Journal de Gouverneur Morris, ministre plénipotentiaire des États-Unis en France de 1792 à 1794, pendant les années 1789, 1790, 1791 et 1792/Appendice, année 1790

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année 1790

Lettre à Washington.

Janvier. — Je crois parfaitement justes vos sentiments sur la Révolution actuelle, parce qu’ils concordent absolument avec les miens, et c’est là, vous le savez, le seul moyen que le ciel nous a donné pour juger. Le roi est effectivement prisonnier à Paris, et obéit entièrement à l’Assemblée nationale. Cette assemblée peut se diviser en trois partis. L’un, appelé les aristocrates, comprend le haut clergé, les membres de l’ordre judiciaire (moins les juristes) et ceux de la noblesse qui pensent qu’ils devraient former un ordre séparé ; un autre, qui n’a pas de nom, comprend toutes sortes de gens, vraiment désireux d’un gouvernement libre. Le troisième se compose de ce que l’on appelle ici les enragés. Ils sont les plus nombreux, et appartiennent à la classe qu’on dénomme en Amérique les avocats chicaniers ; ils ont avec eux une foule de curés, et beaucoup de ceux qui dans une révolution adoptent le drapeau du changement parce qu’ils ne sont pas bien. Ce parti tire une grande puissance de son union intime avec la populace. Il a déjà tout désorganisé. Le torrent s’élance, irrésistible, jusqu’à ce qu’il se soit épuisé.

Les aristocrates n’ont ni chef, ni plan ni projet jusqu’à présent, mais sont prêts à se jeter dans les bras du premier qui s’offrira. Le parti du centre, plein de bonne volonté, a malheureusement puisé dans des livres ses idées de gouvernement ; il est admirable quand il écrit ; mais il arrive malheureusement que les gens qui vivent sont très différents de ceux qui existent dans la tête des philosophes ; il ne faut pas s’étonner si les systèmes empruntés aux livres ne sont bons qu’à y être renvoyés. Marmontel est le seul que j’aie rencontré parmi leurs littérateurs semblant vraiment comprendre cette question ; quant aux autres, ils ne discutent rien à l’Assemblée. Une grande moitié du temps est employée à crier et à hurler (c’est leur manière de parler). Ceux qui désirent parler inscrivent leurs noms sur un tableau, et ils sont entendus dans l’ordre où les noms sont écrits, si les autres veulent les écouter, ce qu’ils refusent souvent de faire, en causant un tumulte ininterrompu jusqu’à ce que l’orateur quitte la tribune. Celui qui est autorisé à parler expose le résultat de ses élucubrations, si bien que les partis contraires tirent aussi leurs cartouches, et il y a un million de chances contre une pour que les arguments qu’on s’envoie à la tête ne se rencontrent pas. Ces arguments sont généralement imprimés ; on recherche donc autant des arguments solides et bien présentés, que des arguments instructifs ou convaincants. Mais il y a une autre cérémonie que les arguments ont à subir et qui ne manque pas d’en affecter au moins la forme, sinon la substance. Ils sont lus à l’avance dans un petit groupe de jeunes hommes et de jeunes dames, dont fait généralement partie la belle amie de l’orateur, ou la belle dont il veut faire son amie. Très poliment l’assistance donne son approbation, à moins que la dame qui donne le ton à ce cercle n’ait quelque chose à reprendre ; dans ce cas, le passage est changé sinon amélioré. Ne supposez pas que je joue au voyageur. J’ai assisté à quelques-unes de ces lectures, et je vais vous raconter une anecdote. J’étais chez Mme de Staël, la fille de M. Necker. C’est une femme d’un esprit merveilleux, et au-dessus des préjugés vulgaires de tout genre. Sa maison est une sorte de temple d’Apollon où les gens d’esprit à la mode se réunissent deux fois par semaine pour souper et une fois pour dîner, quelquefois même plus souvent. Le comte de Clermont-Tonnerre (l’un de leurs plus grands orateurs) nous lit un très pathétique discours tendant à prouver que, les châtiments étant la compensation légale des injustices et des crimes, un homme qui a été pendu, ayant de cette façon payé sa dette à la société, doit cesser d’être méprisé ; semblablement, celui qui a été condamné à sept ans de galères, doit être de nouveau reçu dans la bonne société, comme si rien n’était arrivé, dès qu’il a fini son apprentissage. Vous souriez ; mais remarquez que l’extrême auquel on s’est porté dans l’autre sens, en déshonorant des milliers d’hommes pour le crime d’un seul, a choqué le sentiment public au point de rendre cette thèse acceptable. Le discours était très beau, très sentimental, très pathétique, et le style en était harmonieux. Il y eut des cris d’applaudissement et une approbation complète. Quand tout fut bien fini, je déclarai que son discours était extrêmement éloquent ; mais que ses principes n’étaient pas très solides. Surprise générale. Quelques remarques changèrent la face des choses. La thèse fut universellement condamnée et il quitta l’appartement. Inutile d’ajouter qu’il n’a pas encore prononcé son discours à l’Assemblée, bien qu’il soit de ceux qui font passer un décret par acclamation ; car il arrive qu’un orateur se lève au milieu d’une autre discussion, et fait un beau discours se terminant par une bonne petite résolution que l’on adopte aux cris de : hourra. Ainsi, l’on discutait un plan de banque nationale proposé par M. Necker ; un député se met dans la tête de proposer que tous ses collègues donnent leurs boucles d’argent ; cette mesure fut aussitôt adoptée ; l’honorable député déposa les siennes sur la table ; après quoi l’on revint à la question. Il est difficile de deviner où s’abattra une bande dont le vol est si irrégulier, mais d’après ce que l’on peut présumer en ce moment, cet ex-royaume sera réparti en un nombre de petites démocraties, divisées non par les rivières et les montagnes, mais à l’équerre et au compas, selon la latitude et la longitude ; les provinces avaient anciennement des lois différentes (dénommées coutumes), et comme les rognures et les restes de plusieurs provinces doivent se rencontrer dans quelques-unes des nouvelles divisions, je pense que des matières aussi fermentées leur donneront une sorte de colique politique.

