Journal du voyage de Montaigne/Texte du journal

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Texte original en français et italien





VOYAGE
DE
MICHEL DE MONTAIGNE
EN ALLEMAGNE ET EN ITALIE.



(48) MONSIEUR DE MONTAIGNE depescha Monsieur de Mattecoulon en poste avec ledit escuyer, pour visiter ledit Conte, & trouva, que ses playes n’estoint pas mortelles. Audit Beaumont, M. d’Estissac se mesla à la trope pour faire même voyage, accompaigné d’un jantil’home, d’un valet de chambre, d’un mullet, & à pied d’un muletier & deux lacquais, qui revenoit à nostre equipage pour faire à moitié la despense. Le lundi cinquiesme de Septembre 1580, nous partimes dudit Beaumont aprés disner & vinsmes tout d’une trete souper à

MEAUX, qui est une petite ville, belle, assise sur la riviere de Marne. Elle est de trois pieces. La ville & le fauxbourg sont en deça de la riviere, vers Paris. Au-delà des pons, il y a un autre grand lieu qu’on nomme le Marché, entourné de la riviere & d’un trés beau fossé tout autour, où il y a grande multitude, d’habitans & de maisons. Ce lieu étoit autrefois très bien fortifié de grandes & fortes murailles & tours; mais en nos seconds troubles huguenots, parce que la pluspart des habitans de ce lieu estoit de ce party, on fit demolir toutes ces fortifications. Cet endroit de la ville soutint l’effort des Anglois, le reste estant tout perdu ; & en récompense tous les habitans dudit lieu sont encore exempts de la taille & autres impositions. Ils monstrent sur la riviere de Marne une isle longue de deux ou trois cent pas qu’ils disent avoir esté un cavalier jetté dans l’eau par les Anglois, pour battre ledit lieu du marché avec leurs engins, qui s’est ainsi fermy avecq le temps. Au fauxbourg, nous vismes l’abbaïe de saint Faron, qui est un très vieux battimant où ils montrent l’habitation d’Ogier le Danois & sa sale. Il y a un antien refectoire, à tout des grandes & longues tables de pierre d’une grandeur inusitée, au mylieu duquel sourdoit, avant nos guerres civiles, une vifve fonteine qui servoit à leur repas. La pluspart des religieus sont encore gentil’homes. Il y a entre autres choses une très vielle tumbe & honorable, où il y a l’effigie de deux chevaliers étandus en pierre d’une grandeur extraordinere. Ils tiennent que c’est le corps de Ogier le Danois & quelqu’autre de ces Paladins. Il n’y a ni inscription ni nulles armoiries ; sulemant il y a ce mot en latin, qu’un Abbé y a fait mettre il y a environ cent ans, que ce sont deux heros inconnus qui sont là enterrés. Parmy leur thresor, ils monstrent des ossemans de ces chevaliers. L’os du bras depuis l’espaule jusques au coude est environ de la longeur du bras entier d’un homme des nôtres de la mesure commune, & un peu plus long que celui de M. de Montaigne. Ils monstrent aussi deux de leurs espées qui sont environ de la longeur d’une de nos espées à deux mains, & sont fort detaillées de coups par le tranchant.

Audit lieu de Meaux, M. de Montaigne fut visiter le Thresorier de l’Eglise saint Estienne nommé Juste Terrelle, home connu entre les sçavans de France, petit home vieux de soixante ans, qui a voïagé en Egipte & Jerusalem & demeuré sept ans en Constantinople, qui lui montra sa librerie & singularités de son jardin. Nous n’y vismes rien si rare qu’un arbre de buy espandant ses branches en rond, si espois & tondu par art, qu’il samble que ce soit une boule très polie & très massive de la hauteur d’un homme.

De Meaux où nous disnames le mardy nous vinsmes coucher à CHARLY, sept lieues. Le mercredy après disner vinsmes coucher à


48 IL MANQUE deux pages du Manuscrit formant le premier feuillet, qui paroît avoir été déchiré fort anciennement, puisque le livre a été trouvé en cet état. On ne sait point quel est le Comte que Montaigne envoya visiter, ni l’accident qui causa ses blessures; mais on ne se permettra point la moindre conjecture sur un fait étranger à l’Auteur.


DORMANS, sept lieues. Le landemein qui fut jeudi matin vinsmes disner à

ESPRENAI, cinq lieues. Où estans arrivés, MM. d’Estissac & de Montaigne s’en allarent à la messe comme c’estoit leur coutume, en l’eglise Nostre Dame ; & parce que ledit seigr. de Montaigne avoit veu autrefois ; & lorsque M. le Mareschal de Strossi fut tué au siege de Teonville qu’on avoit apporté son corps en laditte eglise, il s’enquit de sa sepulture, & trouva qu’il y estoit enterré sans aucune montre ny de pierre, ny d’armoirie, ny d’épitaphe, vis à vis du grand autel ; & nous fut dit que la reine l’avoit ainsi fait enterrer sans pompe & ceremonie, parce que c’estoit la volonté dudit Mareschal. L’evesque de Renes de la maison des Hanequins à Paris, faisoit lors l’office en laditte eglise de laquelle il est abbé : car c’estoit aussi le jour de la feste de N. Dame de Septemb. M. de Montaigne accosta en ladite eglise après la messe M. Maldonat, Jhesuite duquel le nom est fort fameux, à cause de son erudition en theologie & philosophie, & eurent plusieurs propos de sçavoir ensamble lors & l’après dinée au logis dudit sieur de Montaigne, où ledit Maldonat le vint trouver. Et entre autres choses, parce qu’il venoit des beings d’Aspa, qui sont au Liege, où il avoit este avec M. de Nevers, il lui conta que c’estoint des eaus extrememant froides, & qu’on tenoit là que les plus froides qu’on les pouvoit prendre c’estoit le meilleur. Elles sont si froides, qu’aucuns qui en boivent en entrent en frisson & en horreur; mais bientost après on en sent une grande chaleur en l’estomach. Il en prenoit pour sa part cent onces; car il y a des gens qui fournissent des verres qui portent leur mesure selon la volonté d’un chacun. Elles se boivent non seulement à jeun, mais encore après le repas. Les opérations qu’il recita sont pareilles aus eaux de Guascogne. Quant à lui, il disoit en avoir remarqué la force pour le mal qu’elles ne lui avoint pas faict, en ayant beu plusieurs fois tout suant & tout esmeu. Il a veu par expérience que grenouilles & autres petites bettes qu’on y gette se meurent incontinent, & dit qu’un mouchouer qu’on mettra audessus d’un verre plein de ladite eau, se jaunira incontinent. On en boit quinze jours ou trois semaines pour le moins. C’est un lieu auquel on est très bien accommodé & logé, propre contre toute obstruction & gravelle. Toutefois ny M. de Nevers ny lui n’en estoint devenus guieres plus sains. Il avoit avec lui un maistre d’hostel de M. de Nevers, & donnarent à M. de Montaigne un cartel imprimé sur le sujet du different qui est entre MM. de Montpansier & de Nevers, affin qu’il en fut, instruit & en peut instruire les gentil’hommes qui s’en enquerroint. Nous partimes de là le vendredy matin & vinsmes à

CHAALONS, sept lieues. Et y logeasmes à la Couronne qui est un beau logis, & y sert-on en vesselle d’argeant, & la pluspart des lits & couvertes sont de soie. Les communs battimens de toute cette contrée sont de croye, coupée à petites pieces quarrées, de demi pied ou environ & d’autres de terre en gason de mesme forme. Le lendemein nous en partimes après disner, & vinsmes coucher à

VITRI LE FRANÇOIS, sept lieues. C’est une petite ville assise sur la riviere de Marne, battie depuis trente-cinq ou quarante ans, au lieu de l’autre Vitry qui fut bruslé. Ell’a encore sa premiere forme bien proportionnée & plaisante, & son milieu est une grande place quarrée des plus belles de France. Nous apprimes là trois histoires mémorables. L’une que madame la douairiere de Guise de Bourbon, aagée de quatre vingt sept ans, estoit encor’vivante, & faisant encor un quart de lieuë de son pied. L’autre, que depuis peu de jours il avoit esté pendu à un lieu nommé Montirandet, voisin de là, pour telle occasion : Sept ou huit filles d’autour de Chaumont en Bassigni complottarent, il y a quelques années, de se vestir en masles, & continuer ainsi leur vie par le monde. Entre les autres, l’une vint en ce lieu de Vitry sous le nom de Mary, guaignant sa vie à estre tisseran ; jeune homme bien conditionné & qui se rendoit à un chacun ami. Il fiança audit Vitry une femme, qui est encor vivante ; mais pour quelque desacord qui survint entre eux, leur marché ne passa plus outre. Depuis estant allé audit Montirandet guaignant tousiours sa vie audit mestier, il devint amoureux d’une fame laquelle il avoit épousée, & vescut quatre ou cinq mois avecque elle avec son contentement, à ce qu’on dit; mais ayant, esté reconnu par quelcun dudit Chaumont, & la chose mise en avant à la justice, elle avoit esté condamnée à estre pendue : ce quelle disoit aymer mieux souffrir que de se remettre en estat de fille, & fut pendue pour des inventions illicites à supplir au défaut de son sexe. L’autre histoire, c’est d’un homme encore vivant nommé Germain, de basse condition, sans nul mestier ni office, qui a esté fille jusques en l’aage de vingt deux ans, veuë & connuë par tous les habitans de la ville, & remarquée d’autant qu’elle avoit un peu plus de poil autour du menton que les autres filles ; & l’appelloit-on Marie la barbue. Un jour faisant un effort à un sault, ses outils virils se produisirent, & le cardinal de Lenoncourt, évesque pour lors de Chalons, lui donna nom Germain. Il ne s’est pas marié pourtant ; il a une grand’barbe fort espoisse. Nous ne le sceumes voir, parce qu’il estoit au vilage. Il y a encore en cette ville une chanson ordinaire en la bouche des filles, où elles s’entr’advertissent de ne faire plus de grandes enjambées, de peur de devenir masle, comme Marie Germain. Ils disent qu’Ambroise Paré a mis ce conte dans son livre de Chirurgie, qui est très-certin, & ainsi tesmoigné à M. de Montaigne par les plus apparens officiers de la ville. Delà nous partismes dimenche matin après desjeuné, & vinsmes d’une trete à

BAR, neuf lieues. Où M. de Montaigne avoit esté autresfois, & n’y trouva de remarquable de nouveau que la despense estrange qu’un particulier prestre & doyen de là a employé & continue tous les jours en ouvrages publiques. Il se nomme Gilles de Treves; il a bati la plus sumptueuse chapelle de marbre, de peintures & d’ornemens qui soit en France, & a bati & tantot achevé de mubler la plus belle maison de la ville qui soit aussi en France, de la plus belle structure, la mieux compassée, étoffée, & la plus labourée d’ouvrages & d’anrichissemans, & la plus logeable : de quoy il veut faire un colliege, & est après à le doter & mettre en trein à ses despens. De Bar, où nous disnames le lundi matin, nous nous en vinsmes coucher à

MANNESE, quatre lieues. Petit village où M. de Montaigne fut arresté, à cause de sa colicque, qui fut aussi cause qu’il laissa le dessein qu’il avoit aussi faict de voir Toul, Metz, Nancy, Jouinville & St. Disier, comme il avoit délibéré, qui sont villes épandues autour de cette route; pour gaigner les beings de Plombieres en diligence. De Mannese, nous partismes mardi, au matin & vinsmes disner à

VAUCOULEUR, une lieue. Et passames le long de la riviere de Meuse dans un village nommé.

DONREMY, sur Meuse, à trois lieues dudit Vaucouleur. D’où estoit natifve cette fameuse pucelle d’Orléans, qui se nommoit Jeane Day ou Dallis. Ses descendans furent annoblis par faveur du Roi & nous monstrarent les armes que le roi leur donna, qui sont d’azur à un’espée droite couronnée & poignée d’or, & deux fleurs de lis d’or au côté de ladite espée ; de quoi un receveur de Vaucouleur donna un escusson peint à M. de Caselis. Le devant de la maisonnette où elle naquit est toute peinte de ses gestes mais l’aage en a fort corrompu la peinture. Il y a aussi un abre le long d’une vigne qu’on nomme, l’abre de la Pucelle, qui n’a nulle autre chose à remarquer. Nous vinsmes ce soir coucher à

NEUFCASTEAU, cinq lieues. Où en l’église des Cordeliers il y a force tumbes anciennes de trois ou quatre cens ans de la noblesse du païs, desqueles toutes les inscriptions sont en ce lengage : Cy git tel qui fut mors lors que li milliares courroit per mil deux cens &c. M. de Montaigne vit leur librairie où il y a force livres ; mais rien de rare, un puis qui se puise à fort grands seaus en roullant avec les pieds un plachié de bois qui est appuyé sus un pivot, auquel tient une piece de bois ronde à laquelle la corde du puis est attachée. Il en avoit veu ailleurs de pareils. Joingnant le puis, il y a un grand vaisseau de pierre eslevé audessus de la marselle de cinq ou six pieds, où le seau se monte ; & sans qu’un tiers s’en mesle, l’eau se renverse dans ledit vaisseau, & en ravalle quand il est vuide. Ce vaisseau est de telle hauteur que par icelui avec des canaus de plomb, l’eau du puis se conduit à leur réfectoire & cuisine & boulangerie, & réjaillit par des corps de pierre eslevés en forme de fonteines naturelles. De Neufchasteau où nous desjunasmes le matin, nous vinsmes soupper à

MIRECOURT, six lieues. Belle petite ville où M. de Montaigne ouyt nouvelles de M. & Mad. de Bourbon qui en sont fort voisins. Et lendemein matin après des-juner alla voir à un quart de lieue de là, à quartier de son chemin, les religieuses de Poussay. Ce sont religions de quoi il y en a plusieurs en ces contrées là establies pour l’institution des filles de bonne maison. Elles y ont chacune un bénéfice, pour s’en entretenir, de cent, deux cens ou trois cens escus, qui pire, qui meilleur, & une habitation particuliere où elles vivent chacune à part soi. Les filles en nourrice y sont reçues. Il n’y a nulle obligation de virginité, si ce n’est aus officieres, comme abbesse prieure & autres. Elles sont vestues en toute liberté, comme autres damoiselles, sauf un voile blanc sus la tête & en l’église pendant l’office un grand manteau qu’elles laissent en leur siege au cœur. Les compaignies y sont reçues en toute liberté, chez les religieuses particulieres qu’on y va rechercher, soit pour les poursuivre à épouser, ou à autre occasion. Celles qui s’en vont peuvent résigner & vendre leur bénéfice à qui elles veulent, pourveu qu’elle soit de condition requise. Car il y a des seigneurs du païs qui ont cette charge formée, & s’y obligent par serment de tesmoingner de la race des filles qu’on y présente. Il n’est pas inconvenient qu’une seule religieuse ait trois ou quatre bénéfices. Elles font au demeurant le service divin coimme ailleurs. La plus grand part y finissent leurs jours & ne veulent changer de condition. Delà nous vinsmes soupper à

ESPINÉ, cinq lieuës. C’est une belle petite ville sur la riviere de la Moselle où l’entrée nous fût refusée d’autant que nous avions passé à Neufchasteau, où la peste avoit été il n’y a pas long-temps. Lendemain matin nous vinsmes disner à

PLOMMIERES, quatre lieues. Depuis Bar-le-Duc les lieues reprennent la mesure de Guascogne, & vont s’allongeant vers l’Allemagne, jusques à les doubler & tripler enfin. Nous y entrasmes le vendredy 16e de Septemb. 1580 à deux heures après midi. Ce lieu est assis aux confins de la Lorreine & de l’Allemagne dans une fondriere, entre plusieurs collines hautes & coupées, qui le serrent de tous costés. Au fond de cette vallée naissent plusieurs fonteines tant froides naturelles, que chaudes : l’eau chaude n’a nulle senteur ny goust, & est chaude tout ce qui s’en peu souffrir au boire, de façon que M. de Montaigne estoit contraint de la remuer de verre à autre. Il y en a deux seulement de quoi on boit. Celle qui tourne le cul à l’orient & qui produit le being qu’ils appellent le being de la reine, laisse en la bouche quelque goust doux comme de regalisse sans autre deboire, si ce n’est que si on s’en prent garde fort attentivement, il sembloit à M. de Montaigne qu’elle rapportoit je ne sçay quel goust de fer. L’autre qui sourd du pied de la montagne opposite, de quoi M. de Montaigne ne but qu’un seul jour, a un peu d’aspreté, & y peut-on decouvrir la faveur de l’alun. La façon du païs, c’est seulement de se beingner deux ou trois fois le jour. Aucuns prennent leur repas au being, où ils se font communement ventouser & scarifier, & ne s’en servent qu’après s’estre purgés. S’ils boivent, c’est un verre ou deux dans le being. Ils trouvoint estrange la façon de M. de Montaigne, qui sans médecine précédente en beuvoit neuf verres, qui revenoint environ à un pot, tous les matins à sept heures ; disnoit à midy ; & les jours qu’il se beingnoit, qui estoit de deux jours l’un, c’estoit sur les quatre heures, n’arrestant au being qu’environ un heure. Et ce jour là il se passoit volontiers de soupper. Nous vismes des hommes gueris d’ulceres, & d’autres de rougeurs par le corps. La coustume est d’y estre pour le moins un mois. Ils y louent beaucoup plus la saison du printemps en May. Ils ne s’en servent guiere après le mois d’Aoust, pour la froideur du climat ; mais nous y trouvasmes encore de la compaignie, à cause que la secheresse & les chaleurs avoint estés plus grandes & plus longues que de coustume. Entre autres, M. de Montaigne contracta amitié & familiarité avec le seigneur d’Andelot, de la Franche-Conté, duquel le pere estoit grand escuyer de l’empereur Charle cinquiesme, & lui premier mareschal de camp de l’armée de Don Jouan d’Austria, & fut celui qui demeura gouverneur de St. Quintin lorsque nous la perdismes. Il avoit un endroit de sa barbe tout blanc & un costé de sourcil ; & récita à M. de Montaigne que ce changement lui estoit venu en un instant, un jour estant ches lui plein d’ennui pour la mort d’un sien frere que le duc d’Albe avoit faict mourir comme complice des Contes d’Eguemont & de Hornes, qu’il tenoit sa teste appuyée sur sa main par cet endroit, de façon que les assistans pensarent que ce fut de la farine qui lui fut de fortune tombée là. Il a depuis demeuré en cette façon. Ce being avoit autrefois été fréquenté par les Allemans seulement ; mais depuis quelques ans ceux de la Franche-Conté & plusieurs François y arrivent à grand foule. Il y a plusieurs beings, mais il y en a un grand & principal basti en forme ovalle d’un’antienne structure. Il a trente-cinq pas de long & quinze de large. L’eau chaude sourd par le dessoubs à plusieurs surgeons, & y faict on par le dessus escouler de l’eau froide pour moderer le being, selon la volonté de ceux qui s’en servent. Les places y sont distribuées par les costés avec des barres suspendues, à la mode de nos équiries, & jette on des ais par le dessus pour eviter le soleil & la pluye. Il y a tout autour des beings trois ou quatre degrés de marches de pierre à la mode d’un théatre, où ceux qui se beingnent peuvent estre assis ou appuyés. On y observe une singuliere modestie, & si est indécent aux hommes de s’y mettre autrement que tous nuds, sauf un petit braiét, & les fames sauf une chemise. Nous logeames à l’Ange qui est le meilleur logis, d’autant qu’il respond aux deux beings. Tout le logis où il y avoit plusieurs chambres ne coustoit que quinze solds par jour. Les hostes fournissent partout du bois pour le marché ; mais le païs en est si plein qu’il ne couste qu’à coupper. Les hostesses y font fort bien la cuisine. Au temps de grand presse ce logis eut cousté un escu le jour, qui est bon marché. La nourriture des chevaus à sept solds. Tout autre sorte de despence à bonne & pareille raison. Les logis n’y sont pas pompeus, mais fort commodes ; car ils font, par le service de force galeries, qu’il n’y a nulle sujection d’une chambre à l’autre. Le vin & le pain y sont mauvais. C’est une bonne nation, libre, sensée, officieuse. Toutes les loix du païs, sont religieusement observées. Tous les ans ils refrechissent dans un tableau audevant du grand being, en langage Allemand & en langage François, les lois cy-dessoubs escrites.

