Journal (Eugène Delacroix)/7 mars 1847

La bibliothèque libre.
Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 283-284).

7 mars. — Pierret est arrivé vers une heure et demie, comme j’allais m’habiller pour aller au Conservatoire.

Arrivé et entendu le premier morceau, seul dans la loge ; Mme Sand n’arrivait pas. Elle est venue juste pour entendre le morceau d’Onslow[1], morceau fort ennuyeux. En général, ce concert ne m’a pas ravi ; un morceau de piano et basse seulement, de Beethoven, m’a plu médiocrement, et un quatuor de Mozart a conclu. J’ai dit à Mme Sand, au retour chez elle, que Beethoven nous remue davantage, parce qu’il est l’homme de notre temps : il est romantique au suprême degré. Dîné avec elle : elle a été fort aimable ; nous devions aller ensemble voir le Luxembourg et la Chambre des députés.

D’Arpentigny venu le soir et rentré très tard.

La vue du Jugement de Pâris, de Raphaël, dans une épreuve affreusement usée, m’apparaît sous un jour nouveau, depuis que j’ai admiré, dans la Vierge au voile, de la rue Grange-Batelière, son admirable entente des lignes. Cet intérêt, mis à tout, est aussi une qualité qui efface complètement tout ce qu’on voit après. Il n’y faut même pas trop penser, de peur de jeter tout par les fenêtres.

Est-ce que l’espèce de froideur que j’ai toujours sentie pour le Titien ne viendrait pas de l’ignorance presque constante où il est relativement au charme des lignes ?

  1. Georges Onslow, compositeur français, né en 1784, mort en 1852, auteur de symphonies et de musique de chambre.