Leur Assemblée nationale ressemblera un peu à l’ancien congrès, et le roi sera de nom le pouvoir exécutif. Jusqu’ici l’on s’est activement occupé à piller celui qui remplit cette fonction. Ce qu’on lui laissera d’autorité effective dépendra du chapitre des accidents ; je crois que ce sera peu, mais, que ce soit peu ou beaucoup, la perspective d’un pareil roi et d’une pareille assemblée me rappelle des paroles mises par Shakespeare dans la bouche de deux vieux soldats, en apprenant que Lépidus, l’un des fameux triumvirs, est mort : « C’en est donc fini du troisième. Ô monde, tu n’as plus qu’une paire de mâchoires ; jette entre elles toute la nourriture que tu as, elles ne s’entre-déchireront pas moins mutuellement ». En ce moment, le peuple est bien déterminé à soutenir l’Assemblée, et, bien qu’il y ait des mécontents, je ne crois pas qu’il existe rien de sérieux en fait d’opposition. Il serait même étrange qu’il y en eût, car jusqu’ici chaque pas a été marqué par l’extension des privilèges et la diminution des impôts des classes inférieures. De plus, l’amour de la nouveauté adoucit beaucoup de choses dans les révolutions. Mais le temps viendra où la nouveauté n’existera plus, et tous ses charmes disparaîtront. À la place des impôts diminués, il faudra en remettre d’autres par suite de la nécessité de faire face aux charges publiques. Les administrateurs élus devront alors soit flatter leurs électeurs, ce qui sera ruineux pour le fisc, soit, en veillant à la rentrée des impôts, déplaire à leurs commettants. Selon toute probabilité, ils essaieront de faire les deux choses à la fois ; d’où il résultera des querelles et des animosités entre les différents districts, et grand malaise dans tout le royaume, car les rentrées doivent être inférieures aux prévisions pour le temps, sinon pour le total (ceci revient au même quand il est question de finances). Et alors, ou bien l’intérêt de la dette publique ne sera pas payé régulièrement, ou bien divers départements seront réduits à la famine ; probablement un peu de l’un et de l’autre. Il s’ensuivra la perte du crédit de l’État, causant un grand tort au commerce et aux manufactures, diminuant encore les sources de revenu, et affaiblissant considérablement les opérations extérieures du royaume. À ce moment, les esprits mécontents trouveront en abondance des sujets à exploiter, et dès lors l’avenir sera tout enveloppé des brouillards de l’incertitude. Si le prince régnant n’était pas aussi mou de caractère. Il est certain qu’en observant les événements et en s’en servant à propos, il regagnerait son autorité ; mais que peut-on attendre d’un homme qui, dans sa situation, mange, boit et dort bien, qui rit et est le gaillard le plus gai du monde ? Il est entièrement satisfait de savoir qu’on lui donnera de l’argent quand on pourra faire des économies, et qu’il n’aura pas de mal à gouverner. Pauvre homme ! il réfléchit peu à l’instabilité de sa situation, il est aimé, mais non de la sorte d’amour qu’un monarque devrait inspirer ; c’est plutôt la pitié compatissante éprouvée pour un prisonnier qu’on emmène. Il est, de plus, impossible de le servir, car au moindre signe d’opposition, il abandonne tout et tous. Parmi les ministres, le comte de Montmorin est plus intelligent qu’on ne le croit généralement ; ce qu’il veut est bon, très bon, mais sa volonté est faible. C’est un homme bon et doux, qui ferait un excellent ministre pacifique dans des temps tranquilles, mais il lui manque la vigueur nécessaire aux grandes occasions. Le comte de La Luzerne est un compagnon indolent et agréable, un homme d’honneur têtu à souhait, mais il croit, avec le général Gates, que le monde fait une grande partie de ses affaires, sans l’aide de ceux qui sont à sa tête. Le succès de pareilles gens dépend beaucoup d’un coup de dés. Le comte de Saint-Priest est le seul parmi eux possédant ce qu’ils appellent du caractère, correspondant à notre idée de fermeté, jointe à une certaine activité ; mais quelqu’un le connaissant bien (ce qui n’est pas mon cas) m’assure qu’il est mercenaire et faux ; si cela est vrai, il ne peut pas avoir beaucoup de bon sens, quels que puissent être son génie ou ses talents. M. de La Tour du Pin, que je connais à peine, est bien mal partagé sous ce rapport, me dit-on. C’est la peur des enragés qui a poussé M. Necker à l’accepter au lieu du marquis de Montesquiou, qui a énormément de talents, et beaucoup de méthode. Montesquiou est naturellement devenu l’ennemi de M. Necker, après avoir été son ami.

