Journal de l’expédition du chevalier de Troyes/015

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Texte établi par La Compagnie de L’Éclaireur,  (p. 119-127).

appendice k


Relation de ce qui s’est passé à la Baie du Nord, envoyés par le Sieur Patu, sous fermier du Canada, de Québec.

A Québec le 14 Novembre 1689.

Aussitôt que le navire le Soleil d’Afrique fut arrivé à Charleston, le frère du Sr. d’Iberville et un autre s’embarquèrent dans un canot pour venir en diligence à Monsipy où ils trouvèrent la barque qu’ils chargèrent de castors, et l’amenèrent à Charleston où était le navire ayant eu beau temps, le voyage sitôt fait obligea d’Iberville à décharger promptement le castor, et rechargea les marchandises qu’il avait cru nécessaires pour Quichychouan où est le fort. Il dit à Delorme :

« Si j’ai beau temps je serai de retour avec le reste du castor dans peu et attendez-moi ici huit jours ; si je ne suis de retour dans ce temps, levez l’ancre et vous en allez » D’Iberville partit avc la barque, arriva le même jour à l’entrée de la rivière Quichychouan, et entra la nuit déchargea le lendemain, et rechargea le castor le troisième jour de son arrivé.

Lorsqu’il voulu s’en reouner et sortir de la rivière, il aperçut deux navires Anglais, ce qu’il le fit entrer sans qu’il en fut apperçut. Aussitôt il dépêcha deux canots pour aller couper les balises qui étaient dans la rivière pour conduire les vaisseaux, cela se fit à la vue des Anglais qui tirèrent plusieurs coups de fusils sur eux pour les en empêcher.

Ensuite les Anglais se mirent dans deux chaloupes pour remettre les balises de barils. Nos gens se voyant traités comme ennemis se mirent à tirer de leur côté, et cassèrent leurs barils à coup de haches, à mesure qu’ils en mettaient, cela se fit pendant deux jours. Leurs deux navires étaient échoués à la bande ; et si d’Iberville eut eu du canon sur sa barque, il les aurait pris en l’état qu’ils étaient, après cela le petit navire Anglais se releva et entra dans la rivière conduit par deux chaloupes qui sondaient continuellement. Maricourt frère d’Iberville et Martigny[1] son cousin les observaient, et tiraient incessamment sur eux. Les Anglais mirent leur monde à terre sous les armes embusqués de tout coté. La nuit suivante Maricourt, son cousin, Pierre Vaux, et Dorval s’embarquèrent après minuit pour venir faire leur embuscade sans être pris, à dessein de prendre quelques anglais en vie pour savoir leur dessein et les raisons qu’ils avaient de les attaquer et inquieter dans leur établissement, soit que les Anglais entendissent quelques branches cassées, où qu’ils eussent peur ils crièrent hors de la garde et envoyèrent des sentinelles plus avant. Nos gens voyant trois gens bien vêtus crurent que c’étaient les Commandants ils se trainèrent pour les approcher, un de ces Commandants prétendus qui avait une épée à garde d’argent, avec une grande perruque, s’écarta des autres, passa au bout de la levée dont nos gens tenaient le haut, cachés dans des broussailles ; ils le laissèrent passer croyant qu’il s’écarterait assez pour le pouvoir prendre en vie ; mais il revint sur ses pas pour rejoindre ses camarades. Nos gens voyant qu’il leur allait échapper, Martigny le tira de dix pas et le jetta par terre sur le bord de l’eau où il entra quelques pas en tombant puis se releva et y baissa son fusil criant à moi Pierre Vaux tira un second coup qui ne le fit pas tomber. Maricourt sans perdre de temps tira et le jetta à bas dont il ne se releva pas. Nos gens entrèrent environ deux arpents dans le bois, rchargèrent leurs fusils et trouvèrent les anglais qui faisaient grand bruit autour du corps de leur Capitaine. Nos gens firent encore sur eux leur descharge de loin, et leur crièrent : « vous voilà bien étonné pour un homme mort, nous nous reverrons plus amplement », après quoi ils s’enfuirent dans leur canot et traversèrent à deux cents pas au-dessus d’eux. Depuis ce temps qui dura depuis douze ou quinze jours jurqu’au départ de Martigny pour venir ici qui fut le 10 Octobre (1688), il ne passa rien. Le lendemain que le Capitaine fut tué, dès le point du jour, les Anglais déchargèrent leur petit navire dans le même lieu où avait été tué le Capitaine, une partie d’eux demeura pour garder leurs marchandises et l’autre fut avec le petit navire décharger le grand navire qui était encore échoué à la côte, et le lendemain d’après ils le firent entrer.

