Journal (Eugène Delacroix)/5 mars 1858

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 315).

5 mars. — Au conseil par un froid glacial. J’y apprends que le bon Thierry est très malade. Je vais à la rue du Petit-Musc, je le trouve très changé.

Je lis en rentrant les lettres de Mlle Rachel[1].

Je trouve dans les Salons de Paris de Mme Ancelot, à propos de la duchesse d’Abrantès[2] : « Ce fut avec tristesse que je la quittai ; j’emportais une vague inquiétude, car j’avais déjà remarqué que la maladie était toujours et que la mort est souvent la suite du chagrin. Une certaine modération de caractère et de position défend la vie contre ce qui l’empêche d’arriver à la vieillesse, et ceux qui parviennent à ses dernières limites ont fait certainement preuve d’une sagesse recommandable. Ils ont fait plus : ils ont fait mieux que bien d’autres, et, si cela ne parie pas toujours en faveur de leur cœur, c’est un assez bon argument en faveur de leur raison. La duchesse d’Abrantès n’eut point cette habileté honorable : le désordre amena le chagrin, qui entraîna la maladie à sa suite. »

  1. Rachel était morte au mois de janvier de cette même année.
  2. La duchesse d'Abrantès, née en 1784, morte en 1838, descendait de la famille impériale des Comnène. Elle épousa en 1791) le général Junot, l’accompagna dans ses différentes campagnes, et après sa mort en 1813 se voua à l'éducation de ses enfants. Elle écrivit de volumineux mémoires où l’on trouve les plus curieux détails sur la cour impériale. Elle était très liée avec Balzac, qui, au moment de l’apparition de ses mémoires, servit d’intermédiaire pour traiter avec les éditeurs. On trouve d’intéressants détails sur la duchesse d’Abrantès dans le livre de M. G. Ferry : Balzac et ses amies.