Quant à M. Necker, c’est un homme qui a obtenu une bien plus grande réputation qu’il ne mérite. Ses ennemis disent que, comme banquier, il a acquis sa fortune par des moyens que l’on dit indélicats, pour parler modérément, et ils en donnent des exemples. Mais dans ce pays tout est si exagéré que rien n’est plus utile qu’un peu de scepticisme. Dans son administration publique, M. Necker a été toujours honnête et désintéressé, ce que je considère comme un garant de sa conduite d’autrefois, comme particulier, ou bien cela prouve qu’il a plus de vanité que de cupidité. Quoi qu’il en soit, son intégrité sans tache comme ministre, et le fait de servir à ses frais dans un emploi que d’autres recherchent pour s’y enrichir, lui ont acquis une grande confiance des plus méritées. Ajoutez à cela que ses écrits financiers débordent de cette espèce de sensibilité qui fait la fortune des romans modernes, et qui convient bien à cette nation enjouée, aimant la lecture mais haïssant la réflexion. De là sa réputation. C’est un homme de génie, et sa femme, une femme de bon sens. Mais l’un et l’autre manquent de talents ou, plutôt, des talents d’un grand ministre. Son éducation de banquier lui a appris à ne traiter que des affaires sérieuses, et l’a mis en garde contre des projets. Bien que comprenant l’homme comme une créature cupide, il ne comprend pas l’humanité, et c’est un défaut irrémédiable. Il ignore complètement aussi la politique, je veux dire la politique au sens large du mot, c’est-à-dire cette science sublime qui prend pour but le bonheur de l’humanité. Il ignore, par suite, quelle constitution il faudrait rédiger, et ne sait comment amener les autres à consentir à ses désirs. Depuis la réunion des États généraux, il a flotté à la dérive sur l’immense océan des incidents. Mais le plus extraordinaire est que M. Necker est un financier très inférieur. Je sais que cela semblera une hérésie à bien des gens, mais c’est la vérité. Les plans proposés par lui sont faibles et ineptes ; jusqu’ici il s’est soutenu en empruntant à la Caisse d’Escompte, qui (étant à l’abri de toute poursuite parce que l’on appelle ici un arrêt de surséance), lui a prêté en papier une somme supérieure d’environ quatre millions de livres sterling à son capital tout entier. L’automne dernier il se présenta à l’Assemblée, en racontant une lamentable histoire, tout au bout de laquelle était un impôt d’un quart sur le revenu de chaque membre de la communauté, impôt qu’il déclarait nécessaire au salut de l’État. Ses ennemis l’ont adopté (en déclarant, ce qui est vrai, que c’est un expédient mauvais et impraticable) dans l’espoir que lui et son plan tomberaient ensemble. L’Assemblée, cette bande de patriotes, adopta en bloc la proposition du ministre, à cause de sa confiance en lui et de celle du peuple en ses députés, disait-elle, mais en réalité parce qu’elle ne voulait pas encourir l’impopularité d’un nouvel impôt. Le plan ainsi adopté, M. Necker, pour éviter le piège où il s’était presque laissé prendre, changea son impôt en ce qu’on appelle la contribution patriotique. Pour cela chacun doit déclarer à sa volonté ce qu’il lui plaît d’estimer comme son revenu annuel, et en payer un quart en trois années. Vous supposez facilement que cette ressource produisit peu, et que, malgré le danger imminent de l’État, nous ne tirons aucun secours de la contribution patriotique. Son projet suivant