Journal (Eugène Delacroix)/6 septembre 1852

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 112-113).

Dieppe. — Lundi 6 septembre. — Parti pour Dieppe à huit heures ; à neuf heures à Mantes ; à dix heures un quart, à peu près, à Rouen. Le reste du trajet, n’étant pas direct, a été beaucoup plus long.

Arrivé à Dieppe à une heure. Trouvé là M. Maison. Logé hôtel de Londres avec la vue sur le port que je souhaitais, et qui est charmante. Cela me fera une grande distraction.

Dans toute cette fin de journée, dont j’ai passé une grande partie sur la jetée, je n’ai pu échapper à un extrême ennui. Dîné seul à sept heures, près de gens que j’avais rencontrés déjà sur la jetée, et qui m’avaient, dès ce moment, inspiré de l’antipathie ; ce sentiment s’est encore augmenté pendant ce triste dîner. Naturel de chasseurs demi-hommes du monde, la pire espèce de toutes.

J’ai trouvé dans la voiture jusqu’à Rouen un grand homme barbu et très sympathique, qui m’a dit les choses les plus intéressantes sur les émigrants allemands et particulièrement sur certaines des colonies de cette race, qui se sont établies dans plusieurs parties de la Russie méridionale, où il les a vues. Ces gens, descendant en grande partie des Hussites, qui sont devenus les Frères Moraves. Ils vivent là en communauté, mais ne sont point des communistes, à la manière dont on entendait cette qualification en France, dans nos derniers troubles : la terre seulement est en commun, et probablement aussi les instruments de travail, puisque chacun doit à la communauté le tribut de son travail ; mais les industries particulières enrichissent les uns plus que les autres, puisque chacun a son pécule, qu’il fait valoir avec plus ou moins de soin et d’habileté ; il y a possibilité de se faire remplacer pour le travail commun. Ils se donnent le nom de Méronites ou Ménonites.