Journal de voyage d'un Troyen en Extrême-Orient et autour du monde/de New-York au Havre

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Samedi 28 mai.

Le lendemain matin, nous partons vers huit heures en omnibus pour le quai d’embarquement. Je trouve là ma valise que j’ai expédiée de Vancouver. J’avais encore peur pour elle. Je la fais monter à bord de la Navarre et j’y monte moi-même.

Beaucoup de monde à bord, mais bien peu resteront en raison de la guerre. À dix heures la cloche sonne, nous partons et constatons bientôt que nous sommes 45 passagers de première dans un bateau qui est fait pour en contenir 150 et qui est toujours rempli à cette époque de l’année.

Je vois à bord M. D… à qui M. J… m’a présenté et nous nous trouvons quatre à une table où nous nous lions bien vite. Ça n’est pas gai de n’être pas plus nombreux ; aussi nous restons le plus possible au fumoir à faire des parties de jacquet, d’écarté, de manille, etc. Le temps passe avec peine, on pense au retour prochain, on ne cherche pas trop à se lier comme lorsqu’on part vers l’inconnu. De là plus de froideur. En outre, nous traversons pendant plusieurs jours des brouillards si épais qu’on ne voit pas les extrémités du bateau, alors de minute en minute, la sirène fait entendre son appel si impressionnant « hou… hou… hou… hou !!! » c’est lugubre, surtout la nuit.

La mer est belle cependant, deux jours à peine de mauvais temps et nous arrivons le dimanche seulement en vue de la pointe anglaise. À une heure ou deux du malin, nous serons en vue du Havre.


Lundi 6 Juin.

Le branle-bas commence dès 3 heures du matin, aussi, faut-il se lever et fermer sa valise. Ce n’est que vers 8 heures qu’un petit vapeur vient nous chercher, car nous ne pouvons entrer au port à cause de la marée.

Je me mets sur l’avant du bateau et ouvre mes yeux tout grands pour chercher à reconnaître un visage ami parmi les gens qui sont le long de la jetée que nous côtoyons. Enfin, nous arrivons au ponton où l’on accoste, et je reconnais, parmi les attendants, ma chère petite femme ! Les mouchoirs vont leur train, mais leurs oscillations sont vives et gaies, et bientôt nous tombons aux bras l’un de l’autre et le plaisir de se retrouver après une si longue séparation est si intense que je renonce à le décrire.

Mais j’engage vivement tous mes amis qui voudraient s’en rendre compte à faire comme moi, et la seule crainte que j’éprouverais en les voyant suivre mon exemple, serait de les voir revenir avec l’idée de recommencer. Ce que j’espère bien faire moi-même un jour ou l’autre.


FIN