fut celui d’une banque nationale, ou tout au moins d’une extension de la Caisse d’Escompte. On l’a remanié depuis de diverses façons, en faisant disparaître plusieurs objections capitales, mais, somme toute, il ne vaut rien, ainsi qu’on s’en apercevra à l’usage : actuellement on ne fait que l’essayer. Pour fournir une base à cette opération, on a proposé et adopté la vente d’environ dix ou douze millions de biens de la Couronne ou de biens d’Église, qu’une résolution de l’Assemblée a déclaré appartenir également à la nation ; mais comme il est clair que ces terres ne se vendront pas bien en ce moment, on a nommé un trésorier pour recevoir le montant de ce qu’elles se vendront plus tard ; on tire sur ce trésorier des espèces de traite que l’on appellera assignat, et qui seront payées (au moyen des ventes) dans un, deux ou trois ans d’ici. On s’attend à pouvoir emprunter sur ces assignats assez d’argent pour faire face aux engagements de la Caisse d’Escompte, et on doit en même temps payer quelques-unes des dettes les plus criardes avec ces mêmes assignats. Or, ce plan ne peut réussir, parce que : 1o il y aura doute sur les titres de ces terres, au moins tant que la révolution ne sera pas terminée ; 2o pour une raison que nous allons voir, le signe extérieur des terres devra toujours se vendre moins cher que le signe extérieur de la monnaie ; donc, jusqu’à ce que la confiance publique soit assez rétablie pour que le 5 pour 100 soit au-dessus du pair, ces assignats, rapportant 5 pour 100, doivent être au-dessous du pair ; on ne pourra donc en tirer de l’argent qu’avec un escompte considérable ; 3o les terres dont on dispose devront se vendre bien au-dessous de leur valeur, car il n’y a pas dans le pays d’argent pour les acheter ; la preuve en est que l’on n’a jamais pu emprunter à un taux légal, mais toujours avec une prime suffisante pour attirer l’argent du commerce et des manufactures ; la Révolution ayant considérablement diminué la somme d’argent disponible, le résultat de cette disette sera encore plus grand. Mais de plus, il y a dans ce plan un solécisme qui échappe à presque tous, et qui est cependant très palpable. Vous savez qu’en Europe la valeur des terres est estimée d’après le revenu. Disposer de terres publiques, c’est donc vendre les revenus de l’État ; en adoptant l’intérêt légal de 5 pour 100, une terre qui rapporte 100 francs devrait donc se vendre 2000 ; mais l’on s’attend à ce que ces terres se vendent 3,000 francs et que, de cette façon, non seulement le crédit public sera rétabli, mais que l’on effectuera même de grandes économies, les 3,000 francs pouvant racheter un intérêt de 150 francs. C’est pourtant un fait indéniable, que lorsque le crédit public est solide, les rentes sur l’État valent plus que des terres à revenu égal, et cela pour trois raisons : d’abord, absence complète de souci pour la gestion ; deuxièmement, rien à craindre des mauvaises récoltes ou des impôts ; troisièmement, on peut en disposer à la minute, si le possesseur a besoin d’argent et les racheter aussi facilement dès que cela lui convient. Donc si le crédit public se rétablit, et qu’il y ait un excédent de dix ou douze millions à placer, quand même de si grandes ventes (contrairement à l’usage) ne feraient pas fléchir les prix, les terres devraient encore se vendre meilleur marché que la rente. L’intérêt acheté sera donc moindre que ce revenu vendu.

