Journal (Eugène Delacroix)/14 juillet 1855

La bibliothèque libre.
Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 55-56).

14 juillet. — Berryer part à six heures du matin pour aller plaider à Paris. Il se flatte de revenir pour dîner ou, au pis aller, à neuf heures du soir. À notre grande surprise, comme nous étions à table, à sept heures et quelque chose, il arrive et achève de dîner avec nous ; j’avais proposé à ces dames de retarder le dîner.

C’est un tour de force étonnant. Arrivé à Paris et au Palais à onze heures et demie, il plaide immédiatement pendant deux heures et demie ; il part, laissant le deuxième avocat chargé de l’affaire écouter la réponse de l’adversaire, et prendre des notes s’il est besoin. Il se rhabille au Palais, repart et arrive sans éprouver d’interruption.

Il était parti avec un morceau de pain et de galantine dans ses poches. Trouvant dans le chemin de fer des gens avec lesquels il est obligé de lier conversation, il ne mange point et ne peut se dédommager qu’en allant du chemin de fer au Palais.

Après le dîner, nous étions en famille devant la maison : nous venions de prendre le café sur le perron. Je le voyais heureux d’être retourné dans sa retraite, jouissant de ces fleurs, de ces arbres, la plupart plantés par lui, après une journée employée comme celle-ci. Voilà de grands bonheurs !

Le soir, musique avec Mme Jaubert, Don Juan, etc., pendant que Berryer, non point encore satisfait, faisait son courrier pour le lendemain matin.

Dans la journée, chaleur orageuse et fatigante. Promenade dans un bateau léger. Nous descendons à terre près le pont de pierre. Assis en haut du petit labyrinthe, Mme Jaubert me parle de Chenavard.