Journal (Eugène Delacroix)/8 mars 1848

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 352-353).

Jeudi 8 mars. — Le soir, Chopin. Vu chez lui un original qui est arrivé de Quimper pour l’admirer et pour le guérir ; car il est ou a été médecin et a un grand mépris pour les homéopathes de toutes couleurs. C’est un amateur forcené de musique ; mais son admiration se borne à peu près à Beethoven et à Chopin. Mozart ne lui paraît pas à la hauteur de ces noms-là ; Cimarosa est perruque, etc.

Il faut être de Quimper pour avoir de ces idées-là, et pour les exprimer avec cet aplomb : cela passe sur le compte de la franchise bretonne… Je déteste cette espèce de caractère ; cette prétendue franchise à l’aide de laquelle on débite des opinions tranchantes ou blessantes est ce qui m’est le plus antipathique. Il n’y a plus de rapports possibles entre les hommes, s’il suffit de cette franchise-là pour répondre à tout. Franchement il faut, avec cette disposition, vivre dans une étable, où les rapports s’établissent à coups de fourche ou de cornes ; voilà de la franchise que je préfère.

— Le matin, chez Couder[1], pour parler du tableau de Lyon. Il est spirituel, et sa femme est fort bien. Si nous avions été francs l’un et l’autre, à la manière de mon Breton, nous nous serions battus avant la fin de la séance ; nous nous sommes, au contraire, quittés en fort bonne intelligence.

  1. Louis-Charles-Auguste Couder, peintre d’histoire, né en 1790, mort en 1873, élève de Regnault et de David. En 1838, il se présenta à l’Institut en concurrence avec Delacroix et fut élu le 28 décembre.