Vous ayant ainsi fait connaître à très grands traits les hommes et les choses de ce pays, je vois et je sens qu’il est temps de conclure. Je souhaiterais sincèrement pouvoir dire qu’il y a des hommes capables pour prendre le gouvernail, si le pilote actuel abandonnait le navire. Mais je redoute beaucoup ceux qui devront le remplacer. Le lot actuel sera hors d’usage avant la fin de l’année, et la plupart voudraient bien, à cette heure, avoir tiré leur épingle du jeu, mais il est également dangereux de rester ou de partir, et il faut patiemment attendre le souffle de l’Assemblée et suivre sa direction. Le nouveau régime ne pourra pas durer. J’espère qu’on l’améliorera, mais je crains qu’on ne le change. Toute l’Europe ressemble actuellement à une mine sur le point de sauter, et, si cet hiver n’apporte pas la paix, l’été prochain verra une grande extension de la guerre.

Lettre à Washington.

Février. — L’imposition de lourds droits d’entrée sur l’huile, et les grands avantages faits au tabac importé par navires français, joints à la déclaration que seront seuls réputés français les navires construits en France, tout cela va causer beaucoup de mauvaise humeur en Amérique. Ceux qui donnent le ton ici semblent penser que, parce que l’ancien gouvernement avait quelquefois tort, on doit avoir raison de faire toujours le contraire. Ils ressemblent à Jack, dans le « Conte du Tonneau », qui mettait en pièces son habit en arrachant les franges et les garnitures que Pierre y avaient mises, ou à l’ancien Congrès dans ses premiers jours, alors qu’il rejetait l’offre de traités avantageux et employait une armée de commissaires et de quartiers-maîtres, parce que la Grande-Bretagne avait recours à des fournisseurs. En réalité, dans l’effervescence actuelle, très peu d’actes de l’Assemblée peuvent être considérés comme reflétant la volonté nationale. Il continue à y avoir trois partis. Les enragés, connu depuis longtemps sous le nom de Jacobins, ont beaucoup baissé dans l’opinion publique ; aussi sont-ils moins puissants qu’autrefois dans l’Assemblée ; mais leurs comités de correspondance (appelés sociétés patriotiques,) couvrant tout le royaume, leur ont donné une influence profonde et forte sur la populace. D’autre part, les nombreuses réformes, quelques-unes inutiles, et toutes sévères, précipitées ou extrêmes, ont rejeté dans la parti aristocratique un grand nombre de mécontents.

Les militaires qui, comme tels, lèvent les yeux sur le souverain, sont un peu moins factieux qu’ils ne l’étaient, mais c’est plutôt une cohue qu’une armée qui, à ce que je crois, épousera fatalement la cause des aristocrates ou des jacobins ! Le parti moyen est dans une étrange position. À l’Assemblée, il suit les conseils des jacobins plutôt que de paraître attaché à l’autre parti. La même timidité se montre en dehors de l’Assemblée dans les grandes occasions, mais comme le torrent de l’opinion publique a arraché les aristocrates du sommet de leurs prétentions absurdes, et que le parti moyen commence à s’alarmer des extrémités auxquelles on l’a poussé, ces deux partis pourraient s’unir s’il n’y avait pas d’animosité personnelle entre leurs chefs.

Ce parti moyen serait le plus fort si la nation était vertueuse, mais, hélas ! ce n’est pas le cas ; je crois donc qu’il ne servira que de marchepied à ceux qui pourront trouver avantageux de changer de côté. Cependant, parmi toutes ces confusions, la confiscation des biens d’Église, la vente des domaines, la réduction des pensions et la destruction des offices, et surtout le papier-monnaie, ce grand liquidateur de la dette publique, cette nation poursuit son chemin vers une nouvelle forme d’activité énergique qui se fera sentir, à mon avis, dès qu’un gouvernement vigoureux sera établi. La confusion intermédiaire fera surgir des hommes de talent pour former le gouvernement et en exercer le pouvoir.