Journal des Goncourt/I/Année 1852

La bibliothèque libre.


Journal des Goncourt : Mémoires de la vie littéraire
Bibliothèque-Charpentier (Tome premier : 1851-1861p. 13-28).

ANNÉE 1852


Fin de janvier 1852. — L’Éclair, Revue hebdomadaire de la Littérature, des Théâtres et des Arts, a paru le 12 janvier.

Depuis ce jour, nous voilà avec Villedeuil à jouer au journal. Notre journal a un bureau au rez-de-chaussée dans une rue où l’on commence à bâtir : rue d’Aumale ; il a un gérant auquel on donne cent sous par signature ; il a un programme qui est l’assassinat du classicisme ; il a des annonces gratuites et des promesses de primes.

Nous passons au bureau, deux ou trois heures par semaine, à attendre, chaque fois que s’entend un pas dans cette rue où l’on passe peu, à attendre l’abonnement, le public, les collaborateurs. Rien ne vient. Pas même de copie, fait inconcevable ! pas même un poète, fait plus miraculeux encore !

Une rousse du nom de Sabine, qui est la seule personne qui fréquente le bureau, nous demandant un jour : « Et ce monsieur, qui est là, pourquoi a-t-il l’air si triste ? » On lui répond en chœur : « C’est notre caissier ! »

— Le lit où l’homme naît, se reproduit et meurt : quelque chose à faire là-dessus, un jour.

— La sculpture anglaise et les romances de Loïsa Puget sont sœurs.

— Ah ! si l’on avait un secrétaire de ses ivresses !

— Au fond, il n’y a au monde que deux mondes : celui où l’on bâille, et celui où l’on vous emprunte vingt francs.

— Dans l’hypertrophie du cœur, la figure, après la mort, prend le caractère extatique. Une jeune fille qu’on croyait morte à la suite de cette maladie, — son père pleurant au pied de son lit, — rejette soudain le drap qu’elle avait sur la tête, se soulève dans une attitude de prière, montrant un visage à la beauté surnaturelle qui fait croire à un miracle, et après un petit discours de consolation adressé à son père, se recouche et repose le drap sur sa tête, en disant : « Je puis dormir maintenant. »

— J’ai connu un amant qui disait à sa maîtresse se plaignant d’avoir perdu une fausse dent de 200 francs : « Si tu la faisais afficher ? »

— Nous continuons intrépidement notre journal dans le vide, avec une foi d’apôtres et des illusions d’actionnaires. Villedeuil est obligé de vendre une collection des Ordonnances des Rois de France pour lui allonger l’existence, puis il découvre un usurier dont il tire cinq à six mille francs. Les gérants, à cent sous la signature, se succèdent : le premier, Pouthier, un peintre bohème, ami de collège d’Edmond, est remplacé par un nommé Cahu, un être aussi fantastique que son nom, et qui est libraire philologique dans le quartier de la Sorbonne et membre de l’Académie d’Avranches ; et Cahu cède la place à un ancien militaire, auquel un tic nerveux fait à tout moment regarder la place de ses épaulettes et cracher par-dessus ses deux épaules.

Dans les six mille francs que Villedeuil était censé avoir reçus de son usurier, figurait, pour une assez forte valeur, un lot de deux cents bouteilles de champagne. Le vin commençant à s’avarier, le fondateur de l’Éclair a l’idée d’enlever le journal en donnant un bal, et en offrant ce bal au champagne, comme prime aux abonnés. On invite toutes les connaissances de l’Éclair, le bohème Pouthier, un architecte sans ouvrage, un marchand de tableaux, des anonymes ramassés au hasard de la rencontre, quelques femmes vagues, et, à un moment, pour animer un peu cette fête de famille, Nadar, qui commençait une série de caricatures dans notre journal, a l’idée d’ouvrir les volets, et d’inviter les passants et les passantes par la fenêtre.

— Une femme entretenue de notre maison disait à sa bonne : « Vous pourriez bien dire : Madame, s’il vous plaît. — Tiens, je n’ai pas la force de parler, et il faut encore que je dise : Madame, et s’il vous plaît ! »

— Le Jéhovah de la Bible, un Arpin. Le Dieu de l’Évangile, un Ésope onctueux, un politique, un agent d’affaires à consultations gratuites et bienveillantes.