Nos gens au nombre de 14 qui avaient passé la nuit des deux côtés de la rivière en embuscade, voyant que les Anglais faisaient monter leurs deux navires escortés de leurs deux chaloupes, sortirent de leur embuscade pour les fusiller à découvert. Les Anglais leur tirèrent bien quarante coups de canon. La Mothe qui est notre interpète pour les sauvages, y fut légèrement blessé à la cuisse, Maricourt le fut pareillement d’un éclat de roche. Cela ne les empêcha pas de continuer à tirer sur les Anglais qui ayant la marée favorable montèrent malgré les nôtres, et se vinrent camper à un quart de lieue de notre fort ou depuis ils ont campés sous des tentes creusées en terre pour se mettre à couvert des coups de fusils de nos gens qui les obervaient nuit et jour, espérant en prendre quelqu’un en vie, mais ils n’ont jamais osé s’écarter plus de vingt pas. Partie de nos gens était occupée à faire une fosse contre leur fort pour y mettre leur barque à couvert des glaces, les autres les gardaient, et le reste chassait à leur barbe. Ils sont si consternés que Lamothe seul s’étant mis en embuscade au-dessus d’eux, la nuit avec trois fusils, à la pointe du jour il vit une chaloupe où il y avait neuf hommes qui montaient terre à terre, il les laissa approcher et les tira en passant, celui qu’il mirait tomba à la renverse, tous les autres se jettèrent au fond de la chaloupe, qui n’eurent pas l’assurance de paraître, et se laissèrent dériver avec le courant qui les remenait vers leurs gens.

Ensuite de cela d’Iberville envoya à son cousin Martigny qui s’offrit de nous apporter des lettres cet hiver pourvu qu’on lui donna encore un Français de ceux qui étaient à Monsipy, avec un sauvage pour le guider.

Il partit donc seul pour venir à Monsipy ou, (10 octobre 1686), il prit Montplaisir avec lui et deux sauvages des Abitibys qui s’y trouvèrent, lesquels leur promirent de les amener ici sur les neiges. Malheureusement les vivres leur ayant manqué, ils furent obligés de quitter leur chemin pour chasser de quoi vivre. Ils trouvèrent dans les lieux de chasse des sauvages qui venaient de Thémiscaming, qui leur dirent que les Iroquois avaient tué tous les Français qui y étaient, qu’ils avaient trouvée des morceaux de leurs corps par la place. C’en était là plus qu’il ne fallait pour épouvanter nos gens, et les faire relacher. Ce fut en ce même lieu qu’ils reçurent la dernière lettre que d’Iberville nous a écrite, partie par des sauvages qui avaient premis de ratrapper nos gens. D’Iberville eut le prévoyance d’envoyer du papier à son cousin, et lui manda de lui faire savoir si les guides persistaient, et s’il espérait se rendre cet hiver ; il lui manda par les mêmes sauvages que sur la nouvelle ci-dessus ses guides avaient pris l’épouvante, et qu’au lieu de descendre, ils le menaient vers le Lac Supérieur, ce qui l’empêcherait de se rendre ici plustôt que le printemps.

