Journal de la comtesse Léon Tolstoï/Deuxième partie/Chapitre III

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Chapitre III
Pourquoi il a donné à Karenina
le prénom d’Anna et ce qui lui a inspiré
l’idée d’un pareil suicide.


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Nous avons pour voisin un certain Bibikov, un homme d’une cinquantaine d’années, inculte et de modeste aisance. Sa maison était tenue par une parente éloignée de sa femme défunte, Anna Stépanovna, une vieille fille de trente-cinq ans dont il avait fait sa maîtresse. Bibikov fit venir chez lui, pour son fils et sa nièce, une gouvernante allemande. Celle-ci étant jolie, il en tomba amoureux et la demanda en mariage. Sur ces entrefaites, Anna Stépanovna quitta la maison sous prétexte d’aller voir sa mère à Toula. De là, avec un petit baluchon qui ne contenait que du linge et une robe de rechange, elle revint à Iasenka, la gare la plus proche de chez nous et se jeta sous un train de marchandises. On procéda à son autopsie. Léon Nikolaïévitch la vit à Iasenka, dans des baraquements, le corps entièrement dévêtu, disséqué et le crâne dénudé. L’impression fut terrible et profonde. Anna Stépanovna était une femme de haute taille, aux formes amples. Russe de type et de caractère, les yeux gris, pas jolie, mais très agréable.


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