Claude de Rynach, chevalier, seigneur de St. Balesmont, Montureulz, en Ferrette, Lendacourt, &c. conseillier & chambellan de nostre souverain seigneur monseigneur le Duc &c. & son bally de Vosges :

« SÇAVOIR faisons, que pour le repos asseuré & tranquilité de plusieurs dames & autres personnages notables affluans de plusieurs regions & païs en ces beings de Plommieres, avons, (suivant l’intention de son Altesse), statué & ordonné, statuons & ordonnons ce qui suit : Sçavoir est, que l’antienne discipline de correction pour les fautes legieres demeurera ès mains des Allemands, comme l’antienneté ; ausquels est enjoint faire observer les cérimonies, status & polices desquelles ils ont usé pour la decoration desdits beings & punition des fautes qui seront commises par ceux de leurs nations, sans exception de personnes, par forme de rançon, & sans user d’aucuns blasphemes & autres propos irreverens contre l’église catholicque & traditions d’icelle. Inhibiton est faite à toutes personnes, de quelle qualité, condition, region, & province qu’ils soient, se provocquer de propos injurieus & tendans à querelle, porter armes esdits beings, donner desmanty, ny mettre la main aus armes, à peinne d’estre punys griefvement, comme infracteurs de sauve-guarde, rebelles & désobéissans à son Altesse.

Aussi à toutes filles prostituées & impudicques d’entrer ausdits beings ny d’en approcher de cinq cens pas, à peine du fuët des quattre carres desdits beings. Et sur les hostes qui les auront reçeues ou recelés, d’emprisonnemant de leurs personnes & d’amande arbitraire.

Soubs mesme peinne est défendu à tous user envers les dames, damoiselles & autres fames & filles estans, ausdits beings d’aucuns propos lascifs ou impudiques, faire aucuns attouchemens deshonnestes, entrer ni sortir desdits beings irreveremment contre l’honnesteté publique. Et parceque, par le benefice desdits beings, Dieu & nature nous procurent plusieurs guerisons & soulagemans, & qu’il est requis une honneste mundicité & pureté, pour obvier à plusieurs contagions & infections que s’y pourroint engendrer, est ordonné expressément au maistre desdits beings, prendre soingneuse garde & visiter les corps de ceux qui y entreront, tant de jour que de nuict, les faisant contenir en modestie & silence pendant la nuict, sans bruict, scandal ni derision. Que si aucun personnage ne lui est à ce faire obeissant, il en face prompte délation au magistrat, pour en faire punition exempleiremant.

Au surplus est prohibé & défendu à toutes personnes venans de lieus contagieus, de se présenter ny approcher de ce lieu de Plommieres, à peine de la vie ; enjoignant bien expressemant aus mayeurs & gens de justice d’y prendre soingneuse garde, & à tous habitans dudict lieu de nous donner billets contenans les noms & surnoms & residence des personnes qu’ils auront reçeus & logés, à peine de l’emprisonnemant de leurs personnes. Toutes lesquelles ordonnances ci dessus declarées ont esté cejourdhui publiées audevant du grand being dudit Plommieres, & copies d’icelles fichées tant en langue françoise qu’allemande, au lieu plus proche & plus apparent du grand being, & signé de nous Bally de Vosges. Donné audit Plommieres le 4e jour du mois de Mai l’an de grace Notre Seigneur mille cinq cens … » le nom du Bally.

Nous arrestames audict lieu depuis ledict jour 18e jusques au 27e de Septembre. M. de Montaigne beut onze matinées de ladicte eau, neuf verres huict jours, & sept verres trois jours, & se beigna cinq fois. Il trouva l’eau aysée à boire & la randoit tous jours avant disner. Il n’y connut nul autre effect que d’uriner. L’appetit, il l’eut bon ; le sommeil, le ventre, rien de son état ordinaire ne s’empira par cette potion. Le sixiesme jour il eut la colicque très vehemente, & plus que les siennes ordineres, & l’eut au costé droit, où il n’avoit jamais senty de doleur qu’une bien legiere à Arsac, sans opération. Cette ci lui dura quattre heures, en sentit evidemmant l’opération & l’écoulement de la pierre par les ureteres & bas du ventre. Les deux premiers jours, il rendit deux petites pierres qui estoint dedans la vessie & depuis par fois du sable. Mais il partit desdicts beings estimant avoir encore en la vessie & la pierre de la susdite colicque, & autres petites, desquelles il pensoit avoir senty la descente. Il juge l’effect de ces eaus & leur qualité pour son regard fort pareilles à celle de la fontaine haute de Banieres où est le being. Quant au being, il le trouve de tres douce temperature ; & de vray les enfans de six mois & d’un an, sont ordinairement à grenouiller dedans. Il suoit fort & doucement. Il me commanda, à la faveur de son hostesse, selon l’humeur de la nation, de laisser un escusson de ses armes en bois, qu’un pintre dudit lieu fit pour un escu, & le fit l’hostesse curieusemant attacher à la muraille par le dehors. Ledit jour 27e de Septembre, après disner, nous partimes & passames un païs montaigneus, qui retentissoit partout soubs les pieds de nos chevaus, comme si nous marchions sur une voûte ; & sembloit que ce fussent des tabourins qui tabourdassent autour de nous & vinsmes coucher à

REMIREMONT, deux lieues. Belle petite ville & bon logis à la Licorne ; car toutes les villes de Lorrene, (c’est la derniere) ont les hostelleries autant commodes & le tretemant aussi bon qu’en nul endroit de France. Là est cette Abbaïe de relligieuses si fameuse, de la condition de celles que j’ay dittes de Poussai. Elles pretendent, contre M. de Lorrene, la souveraineté & principauté de cette ville. MM. d’Estissac & de Montaigne les furent voir soudain après estre arrivés, & visitarent plusieurs logis particuliers, qui sont très beaus & très bien meublés. Leur abbesse estoit morte, de la maison d’Inteville, & estoit-on après la creation d’une autre, à quoi prétendoit la sœur du conte de Salmes. Ils furent voir la doïene qui est de la maison de Lutre, qui avoit faict cet honneur à M. de Montaigne, d’envoyer le visiter aux beings de Plommieres, & envoïer des artichaus, perdris, & un barril de vin. Ils apprindrent là, que certeins villages voisins leur doivent de rente deux bassins de nege, tous les jours de Pentecouste ; & à faute de ce, une charrette attelée de quatre beufs blancs. Ils disent que cette rante de nege ne leur manque jamais ; si est qu’en la saison que nous y passames les chaleurs y estoint aussi grandes qu’elles soint en nulle saison en Guascogne. Elles n’ont qu’un voile blanc sur la teste & audessus un petit loppin de crépe. Les robes, elles les portent noires de telle etoffe & façon qu’il leur plaist, pendant qu’elles sont sur les lieux; ailleurs, de couleur ; les cotillons à leur poste, & escarpins & patins ; coeffées au dessus de leur voile, comme les autres. Il leur faut estre nobles de quatre races du coté de pere & de mere. Ils prindrent congé d’elles dès le soir. Lendemein au point du jour, nous partismes de là. Comme nous estions à cheval, la doïenne envoïa un gentil’homme vers M. de Montaigne, le priant d’aller vers elle, ce qu’il fit ; cela nous arresta une heure. La compagnie de ces dames lui dona procuration de leurs affaires à Rome. Au partir de là, nous suivimes longtems un très beau & très plaisant vallon, coutoiant la riviere de Moselle & vinsmes disner à

BOSSAN, quatre lieues. Petit meschant village, le dernier du langage françois, où MM. d’Estissac & de Montaigne revetus de souguenies de toile qu’on leur préta, allarent voir des mines d’argent, que M. de Lorrene a là, bien deux mille pas dans le creus d’une montaigne. Après disner, nous suivimes par les montaignes où on nous monstra, entre autres choses, sur des rochers inaccessibles, les aires où se prennent les autours, & ne coutent là que trois testons du païs, & la source de la Moselle ; & vinsmes souper à

TANE, quatre lieuës. Premiere ville d’Allemagne, sujette à l’Empereur, très belle. Lendemein au matin, trouvames une belle & grande plene flanquée à main gauche de coutaus pleins de vignes, les plus belles & les mieux cultivées, & en telle estandue, que les Guascons qui estoint là, disoint n’en avoir jamais veu tant de suite. Les vandanges se faisoint lors : nous vinsmes disner à

MELHOUSE, deux lieues. Une belle petite ville de Souisse, du quanton de Bale. M. de Montaigne y alla voir l’église; car ils n’y sont pas catholiques. Il la trouva, comme en tout le païs, en bonne forme ; car il n’y a quasi rien de changé ; sauf les autels & images qui en sont à dire, sans difformité. Il print un plesir infini à voir la liberté & bonne police de cette nation, & son hoste du Reisin revenir du conseil de laditte ville & d’un palais très magnifique & tout doré, où il avoit présidé, pour servir ses hostes à table ; & un home sans suite & sans authorité, qui lui servoit à boire, avoit mené quattre enseignes de gens de pied contre le service du roy, sous le Casemir en France, & estre pansionnere du Roy à trois cens escus par an, il y a plus de vint ans. Lequel seigneur lui recita à table, sans ambition & affectation, sa condition & sa vie: lui dit, entre autres choses, qu’ils ne font nulle difficulté, pour leur religion, de servir le roy contre les huguenots mesmes ; ce que plusieurs autres nous rendirent en notre chemin, & qu’à notre siege de la Fere il y en avoit plus de cinquante de leur ville ; qu’ils epousent indifferemment les fames de notre religion au prestre, & ne les contreignent de changer. Delà après disné nous suivimes un païs beau, plein, très fertile, garny de plusieurs beaus villages & hosteleries, & nous rendismes à coucher à BASLE, trois lieues. Belle ville de la grandeur de Blois ou environ de deux pieces ; car le Rein traverse par le milieu sous un grand & très-large pont de bois. La seigneurie fit cest honneur à MM. d’Estissac & de Montaigne que de leur envoyer par l’un de leurs officiers de leur vin, avec une longue harangue qu’on leur fit estant à table, à laquelle M. de Montaigne respondit fort long-temps, estans descouvers les uns & les autres, en presence de plusieurs Allemans & François qui estoint au poisle avecques eus. L’hoste leur servit de truchement. Les vins y sont fort bons. Nous y vismes de singulier la maison d’un médecin nommé Foelix Platerus, la plus pinte & enrichie mignardise à la Françoise qu’il est possible de voir ; laquelle ledit médecin a bâtie fort grande, ample & sumptueuse. Entre autres choses, il dresse un livre de simples qui est desja fort avancé ; & au lieu que les autres font pindre les herbes selon leurs couleurs, lui a trouvé l’art de les coler toutes naturelles si propremant sur le papier, que les moindres feuilles & fibres y apparoissent, come elles sont, & il feuillette son livre, sans que rien en eschappe ; & monstra des simples qui y estoint collés, y avoit plus de vint ans. Nous vismes aussi & ches luy & en l’escole publique des anatomies entieres homes morts, qui se tiennent. Ils ont cela que leur horologe dans la ville, non pas au fauxbourgs, sone tousjours les heures d’une heure avant le temps. S’il sone dix heures, ce n’est à dire que neuf : parce, disent-ils, qu’autrefois une tele faute de leur horologe fortuite preserva leur ville d’une entreprise qu’on y avoit faite. Basilee s’appelle non du mot grec, mais parceque base signifie passage en Allemant. Nous y vismes force de gens de sçavoir, come Grineus, & celui qui a fait le Theatrum, & ledit medecin (Platerus), & François Hottoman. Ces deux derniers vindrent soupper avec Messieurs, lendemein qu’ils furent arrivés. M. de Montaigne jugea qu’ils estoint mal d’accord de leur religion, pour les responses qu’il en receut : les uns se disant Zuingliens, les autres Calvinistes, & les autres Martinistes ; & si fut averty que plusieurs couvoint encore la religion romene dans leur cœur. La forme de donner le sacremant, c’est en la bouche communément: toutefois tend la main qui veut, & n’osent les ministres remuer cette corde de ces différences de religions. Leurs églises ont au dedans la forme que j’ai dict ailleurs. Le dehors est plein d’images & les tumbeaus antiens entiers, où il y a prieres pour les ames des trespassés. Les orgues, les cloches, & les crois des clochiers, & toute sorte d’images aus verrieres y sont en leur entier & les bancs & sieges du cœur. Ils mettent les fons baptismaus à l’antien lieu du grand autel, & font bastir à la teste de la nef un autre autel, pour leur cene ; celui de Basle est d’un très beau plan. L’église des Chartreus, qui est un très beau bastimant, conservée, & entretenue curieusemant ; les ornemans mesmes y sont & les meubles, ce qu’ils alleguent pour tesmoingner leur fidelité, estant obligés à cela par la foy qu’ils donnarent lors de leur accord. L’évesque du lieu qui leur est fort ennemi, est logé hors de la ville en son diocese, & maintient la pluspart du reste, en la campaigne, en la religion antienne, jouit de bien 50000 liv. de la ville, & se continue l’élection de l’évesque. Plusieurs se pleinsirent à M. de Montaigne de la dissolution des fames & yvrognerie des habitans. Nous y vismes tailler un petit enfant d’un pauvr’home pour la rupture, qui fut treté bien rudemant par le chirurgien. Nous y vismes une très-belle librerie publicque sur la riviere & en très-belle assiette. Nous y fumes tout le lendemein, & le jour après y disnames & prinsmes le chemin le long du Rhin deux lieues ou environ ; & puis le laissames sur la main gauche suivant un païs bien fertile & assés plein. Ils ont une infinie abondance de fonteines en toute cette contrée ; il n’est village ny carrefour où il n’y en aye de très belles. Ils disent qu’il y en a plus de trois cens à Basle de conte faict. Ils sont accoustumés aus galeries, mesmes vers la Lorreine, qu’en toutes les maisons ils laissent entre les fenestres des chambres hautes des portes qui respondent en la rue, attendant d’y faire quelque jour des galeries. En toute cette contrée, depuis Espiné il n’est si petite maison de village qui ne soit vitrée, & les bons logis en reçoivent un grand ornemant, & au dedans & au dehors, pour en estre fort accommodées, & d’une vitre ouvrée en plusieurs façons. Ils y ont aussi foison de fer & de bons ouvriers de cette matiere : ils nous surpassent de beaucoup, & en outre il n’y a si petite église, où il n’y ait un horologe & quadran magnifiques. Ils sont aussi excellens en tuillieres, de façon que les couvertures des maisons sont fort embellies de bigarrures de tuillerie plombée en divers ouvrages, & le pavé de leurs chambres ; & il n’est rien plus délicat que leurs poiles qui sont de potterie. Ils se servent fort de sapin & ont de très-bons artisans de charpenterie; car leur futaille est toute labourée & la pluspart vernie & pinte. Ils sont sumptueux en poiles, c’est-à-dire, en sales communes à faire le repas. En chaque sale, qui est très-bien meublée d’ailleurs, il y aura volantiers cinq ou six tables équipées de bancqs, là où tous les hostes disnent ensemble, chaque trope en sa table. Les moindres logis ont deux ou trois telles salles très-belles. Elles sont fort persées & richement vitrées ; mais il paroist bien qu’ils ont plus de souyn de leurs disners que du demeurant : car les chambres sont bien aussi chetifves. Il n’y a jamais de rideaus aux licts, & tousjours trois ou quatre licts tous joingnans l’un l’autre, en une chambre ; nulle cheminée, & ne se chauffet’on qu’en commun , & aus poiles : car ailleurs nulles nouvelles de feu ; & treuvent fort mauvais qu’on aille en leurs cuisines. Estans très mal propres au service des chambres : car bien heureux qui peut avoir un linceul blanc, & le chevet à leur mode n’est jamais couvert de linceul, & n’ont guiere autre couverte qu’une d’une coite, cela bien sale. Ils sont toutefois excellans cuisiniers, notamment de poisson. Ils n’ont nulle defense du serein ou du vent, que la vitre simple, qui n’est nullement couverte de bois, & ont leurs maisons fort percées & cleres ; soit en leurs poiles, soit en leurs chambres ; & eus ne ferment guiere les vitres mesmes la nuit. Leur service de table est fort différent du nostre. Ils ne se servent jamais d’eau à leur vin, & ont quasi raison ; car leurs vins sont si petits, que nos gentilshommes les trouvoint encore plus foibles que ceux de Guascongne fort baptisés, & si ne laissent pas d’estre bien delicats. Ils font disner les valets à la table des maistres, ou à une autre table voisine quant & quant eus : car il ne faut qu’un valet à servir une grande table, d’autant que chacun ayant son gobelet ou tasse d’argent en droit sa place, celui qui sert se prend garde de remplir ce gobelet aussitost qu’il est vuide, sans le bouger de sa place, y versant du vin de loin à tout un vaisseau d’estain ou de bois qui a un long bec. Et quant à la viande, ils ne servent que deux ou trois plats au coupon, ils meslent diverses viandes ensamble bien apprestées & d’une distribution bien esloignée de la nostre, & les servent par fois les uns sur les autres, par le moyen de certains instrumens de fer qui ont des longues jambes. Sur cet instrument il y a un plat & audessoubs un autre. Leurs tables sont fort larges & rondes, & carrées, si qu’il est mal aysé d’y porter les plats. Ce valet desser ayséemant ces plats tout d’un coup, & on sert autres deux, jusques à six ou sept tels changemans. Car un plat ne se sert jamais que l’autre n’en soit hors ; & quant aux assietes, comme ils veulent servir le fruit, ils servent au milieu de la table, après que la viande est ostée, un panier de cliffe ou un grand plat de bois peint, dans lequel panier le plus apparent jete le premier son assiete & puis les autres : car en cela on observe fort le rang d’honneur. Le panier ce valet l’emporte ayséemant, & puis sert tout le fruit en deux plats, comme le reste, pesle mesle, & y meslent volentiers des rifors, comme des poires cuites parmi le rosti. Entre autres choses, ils font grand honneur aus escrevisses, & en servent un plat tousjours couvert par priviliege, & se les entrepresentent : ce qu’ils ne font guiere d’autre viande. Tout ce païs en est pourtant plein, & s’en sert à tous les jours, mais ils l’ont en délices. Ils ne donnent point à laver à l’issue & à l’entrée ; chacun en va prandre à une petite eguiere attachée à couin de la sale, comme ches nos moines. La pluspart servent des assietes de bois, voire & des pots de bois & vesseaux à pisser, & cela net & blanc ce qu’il possible. Autres sur les assietes de bois y en ajoutent d’étain jusques au dernier service du fruit, où il n’en y a jamais que de bois. Ils ne servent le bois que par coustume ; car là mesme où ils le servent ils donnent des gobelets d’argent à boire, & en ont une quantité infinie. Ils netoyent & fourbissent exactement leurs meubles de bois, jusques aus planchiers des chambres. Leurs licts sont eslevés hauts, que communéemant on y monte par degrés, & quasi par tout des petits licts audessoubs des grands. Com’ils sont excellans ouvriers de fer, quasi toutes leurs broches se turnent par ressors ou par moyen des poids, comme les horologes, ou bien par certenes voiles de bois de lapin larges & legieres qu’ils logent dans le tuïau de leurs cheminées, qui roulent d’une grande vitesse au vent de la fumée & de la vapeur du feu ; & font aler le rost mollemant & longuemant : car ils assechissent un peu trop leur viande. Ces molins à vent ne servent qu’aus grandes hostelleries où il y a grand feu, comme à Bade. Le mouvemant en est très uni & très constant. La pluspart des cheminées, depuis la Lorrenne, ne sont pas à nostre mode ; ils eslevent des foyers au milieu ou au couin d’une cuisine, & amployent quasi toute la largeur de cette cuisine au tuïau de la cheminée. C’est une grande ouverture de la largeur de sept ou huict pas en carré qui se va aboutissant jusques au haut du logis. Cela leur donne espace de loger en un andret leur grand voile qui chez nous occuperoit tant de place en nos tuïeaus, que le passage de la fumée en seroit empesché. Les moindres repas sont de trois ou quatre heures pour la longeur de ces services ; & à la vérité ils mangent aussi beaucoup moins hativement que nous & plus seinement. Ils ont grande abondance de toutes sortes de vivres de cher & de poisson & couvrent fort sumptueusement ces tables, au moins la nostre. Le vendredy on ne servit à personne de la cher, & ce jour là ils disent qu’ils n’en mangent pouint volantiers. La charté pareille qu’en France autour de Paris. Les chevaus ont plus d’avoine d’ordinere qu’ils n’en peuvent manger. Nous vinsmes coucher à