Nos deux français et leur guides pensèrent mourir de faim et pour augmentation de malheur les fusils des sauvages, et un de ceux de nos gens crévèrent. La misère qu’ils eurent sur les chemins les obligea à suivre des lacs pour y pêcher, ce qui alongea beaucoup leur chemin. Ils y rencontrèrent un sauvage qui eut la bonté de leur faire un petit canot où ils s’embarquèrent le 18e. Mai (1689) environ à 150 lieus de St. Marie où ils s’envinrent seuls, conduits par une petite carte que le sauvage leur avait faite sur une écorse. Il s’éjourna un jour à St. Marie où le P. Albanel lui apprit que partie des sauvages était en guerre, et l’autre à la chasse que tous les Français avaient bien fait leurs affaires, qu’ils devaient s’assembler pour descendre en Juillet, qu’il arrivait souvent des partis de guerre qui amenaient des prisonniers, et que les Hurons devaient se retirer avec les Miamys à cause que les Français les veulent abandonner en voulant faire paix avec les Iroquois.

D’Iberville mande qu’il croit qu’il y a bien 80 à 90 hommes parmi les Anglais, et bien qu’il n’ait que 17 hommes avec lui, il espérait se rendre maître des dits Anglais.

Le 30 Juin 1689 le Sr. De Bellefeuille arriva venant de la Baye du Nord d’où il partit le 15 Avril ; il a été amené par deux sauvages d’Abitibys au travers des terres, et il est sorti par le rivière Lelièvre. Voici ce qu’il dit s’être passé au Nord depuis le départ de Martîgny au mois d’Octobre 1688.

Le Sieur d’Iberville commandant à la Baye fit réflection que s’il continuait à harceler les Anglais, il les obligerait à lever l’ancre et s’en aller à l’île Charleston qui est le seul lieu où il pourraient mettre leurs navires en sureté. Nous avions encore à Charleston les deux tiers de la cargaison du navire le Soleil d’Afrique avec six hommes qui les gardaient ; cela le fit résoudre à les laisser en repos travailler à faire une maison, et se fortifier jusqu’à ce que leurs navires fussent pris dans les glaces. Ce temps étant arrivé, d’Iberville ne garda plus de mesures (Octobre 1688). Un jour le Sr. d’Iberville se promenant avec Lamothe passant devant le fort des Anglais, ils l’appelèrent en montrant un pavillon, et le prièrent de bien vouloir vivre en paix avec eux, et qu’il n’inquiéta point leurs gens qui allaient à la chasse des perdrix, il leur fit réponce qu’il ne pouvait leur laisser cette liberté par le crainte qu’il avait qu’en leur accordant ils ne prissent connaissance de l’état où il était ; cela finit avec quelques gasconnades de la part des Anglais. Le lendemain deux Capitaines des navires anglais et un pilote sortirent pour la chasse nonobstant la défense du Sr. d’Iberville ; un des capitaines se trouvant incommoder, relâcha, d’Iberville lui sixième étant allé pour gater et couper la charpante que les anglais préparaient pour achever leur bâtiment, il fit rencontre de la piste du Capitaine et pilote il leur coupa leur chemin, et les ayant rencontré leur fit commandemant de mettre armes bas ; ce qu’ils firent et se rendirent au Sr. d’Iberville qui les amena à son fort. Le lendemain d’Iberville envoya huit hommes pour attraper ceux qui iraient de la part des Anglais chercher le Capitaine et le pilote de qui ils ignoraient le prise.

Nos gens étant en embuscade virent venir dix Anglais sur la glace bien armés, mais ils n’osèrent approcher et s’en retournèrent. Deux ou trois jours se passèrent pendant que nos gens cherchaient occasion de prendre ceux qui sortiraient. Les Anglais se voyant gênés présentèrent un pavillon et demandèrent à parler, ils s’avancèrent au milieu de la rivière, et dirent qu’ils ne demandaient qu’a vivre en paix, et qu’ils étaient prêts (pour en donner des marques) de nous vendre toutes leurs marchandises à cent pour cent payables en Castor à 4 $ 10 s. et demeureraient paisiblement dans leur fort jusqu’à ce qu’on eut des nouvelles d’Europe ou de M. de Denonville, et qu’ils donneraient pour sureté de leur parole un otage. Le Sr. d’Iberville en demeura d’accord à condition qu’ils ne passeraient point au sud de leur ile qui était de notre côté, le Sr. d’Iberville se réservait le pouvoir d’aller ou bon lui semblerait avec ses gens. Le traité fut ainsi fait par écrit, et cela fini, les Anglais firent apporter leurs marchandises au milieu de la rivière sur la glace, par huit ou dix hommes.

