Journal (Eugène Delacroix)/25 mai 1854

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 362-364).

25 mai. — Ce jour, sorti d’assez bonne heure et fait le petit croquis de la vue du château du côté du canal et du potager[1]. — Promené quelque peu avec M. Hennequin, avant déjeuner ; après déjeuner, à la messe pour l’Ascension.

Je parlais, au retour de la messe, à la princesse de la vocation que je me croyais pour être prédicateur : Berryer nous a parlé de la sienne. Hennequin, avant déjeuner, nie parlait de sa manière au barreau ; d’après ce qu’il m’en a dit, il me semble qu’il me ferait plus d’impression que les autres.

Dans la journée, rejoint le bateau où se trouvaient une partie de ces dames. Revenu en ramant et pris ensuite par le potager. Lu la Fille du capitaine jusqu’au dîner.

Conversation, dans la journée, près du piano, avec la princesse sur le système de Delsarte. Je lui parle de mes idées sur des sujets analogues. Elle préfère son Franchomme à Batta ; je lui dis que je suis sur la dernière impression. Ce qu’elle trouve de large, de carré, de précis chez Franchomme, me paraît quelquefois froideur et sécheresse ; chez Batta, je m’aperçois moins qu’on racle sur du bois : je ne vois pas tant l’artiste. Franchomme est un peu comme ces peintres qui viennent vous dire : « Voyez comme je suis conforme à l’antique, comme cette main est bien la main que j’avais sous les yeux. » Je lui ai comparé à ce propos la copie de Gérard, qui est dans le salon, avec les tableaux des grands maîtres : à savoir que le détail s’y trouve, mais n’attire pas l’attention aux dépens de l’expression.

Le soir, répétition de la sonate de Beethoven que je préfère : elle porte, je crois, le no 1.

Vu deux cahiers du Punch anglais. Tâcher de me le procurer à Paris : il y a des types de caricature d’un dessin très fin.

Remonté me coucher, avant le reste de la société, occupée encore à minuit à jouer.

— Ils croient qu’ils seront plus vrais en luttant avec la nature de vérité littérale ; c’est le contraire qui arrive ; plus elle est littérale, cette imitation, plus elle est plate, plus elle montre combien toute rivalité est impossible. On ne peut espérer d’arriver qu’à des équivalents. Ce n’est pas la chose qu’il faut faire, mais seulement le semblant de la chose : encore est-ce pour l’esprit et non pour l’œil qu’il faut produire cet effet.

  1. Voir Catalogue Robaut, no 1772.