HORNES, quatre lieues. Un petit village de la duché d’Austriche. Lendemein qui estoit dimenche, nous y ouymes la messe, & y remerquay cela que les fames tiennent tout le costé gauche de l’église & les homes le droit, sans se mesler. Elles ont plusieurs ordres de bancs de travers les uns après les autres de la hauteur pour se seoir. Là elles se mettent de genous & non à terre, & sont par conséquent come droites ; les homes ont outre cela devant eus des pieces de bois de travers pour s’appuyer, & ne se mettent non plus à genous que sur les sieges qui sont davant eux. Au lieu que nous joingnons les mains pour prier Dieu à l’eslevation, ils les escartent l’une de l’autre toutes ouvertes, & les tiennent ainsi eslevées jusques à ce que le prestre monstre la paix. Ils presentarent à MM. d’Estissac & de Montaigne le troisiesme banc des homes, & les autres au dessus d’eus furent après sesis par les homes de moindre apparence, come aussi du costé des fames. Il nous sambloit qu’aus premiers rangs ce n’estoit pas les plus honorables. Le truchement & guide que nous avions pris à Basle, messagier juré de la ville, vint à la messe avec nous, & montroit à sa façon y estre avec une grande devotion & grand desir. Après disner, nous passames la riviere d’Arat à Broug, belle petite ville de MM. de Berne, & delà vinsmes voir une abbaïe que la reine Catherine de Honguerie donna aus seigneurs de Berne l’an 1524, où sont enterrés Leopold, archiduc d’Austriche, & grand nombre de gentilshomes qui furent deffaits avec lui par les Souisses l’an 1386. Leurs armes & noms y sont encore escris, & leurs despouilles maintenues curieusemant. M. de Montaigne parla là à un seigneur de Berne qui y commande, & leur fit tout monstrer. En cette abbaïe il y a des miches de pain toutes prettes & de la souppe pour les passans qui en demandent, & jamais n’en y a nul refusé de l’institution de l’abbaïe. Delà nous passames à un bac qui se conduit avec une polie de fer attachée à une corde haute qui traverse la riviere de Reix qui vient du lac de Lucerne, & nous randismes à BADE, quatre lieues, petite ville & un bourg à part où sont les beings. C’est une ville catholicque sous la protection des huict cantons de Souisse, en laquelle il s’est faict plusieurs grandes assemblées de princes. Nous ne logeames pas en la ville, mais audit bourg qui est tout au bas de la montaigne le long d’une riviere, ou un torrent plustot, nommé Limaq, qui vient du lac de Zuric. Il y a deux ou trois beings publicques decouvers, de quoi il n’y a que les pauvres gens qui se servent. Les autres en fort grand nombre sont enclos dans les maisons, & les divise t’on & départ en plusieurs petites cellules particulieres, closes & ouvertes qu’on loue avec les chambres : lesdites cellules les plus délicates & mieux accommodées qu’il est possible, y attirant des veines d’eau chaude pour chacun being. Les logis très magnifiques. En celui où nous logeames, il s’en veu pour un jour trois cens bouches à nourrir. Il y avoit encore grand compaignie, quand nous y estions, & bien cent septante licts qui servoint aux hostes qui y estoint. Il y a dix sept poiles & onze cuisines, & en un logis voisin du nostre, cinquante chambres meublées. Les murailles des logis sont toutes revestues d’escussons des gentils hommes qui y ont logé. La ville est au haut audessus de la croupe, petite & très-belle comme elles sont quasi toutes en cette contrée. Car outre ce qu’ils font leurs rues plus larges & ouvertes que les nostres, les places plus amples, & tant de fenestrages richemant vitrés par tout, ils ont telle coutume de peindre quasi toutes les maisons par le dehors, & les chargent de desvises qui rendent un très plesant prospect : outre ce que il n’y a nulle ville où il n’y coule plusieurs ruisseaus de fonteines, qui sont eslevées richemant par les carrefours, ou en bois ou en pierre. Cela faict parétre leurs villes beaucoup plus belles que les Françoises. L’eau des beings rend un odeur de soufre à la mode d’Aigues caudes & autres. La chaleur en est moderée comme de Barbotan ou Aigues caudes, & les beings à cette cause fort dous & plesans. Qui aura à conduire des dames qui se veuillent beigner avec respect & délicatesse, il les peut mener là, car elles sont aussi seules au bein, qui samble un très riche cabinet, cler, vitré, tout au tour revetu de lambris peint & planché très propremant ; à tout des sieges & des petites tables pour lire ou jouer si on veut etant dans le bein. Celuj qui se beingne, vuide & reçoit autant d’eau qu’il lui plaict ; & a t’-on les chambres voisines chacune de son bein, les proumenoers beaus le long de la riviere, outre les artificiels d’aucunes galeries. Ces beings sont assis en un vallon commandé par les costés de hautes montaignes, mais toutefois pour la pluspart fertiles & cultivées. L’eau au boire est un peu fade & molle, come une eau battue, & quant au goust elle sent au souffre ; elle a je ne scay quelle picure de falure. Son usage à ceus du païs est principalemant pour ce being, dans lequel ils se font corneter & seigner si fort, que j’ay veu les deux beings publicques parfois qui sembloint estre de pur sang. Ceux qui en boivent à leur coutume, c’est un verre ou deux pour le plus. On y arréte ordinairement cinq ou six sepmaines, & quasi tout le long de l’esté ils sont fréquentés. Nulle autre nation ne s’en ayde, ou fort peu que l’Allemande ; & ils y viennent à fort grandes foules. L’usage en est fort antien, & duquel Tacitus faict mantion ; il en chercha tant qu’il peut la maitresse source & n’en peut rien apprendre ; mais de ce qu’il samble, elles sont toutes fort basses & au niveau quasi de la riviere. Elle est moins nette que les autres eaus que nous avons veu ailleurs, & charrie en la puisant certenes petites filandres fort menues. Elle n’a point ces petites etincelures qu’on voit briller dans les autres eaus souffrées, quand on les reçoit dans le verre, & comme dit le seigneur Maldonat, qu’ont celles de Spa. M. de Montaigne en beut lendemein que nous fumes arrivés, qui fut lundi matin, sept petits verres qui revenoint à une grosse chopine de sa maison ; landemein cinq grands verres qui revenoint à dix de ces petits, & pouvoint faire une pinte. Ce mesme mardy à l’heure de neuf heures du matin, pendant que les autres disnoint, il se mit dans le bein, & y sua depuis en estre sorti bien fort dans le lict. Il n’y arresta qu’une demy heure ; car ceus du païs qui y sont tout le long du jour à jouer & à boire, ne sont dans l’eau que jusqu’aus reins ; lui s’y tenoit engagé jusques au col, estandu le long de son bein. Et ce jour partit du bein un seigneur Souisse, fort bon serviteur de notre couronne, qui avoit fort entretenu M. de Montaigne tout le jour precedant des affaires du païs de Souisse, & lui montra une lettre que l’ambassadeur de France, fils du président du Harlay (Achille) lui escrivoit de Solurre où il se tient lui recommandant le service du roi pendant son absence, etant mandé par la Reine de l’aller trouver à Lion, & de s’opposer aus desseins d’Espaigne & de Savoïe. Le Duc de Savoïe qui venoict de deceder, avoit faict alliance il y avoit un an ou deux avec aucuns cantons : à quoy le Roy avoit ouvertemant resisté, allegant que lui estant des-jà obligés, ils ne pouvoint recevoir nulles nouvelles obligations sans son interest; ce que aucuns de cantons avoint gousté, mesme par le moyen dudit Sr. Souïsse, & avoint refusé cette alliance. Ils reçoivent à la vérité le nom du Roy en tous ces quartiers là, avec reverence & amitié, & nous y font toutes les courtoysies qu’il est possible. Les Espaignols y sont mal. Le trein de ce Souisse estoit quatre chevaus. Son fils qui est desja pensionnere du Roy, come le pere sur l’un, un valet sur l’autre, une fille grande & belle sur un autre, avec une housse de drap & planchette à la françoise, une male en croppe & un porte bonnet à l’arçon, sans aucune fame avec elle ; & si estoint à deux grandes journées de leur retrete, qui est une ville où ledit sieur est gouverneur ; le bon homme sur le quatriesme. Les vestemans ordinaires des fames me samblent aussi propres que les nostres, mesme l’acoustremant de teste qui est un bonnet à la cognarde ayant un rebras par derriere, & par devant, sur le front, un petit avancemant : cela est anrichi tout au tour de flocs de foye de bords de forrures ; le poil naturel leur pand par derriere tout cordonné. Si vous leur ostés ce bonnet par jeu, car il ne tient non plus que les nostres, elles ne s’en offencent pas, & voiés leur teste tout à nud. Les plus jeunes, au lieu de bonnet, portent des guirlandes sulemant sur la teste. Elles n’ont pas grande différence de vestemens, pour distinguer leurs conditions. On les salue en baisant la main & offrant à toucher la leur. Autremant, si en passant vous leur faites des bonnetades & inclinations, la pluspart se tiennent plantées sans aucun mouvemant, & est leur façon antienne. Aucunes baissent un peu la teste, pour vous resaluer. Ce sont communéemant belles fames, grandes & blanches. C’est un très bonne nation mesme à ceus qui se conforment à eux. M. de Montaigne, pour essayer tout à fait la diversité des mœurs & façons, se laissoit partout servir à la mode de chaque païs, quelque difficulté qu’il y trouvat. Toutefois en Souisse il disoit qu’il n’en souffroit nulle, que de n’avoir à table qu’un petit drapeau d’un demi pied pour serviette, & le mesme drapeau, les Souisses ne le deplient par sulemant en leur disner & si ont force sauces & plusieurs diversité de potages ; mais ils servent tousjours autant de ceuillieres de bois, manchées d’argent, comme il y a d’homes. Et jamais Souisse n’est sans cousteau, duquel ils prennent toutes choses & ne mettent guiere la main au plat. Quasi toutes leurs villes portent au dessus des armes particulieres de la ville, celes de l’Empereur & de la maison d’Austriche, aussi la pluspart ont esté demambrées dudict archiduché par les mauvais mesnagiers de cette maison. Ils disent là que tous ceus de cette maison d’Austriche, sauf le Roy Catholique, sont réduits à grande povreté, mesmemant l’Empereur qui est en peu d’estimation en Allemaigne. L’eau que M. de Montaigne avoit beu le mardy, lui avoit faict faire trois selles & s’estoit toute vuidée avant mydy. Le mercredy matin, il en print mesme mesure que le jour precedent. Il treuve que, quand il se faict suer au bein, le lendemein il fait beaucoup moins d’urines, & ne rend pas l’eau qu’il a beu ; ce qu’il essaya aussi à Plommieres. Car l’eau qu’il prant lendemein, il la rend colorée & en rend fort peu, par où il juge qu’elle se tourne en aliment soudain, soit que l’évacuation de la sueur precedente le face, ou le jûne ; car lorsqu’il se beignoit, il ne faisoit qu’un repas : cela fut cause qu’il ne se beigna qu’une fois. Le mercredy, son hoste acheta force poissons ; ledict seigneur s’enqueroit pourquoi c’estoit. Il lui fut respondu, que la pluspart dudit lieu de Bade mangeoint poisson le mercredy par religion : ce qui lui confirma ce qu’il avoit ouy dire, que ceus qui tiennent là la religion catholique, y sont beaucoup plus tandus & devotieux par la circonstance de l’opinion contrere. Il discouroit ainsi que: « Quand la confusion & le meslange se faict dans mesmes villes, & se seme en une mesme police, cela relache les affections des hommes. La mixtion se coulant jusques aus individus, com’il advient en Auspourg & villes imperiales » ; mais quand une ville n’a qu’une police (car les villes de Souisse ont chacune leurs lois a part & leur gouvernement chacune à part-soy, ny ne dependent en matiere de leur police les unes des autres, leur conjunction & colligance, ce n’est qu’en certenes conditions générales, les villes qui font une cité à part & un corps civil à part entier, à tous les mambres, elles ont de quoy se fortifier & se meintenir ; elles se fermissent sans doubte & se resserrent & se rejouingnent par la secousse de la contagion vosine ». Nous nous applicames incontinant à la chaleur de leurs poiles, & est nul des nostres qui s’en offençât. Car depuis qu’on a avalé une certene odeur d’air qui vous frappe en entrant, le demurant c’est une chaleur douce & eguale. M. de Montaigne, qui couchoit dans un poile, s’en louoit fort, & de santir toute la nuit une tiedeur d’air plaisante & moderée. Au moins on ne s’y brûle ny le visage ny les botes, & est on quitte des fumées de France. Aussi là, où nous prenons nos robes de chambre chaudes & fourrées entrant au logis, eus au rebours se mettent en pourpoint, & se tiennent la teste descouverte au poile, & s’habillent chaudement pour se remettre à l’air. Le jeudy il but de mesme ; son eau fit opération & par devant & par derriere, & vuidoit du sable non en grande quantité ; & mesme il les trouva plus actives que autres qu’il eust essayées, soit la force de l’eau, ou que son corps fût ainsi disposé, & si en beuvoit moins qu’il n’avoit faict de nulles autres, & ne les rendoit point si crues comme les autres. Ce jeudy il parla à un ministre de Zurich & natif de là, qui arriva là, & trouva que leur religion premiere estoit Zuinglienne : de laquelle ce ministre lui disoit qu’ils estoint approchés de la Calvinienne, qui estoit un peu plus douce. Et interrogé de la prédestination, lui respondit qu’ils tenoint le moyen entre Genesve & Auguste (Ausbourg) mais qu’ils n’empeschoint pas leur peuple de cette dispute. De son particulier jugement, il inclinoit plus à l’extrême de Zuingle & la haut louoit, come celle qui estoit plus approchante de la premiere Chrestienté. Le vendredy après desjuné, à sept heures du matin, septiesme jour d’Octobre, nous partimes de Bade ; & avant partir, M. de Montaigne beut encore la mesure desdites eaus : ainsy il y beut cinq fois. Sur le doute de leur opération, en laquelle il treuve autant d’occasion de bien esperer qu’en nulles autres, soit pour le breuvage, soit pour le being, il conseilleroit autant volantiers ces beings que nuls autres qu’il eût veus jusques alors, d’autant qu’il y a non seulemant tant d’aysance & de commodité du lieu & du logis, si propre, si bien party, selon la part que chacun en veut, sans subjection ny ampeschemant d’une chambre à autre, qu’il y a des pars pour les petits particuliers & autres pour les grands. Beings, galeries, cuisines, cabinets, chapelles à part pour un trein, & au logis voisin du nostre, qui se nome la cour de la ville, & le nostre la cour de derriere, ce sont maisons publicques appertenantes à la seigneurie des cantons, & se tiennent par locateres. Il y a audit logis voisin encore quelques cheminées à la françoise. Les maistresses chambres ont toutes des poiles. L’exaction du payement est un peu tyrannique, come en toutes nations, & notamment en la nostre, envers les estrangiers. Quatre chambres garnies de neuf licts, desqueles les deux avoint poiles & un being, nous coustarent un escu par jour chacun des maistres ; & des serviteurs, quatre bats, c’est-à-dire, neuf solds, & un peu plus pour chaque ; les chevaux six bats, qui sont environ quatorze solds par jour ; mais outre cela ils y adjoustarent plusieurs friponneries, contre leur coustume. Ils font gardes en leurs villes & aux beins mesmes, qui n’est qu’un village. Il y a toutes les nuicts deux sentinelles qui roulent autour des maisons, non tant pour se garder des ennemis, que de peur du feu ou autre remuemant. Quand les heures sonnent, l’un d’eux est tenu de crier à haute voix & pleine teste à l’autre, & luy demander quelle heure il est ; à quoy l’autre respond de mesme voix, nouvelles de l’heure, & adjouste qu’il face bon guet. Les fames y font les buées à descouvert & en lieu publicque, dressant près des eaux un petit fouier de bois où elles font chauffer leur eau, & les font meilleures, & fourbissent aussi beaucoup mieux la vaisselle qu’en nos hostelleries de France. Aux hostelleries, chaque chamberiere a sa charge & chaque valet. C’est un mal’heur que, quelque diligence qu’on fasse, il n’est possible que des gens du païs, si on n’en rencontre de plus habiles que le vulgaire, qu’un estrangier soit informé des choses notables de chaque lieu, & ne sçavent ce que vous leur demandés. Je le dis à propos de ce que nous avions esté là cinq jours avec toute la curiosité que nous pouvions, & n’avions oui parler de ce que nous trouvâmes à l’issue de la ville. Une pierre de la hauteur d’un home qui sembloit estre la piece de quelque pilier, sans façon ny ouvrage, plantée a un couin de maison pour paroître sur le passage du grand chemin, où il y a une inscription latine que je n’eus moyen de transcrire ; mais c’est une simple dedicace aus empereurs Nerva & Trajan. Nous vinsmes passer le Rhin à la ville de Keyserstoul qui est des alliées des Souisses, & catholique, & delà suivimes ladite riviere par un trèsbeau plat païs, jusques à ce que nous rencontrâmes des saults, où elle se rompt contre des rochiers, qu’ils appellent les catharactes, comme celles du Nil. C’est que audessoubs de Schaffouse le Rhin rencontre un fond plein de gros rochiers, où il se rompt, & audessoubs, dans ces mesmes rochiers, il rencontre une pante d’environ deux piques de haut, où il faict un grand sault, escumant & bruiant estrangement. Cela arreste le cours des basteaus & interrompt la navigation de la ditte riviere. Nous vinsmes soupper d’une trete à