— Nous qui avons passé notre enfance à regarder, à copier des lithographies de Gavarni, nous qui étions, sans le connaître, et sans qu’il nous connût, ses admirateurs, nous avons décidé Villedeuil à lui demander des dessins. Et ce soir, un dîner a eu lieu, à la Maison d’Or, où il nous a proposé pour notre journal la série du Manteau d’Arlequin.

— Portrait d’un vieux monsieur en omnibus. Face massive et mafflue. Des taches blanchâtres au lieu de sourcils. Yeux en verroterie bleue à fleur de tête. Poches jaunâtres et bleuissantes sous les yeux. Petit nez très relevé au bout couleur de nèfle. Oreilles couleur de vieille cire, avec dessus un duvet blanc comme sur les orties.

Autre vieux monsieur. Cheveux blancs très courts, sourcils restés noirs, des yeux qui semblent des yeux d’émail entre des paupières sans cils, coloration bilieuse du teint, galbe osseux, sculpture émaciée des chairs. Ce vieillard à la tête où il y a du cabotin et du conventionnel, porte un col large, rabattu à l’enfant, une cravate chamois à bouquets roses et verts, et une chaîne de montre s’échappe de son gilet pour se perdre dans la poche extérieure d’une redingote vert bouteille, pendant qu’une de ses mains ornée d’une bague en turquoise, pose sur un manteau plié sur ses genoux, un manteau raisin de Corinthe.

— « Les tragédies… oh ! que c’est embêtant ces vieilles tragédies !… Rachel… une femme plate !… — c’est Janin qui cause avec le décousu d’un de ses feuilletons. — Les acteurs… ils jouent tous la même chose… moi, je ne parle que des actrices… Encore, quand ils sont bien laids, comme Ligier, on peut dire qu’ils ont du talent… mais, sans cela jamais leur nom ne se trouve sous ma plume… Voyez-vous, le théâtre, il faut que ça soit deux et deux font quatre, et qu’il y ait des rôles de femmes… c’est ce qui fait le succès de Mazères…. Figurez-vous que Mlle B… est venue l’autre jour me demander 500 francs. Je lui ai demandé pourquoi ? Afin de parfaire 1 000 francs pour se faire aimer par F… » Et Janin éclate de rire. « Une chose neuve ? une chose neuve pour le public, allons donc ! Si la Revue des Deux Mondes changeait de couleur sa couverture, elle perdrait 2 000 abonnés… Amusez-vous, allez, on regrette ça plus tard, il n’est plus temps… À propos, vous avez écrit un joli article sur cet ornemaniste, sur ce Possot… Vous avez quelque chose de lui, hein ?… Oh ! les attaques, ça ne me fait rien. Qu’est-ce qu’on peut me dire : que je suis bête, que je suis vieux, que je suis laid ! Ça m’est parfaitement égal… Ce Roqueplan, un homme tout couvert de l’æs alienum, comme dit Salluste… Tenez, il y a un jeune homme, l’auteur d’une Sapho, qui a touché juste, le mâtin ! Il a mis dans sa préface : les auteurs qui vont louer leurs livres au cabinet de lecture… Et ce Pyat… J’ai voulu devant les magistrats dire toute ma conduite, montrer toute ma vie… Mais quand on me dit que je ne sais pas le français, moi, qui ne sais que cela… car je ne sais ni l’histoire, ni la géographie, ni rien… mais le français, cela me paraît prodigieux… Tout de même, ils ne m’empêcheront pas d’avoir tout Paris à mon enterrement ! »

Et nous reconduisant jusqu’à la porte de son cabinet, il nous dit : « Voyez-vous, jeunes gens, il ne faut pas trop, trop de conscience ! »

— Sur la route de Versailles, au Point-du-Jour, à côté d’un cabaret ayant pour enseigne : À la renaissance du Perroquet savant, un mur qui avance avec de vieilles grilles rouillées qu’on ne dirait jamais s’ouvrir. Le mur est dépassé par un toit de maison et par des cimes de marronniers étêtés, au milieu desquels s’élève un petit bâtiment carré, — une glacière surmontée d’une statue de plâtre tout écaillée : la Frileuse d’Houdon.

Dans ce mur fruste, une porte à la sonnette de tirage cassée, dont le tintement grêle éveille l’aboiement de gros chiens de montagne. On est long à venir ouvrir ; à la fin, un domestique apparaît et nous conduit à un petit atelier dans le jardin, éclairé par le haut et tout souriant. C’est là que nous faisons notre première visite à Gavarni.