Les nôtres les recevaient les armes à la main, cela dura pendant deux ou trois jours, ensuite de quoi un long temps se passa que l’on vivait en bons amis.

Un Capitaine et un Lieutenant du Gouverneur vinrent visiter d’Iberville qui les avait invités à diner ; ils s’en retournèrent sur le soir conduits par lui jusqu’à moitié chemin, d’Iberville ayant examiné son traité ne le trouva pas bien fait et était toujours dans la défiance. Il se résolu de faire en sorte d’avoir un Irlandais catholique qui parlait français, lequel était aux Anglais et qui avait témoigné à d’Iberville en particulier qu’il se voulait rendre à lui d’Iberville impatientant de ce qu’il ne le venait pas trouver, envoya son frère Maricourt avec six hommes pour le prendre. Le dit Maricourt se cacha dans le bois et envoya deux de ses hommes sur la glace demandant à parler. Les Anglais y envoyèrent le dit Irlandais pour savoir ce que l’on voulait. Un de nos hommes s’avança et lui dit qu’ils étaient venus de la part de leur commandant pour le sommer de lui tenir sa parole. Il répondit qu’il la voulait tenir mais qu’on lui donnât quatre ou cinq jours pour avoir le loisir de retirer ses hardes. Pendant ce temps notre autre français s’avança et lui dit qu’il ne fallait point différer, et qu’il ne manquerait point de hardes.

Il obéit et l’emmenèrent à notre fort. Il dit au Sr. d’Iberville l’état ou étaient les affaires des anglais, lui faisant connaître qu’ils étaient venus exprès pour chasser les Français, et qu’il s’en défiait, que tout ce qu’ils faisaient n’étaient que pour l’amuser et le trahir, et qu’ils avaient encore des marchandises par derrière eux. Ensuite d’Iberville et son frère Maricourt, avec douze hommes se furent camper dans l’ile des Anglais, proche leur fort et demandèrent à parler. D’Iberville fit connaître qu’il n’était pas content de leur procédé et qu’ils manquaient à la parole qu’ils lui avaient donnée. Ils lui firent réponse qu’ils désireraient le contenter en toutes choses.

Le Gouverneur Anglais vint lui-même pour l’assurer qu’il lui tiendrait parole. Le lendemain l’on fut chercher le reste de la marchandise, et ils envoyèrent le Capitaine Abraham pour otage, disant à d’Iberville que c’était un homme pour lui ils avaient beaucoup de considération. Un long temps se passa, se visitant les uns les autres en se régalant. Le capitaine Abraham, otage, fit confidence à d’Iberville. qu’il était un forban qui avait été pris par eux dans le détroit, et lui dit, ne faites aucun fond pour m’avoir comme otage, je sais qu’ils vous veulent tromper, et, et que tout ce qu’ils font n’est que pour prolonger le temps en attendant que les glaces leur donnent la liberté de se mettre sur les navires avec quoi ils prétendent se rendre maîtres de votre fort et vous prendre, et ajouta qu’ils avaient encore des marchandises.