SCHAFFOUSE, quatre lieues. Ville capitale de l’un des cantons des Souisses de la religion que j’ay susdict, de ceux de Zurich. Partant de Bade, nous laissames Zurich à main droite où M. de Montaigne estoit deliberé d’aller, n’en estant qu’à deux lieues ; mais on lui rapporta que la peste y estoit. À Schaffouse nous ne vismes rien de rare. Ils y font faire une citadelle qui sera assés belle. Il y a une bute à tirer de l’arbalestre, & une place pour ce service, la plus belle, grande & accommodée d’ombrage, de sieges, de galeries & de logis, qu’il est possible ; & y en a une pareille à l’hacquebute. Il y a des moulins d’eau à sier bois, comme nous en avions veu plusieurs ailleurs, & à broyer du lin & à piller du mil. Il y a aussi un abre de la façon duquel nous en avions veu d’autres, mesme à Bade, mais non pas de pareille grandeur. Des premieres branches, & plus basses, ils se servent à faire le planchier d’une galerie ronde, qui a vint pas de diametre ; ces branches, ils les replient contre-mont, & leur font embrasser le rond de cette galerie, & se hausser à-mont, autant qu’elles peuvent. Ils tondent après l’abre, & le gardent de jetter jusques à la hauteur qu’ils veulent donner a cette galerie, qui est environ de dix pieds. Ils prennent là les autres branches qui viennent à l’abre, lesqueles ils couchent sur certennes clisses pour faire la couverture du cabinet, & depuis les plient en bas, pour les faire joindre à celles qui montent contre-mont, & remplissent de verdure tout ce vuide. Ils retondent encor après cela l’abre jusques à sa teste, où ils y laissent espandre ses branches en liberté. Cela rend une très belle forme & est un très bel abre. Outre cela, ils ont faict fourdre à son pied un cours de fontene qui se verse audessus du planchier de cette galerie. M. de Montaigne visita les Bourguemaistres de la ville, qui, pour le gratiffier avecques autres officiers publiques, vindrent soupper à nostre logis, & y firent presenter du vin à M. d’Estissac & à lui. Ce ne fut sans plusieurs harangues cerimonieuses d’une part & d’autres. Le principal Bourguemaistre estoit gentil’homme & nourri page ches feu M. d’Orleans, qui avoit desja tout oublié son françois. Ce canton fait profession d’estre fort nostre, & en a donné ce tesmoignage recent, d’avoir refusé à nostre faveur la confederation que feu M. de Savoïe recherchoit aver les cantons, de quoy j’ay faict cy dessus mention. Le samedy 8e d’Octobre, nous partismes au matin à huit heures, après desjuné, de Schaffouse, où il y a très bon logis à la Couronne. Un homme savant du païs, entretint M. de Montaigne ; & entre autres choses, de ce que les habitants de cette ville ne soint, à la vérité, guierre affectionnés à notre Cour ; de maniere que toutes les deliberations où il s’etoit trouvé touchant la conféderation avec le Roy, la plus grande partie du peuple estoit toujours d’avis de la rompre : mais que par les menées d’aucuns riches, cela se conduisoit autremant. Nous vismes au partir, un engin de fer que nous avions veu aussi ailleurs ; par lequel on souleve les grosses pierres, sans s’y servir de la force des hommes pour charger les charretes. Nous passames le long du Rhin, que nous avions à notre mein droite ; jusques à Stain, petite Ville alliée des cantons, de mesme religion que Schaffouse. Si est ce qu’en chemin, il y avoit force croix de pierre, où nous repassames le Rhin sur un autre pont de bois, & coutoyant la rive, l’aïant à notre main gauche, passames le long d’un autre petite ville, aussi des alliées des cantons catholicques. Le Rhin s’espand là en une merveilleuse largeur, come est notre Garonne davant Blaye, & puis se resserre jusques à

CONSTANCE, quatre lieues, où nous arrivames sur les quatre heures. C’est une ville de la grandeur de Chalons, apertenant à l’Archiduc d’Austriche, & catholicque, parce qu’elle a esté autrefois, & depuis trente ans, possédée par les Lutheriens, d’où l’Empereur Charles Ve les deslogea par force. Les Eglises s’en sentent encores aus images. L’Evesque qui est Gentilhome du païs & Cardinal, demeurant à Rome, en tire bien quarante mille escus de revenu. Il y a des chanoinies, en l’Eglise Nostre Dame, qui valent mille cinq cens florins, & sont à des Gentilshomes. Nous en vismes un à cheval, venant de dehors, vetu licentieusement comme un home de guerre ; aussi dit-on qu’il y a force Lutériens dans la ville. Nous montasmes au clochier qui est fort haut, & y trouvames un homme attaché pour santinelle, qui n’en part jamais quelque occasion qu’il y ait, & y est enfermé. Ils dressent sur le bord du Rhin, un grand batimant couvert, de cinquante pas de long & quarante de large ou environ ; ils mettront-là douze ou quinze grandes roues, par le moyen desqueles ils esleveront sans cesse grande quantité d’eau, sur un planchié qui sera un estage au dessus, & autres roues de fer en pareil nombre, car les basses sont de bois, & releveront de mesme de ce planchier à un autre audessus. Cett’eau, qui estant montée a cette hauteur, qui est environ de cinquante piés, se degorgera par un grand & large canal artificiel, se conduira dans leur ville, pour y faire moudre plusieurs moulins. L’artisan qui conduisoit cette maison, seulemement pour sa main, avoit cinq mille sept cens florins, & fourni outre cela de vin. Tout au fons de l’eau, ils font un planchier ferme tout au tour, pour rompre, disent-ils, le cours de l’eau, & affin que dans cet estuy elle s’endorme, affin qu’elle s’y puisse puiser plus ayséemant. Ils dressent aussi des engeins, par le moyen desquels on puisse hausser & baisser tout ce rouage, selon que l’eau vient à estre haute ou basse. Le Rhin n’a pas là ce nom : car à la teste de la ville, il s’estand en forme de lac, qui a bien quatre lieues d’Allemaigne de large, & cinq ou six de long. Ils ont une belle terrasse, qui regarde ce grand lac en pouinte, où ils recueillent les marchandises ; & à cinquante pas de ce lac, une belle maisonnette où ils tiennent continuellemant une santinelle ; & y ont attaché une cheine par laquelle ils ferment le pas de l’antrée du pont, ayant rangé force pals qui enferment des deux costés cete espace de lac, dans lequel espace se logent les bateaus & se chargent. En l’Eglise Nostre Dame, il y a un conduit, qui, au dessus du Rhin, se va rendre au faux-bourg de la ville. Nous reconnumes que nous perdions le païs de Souisse, à ce que un peu avant que d’arriver à la ville, nous vismes plusieurs maisons de gentil’homes ; car il ne s’en voit guieres en Souisse. Mais quant aus maisons privées, elles sont & aus villes & aus champs, par la route que nous avons tenu, sans compareison plus belles qu’en France, & n’ont faute que d’ardoises, & notament les hosteleries, & meilleur traitemant ; car ce qu’ils ont à dire pour nostre service, ce n’est pas par indigence, on le connoit assés au reste de leur équipage ; & n’en est point où chacun ne boive en grands vaisseaux d’argent, la plus-part dorés & labourés, mais ils sont à dire par coutume. C’est un païs très fertile, notament de vins. Pour revenir a Constance, nous fumes mal logés à l’aigle, & y reçeumes de l’hoste un trait de la liberté & fierté barbare Alemanesque, sur la querelle de l’un de nos homes de pied avec nostre guide de Basle. Et parce que la chose en vint jusques aus juges, ausquels il s’alla pleindre, le Prevot du lieu, qui est un Gentilhome Italien, qui est là habitué & marié, & a droit de bourgeoisie il y a longtemps, respondit à M. de Montaigne, sur ce qu’on l’enqueroit, si les domestiques serviteurs dudit seigneur seroint crus en tesmoignage pour nous : il respondit que oui, pourveu qu’il leur donnat congé, mais que soudain après il les pourroit reprendre à son service. C’étoit une subtilité remercable. Lendemein qui fut Dimenche, à cause de ce désordre, nous arrestames jusques après disner, & changeames de logis au brochet, où nous fumes fort bien. Le fils du Capitene de la ville, qui a esté nourri page chez M. de Meru, accompaigna tous-jours Messieurs à leur repas & ailleurs ; si ne sçavoit-il nul mot de françois. Les services de leurs tables se changent souvent. On leur donna là, & souvent depuis, après la nappe levée, d’autres nouveaus services parmy les verres de vin : le premier, des canules, que les Guascons appellent; après, du pain d’espice, & pour le tiers un pain blanc, tandre, coupé à taillades, se tenant pourtant entier ; dans les descoupures, il y a force espices & force sel jetté parmy, & audessus aussi de la croûte de pain. Cette contrée est extresmement pleine de Ladreries, & en sont les chemins tout pleins. Les gens de village servent au desjuner de leurs gens de travail, des fouasses fort plattes, où il y a du fenouil, & au dessus de la fouasse des petits lopins de lard hachés fort menus & des gosses d’ail. Parmi les Alemands, pour honorer un home, ils gaignent tousjours son costé gauche, en quelque assiete qu’il soit ; & prennent à offense de se mettre à son costé droit, disant que pour déferer à un home, il faut lui laisser le costé droit libre, pour mettre la main aux armes. Le dimenche après disner nous partimes de Constance ; & après avoir passé le lac à une lieue de la ville, nous en vinsmes coucher à SMARDOFF, deux lieues, qui est une petite ville Catholicque ; à l’enseigne de Coulogne, & logeames à la poste qui y est assise pour le passage d’Italie en Alemaigne, pour l’Empereur. Là, come en plusieurs autres lieus, ils remplissent les paillasses de feuilles de certein abre qui sert mieus que la paille & dure plus longtemps. C’est une ville entournée d’un gran païs de vignes, où il croît de très bons vins. Le lundy 10 d’Octobre, nous partismes apres des-juner : car M. de Montaigne fut convié par le beau jour de changer de dessein d’aller à Raresbourg ce jour-là, & se destourna d’une journée pour aller a Linde. M. de Montaigne ne des-junoit jamais, mais on lui apportoit une pièce de pein sec qu’il mangeoit en chemin, & éstoit par fois eidé des resins qu’il trouvoit, les vendanges se feisant encores en ce païs-là, le païs estant plein de vignes, & mesmes autour de Linde. Ils les soulevent de terre en treilles, & y laissent force belles routes pleines de verdure, qui sont très-belles. Nous passames une ville nommée Sonchem, qui est Impériale Catholicque, sur la rive du lac de Constance ; en laquelle ville toutes les marchandises d’Oulme de Nuremberg & d’ailleurs se rendent en charrois, & prennent delà la route du Rhin par le lac. Nous arrivasmes sur les trois heures après midy à

LINDE, trois lieues, petite ville assise à cent pas avant dans le lac, lesquels cent pas on passe sur un pont de pierre: il n’y a que cette entrée, tout le reste de la ville estant entourné de ce lac. Il a bien une lieue de large, & au delà du lac naissent les montaignes des Grisons. Ce lac & toutes les rivieres de là autour sont basses en hiver, & grosses en été, à cause des neges fondues. En tout ce pays les fames couvrent leur teste de chappeaus ou bonnets de fourrure, come nos calotes ; le dessus, de quelque fourrure plus honeste, come de gris, & ne coute un tel bonnet que trois testons, & le dedans d’eigneaus. La fenêtre qui est au devant de nos calotes, elles la portent en derrière, par où paroît tout leur poil tressé. Elles sont aussi volantiers chaufféees de botines ou rouges ou blanches, qui ne leur siesent pas mal. Il y a exercice de deux Religions. Nous fumes voir l’Eglise catholicque batie l’an 866, où toutes choses sont en leur entier, & vismes aussi l’Eglise de quoi les Ministres se servent. Toutes les villes Impériales ont liberté de deux Religions Catholicque & Lutériene, selon la volanté des habitans. Ils s’appliquent plus ou moins à cele qu’ils favorisent. À Linde il n’y a que deus ou trois Catholicques, à ce que le prestre dît à M. de Montaigne. Les prestres ne laissent pas d’avoir leur revenu libre & de faire leur office, come font aussi des Noneins qu’il y a. Ledit sieur de Montaigne parla aussi au Ministre, de qui il n’apprint pas grand chose, sauf la haine ordineire contre Zuingle & Calvin. On tient qu’à la vérité il est peu de villes qui n’ayent quelque chose de particulier en leur créance, & sous l’autorité de Martin qu’ils reçoivent pour chef, ils dressent plusieurs disputes sur l’interprétation du sens ez escrits de Martin. Nous lojames à la Couronne, qui est un beau logis. Au lambris du poile il y avoit une forme de cage de mesme le lambris, à loger grand nombre d’oiseaus ; ell’avoit des allées suspenduës & accommodées de fil d’aréchal, qui servoint d’espace aus oiseaus d’un bout à l’autre du poile. Ils ne sont meublés ny fustés que de sapin qui est l’abre le plus ordinere de leurs forests ; mais ils le peignent, vernissent & nettoyent curieusemant, & ont mêmes des vergettes de poil de quoi ils époussetent leurs bancs & tables. Ils ont grande abondance de chous-cabus quils hachent menus a tout un instrumant exprès, & ainsi haché en mettent grande quantité dans des cuves à tout du sel, de quoi ils font des potages tout l’hiver. Là M. de Montaigne essaya à se faire couvrir au lict d’une coite, come c’est leur coutume & se loua fort de cet usage, trouvant que c’estoit une couverture & chaude & legiere. On n’a à son avis à se plaindre que du coucher pour les homes délicats ; mais qui porteroit un materas qu’ils ne connoissent pas là, & un pavillon dans ses coffres, il n’y trouveroit rien à dire : car quant au tretemant de table, ils sont si abondans en vivres, & diversifient leur service en tant de sortes de potages, de sauces, de salades, come hors de nostre usage. Ils nous ont presanté des potages faicts de couins ; d’autres de pommes cuites taillées à ruelles sur la souppe, & des salades de chous-cabus. Ils font aussi des brouets, sans pein, de diverses sortes, come de ris où chacun pesche en commun, (car il n’y a nul service particulier), & cela d’un si bon goust, aus bons logis, que à pene nos cuisines de la noblesse francèse lui sembloint comparables, & y en a peu qui ayent des sales si parées. Ils ont grande abondance de bon poisson qu’ils mêlent au service de chair ; ils y desdeingnent les truites & n’en mangent que le foye ; ils ont force gibier, bécasses, levreaux, qu’ils acoutrent d’une façon fort esloingnée de la nostre, mais aussi bonne au moins. Nous ne vismes jamais des vivres si tendres com’ils les servent communéemant. Ils meslent des prunes cuites, des tartes de poires & de pommes au service de la viande, & mettent tantost le rôti le premier & le potage à la fin, tantost au rebours. Leur fruict, ce ne sont que poires, pommes qu’ils ont fort bonnes, noix & formage. Parmi la viande, ils servent un instrumant d’arjant ou d’estein, à quatre logettes, ou ils mettent diverses sortes d’épisseries pilées & ont du cumin ou un grein semblable, qui est piquant & chaut, qu’il meslent à leur pein, & leur pein est la pluspart faict avec du fenouil. Après le repas ils remetent sur la table des verres pleins & y font deux ou trois services de plusieurs choses qui esmeuvent l’altération. M. de Montaigne trouvoit à dire trois choses en son voïage : l’une, qu’il n’eût mené un cuisinier pour l’instruire de leurs façons & en pouvoir un jour faire voir la preuve chez lui ; l’autre qu’il n’avoit mené un valet Allemand, ou n’avoit cherché la compagnie de quelque Gentilhomme du païs (car de vivre à la mercy d’un bélitre de guide, il y sentoit une grande incommodité) ; la tierce, qu’avant faire le voyage, il n’avoit veu les livres qui le pouvoint avertir des choses rares & remarcables de chaque lieu, ou n’avoit un Munster, ou quelque autre dans ses coffres. Il mêloit à la vérité à son jugement un peu de passion du mespris de son païs qu’il avoit à haine & à contrecœur pour autres considérations ; mais tant y a qu’il préferoit les commodités de ce païs-là sans compareson aux Francèses, & s’y conforma jusqu’à y boire le vin sans eau. Quant à boire à l’envi, il n’y fut jamais convié que de courtoisie & ne l’entreprit jamais. La cherté en la haute Allemaigne est plus grande qu’en France ; car à nostre conte l’home & cheval despanse pour le moins par jour une escu au soleil. Les hostes content en premier lieu le repas à quatre, cinq ou six bas pour table d’hoste. Ils font un autre article de tout ce qu’on boit avant & après ces deux repas, & les moindres colations ; de façon que les Alemans partent communéemant le matin du logis sans boire. Les services qui se font après le repas, & le vin qui s’y emploïe, en quoi va pour eus la principale despance, ils en font un conte avec les colations. À la vérité, à voir la profusion de leurs services, & notammant du vin, là-mesmes où il est estrememant cher & apporté de païs loingtain, je treuve leur cherté excusable. Ils vont eux mesmes conviant les serviteurs à boire & leur font tenir table deux ou trois heures. Leur vin se sert dans des vaisseaus come grandes cruches, & est un crime de voir un gobelet vuide qu’ils ne remplissent soudein, & jamais de l’eau, non pas à ceus mesme qui en demandent, s’ils ne sont bien respectés. Ils content après l’avoine des chevaus, & puis l’estable, qui comprend aussi le foin. Ils ont cela de bon qu’ils demandent quasi du premier mot ce qu’il leur faut, & ne guaigne-t-on guiere à marchander. Ils sont glorieux, choleres & yvrognes, mais ils ne sont, disoit M. de Montaigne, ny trahistes, ny voleurs. Nous partimes delà après desjeuner, & nous randimes sur les deux heures après midi à

VANGUEN, deux lieues, ou l’inconvéniant du mulet de coffres, qui se blessoit, nous arresta par force, & fumes contreins de louer une charrete pour le lendemein, à trois escus par jour ; le charretier qui avoit quatre chevaus, se nourrissant de là. C’est une petite ville impériale qui n’a jamais voulu recevoir compagnie d’autre religion que catholicque, en laquelle se font les faulx si fameuses, qu’on les envoïe vendre jusques en Lorrene. Il en partit lendemein, qui fut le mercredy au matin 12 d’Octobre, & tourna tout-court vers Trante par le chemein le plus droit & ordinere, & nous en vinsmes disner à

ISNE, deux lieues, petite ville Impériale & très plesammant disposée. M. de Montaigne, come estoit sa coustume, alla soudein trouver un docteur théologien de cette ville, pour prendre langue, lequel docteur disna avec eux. Il trouva que tout le peuple estoit lutérien, & vit l’Eglise lutériene qui a esté usurpée, come les autres qu’ils tiennent ès villes impériales, des églises catholiques. Entr’autres propos qu’ils eurent ensamble sur le sacremant, M. de Montaigne s’avisa qu’aucuns Calvinistes l’avoint averty en chemein, que les Lutériens mesloint aux antiennes opinions de Martin, plusieurs erreurs estranges, come l’Ubiquisme, maintenant le corps de Jesus-Christ éstre partout com’en l’hostie ; par où ils tomboint en mesme inconveniant de Zuingle, quoi que ce fût par diverses voïes : l’un par trop espargner la presance du corps, l’autre pour la trop prodiguer (car à ce conte le sacremant n’avoit nul priviliege sur le corps de l’Eglise, ou assemblée de trois homes de bien) ; & que leur principaux argumans estoint que la divinité estoit inseparable du corps, par quoi la divinité estant partout, que le corps l’estoit aussi. Secondemant, que Jesus-Christ devant estre tous-jours à la dextre du père, il estait par-tout, d’autant que la dextre de Dieu, qui est sa puissance est partout. Ce Docteur nioit fort de parolle cette imputation, & s’en défendoit come d’une calomnie, mais par effect, il semble à M. de Montaigne qu’il ne s’en couvroit guère bien. Il fit compagnie à M. de Montaigne à aler visiter un monastere très-beau & sumptueux, où la messe se disoit, & y entra & assista sans tirer le bonnet, jusques à ce que MM. d’Estissac & de Montaigne eussent faict leurs oraisons. Ils alarent voir dans une cave de l’Abaïe une pierre longue & ronde, sans autre ouvrage, arrachée, come il semble, d’un pilier, où en lettres latines fort lisables cette inscriptron est : que les Empereurs Pertinax & Antoninus Verus ont refaict les chemins & les ponts, à unze mille pas de Campidonum, qui est Kempten, où nous alames coucher. Cette pierre pouvoit estre là come sur le chemein du rabillage, car ils tiennent que ladite ville d’Isne n’est pas fort antienne. Toutefois ayant reconnu les avenues dudit Kempten d’une part & d’autre, outre ce qu’il n’y a nul pont, nous ne pouvions reconnetre nul rabillage digne de tels ouvriers. Il y a bien quelques montaignes antrecoupées, mais ce n’est rien de grande manufacture.