Il nous promène dans sa maison dont il nous raconte l’histoire : un ancien atelier de faux-monnoyeurs sous le Directoire, devenu la propriété du fameux Leroy, le modiste de Joséphine, qui utilisa la chambre de fer où l’on avait fabriqué la fausse monnaie à serrer les manteaux de Napoléon, brodés d’abeilles d’or. Il nous fait traverser les grandes pièces du rez-de-chaussée, décorées de peintures sur les murs représentant des vues locales : la porte d’Auteuil en 1802.

Nous parcourons avec lui toute la maison et les interminables corridors du second étage, où d’anciens costumes de carnaval, mal emballés, s’échappent et ressortent de cartons à chapeaux de femmes.

Nous redescendons dans sa chambre, où près d’un petit lit de fer étroit, — une couche d’ascète, — il y a sur la table de nuit un couteau en travers d’un livre ayant pour titre : le Cartésianisme.

— Tous comptes faits avec Dumineray, le seul éditeur de Paris qui, sous l’état de siège, ait osé prendre en dépôt notre pauvre En 18.., nous avons vendu une soixantaine d’exemplaires.

— J’ai eu, dans ma famille, un type de la fin d’un monde, — un marquis, le fils d’un ancien ministre de la monarchie.

C’était, quand je l’ai connu un beau vieillard à cheveux d’argent, rayonnant de linge blanc, ayant la grande politesse galante du gentilhomme, la mine tout à la fois bienveillante et haute, la face d’un Bourbon, la grâce d’un Choiseul, et le sourire toujours jeune auprès des femmes.

Cet aimable et charmant débris de cour n’avait qu’un défaut : il ne pensait pas. De sa vie je ne l’ai jamais entendu parler d’une chose qui ne fût pas aussi matérielle que le temps du jour ou le plat du dîner. Il recevait et faisait relier le Charivari et la Mode. Il pardonnait pourtant à la fin au gouvernement qui faisait monter la rente. Il s’enfermait pour faire des comptes avec sa cuisinière : c’était ce qu’il appelait travailler. Il avait un prie-Dieu recouvert en moquette dans sa chambre. Il avait dans son salon des meubles de la Restauration, des fauteuils en tapisserie au petit point, où était restée comme l’ombre du chapeau de la duchesse d’Angoulême. Il avait une vieille livrée, une vieille voiture, et un vieux nègre qu’il avait rapporté des colonies, où il mena joyeuse vie pendant l’émigration : ce nègre était comme un morceau du XVIIIe siècle et de sa jeunesse à côté de lui.

Mon parent avait encore les préjugés les plus inouïs. Il croyait par exemple que les gens qui font regarder la lune, mettent dans les lorgnettes des choses qui font mal aux yeux, etc., etc.

Il allait à la messe, jeûnait, faisait ses pâques. À la fin du carême, le maigre l’exaspérait : alors seulement il grondait ses domestiques.

Il demeurait dans tout cet homme quelque chose d’un grand principe tombé en enfance. C’était une bête généreuse, noble, vénérable, une bête de cœur et de race.

Gavarniana.

— Je hais tout ce qui est cœur imprimé, mis sur du papier.

— Je fais le bien, parce qu’il est un grand seigneur qui me paye cela, — et ce grand seigneur, c’est le plaisir de bien faire.

— Le chemin de fer et sa vitesse relative, voilà un beau progrès, si vous avez décuplé chez l’homme le désir de la vitesse !

— Gavarni disait de Dickens « qu’il avait une vanité énorme et paralysante, peinte sur la figure. »

— Gavarni avait vu de Balzac un billet ainsi rédigé :

De chez Vachette.

Mon cher Posper (sic), viens ce soir chez Laurent-Jan, il y aura des c… p… bien habillées.

Balzac.

— Quand Gavarni avait été à Bourg avec Balzac pour tâcher de sauver Peytel, il était obligé de lui répéter à tout moment : « Voyons, il s’agit d’une chose grave, Balzac, il faut être convenable pendant les quelques jours que nous sommes ici, » et il lâchait le grand écrivain le moins possible. Un jour qu’il avait été obligé de le quitter deux heures, il le retrouvait sur la place où il avait accroché le sous-préfet, et lui racontait comment les petites filles s’amusent dans les pensions.

