Journal (Eugène Delacroix)/31 mars 1848

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 359).

Samedi 31 mars. — Le soir, vu Athalie, avec Mme de Forget dans la loge du président.

Rachel ne m’a pas fait plaisir dans toutes les parties. Mais comme j’ai admiré ce grand prêtre ! Quelle création ! Comme elle semblerait outrée dans un temps comme le nôtre ! et comme elle était à sa place avec cette société ordonnée et convaincue qui a vu Racine et qui l’a fait ce qu’il était ! Ce farouche enthousiaste, ce fanatique verbeux n’est guère de notre temps ; on égorge et on renverse à froid et sans conviction. Mathan, dans sa scène avec son confident, dit trop naïvement : « Je suis un coquin, je suis un être abominable. » Racine sort ici de la vérité, mais il est sublime quand Mathan, sortant tout troublé pour se soustraire aux imprécations du grand prêtre, ne sait plus où il va, et se dirige, sans savoir ce qu’il fait, du côté de ce sanctuaire qu’il a profané et dont l’existence l’importune.