KEMPTEN, trois lieues, une ville grande corne Sainte-Foi, très belle & peuplée & richemant logée. Nous fumes à l’Ours, qui est un très beau logis. On nous y servit de grands tasses d’arjant de plus de sortes, (qui n’ont usage que d’ornemant, fort labourées & semées d’armoiries de divers Seigneurs), qu’il ne s’en tient en guiere de bones maisons. Là se tesmoigna ce que disoit ailleurs (M. de Montaigne) que ce qu’ils oblient du notre, c’est qu’ils le méprisent ; car aïant grand’foison de vesselle d’estain, escurée com’à Montaigne, ils ne servirent que des assiettes de bois, très-polies à la vérité & très-belles. Sur les sieges en tout ce païs, ils servent des coussins pour se soir, & la pluspart de leurs planchiers lambrissés sont voutés com’en demy croissant, ce qui leur donne une belle grace. Quant au linge de de quoy nous nous pleignions au commencemant, onques puis nous n’en eûmes faute, & pour mon maistre je n’ay jamais failli à en avoir pour lui en faire des rideaus au lict ; & si une serviette ne lui suffisoit, on lui en changeoit à plusieurs fois. En cette Ville, il y a tel Marchand qui faict traficque de cant mille florins de toiles. M. de Montaigne, au partir de Constance, fût alé à ce canton de Souisse, d’où viennent les toiles à toute la Crestienté, sans ce que, pour revenir à Linde, il y avoit pour quatre ou cinq heures de traject du lac. Cete Ville est Luterienne, & ce qu’il y a d’estrange, c’est que, com’à Isne, & là aussi l’Eglise catholique y est servie très-solemnellement : car le lendemein qui fut jeudy matin, un jour ouvrier, la messe se disoit en l’Abbaye hors la Ville, com’elle se dict à Notre Dame de Paris le Jour de Pasques, avec Musicque & Orgues, où il n’y avoit que les Religieus. Le peuple, au dehors des Villes impériales, n’a pas eu cette liberté de changer de religion. Ceus-là vont les fêtes à ce service. C’est une très belle Abbaïe. L’Abbé la tient en titre de principauté, & lui vaut cinquante mille florins de rante. Il est de la maison d’Estain. Tous les Religieux sont de nécessité jantilshomes. Hildegarde, fame de Charlemaigne, la fonda l’an 1783, & y est enterrée & tenue pour Sainte ; ses os ont été déterrés d’une cave où ils estoint, pour être enlevés en une châsse. Le mesme jeudy matin, M. de Montaigne ala à l’Eglise des Luteriens, pareille aus autres de leur secte & huguenotes : sauf qu’à l’endret de l’Autel qui est la teste de la Nef, il y a quelques bancs de bois qui ont des accoudoirs audessous, afin que ceus qui reçoivent leur cène, se puissent mettre à genous, com’ils font. Il y rancontra deux Ministres vieus, dont l’un preschoit en Alemant, à une assistance non guiere grande. Quand il eut achevé, on chanta un psalme en Alemant, d’un chant un peu esloigné du nostre. À chaque verset il y avoit des orgues qui ont esté mises freschemant, très-belles, qui respondoint en musique ; autant de fois que le prêcheur nomoit Jesus Christ, & lui & le peuple tiroint le bonnet. Après ce sermon, l’autre Ministre s’alla mettre contre cet autel le visage tourné vers le peuple, aïant un livre à la mein, à qui s’ala presenter une jeune fame, la teste & les poils espars, qui fit là une petite reverance à la mode du païs, & s’arrêta là seule debout : tantost après un garçon, qui estoit un artisan, à tout une espée au costé, vint aussi se presanter & mettre à coté de cete fame. Le Ministre leur dict à tous deux quelques mots à l’oreille, & puis commanda que chacun dit le pate-nostre, & après se mit à lire dans un livre. C’estoint certenes règles pour les jans qui se marient, & les fit toucher à la mein l’un de l’autre, sans le baiser. Cela faict, il s’en vint, & M. de Montaigne le print ; ils devisarent long-tamps ensamble ; il mena ledit sieur en sa maison & étude, belle & bien accommodée ; il se nome Johannes Tilianus, Augustanus. Ledit sieur demandoit une confession nouvelle, que les Luteriens ont faite, où tous les docteurs & princes qui la soutiennent, sont signés ; mais elle n’est pas en latin. Com’ils sortoint de l’eglise, les violons & tabourins sortoint de l’autre costé qui conduisoint les mariés. À la demande qu’on lui fit, s’ils permettoint les danses : il respondit, pourquoi non: A cela : pourquoi aus vitres & en ce nouveau batimant d’orgues, ils avoint faict peindre Jesus Christ & force images ? que ils ne defandoint pas les images, pour avertir les homes, pourveu que l’on ne les adorât pas. À ce : pourquoi donq ils avoint osté les images antiennes des Eglises? que ce n’estoint pas eus, mais que leurs bons disciples les Zuingliens, incités du malin esprit, y estoint passés avant eus, qui avoint faict ce ravage, come plusieurs autres : qui est cete incline response, que d’autres de cete profession avoint faicte audict sieur ; mesme le docteur d’Isne, à qui quand il demanda s’il haïssoit la figure & effigie de la croix, il s’écria soudein : comant serois-je si atheiste de haïr cette figure si heureuse & glorieuse ans Crestiens! que s’estoit des opinions diaboliques. Celui là mêmes dict tout détrousséemant en dinant, qu’il aimeroit mieux ouir çant messes, que de participer à la cène de Calvin. Audict lieu on nous servit des lièvres blancs. La ville est assise sur la rivière d’Hier, nous y disnames ledict Jeudy, & nous en vinmes par un chemin montueus & stérile, coucher à

FRIENTEN, quatre lieues, petit village catholicque, come tout le reste de cette contrée, qui est à l’Archiduc d’Austriche. J’avois oblié de dire sur l’article de Linde, qu’à l’antree de la ville il y a un grand mur qui tesmoingne une grande antiquité, où je n’aperceu rien d’escrit. J’antan que son nom en Alemant signifie vieille muraille, qu’on m’a dict venir de là. Le vendredy au matin, quoique ce fût un bien chetif logis, nous n’y laissâmes pas d’y trouver force vivres. Leur costume est de ne chauffer jamais ny leurs linceuls pour se coucher, ny leurs vestemans pour se lever, & s’offencent si on alume du feu en leur cuisine pour cet effect, ou si on s’y sert de celui qui y est ; & est une des plus grandes querelles qui nous eussions par les logis. Là, même au milieu des montaignes & des forets où dix mille pieds de sapin ne coustent pas cinquante sols, ils ne vouloint permettre non plus qu’ailleurs que nous fissions du feu. Vendredy matin nous en partimes & reprimes à gauche le chemin plus dous, abandonnant le santier des montaignes qui est le droit vers Trante. M. de Montaigne estant d’avis de faire le detour de quelques journées, pour voir certaines belles villes d’Allemaigne, & se repantant de quoi, à Vanguen, il avoit quitté le dessein d’y aler, qui estoit le sien premier, & avoit pris cet’autre route. En chemin nous rencontrames, come nous avions faict ailleurs en plusieurs lieux, les moulins à eau, qui ne reçoivent l’eau que par une goutiere de bois qui prand l’eau au pied de quelque haussure, & puis eslevée bien haut hors de terre & appuyée, vient à degorger sa course par une pante fort drette qu’on lui donne au bout de cette goutiere, & vinmes disner à

FRIESSEN, une lieue : c’est une petite ville catholicque apertenante à l’Evesque d’Auguste : nous y trouvasmes force gens du trein de l’Archiduc d’Autrische qui estoint en un chateau voisin de là avec le duc de Baviere. Nous mismes là sur la riviere de Lech les coffres, & moi avec d’autres, pour les conduire à Augsbourg sur un floton, qu’ils noment : ce sont des pieces de bois jointes ensamble qui s’estandent quand on est à port. Il y a là une Abbaïe : on montra à Messieurs un calice & un’estole, qu’on tient en reliquere, d’un seint qu’ils noment Magnus, qu’ils disent avoir esté fils d’un roi d’Escosse & disciple de Colombanus. En faveur de ce Magnus, Pepin fonda ce monastere, & l’en fit premier Abbé, & y a ce mot escrit au haut de la nef, & au-dessus dudict mot des notes de musicque pour lui donner le son : Compertâ virtute beati Magni famâ, Pipinus Princeps locum quem Sanctus incoluit regia largitate donavit. Charlemaigne l’enrichit depuis, come il est aussi escrit audict monastere. Après disner, vinsmes les uns & les autres coucher à

CHONGUEN, quatre lieues, petite ville du Duc de Baviere, & par conséquent exactemant catholicque : car ce Prince, plus que nul autre en Allemaigne, a maintenu son ressort pur de contagion, & s’y opiniâtre. C’est un bon logis à l’estoile, & de nouvelle cerimonie ; on y rangea les salieres en une table carrée de couin en couin, & les chandeliers aus autres couins, & en fit on une croix S. André. Ils ne servent jamais d’œufs, au moins jusques lors, si ce n’est durs, coupés à quartiers dans des salades qu’ils y ont fort bones, & des herbes fort fresches ; ils servent du vin nouveau, communéemant soudein après qu’il est faict, ils battent les bleds dans les granges à mesure qu’ils en ont besoin, & battent le bled du gros bout du fléau. Le samedy alames disner à