Dans ce voyage où Gavarni était obligé de veiller à la propreté de son compagnon, un jour il ne pouvait s’empêcher de lui dire :

— « Ah çà, Balzac, pourquoi n’avez-vous pas un ami… oui, un de ces bourgeois bêtes et affectueux, comme on en trouve… qui vous laverait les mains, mettrait votre cravate, enfin qui prendrait de vous le soin que vous n’avez pas le temps… »

— « Oh ! s’écria Balzac, un ami comme ça, je le ferai passer à la postérité ! »

— Nos soirées, presque toutes les soirées, où nous ne travaillons pas, nous les passons dans le fond de la boutique d’un singulier marchand de tableaux, dans la boutique de X…, qui, sous le prétexte d’occuper l’oisiveté de sa vie, va encore manger une cinquantaine de mille francs à son père. Un grand, gros, fort garçon, occupé à remonter à toute minute, par un geste bête, une paire de lunettes qui lui dévale du nez, et si soufflé par tout le corps d’une mauvaise graisse, qu’il semble en baudruche, et que la plaisanterie ordinaire de Pouthier est de crier : « Fermez les fenêtres ou Pamphile va s’envoler ! » Le meilleur des hommes et le marchand le plus paresseux, le plus flâneur, le plus boubouilleur, le plus incapable de tirer un gain d’une chose qu’il vend, — et qui, 365 fois par an, a besoin de voir, autour de son dîner, cinq ou six figures, si ce n’est au moins autour de la table, où, du matin au soir, se vident les canettes.

Il a emménagé avec lui une jeune femme, pas précisément jolie, et qui de temps en temps se dérobe et se cache dans un joli mouvement contourné pour prendre une prise de tabac, mais une jeune femme qui a de paresseuses poses de chatte dans sa bergère au coin de la cheminée, un petit bagout spirituel, une grâce de gentille bourgeoise d’un autre siècle : toute cette douce et tranquille séduction cachant une hystérie très prononcée, qui la fait, presque tous les mois, à un quantième, où elle dit, aller chez elle pour donner son linge à la blanchisseuse, disparaître deux ou trois jours avec un des attablés ordinaires de son amant, — après quoi, elle rentre au bercail et le ménage reprend comme si de rien n’était.

Pouthier, après des aventures à défrayer un roman picaresque, et qui, sans attribution bien fixe dans la maison, est à la fois commis, restaurateur de tableaux, et surtout le patito de la jeune femme, remplit le fond du magasin de lazzis et de tours de force.

Là arrivent, tous les soirs, — car la bière vient du Grand Balcon, et la femme a le don capiteux de produire autour d’elle une certaine excitation de l’esprit et de mettre les imaginations en verve, — là arrivent le peintre Hafner, le plus bredouilleur des Alsaciens ; Valentin, le dessinateur de l’Illustration ; Deshayes, le petit maître aux tonalités grises, et le blond coloriste Voillemot, avec sa tignasse d’Apollon roussi, et Galetti, et le tout jeune Servin, et d’autres, et d’autres, et c’est toute la soirée un tapage et une débauche de paroles, que de temps en temps, solennellement, le maître de la maison réprime par un « Où te crois-tu ! » indigné.

Dans les raisons que X… a données à son père, pour qu’il lui fournît les fonds nécessaires à son commerce, il a fait entrer l’énorme économie qu’il réaliserait en n’allant plus au café, et le malheureux en tient un gratis !

— Un soir, le monde de la boutique se décide à faire une excursion dans la forêt de Fontainebleau, à passer quelques jours chez le père Saccaux, à Marlotte, la patrie d’élection du paysage moderne et de Murger. Pouthier ferme le magasin. Mélanie met sa toilette la plus pimpante, réunissant sur sa personne tous ses bijoux ; et nous voilà dans cette forêt, où chaque arbre semble un modèle entouré d’un cercle de boîtes à couleurs. Là, de grandes courses à la suite des peintres et de leurs maîtresses en joie, et comme grisées par le plein air de la campagne : des jours qui ressemblent à des dimanches d’ouvriers. On vit en famille, en s’empruntant son savon, et on a des appétits et des soifs qui vous font trouver bonne la médiocre ratatouille et aimable le ginglet de l’endroit. Chacun paye son écot de bonne humeur. Les femmes mouillent leurs bottines dans l’herbe sans grogner. Murger semble rasséréné comme en une convalescence d’absinthe. On promène une gaieté vaudevillière par toute la forêt, même en ce Bas-Bréau, où nos fumisteries semblent faire fuir dans la profondeur de la feuillée des dos de peintres chenus, ressemblant à des dos de vieux druides. On essaye des parties de billard sur un sabot de l’auberge où il y a des ornières qui font des carambolages forcés. Palizzi, les grands jours, revêt un tablier de cuisine et fricote un gigot à la juive, dont il reste à peine l’os.

