusés, ils vont porter près de votre tente un mouton, même un bœuf comme présent, et l’égorgent en manière de sacrifice, et pour constater l’offrande. On est lié très fort par l’espèce d’obligation que cette action impose.

Le jour que nous avons campé à Alcassar, on est venu tuer trois moutons, l’un à la tente de Bias, le second à celle du caïd, le troisième à la nôtre, pour obtenir la grâce d’un homme accusé d’assassinat. Bias s’intéresse à l’affaire.

En attendant, il n’a été question toute la soirée, ce jour-là, que d’un pauvre Juif qui avait été bâtonné pour de l’eau-de-vie qu’il avait refusé de livrer à Lopez, l’agent français à Laroche, lequel devait probablement la donner au frère du caïd dans la tente de qui nous avons été le soir. On n’a voulu le relâcher que moyennant quatre piastres et dix onces pour le donneur de coups.

Le pacha et son frère avaient toujours un homme de chaque côté du cheval, marchant à côté et qui prennent le fusil quand ils viennent de courir.

Je n’ai pas parlé à Alcassar de la visite au pacha dans sa tente. La selle à sa droite, son sabre sur son matelas blanc, couvertures ; un homme à ses pieds dormant enveloppé dans un burnous noué par derrière.

— Presque toujours le derrière de la selle est dans l’ombre à cause des vêtements.

Le second du pacha n’ayant pas de bottes avait mis à une de ses jambes le fourreau de son fusil, un mouchoir à l’autre ; ils ont presque tous la jambe blessée par l’étrier.

Beau temps, rien de remarquable.

— Les hommes avec le fourreau du fusil sur la tête.

— Les chevaux se roulant au bord de la rivière.

— Le cheval blanc dans une course qui a glissé et a fait un écart. Le cheval ferré à froid, la corne coupée par devant.

  1. Le paysage de la rivière Sébou inspira une toile exposée au Salon de 1859, ainsi décrite dans le catalogue Robaut : « Six Marocains se baignent à l’un des tournants du fleuve peu profond. Au premier plan à gauche débouche un cavalier qui va faire rafraîchir son cheval. Tout auprès un baigneur étendu se repose. Sur l’autre rive, un cheval conduit par la bride a déjà le pied dans l’eau. »