LANSPERGS, quatre lieues, petite ville audit Duc de Baviere, assise sur ladite rivière de Lech, très-belle pour sa grandeur, ville, faubourg & château. Nous y arrivasmes un jour de marché, où il y avoit un grand nombre de puple, & au milieu d’une fort grande place une fonteine qui élance par çant tuieaus l’eau à une pique de hauteur, & l’esparpille d’une façon très artificielle, où on contourne les tuieaus là où l’on veut. Il y a une très belle Eglise, & à la ville & au faubourg qui sont contre mont, une droite coline, com’est aussi le château. M. de Montaigne y alla trouver un Colliege de Jésuites qui y sont fort bien accommodés d’un bâtimant tout neuf, & sont après à bâtir une belle Eglise. M. de Montaigne les entretint, selon le loisir qu’il en eut. Le conte de Helfestein commande au château. Si quelqu’un songe autre religion que la Romene, il faut qu’il se taise. À la porte qui sépare la ville du fauxbourg, il y a une grande inscription latine de l’an 1552, où ils disent en ces mots que Senatus Populusque de cette ville, ont bati ce monumant à la mémoire de Guillaume & de Louys freres, Ducs utriusque Boïariæ. Il y a force autres devises en ce lieu mesmes, come cetecy: horridum militem esse decet, nec auro coelatum, sed animo & ferro fretum ; & à la teste, caveat stultorum mundus. Et en un autre andret fort apparent, des mots extraits de quelque historien latin, de la victoire que le Consul Marcellus perdit contre un Roi de cete nation: Carolami Boïorumque Regis cum Marcello Cos. pugna quâ eum vicit, &c. II y a plusieurs autres bones devises latines aus portes privées. Ils repeingnent souvent leurs viles, ce qui leur donne un visage tout fleurissant, & à leurs Eglises ; & com’a point nomé à la faveur de nostre passage, depuis trois ou quatre ans, elles estoint quasi toutes renouvelées où nous fumes ; car ils mettent les dates de leur ouvrage. L’horologe de cete vile, comme d’autres plusieurs de ce païs-là, sone tous les quarts d’heures, & dict-on que celui de Nuremberch sone les minutes. Nous en somes partis après disner, par une longue pleine de pascage fort unie, come la pleine de la Beausse, & nous rendismes à AUGSBOURG, quatre lieues, qui est estimée la plus belle ville d’Almaigne, come Strasbourg la plus forte. Le premier appret étrange, & qui montre leur propreté, ce fut de trouver à notre arrivée les degrés de la vis de notre logis tout couvert de linges, par dessus lesquels il nous falloit marcher, pour ne salir les marches de leur vis qu’on venoit de laver & fourbir, come ils font tous les samedis ; nous n’avons jamais aperçeu d’araignée ni de fange en leur logis ; en aucuns il y a des rideaux pour estandre au devant leurs vitres, qui veut. Il ne se trouve guiere de tables aus chambres, si ce n’est celes qu’ils attachent au pié de chaque lict qui pandent là à tout des gons, & se haussent & baissent, come on veut. Les pieds des licts sont élevés de deux ou trois pieds au dessus du corps du lict, & souvent au niveau du chevet, le bois en est fort beau & labouré ; mais notre noyer surpasse de beaucoup leur sapin. Ils servoint là aussi les assietes d’estein très luisantes, au dessous de celes de bois par dedein ; ils metent souvent contre la paroy, à côté des licts, du linge & des rideaus, pour qu’on ne salisse leur muraile en crachant. Les Alemans sont fort amoureux d’armoiries ; car en tous les logis, il en est une miliasse que les passans jantils-homes du païs y laissent par les parois, & toutes leurs vitres en sont fournies. L’ordre du service y change souvent ; ici les ecrevilles furent servies les premieres, qui partout ailleurs se servoint avant l’issue, & d’une grandeur estrange. En plusieurs hosteleries, des grandes, ils servent tout à couvert. Ce qui fait si fort reluire leurs vitres, c’est qu’ils n’ont point des fenestres attachées à nostre mode, & que leurs chassis se remuent quand ils veulent, & fourbissent leurs verrieres fort souvent. M. de Montaigne, le landemein qui estoit dimenche, matin, fut voir plusieurs Eglises, & aus Catholicques qui sont en grand nombre, y trouva partout le service fort bien faict. Il y en a six Luteriennes & seize Ministres ; les deux des six sont usurpées des Eglises Catholicques, les quatre sont batties par eux. Il en vit une ce matin, qui samble une grand’salle de Colliege : ny images, ny orgues, ny crois. La muraille chargée de force escris en Alemant, des passages de la bible ; deux cheses, l’une pour le Ministre, & lors il y en avoit un qui prechoit, & au dessous une autre où est celui qui achemine le chant des psalmes. À chaque verset ils atendent que celui là donne le ton au suivant ; ils chantent pesle mesle, qui veut, & couvert qui veut. Après cela un Ministre qui estoit dans la presse, s’en alla à l’autel, où il leut force oresons dans un livre, & à certenes oresons, le peuple se levoit & joingnoit les meins, & au nom de Jésus-Christ faisoit des grandes reverances. Après qu’il eut achevé de lire descouvert, il avoit sur l’autel une serviette, une eguiere & un saucier où il y avoit de l’eau ; une fame suivie de douze autres fames lui presanta un enfant emmailloté, le visage découvert. Le Ministre à tout ses doits print trois fois de l’eau dans ce saucier, & les vint lançant sur le visage de l’enfant & disant certenes paroles. Cela faict, deux homes s’aprocharent & chacun d’eus mit deus doigs de la mein droite sur cet enfant: le Ministre parla à eus, & ce fut fait. M. de Montaigne parla à ce Ministre en sortant. Ils ne tauchent à nul revenu des eglises, le Senat en public les païe ; il y avoit beaucoup plus de presse en cette église sule, qu’en deux ou trois Catholicques. Nous ne vismes nulle belle fame ; leurs vetemans sont fort differans les uns des autres ; entre les homes, il est mal-aysé de distinguer les nobles, d’autant que toute façon de jans portent leurs bonets de velours, & tous des espées au costé ; nous estions logés à l’enseigne d’un abre nomé linde au païs, joingnant le palais des Foulcres. L’un de cete race mourant quelques années y a, laissa deux millions d’escus de France vaillant à ses heritiers ; & ces heritiers, pour prier pour son ame, donnarent aus Jesuites qui sont là trente mille florins contans, de quoi ils se sont très bien accommodés. Laditte maison des Foulcres est couverte de cuivre. En general les maisons sont beaucoup plus belles, grandes & hautes qu’en nulle ville de France, les rues beaucoup plus larges ; il l’estime de la grandeur d’Orleans. Après disner nous fumes voir escrimer en une sale publicque où il y avoit une grand’presse, & païe-t-on à l’antrée, com’aus bâteleurs, & outre cela les sieges des bancs. Ils y tirarent au pouignard, à l’espée à deus mains, au bâton à deus bouts, & au braquemart ; nous vimes après des jeus de pris à l’arbaleste & à l’arc, en lieu encore plus magnifique que à Schafouse. De là à une porte de la ville par où nous étions entrés, nous vimes que sous le pont où nous etions passés, il coule un grand canal d’eau qui vient du dehors de la ville, & est conduit sur un pont de bois audessous de celui sur lequel on marche, & au dessus de la riviere qui court par le fossé de la ville. Ce canal d’eau va bransler certenes roues en grand nombre qui remuent plusieurs pompes, & haussent par deux canaus de plomb l’eau d’une fontene qui est en cet endret fort basse, en haut d’une tour, cinquante pieds de haut pour le moins. Là elle se verse dans un grand vesseau de pierre, & de ce vesseau par plusieurs canaus se ravale en bas, & de-là se distribue par la ville, qui est par ce sul moyen toute peuplée de fontenes. Les particuliers qui en veulent un doit pour eus, il leur est permis, en donnant à la vile dix florins de rente ou deux cents florins une fois païés. Il y a quarante ans qu’ils se sont ambellis de ce riche ouvrage. Les mariages des Catholicques aus Luteriens se font ordineremant, & le plus desireus subit les lois de l’autre ; il y a mille tels mariages : nostre hoste estoit Catholique, sa fame Luterienne. Ils nettoïent les verres à tout une espousette de poil ammanchée au bout d’un bâton ; ils disent qu’il s’y treuve de très beaus chevaus à quarante ou cinquante escus. Le corps de la ville fit cet honneur à Messieurs d’Estissac & de Montaigne de leur envoier presanter, à leur souper, quatorze grands vesseaus pleins de leur vin, qui leur fut offert par sept serjans vêtus de livrées, & un honorable officier de ville qu’ils conviarent à souper car c’est la coustume, & aus porteurs on faict donner quelque chose ; ce fut un escu qu’ils leur firent donner. L’Officier qui souppa avec eus dict à M. de Montaigne, qu’ils estoint trois en la ville ayant charge d’ainsi gratifier les estrangiers qui avoint quelque qualité, & qu’ils estoint en cette cause en souin de sçavoir leurs qualités, pour suivant cela, observer les cerimonies qui leur sont dues : ils donnent plus de vins aus uns que aus autres. À un Duc, l’un des Bourguemaistres en vient presanter : ils nous prindrent pour barons & chevaliers. M. de Montaigne, pour aucunes raisons, avoit voulu qu’on s’y contrefit, & qu’on ne dict pas leurs conditions, & se promena sul tout le long du jour par la ville ; il croit que cela mesme servit à les faire honorer davantage. C’est un honeur que toutes les villes d’Allemaigne leur ont faict. Quand il passa par l’Eglise Notre-Dame, ayant un froit extrême, (car les frois commençarent à les picquer au partir de Kempten, & avoint eu jusques lors la plus heureuse seson qu’il est possible), il avoit, sans y penser, le mouchoir au nés, estimant aussi qu’einsi sul & très-mal accommodé, nul ne se prendroit garde de lui. Quand ils furent plus apprivoisés avec lui, ils lui dirent que les gens de l’église, avoint trouvé cete contenance estrange. Enfin il encourut le vice qu’il fuioit le plus, de se rendre remercable par quelque façon ennemie du goust de ceus qui le voioient ; car entant qu’en lui est, il se conforme & range aus modes du lieu où il se treuve, & portoit à Auguste un bonet fourré par la ville. Ils disent à Auguste, qu’ils sont exempts, non des souris, mais des gros rats, de quoy le reste de l’Allemaigne est infecté, & là dessus content force miracles, attribuant ce priviliege à l’un de leurs, évesques qui est là en terre ; & de la terre de sa tumbe, qu’ils vendent à petits lopins come une noisete, ils disent qu’on peut chasser cette vermine, en quelque région qu’on la porte. Le lundy nous fumes voir en l’Eglise Notre-Dame la pompe des noces d’une riche fille de la ville & lede, avec un facteur des Foulcres, Vénitian : nous n’y vismes nulle belle fame. Les Foulcres qui sont plusieurs, & tous très-riches, tienent les principaux rengs de cete ville là. Nous vismes aussi deus sales en leur maison, l’une haute, grande, pavée de marbre ; l’autre basse, riche de médailles antiques & modernes, avec une chambrette au bout. Ce sont des plus riches pieces que j’aye jamais veues. Nous vismes aussi la danse de cet’assemblée : ce ne furent qu’Alemandes : ils les rompent à chaque bout de champ, & ramenent seoir les dames qui sont assises en des bancs qui sont par les costés de la sale, à deus rangs, couverts de drap rouge : eus ne se meslent pas à elles. Après avoir faict une petite pose, ils les vont reprendre : ils baisent leurs meins, les dames les reçoivent sans baiser les leurs, & puis leur metant la mein sous l’aisselle, les embrassent & joingnent les joues par le costé, les dames leur metent la mein droite sur l’espaule. Ils dansent & les entretiennent, tout descouverts, & non fort richemant vetus. Nous vismes d’autres maisons de ces Foulcres en autres endrets de la ville, qui leur est tenue de tant de despances qu’ils amploïent à l’embellir : ce sont maisons de pleisir pour l’esté. En l’une nous vismes un horologe qui se remue au mouvemant de l’eau qui lui sert de contre-pois. Là même deus grands gardoirs de poissons, couvers, de vint pas en carré, pleins de poisson. Par tout les quatre costés de chaque gardoir il y a plusieurs petits tuiaus, les uns droits, les autres courbés contre-mont ; par tous ces tuiaus, l’eau se verse très plesammant dans ces gardoirs, les uns envoiant l’eau de droit fil, les autres s’élançant contre-mont à la hauteur d’une picque. Entre ces deux gardoirs, il y a place de dix pas de large planchée d’ais ; au travers de ces ais, il y a force petites pouintes d’airain qui ne se voyent pas. Cependant que les dames sont amusées à voir jouer ce poisson, on ne faict que lacher quelque ressort : soudein toutes ces pouintes elancent de l’eau menue & roide jusques à la teste d’un home, & ramplissent les cotillions des dames & leurs cuisses de cette frecheur. En un autre endret où il y a un tuieau de fontene, plesante, pendant que vous la regardez, qui veut, vous ouvre le passage a des petits tuieaus imperceptibles qui vous jettent de cent lieus l’eau au visage à petits filets, & là il y a ce mot latin : Quæsisti nugas, nugis gaudeto repertis. Il y a aussi une voliere de vint pas en carré, de douze ou quinze pieds de haut, fermée par tout d’areschal bien noué & entrelassé ; au dedans dix ou douze sapins, & une fontene : tout cela est plein d’oiseaus. Nous y vismes des pigeons de Polongne, qu’ils appellent d’Inde, que j’ai veu ailleurs : ils sont gros, & ont le bec come une perdris. Nous vismes aussi le mesnage d’un Jardinier, qui prévoïant l’orage des froidures, avoit transporté en une petite logette couverte, force artichaus, chous, létues, epinars, cicorée & autres herbes qu’il avoit ceuillées, come pour les manger sur le champ, & leur mettant le pied dans certene terre, esperoit les conserver bones & freches deus ou trois mois ; & de vray, lors, il avoit çant artichaus nullemant fletris, & si les avoit ceuillis il y avoit plus de six sepmenes. Nous vismes aussi un instrumant de plomb courbe, ouvert de deus costés & percé. (Si), l’ayant une fois rampli d’eau, tenant les deus trous en haut, on vient tout soudein & dextrement a le renverser si que l’un bout boit dans un vesseau plein d’eau, l’autre dégoutte au dehors: ayant acheminé cet escoulement, il avient, pour éviter le vuide que l’eau ramplit tousjours le canal & dégoutte sans cesse. Les armes des Foulcres, c’est un escu mi-party à gauche, une flur de lis d’azur en champ d’or ; à drete une flur de lis d’or à champ d’azur, que l’Empereur Charles V leur a données en les anoblissant. Nous alames voir des jans qui conduisoint de Venise au Duc de Saxe, deus autruches ; le masle est le plus noir & a le col rouge, la femelle plus grisarde, & pondoit force œufs. Ils les menoint à pied, & disent que leurs betes se lassoint moins qu’eus, & leur echapeoint tous les coups ; mais ils les tiennent atachés par un colier qui les sangle par les reins au dessus des cuisses, & à un autre au dessus des espaules, qui entourent tout leurs corps, & ont des longues laisses par où ils les arrestent ou contournent à leur poste. Le mardy, par une singuliere courtoisie des Seigneurs de la ville, nous fumes voir une fausse-porte, qui est en ladite ville, par la quelle on reçoit à toutes heures de la nuict quiconque y veut antrer, soit à pied, soit à cheval, pourveu qu’il dise son nom, à qui il a son adresse dans la ville, ou le nom de l’hostellerie qu’il cherche. Deus hommes fideles, gagés de la ville, president à cette entrée. Les gens de cheval païent deux bats pour entrer, & les gens de pied un. La porte qui respond au dehors, est une porte revestue de fer : à côté, il y a une piece de fer qui tient à une cheine, laquelle piece de fer on tire ; cette cheine par un fort long chemin & force détours, respond à la chambre de l’un de ces portiers, qui est fort haute, & bat une clochette. Le portier de son lit en chemise, par certein engin qu’il retire & avance, ouvre cette premiere porte à plus de cent bons pas de sa chambre. Celui qui est entré se trouve dans un pont de quarante pas environ, tout couvert, qui est au dessus du fossé de la ville ; le long duquel se meuvent les engins qui vont ouvrir cette premiere porte, laquelle tout soudein est refermée sur ceus qui sont entrés. Quand ce pont est passé, on se trouve dans une petite place où on parle à ce premier portier, & dict-on son nom & son adresse. Cela oui, cetui-ci, à tout une clochette, avertit son compaignon qui est logé un étage au dessous en ce portal, où il y a grand logis ; cetui-ci avec un ressort, qui est en une galerie joignant sa chambre, ouvre en premier lieu une petite barriere de fer, & après, avec une grande roue, hausse le pont-levis, sans que de tous ces mouvemans on en puisse rien apercevoir : car ils se conduisent par les pois du mur & des portes, & soudein tout cela se referme avec un grand tintamarre. Après le post, il s’ouvre une grand’-porte, fort espesse, qui est de bois & renforcée de plusieurs grandes lames de fer. L’estrangier se trouve en une salle, & ne voit en tout son chemin nul à qui parler. Après qu’il est là enfermé, on vient à lui ouvrir une autre pareille porte ; il entre dans une seconde salle où il y a de la lumiere : là il treuve un vesseau d’airain qui pand en bas par une cheine ; il met là l’argent qu’il doit pour son passage. Cet arjant se monte à mont par le portier: s’il n’est contant, il le laisse là tranper jusques au lendemein ; s’il est satisfait, selon la costume, il lui ouvre de même façon encore une grosse porte pareille aus autres, qui se clot soudein qu’il est passé, & le voilà dans la ville. C’est une des plus artificielles choses qui se puisse voir ; la Reine d’Angleterre a envoïé un Ambassadeur exprès pour prier la Seigneurie de descouvrir l’usage de ces engins : ils disent qu’ils l’en refusarent. Sous ce portal, il y a une grande cave à loger cinq cens chevaus à couvert pour recevoir secours, ou envoïer à la guerre sans le sceu du commun de la ville. Au partir de là, nous alames voir l’eglise de Sainte-Croix qui est fort belle. Ils font là grand feste du miracle qui avint il y a près de cent ans, qu’une fame n’aïant voulu avaler le corps de Notre Seigneur, & l’ayant osté de sa bouche & mis dans une boîte, enveloppé de cire, se confessa, & trouva-t-on le tout changé en cher : à quoy ils alleguent force tesmoignages, & est ce miracle escrit en plusieurs lieus en latin & en alemant. Ils montrent sous du cristal, cete cire, & puis un petit lopin de rougeur de cher. Cete église est couverte de cuivre, come la maison des Foulcres, & n’est pas là cela fort rare ; l’église des Luteriens est tout joingnant cete-cy ; com’aussi ailleurs ils sont logés & se sont batis, come dans les cloitres des églises Catholicques. À la porte de cete église, ils ont mis l’image de Notre-Dame tenant Jesus-Christ, avecques autres Saints & des enfans, & ce mot : Sinite parvulos venire ad me, &c. Il y avait en nostre logis un engin de pieces de fer qui tomboint jusques au fons d’un puis par le haut un garçon branslant un certein instrument, & faisant hausser & baisser, deus ou trois pieds de haut, ces pieces de fer, elles alloint batant & pressant l’eau au fons de ce puis l’une après l’autre, & poussant de leurs bombes l’eau, la contreignent de rejaillir par un canal de plomb qui la rand aus cuisines & partout où on en a besoin. Ils ont un balanchisseur gagé à repasser tout soudein ce qu’on a noircy en leurs parois. On y servoit des pastés & petits & grans, dans des vesseaus de terre de la couleur & entierement de la forme d’une croute de pasté ; il se passe peu de repas où on ne vous présante des dragées & boîtes de confitures ; le pein le plus excellant qu’il est possible ; les vins bons, qui en cete nation sont plus souvent blancs ; il n’en croit pas autour d’Augsbourg, & les font venir de cinq ou six journées de là. De çant florins que les hostes amploïent, en vin, la Republique en demande soixante, & moitié moins d’un autre home privé qui n’en achete que pour sa provision. Ils ont encore en plusieurs lieus la coutume de mettre des parfums aus chambres & aus poiles. La ville estoit premierement toute Zuinglienne. Depuis, les Catholicques y estant rapelés, les Luteriens prindrent l’autre place ; ils sont asteure plus de Catholicques en autorité, & beaucoup moins en nombre. M. de Montaigne y visita aussi les Jésuites, & y en trouva de bien sçavans ; mercredy matin 19 d’Octobre, nous y desjunames. M. de Montaigne se pleignoit fort de partir, estant à une journée du Danube, sans le voir, & la ville d’Oulm, où il passe, & d’un bein à une demie journée au delà qui se nome Sourbronne. C’est un bein, en plat païs, d’eau freche qu’on échauffe pour s’en servir à boire ou à beigner : ell’a quelque picqure au goust qui la rand agréable à boire, propre aus maus de teste & d’estomach ; un bein fameux & où on est très magnifiquemant logé par loges fort bien accommodées, comme à Bade, à ce qu’on nous dict : mais le tamps de l’hyver se avançoit fort, & puis ce chemin estoit tout au rebours du nostre, & eût fallu revenir encore sur nos pas à Auguste : & M. de Montaigne fuïoit fort de repasser mesme chemin. Je laissai un escusson des armes de M. de Montaigne au devant de la porte du poile où il étoit logé, qui estoit fort bien peint, & me cota deux escus au peintre, & vint solds au menuisier. Elle est beignée de la riviere de Lech, Lycus. Nous passames un très-beau païs & fertile de bleds & vismes coucher à

BRONG, cinq lieues, gros village en très belle assiette, en la Duché de Bavieres, catholicque. Nous en partîmes lendemein qui fut jeudy 20 d’octobre, & après avoir continué une grand’pleine de bled, (car cete contrée n’a point de vins) & puis une prairie autant que la veue se peut étandre, vismes disner à

MUNICH, quatre lieues, grande ville environ come Bourdeaux, principale du Duché de Bavieres, où ils ont leur maistresse demeure sur la riviere d’Yser, Ister. Elle a un beau château & les plus belles écueiries que j’aye veues en France ny Italie, voutées, à loger deux cens chevaus. C’est une ville fort catholicque, peuplée, belle & marchande. Depuis une journée au dessus d’Auguste, on peut faire estat pour la despense à quatre livres par jour home & cheval, & quarante solds home de pied, pour le moins. Nous y trouvames des rideaux en nos chambres & pouint de ciels, & toutes choses au demeurant fort propres ; ils netoïent leurs planchiers à tout de la sieure de bois qu’ils font bouillir. On hache partout en ce païs là des raves & naveaux avec même souin & presse, com’on bat les bleds ; sept ou huict hommes ayant en chaque mein des grands couteaus y battent avec mesure dans des vesseaus, come nos treuils : cela sert, come leurs chous cabus, à mettre saler pour l’hiver. Ils ramplissent de ces deus fruits là, non pas leurs jardins, mais leurs terres aus chans, & en font mestives. Le Duc qui y est à presant, a epousé la sur de M. de Lorene, & en a deus enfans males grandets, & une fille. Ils sont deux freres en mesme ville ; ils estoint allés à la chasse, & dames & tout, le jour que nous y fûmes. Le vendredy matin nous en partimes, & au travers des forets dudit Duc, vismes un nombre infiny de betes rousses à troupeaux, come moutons, & vismes d’une trete à

KINIEF, chetif petit village, six lieues ; en ladite duché. Les Jésuites qui gouvernent fort en cete contrée, ont mis un grand’mouvemant, & qui les faict haïr du peuple pour avoir faict forcer les prestres de chasserr leurs concubines, sous grandes peines ; & à les en voir pleindre, il samble qu’antienemant cela leur fuct si toleré qu’ils en usoint come de chose légitime, & sont encore après à faire là-dessus des remontrances à leur Duc. Ce sont là les premiers eufs qu’on nous eût servy en Allemaigne en jour de poisson, ou autremant, sinon en des salades, à quartiers. Aussi on nous y servit des gobelets de bois à douëlles & cercles, parmi plusieurs d’arjant. La demoiselle d’une meson de jantil’home qui estoit en ce village, envoïa de son vin à M. de Montaigne. Le samedy bon matin, nous en partismes ; & après avoir rancontré à notre mein droite, la riviere Yser, & un grand lac au pied des mons de Baviere, & avoir monté une petite montaigne d’une heure de chemin, au haut de laquelle il y a une inscription qui porte qu’un Duc de Baviere avoit faict percer le rochier il y a cent ans ou environ, nous nous engoufframes tout à faict dans le vantre des Alpes, par un chemin aysé comode & amusémant entretenu, le beau temps & serein nous nous y aydant fort. À la descente de cette petite montaigne, nous rancontrames un très-beau lac d’une lieue de Guascogne de longeur & autant de largeur, tout entourné de trés hautes & inaccessibles montaignes ; & suivant toujours cete route, au bas des mons, rancontrions par fois de petites pleines de preries très-plesantes, où il y a des demeures, & vinsmes coucher d’une trete à

MITEVOL, petit village au duc de Baviere, assez bien logé le long de la riviere d’Yser. On nous y servit les premieres chataignes que on nous avoit servi en Allemaigne, & toutes crues. Il y a là une étuve en l’hostellerie où les passans ont accoutumé de se faire suer, pour un bats & demy. J’y allai, cependant que Messieurs soupoint. Il y avoit force Allemans qui s’y faisoint corneter & seigner. Lendemein dimanche matin 23 d’octobre, nous continuames ce santier entre les mons, & rancontrames sur icelui une porte & une meison qui ferme le passage. C’est l’antrée du païs de Tirol, qui appertient à l’Archiduc d’Autriche : nous vinsmes disner à