La nuit, pendant que les esquisses du jour sèchent, on dort comme si on revenait de la charrue, et un matin j’entends la maîtresse de Murger, au milieu d’un doux transport, lui demander ce que rapporte la feuille de la Revue des Deux Mondes.

— Le travail et les femmes, voilà ma vie ! — C’est Gavarni qui parle.

Août 1852. — Je trouve Janin toujours gai, toujours épanoui, en dépit de la goutte à un pied. « Quand on vint guillotiner mon grand-père, nous dit-il, il avait la goutte aux deux pieds… du reste, je ne me plains pas… c’est, dit-on, un brevet de vie pour dix ans… Je n’ai jamais été malade et ce qui constitue l’homme, je l’ai encore, » — fait-il en souriant.

Il nous montre une lettre de Victor Hugo, apportée par Mlle Thuillier, et où il nous fait lire cette phrase : « Il fait triste ici… il pleut, c’est comme s’il tombait des pleurs. » Dans cette lettre, Hugo remercie Janin de son feuilleton sur la vente de son mobilier, lui annonce que son livre va paraître dans un mois, et qu’il le lui fera parvenir dans un panier de poisson ou dans un cassant de fonte, et il ajoute : « On dit qu’après, le Bonaparte me rayera de l’Académie… Je vous laisse mon fauteuil. »

Puis, Janin se répand sur la saleté et l’infection de Planche, sa bête d’horreur : « Vous savez, quand il occupe sa stalle des Français, les deux stalles à côté restent vides. Sa maladie, c’est l’éléphantiasis… un moment on a espéré qu’il avait la copulata vitrea de Pline. Il l’aurait eue, oh ! il l’aurait eue… s’il s’était tenu un rien du monde moins salement ! »

Une petite actrice des Français, dont je ne sais pas le nom, lui demandant s’il a vu une pièce quelconque : « Comment, s’écrie Janin, en bondissant sur son fauteuil, vous n’avez pas lu mon feuilleton ! » Et là-dessus il la menace, il la terrorise de ne jamais arriver, si elle ne lit pas son feuilleton, si elle n’est pas au fait de la littérature, si elle ne fait pas comme Talma, comme Mlle Mars, qui ne manquaient jamais un feuilleton important.

— Sur le trottoir de la rue Saint-Honoré, j’entends derrière moi une fille disant à une autre : « Ah ! Julie… elle a changé de religion, elle aime les hommes à présent !

— Les grands hommes sont des médailles, que Dieu frappe au coin de leur siècle.

— L’idée du manchon de Mimi donnée à Murger par Paul Labat qui, conduisant sa maîtresse à l’hôpital, fit arrêter le fiacre devant une écaillère de marchand de vin, sur le désir que la mourante témoigna de manger des huîtres.

— Il me semble que les fonctionnaires sont destitués comme on renvoie les domestiques : aux seconds, on donne huit jours d’avance, aux premiers, la croix.

22 octobre 1852. — Le Paris paraît aujourd’hui. C’est, croyons-nous, le premier journal littéraire quotidien, depuis la fondation du monde. Nous écrivons l’article d’en-tête.

— Nous soupons beaucoup cette année : des soupers imbéciles où l’on sert des pêches à la Condé, des pêches-primeurs à 8 francs pièce, dont le plat coûte quatre louis et où l’on boit du vin chaud fabriqué avec du Léoville de 1836 ; des soupers en compagnie de gaupes ramassées à Mabille, de gueuses d’occasion qui mordent à ces repas d’opéra, avec un morceau de cervelas de leur dîner, resté entre les dents, et dont l’une s’écriait naïvement : « Tiens, quatre heures… maman est en train d’éplucher ses carottes ! »

— Gavarni nous dit aujourd’hui qu’il croit avoir trouvé une force motrice qui pourra, un jour, se débiter chez les épiciers, et dont on pourra demander pour deux sous.