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Journal (Eugène Delacroix)/15 mai 1857

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 271-272).

15 mai. — A Champrosay, dans l’allée verte.

On peut comparer le premier jet de l'écrivain, du peintre, etc., à ces feux de peloton où deux cents coups de fusil tirés dans l'émotion du combat atteignent l’ennemi deux ou trois fois ; quelquefois deux ou trois cents coups de feu partent à la fois, et pas un n’atteint l’ennemi.

— Vous conviez vos amis à un banquet, et vous leur servez toutes les rognures de la cuisine.

— Allée des Fouges.

Quelquefois des génies pareils se présentent à des époques différentes. La trempe originelle ne diffère point chez ces talents : les formes seules des temps où ils vivent établissent une variété. Rubens, etc.

Ce n’est point le climat qui a produit un Homère ou un Praxitèle. On parcourrait vainement la Grèce et ses îles sans y découvrir un poète ou un sculpteur. En revanche, la nature a fait naître en Flandre, et à une époque rapprochée de la nôtre, l’Homère de la peinture.

Il est des époques privilégiées, — il est aussi des climats où l’homme a moins de besoins, etc. ; mais ces influences ne suffisent pas. — Voir mes notes du 4 février 1857[1].

L’influence des mœurs est plus efficace que celle du climat. Sans doute chez des peuples où la nature est clémente ;… mais en l’absence d’une certaine valeur morale, etc. Il faut qu’un peuple ait le respect de lui-même pour être difficile en matière de goût et pour tenir en bride ses orateurs et ses poètes. Les nations chez lesquelles la politique se traite à coups de poing ou à coups de pistolet n’ont pas plus de littérature que ceux qui sont épris des combats de gladiateurs.

— Ne demandez pas à un colonel de cavalerie son opinion sur des tableaux ou des statues, tout au plus se connaît-il en chevaux !

  1. Voir t. III, p 259.