SECFELDEN, petit villagge & Abbaïe, trois lieues, plesante assiete : l’église y est assez belle, fameuse d’un tel miracle. En 1384, un quidam, qui y est nomé ès tenans & aboutissans, ne se voulant contanter le jour de Pasques, de l’hostie commune, demande la grande, & l’ayant en la bouche, la terre s’entrouvrit sous luy, où il fut englouty jusques au col, & s’ampouigna au couin de l’autel ; le prestre lui osta cete ostie de la bouche. Ils montrent encore le trou, couvert d’une grille de fer, & l’autel qui a reçu l’impression des doigts de cet home, & l’hostie qui est toute rougeastre, come des gouttes de sang. Nous y trouvames aussi un ecrit recent, en latin, d’un Tirolien qui ayant avalé quelques jours auparavant un morceau de cher qui lui étoit arreté au gosier, & ne le pouvant avaler ny randre par trois jours, se voua, & vint en cete église où il fut soudein guery. Au partir de là, nous trouvames en ce haut où nous etions, aucuns beaus vilages ; & puis etant devalés une descente de demie heure, rancontrames au pied d’icelle une belle bourgade bien logée, & au deussus sur un rochier coupé, & qui samble inaccessible, un beau chasteau qui comande le chemin de cete descente qui est étroit & antaillé dans le roc. Il n’y a de longueur un peu moins qu’il n’en faut à une charrete commune, come il est bien ailleurs en plusieurs lieus entre ces montaignes : en maniere que les charretiers qui s’y embarquent ont accoutumé de retenir les charetes communes d’un pied pour le moins. Delà nous trouvames un vallon d’une grande longeur, au travers duquel passe la riviere d’Inn, qui se va randre à Vienne dans le Danube. On l’appelle en latin Ænus. Il y a cinq ou six journées par eau d’Insprug jusques à Vienne. Ce vallon sambloit à M. de Montaigne, represanter le plus agreable païsage qu’il eût jamais veu ; tantôt se reserrant, les montaignes venant à se presser, & puis s’eslargissant asteure de nostre costé, qui estions à mein gauche de la riviere, & gaignant du païs à cultiver & à labourer dans la pante mesmes des mons qui n’estoint pas si droits, tantot de l’autre part ; & puis decouvrant des pleines à deus ou trois etages l’une sur l’autre, & tout plein de beles meisons de jantil’homes & des églises. Et tout cela enfermé & emmuré de tous cotés de mons d’une hauteur infime. Sur notre coté nous découvrimes dans une montaigne de rochiers, un crucifix, en un lieu où il est impossible que nul home soit alé sans artifice de quelques cordes, par où il se soit devalé d’en haut. Ils disent que l’Empereur Maximilien, aieul de Charles V, alant à la chasse, se perdit en cete montaigne, &, pour tesmoingnage du dangier qu’il avoit echappé, fit planter cete image. Cete histoire est aussi peinte en la ville d’Auguste, en la salle qui sert aus tireurs d’arbaleste. Nous nous rendismes au soir à

INSPRUG, trois lieues. Ville principale du Conté de Tirol, Ænopontum en latin. Là se tient Fernand, Archiduc d’Austriche : une très-belle petite ville & très-bien bastie dans le fond de ce vallon, pleine de fonteines & de ruisseaus, qui est une commodité fort ordinere aus villes que nous avons veu en Allemaigne & Souisse. Les meisons sont quasi toutes basties en forme de terrasse. Nous logeames à la Rose, très-bon logis : on nous y servit des assietes d’estein. Quant aus servietes à la Francese, nous en avions des-ja eu quelques journées auparavant. Autour des licts il y avoit des rideaus en aucuns ; & pour monstrer l’humour de la nation, ils estoint beaus & riches, d’une certene forme de toile, coupée & ouverte en ouvrages, courts au demeurant & etroits, some de nul usage pour ce à quoy nous nous en servons, & un petit ciel de trois doigts de large, à tout force houpes. On me dona pour M. de Montaigne des linceuls, où il y avoit tout au tour quatre doigts de riche ouvrage de passemant blanc, come en la pluspart des autres villes d’Allemaigne. Il y a toute la nuict des jans qui crient les heures qui ont soné, parmi les rues. Partout où nous avons esté ils ont cete coutume de servir du poisson parmi la cher ; mais non pourtant au contrere, aus jours de poisson, mesler de la cher, au moins à nous. Le lundy nous en partismes cotoïant ladite riviere d’Inn à notre mein gauche, le long de cette belle pleine ; nous allames disner à

HALA, deux lieues, & fimes ce voïage seulemant pour la voir. C’est une petite ville comme Insprug, de la grandeur de Libourne ou environ, sur ladite riviere, que nous repassames sur un pont. C’est delà où se tire le sel qui fournit à toute l’Allemaigne, & s’en faict toutes les sepmeines neuf çans peins, à un escu la piece. Ces peins sont de l’épesseur d’un demy muy, & quasi de cete forme ; car le vesseau qui leur sert de moule est de cete sorte. Cela apertient à l’Archiduc : mais la despense en est fort grande. Pour le service de ce sel, je vis là plus de bois ensamble que je n’en vis jamais ailleurs car sous plusieurs grandes poiles de lames de fer, grandes de trente bons pas en rond, ils font bouillir cet’eau salée, qui vient là de plus de deus grandes lieues, de l’une des montaignes voisines, de quoy se faict leur sel. Il y a plusieurs belles églises, & notamment celle des Jésuites, que M. de Montaigne visita, & en fit autant à Insprug ; d’autres qui sont magnifiquemant logés & accommodés. Après disner revismes encore ce côté de riviere, d’autant qu’une belle maison où l’Archiduc Fernand d’Austriche se tient est en cet endroit, auquel M. de Montaigne vouloit baiser les meins, & y estoit passé au matin ; mais il l’avoit trouvé empesché au Conseil, à ce que lui dit un certein Conte. Après disner, nous y repassames, & le trouvames dans un jardin, au moins nous pensames l’avoir entreveu ; si est-ce que ceus qui alarent vers lui pour lui dire que Messieurs estoint là & l’occasion, rapportarent qu’il les prioit de l’excuser, mais que lendemein il seroit plus en commodité ; que toutefois s’ils avoint besouin de sa faveur, ils le fissent entendre à un certein Conte Milanois. Cete fredur, joint qu’on ne leur permit pas sulemant de voir le chasteau, offença un peu M. de Montaigne ; & come il s’en pleignoit ce mesme jour à un Officier de la maison, il lui fut respondu que ledit Prince avoit respondu, qu’il ne voïoit pas volontiers les François, & que la Maison de France estoit ennemie de la sienne. Nous revismes à ISPRNUG, deux lieues. Là nous vismes en une église, dix-huit effigies de bronse très-belles des Princes & Princesses de la Maison d’Austriche. Nous allasmes aussi assister à une partie du souper du Cardinal d’Austriche & du Marquis de Burgaut, enfants dudit Archiduc, & d’une concubine de la ville d’Auguste, fille d’un marchand, de laquelle ayant eu ces deux fils & non autres, il l’espousa pour les legitimer ; & cete mesme année ladite fame est trespassée. Toute la Cour en porte encore le dueil. Leur service fut à peu-près come de nos Princes ; la salle estoit tandue & le dais & cheses de drap noir. Le Cardinal est l’ainé, & crois qu’il n’a pas vingt ans. Le Marquis ne boit que du bouchet, & le Cardinal du vin fort meslé. Ils n’ont point de nef, mais sont à demourant, & le service des viandes à nostre mode. Quand ils viennent à se soir, c’est un peu loing de table, & on la leur approche toute chargée de vivres ; le Cardinal au dessus : car leur dessus est tousiours le costé droit. Nous vismes en ce palais des jeus de paulme & un jardin asses beau. Cet Archiduc est grand batisseur, & deviseur de telles commodités. Nous vismes chez lui dix ou douze pieces de campaigne ; portant come un gros œuf d’oïe, montées sur roues, le plus dorées & enrichies qu’il est possible, & les pieces mesmes toutes dorées. Elles ne sont que de bois, mais la bouche est couverte d’une lame de fer, & tout le dedans doublé de mesme lame. Un seul home en peut porter une au col, & leur faict tirer non pas si souvant, mais quasi aussi grans coups que de fonte. Nous vismes en son chasteau aus champs, deus beufs d’une grandeur inusitée, tous gris, à la teste blanche, que M. de Ferrare lui a donné ; car ledit Duc de Ferarre a espousé une de ses seurs, celui de Florance l’autre, celui de Mantoue une autre. Il en avoit trois à Hala, qu’on nomoit les trois Reines ; car aus filles de l’Empereur on done ces titres là, come on en appelle d’autres Contesses ou Duchesses, à cause de leurs terres ; & leur donne-t-on le surnom des Royaumes que jouit l’Empereur. Des trois, les deus sont mortes ; la troisiesme y est encore, que M. de Montaigne ne sceut voir. Elle est renfermée come religieuse, & a là recueilly & estably les Jesuistes. Ils tiennent là queledit Archiduc ne peut pas laisser ses biens à ses enfans, & qu’ils retournent aus successeurs de l’Ermpire ; mais ils ne nous sceurent faire entandre la cause, & ce qu’ils disent de sa fame, d’autant qu’elle n’étoit point de lignée convenable, puisqu’il l’espousa ; & chacun tient qu’elle étoit légitime, & les enfans, il n’y pas d’apparance. Tant y a qu’il faict grand amas d’escus, pour avoir de quoy leur donner. Le mardy nous partismes au matin & reprimes notre chemein, traversant cete pleine, & suivant le santier des montaignes. À une lieue du logis montames une petite montaigne d’une heure de hauteur, par un chemin aysé. À mein gauche, nous avions la veue de plusieurs autres montaignes, qui, pour avoir l’inclination plus étandue & plus molle, sont ramplies de villages, d’églises, & la pluspart cultivée jusques à la cime, très-plesantes à voir pour la diversité & variété des sites. Les mons de mein droite étoint un peu plus sauvages, & n’y avoit qu’en des endroits rares, où il y eût habitation. Nous passames plusieurs ruisseaus ou torrans, aiant les cours divers ; & sur nostre chemin, tant au haut qu’au pied de nos montaignes, trouvames force gros bourgs & villages, & plusieurs belles hostelleries, & entr’autres choses deus chasteaus & mesons de jantilshomes sur notre mein gauche. Environ quatre lieues d’Isbourg, à notre mein droite, sur un chemin fort étroit, nous rancontrames un tableau de bronze richemant labouré, ataché à un rochier, avec cete inscription latine: « Que l’Empereur Charles cinquiesme revenant d’Espaigne & d’Italie, de recevoir la couronne impériale, & Ferdinand, Roi de Hongrie & de Boheme, son frere, venant de Pannonie, s’entrecherchans, après avoir été huit ans sans se voir, se rencontrarent en cet endroit, l’an 1530, & que Ferdinand ordonna qu’on y fit ce mémoire », où ils sont represantés s’ambrassant l’un l’autre. Un peu après, passant audessous d’un portal qui enferme le chemin, nous y trouvames des vers latins faisant mantion du passage dudict Empereur, & logis en ce lieu là, ayant prins le Roy de France & Rome. M. de Montaigne disoit s’agréer fort en ce dérroit, pour la diversité des objects qui se presantoint, & n’y trouvions incommodité que de la plus espesse & insupportable poussiere que nous eussions jamais santy, qui nous accompaigna en tout cet entredeus des montaignes. Dix heures après, M. Montaigne disoit que c’estoit la lune de ses tretes : il est vrai que sa coustume est, soit qu’il aye à arrester en chemin ou non, de faire manger l’avoine à ses chevaus, avant partir au matin du logis. Nous arrivames, & lui, tousiours à jun, de grand nuict à

STERZINGUEN, sept lieues. Petite ville dudit conté de Tirol, assés jolie, audessus de laquelle, à un quart de lieue, il y a un beau chateau neuf. On nous servit là les peins tous en rond, sur la table, jouins l’un à l’autre. En toute l’Allemaigne, la moustarde se sert liquide & est du goust de la moustarde blanche de France. Le vinaigre est blanc partout. Il ne croit pas du vin en ces montaignes, oui bien du bled en quasi assez grand’abondance pour les habitans ; mais on y boit de tres bon vins blancs. Il y a une estreme sureté en tous ces passages, & sont extrememant fréquentés de marchands, voituriers & charretiers. Nous y eusmes, au lieu du froid, de quoy on decrie ce passage, une chaleur quasi insupportable. Les fames de cete contrée portent des bonnets de drap, tout pareils à nos toques, & leurs poils tressés & pandans comme ailleurs. M. de Montaigne rancontrant une jeune belle garse, en un’Eglise, lui demanda si elle ne sçavoit pas parler latin, la prenant pour un escolier. Il y avoit là des rideaus aus licts, qui estoint de grosse toile teinte en rouge, mi-partie par le travers de quattre en quattre dois ; l’une partie estant, de toile plein, l’autre les filets tirés. Nous n’avons trouvé nulle chambre ny salle, en tout nostre voyage d’Allemaigne, qui ne fût lambrissée, etant les planchiers fort bas. M. de Montaigne eut cette nuict la colicque deus ou trois heures, bien serré, à ce qu’il dit lendemein, & ce lendemein à son lever fit une pierre de moienne grosseur, qui se brisa ayséemant. Elle estoit jaunatre par le dehors, & brisée, au dedans plus blanchatre. Il s’estoit morfondu le jour auparavant & se trouvoit mal. Il n’avoit eu la colicque depuis celle de Plommieres. Cete-ci lui osta une partie du soupçon en quoy il estoit, que il lui etoit tumbé audit Plommieres, plus de sable en la vessie qu’il n’en avoit randu, & creignoit qu’il s’y fust arresté là quelque matiere qui se print & colat ; mais voiant qu’il avoit rendu cete-ci, il trouve raisonnable de crere qu’elle se fût attachée aus autres, s’il y en eût eu. Dès le chemin il se pleignoit de ses reins, qui fut cause, dict-il, qu’il alongea cete trete, & estimant estre plus soulagé à cheval, qu’il n’eût esté ailleurs. Il apella en cette Ville le maistre d’école, pour l’entretenir de son latin ; mais c’etoit un sot de qui il ne put tirer nulle instruction des choses du païs. Lendemein après desjuner, qui fut mercredy 26 d’Octobre, nous partimes de là par une pleine de la largeur d’un demy quart de lieue, ayant la riviere de Aïsoc à nostre coté droit ; cete pleine nous dura environ deus lieues, & audessus des montaignes voisines, plusieurs lieus cultivés & habités souvent entiers, dont nous ne pouvions aucunemant diviner les avenues. Il y a sur ce chemin quattre ou cinq chateaus. Nous passames après la riviere sur un pont de bois, & la suivimes de l’autre costé. Nous trouvames plusieurs pioniers qui acoutroint les chemins, sulemant parce qu’ils estoint pierreux environ come en Perigort. Nous montames après, au travers d’un portal de pierre, sur un haut, où nous trouvames une pleine d’une lieue ou environ, & en decouvrions, de là la riviere, une autre de pareille hauteur ; mais toutes deus steriles & pierreuses ; ce qui restoit le long de la riviere audessous de nous, c’est de très-belles preries. Nous vinmes souper d’une trete à

BRIXE, quatre lieues. Très-belle petite ville, au travers de laquelle passe cete riviere, sous un pont de bois : c’est un Evesché. Nous y vismes deus très belles Eglises, & fumes logés à l’Aigle, beau logis. Sa pleine n’est guiere large ; mais les montaignes d’autour, mesmes sur nostre mein gauche, s’étandent si mollemant qu’elles se laissent testonner & peigner jusques aus oreilles. Tout se voit ramply de clochiers & de villages bien haut dans la montaigne, & près de la ville, plusieurs belles maisons très plesammant basties & assises. M. de Montaigne disoit : « QU’IL s’etoit toute sa vie meffié du jugemant d’autruy sur le discours des commodités des païs estrangiers, chacun ne sçachant gouster que selon l’ordonnance de sa coustume & de l’usage de son village, & avoit faict fort peu d’estat des avertissemans que les Voiageurs lui donnoint : mais en ce lieu il s’esmerveilloit encore plus de leur betise, aïant, & notament en ce voïage oui dire que l’entredeus des Alpes en cet endroit etoit plein de difficultés, les meurs des homes estranges, chemins inaccessibles, logis sauvages, l’air insuportable. Quant à l’air, il remercioit Dieu de l’avoir trouvé si dous, car il inclinoit plustot sur trop de chaud que de froit ; & en tout ce voïage, jusques lors, n’avions eu que trois jours de froit & de pluïe environ une heure ; mais que du demourant s’il avoit, à promener sa fille, qui n’a que huit ans, il l’aimeroit autant en ce chemin ; qu’en une allée de son jardin ; & quant aus logis, il ne vit jamais contrée où ils fussent si drus fermés & si beaus ; aïant tous-jours logé dans belles villes bien fournies de vivres, de vins, & à meilleure raison qu’ailleurs ». Il y avoit là une façon de tourner la broche qui estoit d’un engin à plusieurs roues ; on montoit à force une corde autour d’un gros vesseau de fer. Elle venant à se debander, on arrestoit son reculemant, en maniere que ce mouvement duroit près d’une heure, & lors il le failloit remonter : quant au vent de la fumée, nous en avions veu plusieurs. Ils ont si grande abondance de fer qu’outre ce que toutes les fenestres sont grillées & de diverses façons, leurs portes, mesmes les contre fenestres, sont couvertes de lames de fer. Nous retrouvames là des vignes de quoy nous avions perdu la veue avant Auguste. Icy autour, la pluspart des maisons sont voutées à tous les etages. Ce qu’on ne sçait pas faire en France, de se servir du tuile creux à couvrir des pantes fort etroites, ils le font en Allemaigne, voire & des clochiers. Leur tuile est plus petit & plus creux, & en aucuns lieus platré sur la jouinture. Nous partimes de Brixe lendemein matin, & rencontrames cete mesme valée fort ouverte, & les coutaux la pluspart du chemin enrichis de plusieurs belles maisons. Aïant la riviere d’Eisoc sur notre mein gauche, passames au travers une petite Villette, où il y a plusieurs Artisans de toutes sortes, nomée Clause : de là vinsmes disner à

COLMAN, trois lieues, petit Village où l’Archiduc a une maison de pleisir. Là on nous servit des gobelets de terre peinte parmy ceus d’arjant, & y lavoit-on les verres avec du sel blanc ; & le premier service fut d’une poile bien nette, qu’ils mirent sur la table à tout un petit instrumant de fer, pour appuyer & lui hausser la quë. Dans cete poile, il y avoit des œufs pochés au burre. Au partir de là, le chemin nous serra un peu, & aucuns rochiers nous pressoint, de façon que le chemin se trouvant etroit pour nous & la riviere ensamble, nous etions en dangier de nous chocquer, si on n’avoit mis entr’elle & les passans, une barriere de muraille, qui dure en divers endroits plus d’une lieue d’Allemaigne. Quoyque la pluspart des montaignes qui nous touchoint là, soint des rochiers sauvages, les uns massifs, les autres crevassés & entrerompus par l’ecoulemant des torrans, & autres ecailleus qui envoyent au bas pieces infinies d’une étrange grandeur, je croy qu’il y faict dangereux en tems de grande tourmente, come ailleurs. Nous avons aussi veus des forets entieres de sapins, arrachées de leur pied & amportans avec leur cheute des petites montaignes de terre, tenant à leurs racines : si est-ce que le païs est si peuplé, qu’au-dessus de ces premieres montaignes, nous en voyions d’autres plus hautes cultivées & logées, & avons aprins qu’il y a audessus des grandes belles pleines qui fournissent de bled aus villes d’audessous, & des très riches laboureurs & des belles meisons. Nous passames la riviere sur un Pont de bois, de quoy il y en a plusieurs, & la mismes à notre mein gauche. Nous descouvrimes, entr’autres, un Chateau à une hauteur de montaigne la plus eminente & inaccessible qui se presantat à notre veue, qu’on dict être à un Baron du païs, qui s’y tient & qui a là haut, un beau païs & belles chasses. Audelà de toutes ces montaignes, il y en a tous iours une bordure des Alpes : celles-là, on les laisse en paix, & brident l’issue de ce detroit, de façon qu’il faut tous-iours revenir à nostre canal & ressortir par l’un des bouts. L’Archiduc tire de ce conté de Tirol, duquel tout le revenu consiste en ces montaignes, trois çans mille florins par an ; & a mieus de quoi delà, que du reste de tout son bien. Nous passames encore un coup la riviere sur un Pont de pierre, & notes rendismes de bonne heure à

