Journal (Eugène Delacroix)/16 janvier 1860

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 365-366).

16 janvier. — Dictionnaire (Pour la Préface du). Un dictionnaire de ce genre sera relativement nul s’il est l’ouvrage d’un seul homme de talent ; il serait meilleur encore, ou plutôt il serait le meilleur possible, s’il était l’ouvrage de plusieurs hommes de talent, mais à la condition que chacun d’eux traite son sujet sans la participation de ses confrères. Fait en commun, il retomberait dans la banalité[1], et ne s'élèverait pas beaucoup au-dessus d’un ouvrage composé en société par de médiocres artistes. Chaque article amendé par chacun des collaborateurs perdrait son originalité pour prendre sous le niveau des corrections une unité banale et sans fruit pour l’instruction.

C’est le fruit de l’expérience qu’il faut trouver dans un ouvrage de ce genre. Or, l’expérience est toujours fructueuse chez les hommes doués d’originalité ; chez les artistes vulgaires, elle n’est qu’un apprentissage un peu plus long des recettes qu’on trouve partout.

On trouvera dans ce manuel des articles sur quelques artistes célèbres, mais on n’y traitera ni de leur caractère, ni des événements de leur vie. On y trouvera analysés plus ou moins longuement leur style particulier, la manière dont chacun d’eux a adopté ce style, la partie technique de l’art.

  1. Toujours extrait du même fragment : « Il faut presque en venir à cette conclusion que plus le dictionnaire sera fait par des hommes médiocres, plus il sera vraiment un dictionnaire, c’est-à-dire un recueil des théories et des pratiques ayant cours. De là une banalité d’aperçus complète. Un article ne pourra présenter une certaine originalité, c’est-à-dire émaner d’un esprit ayant des idées en propre, sans trancher avec ceux qui ne font que résumer les idées de tout le monde sur la matière. » (Eugène Delacroix, sa vie et ses œuvres, p. 432.)