D’Iberville profita de ces avis pour rompre le traité qu’il avait fait avec eux, puisqu’ils y contrevenaient. Il résolut de commencer par leur oter quatre bons hommes qu’ils avaient, lesquels étaient de vieux hivernants de ces quartiers, qui savaient la langue des sauvages. Pour exécuter ce dessein il les fit inviter par LaMothe, et un sauvage, d’aller quérir de la viande fraîche, et que les sauvages avaient tué dix cariboux, ils accordèrent que le lendemain ils iraient. LaMothe les fut quérir en passant, et les mena par l’endroit où il savait que Maricourt les attendait avec cinq hommes. Le dit Maricourt leur dit Mrs. la viande fraîche que je veux vous donner est chez nous, il faut y venir ce qu’ils firent, leur ayant été promis qu’il y avait bon quartier pour eux. D’Iberville les fit mettre en prison, et dit au Capitaine Baudeleur premier, prisonnier, de faire venir toutes ses hardes, ce qu’il fit en écrivant au commandant Anglais qui fit réponse par notre français qu’ils les en verraient sans faute le lendemain, ce qu’il fit avec 17 hommes qui menaient une traîne. Le Sieur d’Iberville fit au devant d’eux accompagné de 13 hommes à dessein de les enlever, ce qu’il fit en les faisant conduire à son fort. Ils dirent que leur Lieutenant venait après eux, lui deuxième. Maricourt s’en fut lui 4e. au devant pour les prendre.

Dans ce même temps notre chirurgien fut inviter celui des Anglais d’aller à la chasse avec lui ce qu’il fit, nos gens le furent attendre dans le bois, et l’emmenèrent au fort.

Voilà 21 hommes de pris et tous par adresse. Le même jour d’Iberville envoya sommer les Anglais de lui remettre tous les effets de leur compagnie entre les mains, et de se rendre. Ils répondirent qu’ils étaient encore 40 hommes de combat, sans leurs malades, et que ce n’était pas une proposition à leur faire que de les mettre ainsi à sa discrétion. Le lendemain Maricourt, lui 14e. fut camper dans l’ile des Anglais, hors la portée de canon ; il y fit faire une cabane et envoyait continuellement harceler les Anglais. Le jour suivant d’Iberville y fit mener une petite pièce de canon, et y vint lui-même. Deux jours se passèrent ainsi à tirailler les uns contre les autres. L’Anglais se servait de toute son artillerie qui état nombreuse, ayant sur ses deux navires 34 pièces de canon et 8 pierriers. Le 3e. jour ils nous tuèrent le nommé Villeneuve, une heure après on tua un des leurs. Le lendemain d’Iberville y retourna avec son prisonnier Baude, Lieutenant du Gouverneur, où il les somma de se rendre, qu’à faute de quoi il n’y aurait pas de quartier. Ils donnèrent leur réponce par écrit en alléguant les conditions du premier traité. D’Iberville n’y voulut pas entendre et leur fit connaître que le plus court pour eux étaient de se rendre.

Les Anglais envoyèrent pour la seconde fois le priant de leur donner du délai jusqu’au lendemain afin de songer à leurs affaires, promettant, de lui donner toute sorte de satisfaction. Le lendemain étant arrivé, et nos gens toujours campés devant eux, d’Iberville envoya son interprète demandé leur réponse. Ils l’envoyèrent en latin. D’Iberville vint à notre camp avec le Lieutenant, son prisonnier, et accepta leurs propositions qui étaient qu’ils payeraient tel gages des officiers montant à 2 500 lbs. qu’il leur donnerait un vaisseau avec vivres pour s’en retourner. Cela étant arrêté, d’Iberville envoya quérir le Gouverneur qui vint sur la glace et signèrent les conventions ; et ensuite le dit Gouverneur fit sortir tout son monde sans armes sur la glace. Maricour fut prendre possession du fort des Anglais avec 14 hommes, le Gouverneur l’y conduisant. Cela étant fini d’Iberville fit désarmer les deux navires, et mis ce qui était dedans au fort. Les Anglais furent coucher dans les dits deux navires, ensuite d’Iberville s’en retourna à son vieux fort où il restait 8 français qui gardaient les prisonniers au nombre de 55, le reste étant mort de maladie dans leur fort. Le lendemain d’Iberville revint au fort nouvellement pris pour mettre ordre à tout, et fit conduire tous les Anglais au vieux fort, s’en réservant dix des meilleurs pour les faire travailler ; et après avoir retiré tous les effets qui étaient dans son vieux fort il y en retira aussi 8 hommes qui y étaient restés à la réserve d’un, qu’il laissa pour garder les Anglais, et leur distribuer des vivres, Maricour partit du vieux fort vers la fin de l’année 1688 pour aller à Charleston sur les glaces pour savoir des nouvelles des six hommes qu’il y avait laissées pour le garde de nos marchandises qui y étaient restées ; il les trouva en parfaite ordre et en ramena quatre avec lui pour fortifier Quichychouan où étaient les navires Anglais. Il y a presque 150 lieus à faire sur les glaces et une traversée de 15 lieus sans abri, les Anglais étaient 85 hommes sur les deux navires, le plus grand était de 18 pièces de canon et 4 pierriers, le petit était de dix pièces et de 4 pierriers avec quantité d’armes et munitions de bouche et de guerre. Des 85 hommes susdits, il en était mort 28, y compris 3 de tuer par nos gens.

Avant que le Sieur Bellefeuille fut arrivé pour apporter la nouvelle de la prise des navires Anglais la Compagnie avait résolu d’envoyer St. Hélène, frère d’Iberville pour la découverte d’un chemin par lequel on prétendait aller en 20 jours à la Baye, et même temps un secours d’hommes pour aider au Sr. d’Iberville à repousser les Anglais qui pouvaient revenir cette année à la dite Baye pour savoir des nouvelles de leurs gens.

C’est pourquoi il fut dépêché un des associés pour aller travailler à Montréal a cette expédition qui fut achevée le 5e. de Juillet (1689) que le dit de Sainte Hélène partit avec 50 hommes parmi lesquels il y avait nombre de matelots que l’on envoyait exprè pour amener les navires Anglais, en cette rade. Il fut aussi dépêché par Tadoussac 10 à 12 hommes entre lesquels était un pilote français qui avait fait deux voyages au port Nelson dans le temps que nous en étions en possession. Depuis l’arrivée du dit Sr. Bellefeuille on n’avait reçu aucune nouvelles de la Baye jusqu’au 20 Octobre 1689 qu’arriva le Sr. La Chevrotière avec 8 Anglais entre lesquels étaient les trois Capitaines des navires pris avec des lettres de d’Iberville qui marquait qu’il avait pris la résolution de s’en venir à Québec avec les navires Anglais, le plus grand équipé de ses canons, 30 Français et 12 Anglais, et qu’il avait donné aux autres Anglais, qui n’étaient de nulle conséquence, un petit bâtiment qu’il avait pris le printemps dernier pour s’en retourner en Europe, qu’il partirait le 10 Septembre du fond de la Baye et, qu’il laisserait son frère Maricour pour y commander avec St. Hélène qui ne s’enviendrait que quand le temps serat passé que l’on peut craindre l’arrivée de quelques navires Anglais, et même qu’il viendrait par ce chemin prétendu qu’il aurait marqué en allant, ayant mit 42 jours à se rendre au lieu de 20. Il ne crois pas que les Anglais y retournent sitôt. Dans les prises que nous avons faite, il s’est rencontré onze pilotes, il ne leur reste que le nommé Grimeton qui était pour nous dans le Soleil d’Afrique, et qui nous a déserté, s’il revient au dit fond de la Baye il est encore à nous.

Nous sommes au 29 octobre 1689 le navire du Nord arrive chargé de pelleteries, il a rencontré le navire qui porte les retours du fort Nelson à Londres, si l’équipage avait été tout français, d’Iberville l’aurait assurément pris ; mais se prudence l’a empêché de rien entreprendre sur le d. navire afin de se réserver pour le port Nelson. C’est à la conduite du dit Sr. d’Iberville que l’on doit tout ce succès.

Arch. Can. Corr. géné Canada. Vol. 1 fol 480 à 498.




  1. Jean Baptiste Lemoine, Sieur de Martigny, fils de Jacques Lemoine, sieur de Ste-Marie, et de Mathurine Godé, baptisé à Montréal, le 2 avril 1662, marié le 1er  juillet 1691, à Elizabeth Guyon. Il suivit d’Iberville dans presque toutes ses campagnes. Il fut tué au siège du fort Sainte-Anne, en 1709, dans la tantative malheureuse des Français pour reprendre ce poste.