BOLZAN, quatre lieues. Ville de la grandeur de Libourne, sur ladite riviere, assés mal plesante au pris des autres d’Allemaigne ; de façon que M. de Montaigne s’ecria, « qu’il connoissoit bien qu’il commançoit à quiter l’Allemaigne » : les rues plus estroites, & point de belle place publicque. Il y restoit encore fonteines, ruisseaus, peintures & verrieres. Il y a là si grande abondance de vins, qu’ils en fournissent toute l’Allemaigne. Le meilleur pein du monde se mange le long de ces montaignes. Nous y vismes l’Eglise qui est des belles. Entre autres, il y a des orgues de bois ; elles sont hautes, près le Crucifix, devant le grand Autel ; &-si celui qui les sone se tient plus de douze pieds plus bas au pilier où elles sont attachées , & les soufflets sont audelà le mur de l’Eglise, plus de quinze pas derriere l’Organiste, & lui fournissent leur vent par dessous terre. L’ouverture où est cete ville n’est guiere plus grande que ce qui lui faut pour se loger ; mais les montaignes mêmes sur notre mein droite, etandent un peu leur vantre & l’alongent. De ce lieu M. de Montaigne escrivit à François Hottoman, qu’il avoit veu à Basle : « Qu’il avoit pris si grand pleisir à la visitation d’Allemaigne, qu’il l’abandonnoit à grand regret, quoyque ce fût en Italie qu’il aloit ; que les Estrangiers avoint à y souffrir come ailleurs de l’exaction des hostes, mais qu’il pensoit que cela se pourroit corriger, qui ne seroit pas à la mercy des guides & truchemens qui les vandent & participent à ce profit. Tout le demourant lui sambloit plein de commodité & de courtoisie, & surtout de justice & de sûreté ». Nous partimes de Bolzan le vendredy bon matin, & vinmes donner une mesure d’avoine & desjûner à

BROUNSOL, deux lieues. Petit village audessus duquel la riviere d’Eysock, qui nous avoit conduit jusques là, se vient mesler à celle d’Adisse, qui court jusques à la mer Adriatique, & court large & paisible, non plus à la mode de celles que nous avions rancontré parmy ces montaignes, audessus bruiantes & furieuses. Aussi cete pleine, jusques à Trante, commance de s’alargir un peu, & les montaignes à baisser un peu les cornes en quelques endrets ; si est-ce qu’elles sont moins fertiles par leurs flancs que les precedantes. Il y a quelques marets, en ce vallon, qui serrent le chemin, le reste très aysé & quasi tous-iours dans le fons & plein. Au partir de Brounsol, à deux lieues, nous rencontrames un gros bourg où il y avoit fort grande affluence de peuple, à-cause d’une foire. Delà un autre village bien basti, nommé Solorne, où l’Archiduc a un petit Chateau, à notre mein gauche, en étrange assiete, à la teste d’un rochier. Nous en vinsmes coucher à

TRANTE, cinq lieues. Ville un peu plus grande que Aagen, non guieres plesante, & ayant dutout perdu les graces des villes d’Allemaigne : les rues la pluspart etroites & tortues. Environ deux lieues avant que d’y arriver, nous étions entrés au langage Italien. Cete ville y est my partie en ces deus langues, & y a un quartier de ville & Eglise, qu’on nome des Allemans, & un precheur de leur langue. Quant aus nouvelles religions, il ne s’en parle plus depuis Auguste. Elle est assise sur cete riviere d’Adisse. Nous y vismes le dome, qui samble estre un batimant fort antique ; & bien près de là, il y a une tour quarrée, qui tesmoingne une grande antiquité. Nous vismes l’Eglise nouvelle, Notre-Dame, où se tenoit notre Concile. Il y a en cete Eglise des orgues qu’un home privé y a données, d’une beauté excellente, soublevées en un batimant de mabre, ouvré & labouré de plusieurs excellentes statues, & notamment de certins petits enfans qui chantent. Cete Eglise fut batie, com’elle dict, par Bernardus Clesius, Cardinalis, l’an 1520, qui estoit Evesque de cete ville & natif de ce mesme lieu. C’estoit une ville libre & sous la charge & empire de l’Evesque. Depuis à une necessité de guerre contre les Venitiens, ils apelarent le Conte de Tirol à leurs secours, en recompense de quoy il a retenu certene authorité & droit sur leur ville. L’Evesque & luy contestent, mais l’Evesque jouit, qui est pour le presant le Cardinal Madruccio. M. de Montaigne disoit, « qu’il avoit remerqué des Citoyens qui ont obligé les villes de leur naissance, en chemin, les Foulcres à Auguste, ausquels est deu la pluspart de l’ambellissemant de cete ville : car ils ont ramply de leurs Palais tous les carrefours, & les Eglises de plusieurs ouvrages, & ce Cardinal Clesius : car outre cete Eglise & plusieurs rues qu’il redressa à ses despans, il fit un très beau batimant au chateau de la ville » . Ce n’est pas au dehors grand chose, mais au dedans c’est le mieus meublé ; & peint & enrichi & plus logeable qu’il est possible de voir. Tous les lambris dans le fons ont force riches peintures & devises ; la bosse fort dorée & labourée ; le planchier de certene terre, durcie & peinte come mabre, en partie accommodé à nostre mode, en partie à l’Allemande, avec des poiles. Il y en a un entr’autres faict de terre brunie en airein, faict à plusieurs grands personnages, qui reçoivent le feu en leurs mambres, & un ou deus d’iceus près d’un mur, rendent l’eau qui vient de la fontene de la court fort basse audessous : c’est une belle piece. Nous y vismes aussi, parmy les autres peintures du planchier, un triomphe nocturne aus flambeaus, que M. de Montaigne admira fort. Il y a deux ou trois chambres rondes ; en l’une, il y a un inscription, que « ce Clesius, l’an 1530, etant envoyé au coronnemant de l’Empereur Charles V, qui fut faict par le Pape Clemant VII, le jour de St. Mathias, Ambassadeur de la part de Ferdinand, Roy de Hongrie & Boëme, Conte de Tirol, frere dudit Empereur, lui esant Evesque de Trante, il fut faict Cardinal » ; & a faict mettre autour de la Chambre & pendre contre le mur, les armes & les noms des Jantilshomes qui l’accompagnarent à ce voïage, environ cinquante, tous vassaus de cet Evesché, & Contes ou Barons. Il y a aussi une trappe en l’une des dites chambres, par où il pouvoit se couler en la ville, sans ses portes. Il y a aussi deux riches cheminées. C’étoit un bon Cardinal. Les Foulcres ont bâti, mais pour le service de leur postérité ; cetui ci pour le public : car il y a laissé ce chateau meublé de mieux de çant mille escus de meubles, qui y sont encore, aus Evesques successeurs; & en la bourse publicque des Evesques suivans, çant cinquante mille talars en arjant contant, de quoy jouissent sans interest du principal ; & si ont laissé son Eglise Nostre-Dame imparfaicte, & lui assés chetifvemant enterré. Il y a entr’autres choses plusieurs tableaus au naturel a force Cartes. Les Evesques suivans ne se servent d’autres meubles en ce chateau, & y en a pour les deus sesons d’hiver & d’esté, & ne se peuvent aliener. Nous somes asture aux milles d’Italie, desquels cinq mille reviennent à un mille d’Allemaigne ; & on conte vingt-quatre heures faict, partout, sans les mi partir. Nous logeames à la Rose, bon logis. Nous partimes de Trante, samedy après disner, & suivimes un pareil chemin dans cete vallée eslargie & flanquée de haute montaignes inhabitées, aiant laditte riviere d’Adisse à notre mein droite. Nous y passames un Chateau de l’Archiduc, qui couvre le chemin, come nous avons trouvé ailleurs plusieurs pareilles clotures qui tiennent les sujects & fermés ; & arrivames, qu’il estoit desja fort tard, (& n’avions encore jusques lors tasté de serein, tant nous conduisions regléement notre voïage) à

ROVERE, quinze milles. Ville apertenant audict Archiduc. Nous retrouvames là, quant au logis, nos formes, & y trouvames à dire, nonseulemant la neteté des chambres & meubles d’Allemaigne & leurs vitres, mais encore leurs poiles ; à quoy M. de Montaigne trouvoit beaucoup plus d’aisance qu’aus cheminées. Quant aus vivres, les escrevisses nous y faillirent ; ce que M. de Montaigne remerquoit, pour grand’merveille, leur en avoir esté servi tous les repas, depuis Plommieres, & près de deux çans lieues de païs. Ils mangent là, & le long de ces montaignes, fort ordinairemant des escargots beaucoup plus grands & gras qu’en France, & non de si bon goust. Ils y mangent aussi des truffes qu’ils pelent, & puis les metent a petites leches à l’huile & au vinaigre, qui ne sont pas mauvaises. À Trante on en servit qui estoint gardées un an. De nouveau, & pour le goust de M. de Montaigne, nous y trouvames force oranges, citrons, & olives. Aus licts, des rideaus découpés, soit de toile ou de cadis, à grandes bandes, & ratachés de louin à louin. M. de Montaigne regrettoit, aussi ces licts qui se mettent pour couverture en Allemaigne. Ce ne sont pas licts tels que les notres, mais de duvet fort délicat, enfermé dans de la sutene bien blanche, aus bons logis. Ceus de dessous en Allemaigne mesme, ne sont pas de cete façon, & ne s’en peut-on servir à couverture sans incommodité. Je croy à la vérité que, s’il eut été sul avec les sïens, il fût allé plustot à Cracovie ou vers la Grèce par terre, que de prendre le tour vers l’Italie; mais le plesir qu’il prenoit à visiter les païs inconnus, lequel il trouvoit si dous que d’en oublier la foiblesse de son eage & de sa sante, il ne le pouvoit imprimer à nul de la troupe, chacun ne demandant que la retrete. Là, où il avoit accoutumé de dire, qu’après avoir passé une nuict inquiette, quand au matin il venoit à se souvenir qu’il avoit à voir une ville ou une nouvelle contrée, il se levoit avec desir & allegresse. Je ne le vis jamais moins las ny moins se pleignant de ses doleurs, ayant l’esperit par chemin & en logis, si tandu à ce qu’il rancontroit, & recherchant toutes occasions d’entretenir les Etrangiers, que je crois que cela amusoit son mal. Quand on se pleingnoit à luy de ce que il conduisoit souvent la troupe par chemins divers & contrées, revenant souvent bien près d’où il étoit party (ce qu’il faisoit, ou recevant l’advertissemant de quelque chose digne de voir, ou chanjant d’avis selon les occasions,) il respondoit, qu’il n’aloit, quant à luy, en nul lieu que là où il se trouvoit, & qu’il ne pouvoit faillir ny tordre sa voïe, n’aïant nul project que de se promener par des lieus inconnus ; &, pourveu qu’on ne le vit pas retumber sur mesme voïe, & revoir deus fois mesme lieu, qu’il ne faisoit nulle faute à son dessein. Et quant à Rome, où les autres visoint, il la desiroit d’autant moins voir, que les autres lieus, qu’elle estoit connue d’un chacun, & qu’il n’avoit laquais qui ne leur peut dire nouvelles de Florence & de Ferrare. Il disoit aussi qu’il lui sambloit estre à-mesmes ceus qui lisent quelque fort plesant conte, d’où il leur prent creinte qu’il vieigne bientot à finir, ou un beau livre ; lui de mesme prenoit si grand plesir à voïager, qu’il haïssoit le voisinage du lieu où il se deût reposer, & proposoit plusieurs desseins de voïager à son eise, s’il pouvoit se randre seul. Le dimenche au matin, aïant envie de reconnoitre le lac de Garde, qui est fameus en ce païs là, & d’où il vient fort excellant poisson, il loua trois chevaus pour lui & les seigneurs de Caselis & de Mattecoulon, à vingt B. la piece ; & M. d’Estissac en loua deus autres pour lui, & le Sr. du Hautoy : & sans aucun serviteur, laissant leurs chevaus en ce logis (à Rovere) pour ce jour, ils s’en alarent disner à

TORBOLÉ, huict milles. Petit village de la jurisdiction de Tirol. Il est assis à la teste de ce grand lac ; à l’autre costé de cete teste, il y a une villette & un chasteau, nomé la Riva, là où ils se firent porter sur le lac, qui est cinq milles aler & autant à revenir, & firent ce chemin avec cinq tireux, en trois heures ou environ. Ils ne virent rien audit la Riva, que une tour qui samble estre fort antienne, &, par rancontre, le seigneur du lieu, qui est le seigneur Hortimato Madruccio, frere du Cardinal, pour cet heure, Evesque de Trante. Le prospect du lac contre bas, est infini ; car il a trente cinq milles de long. La largeur & tout ce qu’ils en pouvoint decouvrir, n’estoit que desdits cinq milles. Cete teste est au conté de Tirol, mais tout le bas d’une part & d’autre, à la seigneurie de Venise, où il y a force beles Eglises & tout plein de beaus parcs d’oliviers, orangiers, & autres tels fruitiers. C’est un lac suject à une extreme & furieuse agitation, quand il y a orage. L’environ du lac, ce sont montaignes plus rechignées & seches que nulles autres du chemin que nous eussions veues, à ce que lesdits sieurs raportoint ; & qu’au partir de Rovere, ils avoint passé la riviere d’Adisse, & laissé à mein gauche le chemin de Verone, & etoint antrés en un fons où ils avoint trouvé un fort long village & une petite vilette ; que c’estoit le plus aspre chemin qu’ils eussent veu, & le prospect le plus farouche, a cause de ces montaignes qui ampeschoint ce chemin. Au partir de Torbolé, revindrent souper à

ROVERE, huict milles. Là, ils mirent leurs bahus sur de ces Zatte, qu’on appelloit flottes en Allemaigne, pour les conduire à Verone sur laditte riviere d’Adisse, pour un fleurin ; & j’eus la charge landemein de cette conduite. On nous y servit à soupper des œufs pochés pour le premier service, & un brochet, parmy grand foison de toute espece de cher. Landemein, qui fut lundy matin, ils en partirent grand matin ; & suivant cete valée assés peuplée, mais guieres fertile & flanquée de hauts monts esceuilleus & secs, ils vindrent disner à

BOURGUET, quinze milles. Qui est encore du conté de Tirol : ce conté est fort grand. À ce conte, M. de Montaigne s’informant si c’estoit autre chose que cete valée que nous avions passée, & le haut des montaignes qui s’estoint presantées à nous : il lui fut respondu, qu’il y avoit plusieurs tels entredeus de montaignes aussi grands & fertiles & autres belles villes, & que c’estoit commune robe que nous ne voyons que plissée ; mais que si elle estoit epandue, ce seroit un fort grand païs que le Tirol. Nous avions tous-iours la riviere à nostre mein droite. Delà, partant après disner, suivimes mesme sorte de chemin jusques à Chiusa, qui est un petit fort que les Venitiens ont gaigné, dans le creus d’un rocher sur cete riviere d’Adisse, du long du quel nous descendismes par une pente roide de roc massif, où les chevaus assurent mal-ayséemant leurs pas, & au travers dudict fort où l’estat de Venise, dans la jurisdiction duquel nous etions antrés, un ou deux milles après estre sortis du Bourguet, entretient vingt cinq soldats. Ils vindrent coucher à < VOLARNE, douze milles. Petit village & miserable logis, come font tous ceus de ce chemin jusques à Veronne. Là, du chateau du lieu, une Damoiselle, fille, seur du seigneur absant, envoya du vin à M. de Montaigne. Lendemein matin ils perdirent du tout les montaignes à mein droite, & laissoint louin à coté de leur mein gauche, des collines qui s’entretenoint. Ils suivirent longtemps une plene sterile, & puis approchant de laditte riviere, un peu meilleure & fertile de vignes juchées sur des abres, come elles sont en ce païs là ; & arrivarent le jour de Tousseints avant la messe à

VERONE, douze milles. Ville de la grandeur de Poitiers, & ayant einfin une cloture vaste sur ladite riviere d’Adisse qui la traverse, & sur laquelle ell’a trois pons. Je m’y randis aussi avec mes bahus. Sans les boletes de la sanita, que ils avoint prinses à Trante, & confirmées à Rovere, ils ne fussent pas antrés en la ville, & si n’estoit nul bruit de dangier de peste ; mais c’est par coutume, ou pour friponner quelque quatrin qu’elles coutent. Nous fûmes voir le dome où il (Montaigne) trouvoit la contenance des homes etrange, un tel jour, à la grand messe ; ils devisoint au chœur mesmes de l’Eglise, couverts, debout, le dos tourné vers l’Autel, ne faisant contenance de panser au service que lors de l’elevation. Il y avoit des orgues & des violons qui les accompagnoint à la messe. Nous vismes aussi d’autres Eglises, où il n’y avoit rien de singulier, ny, entre autres choses, en ornemant & beauté des fames. Ils furent, entre autres, en l’Eglise Saint George, où les Allemans ont force tesmoignages d’y avoir esté, & plusieurs ecussons. Il y a, entre autres, une inscription, portant que certeins Jantilshomes Allemans, aiant accompaigné l’Empereur Maximilian à prandre Verone sur les Venitians, ont là mis je ne scay quel ouvrage sur un Autel. Il (Montaigne) remerquoit cela, que cete seigneurie meintient en sa ville les tesmoingnages de ses pertes ; come aussi elle meintient en son entier les braves sepultures des pauvres seigneurs de l’Escale. Il est vray que nostre hoste du Chevalet, qui est un très-bon logis, où nous fumes superfluemant tretés, où vîmes au conte d’un quart plus qu’en France, jouit pour sa race de l’une de ces tumbes. Nous y vîmes le Chasteau, où ils furent conduits partout par le Lieutenant du Castelan. La seigneurie y entretient soixante soldats ; plus, à ce qu’on lui dit là mesmes, contre ceus de la ville, que contre les etrangiers. Nous vismes aussi une relligion de Moines, qui se noment Jésuates de Saint Jérosme. Ils ne sont pas Prestres ny ne disent la messe ou preschent, & sont la pluspart ignorans, & font etat d’être excellans distillateurs d’eaus nafes & pareilles eaux, & là & ailleurs. Ils sont vetus de blanc, & petites berretes blanches, une robe enfumée par dessus ; force beaus jeunes hommes. Leur Eglise fort bien accommodée, & leur refectoire, où leur table estoit des ja couverte pour souper. Ils virent là certenes vieilles masures très antiennes du temps des Romeins, qu’ils disent avoir esté un amphitheatre, & les raprisent avec autres pieces qui se découvrent audessous. Au retour delà, nous trouvames qu’ils nous avoint parfumé leurs cloitres & nous firent antrer en un cabinet plein de fioles & de vesseaus de terre, & nous y parfumarent. Ce que nous y vismes de plus beau & qu’il disoit estre le plus beau batimant qu’il eut veu en sa vie, ce fut un lieu qu’ils appellent l’Arena. C’est un amphitéatre en ovale, qui se voit quasi tout entier, tous les sieges, toutes les votes & circonferance, sauf la plus extreme de dehors : somme qu’il y en a assez de reste pour decouvir au vif la forme & service de ces batimans. La seigneurie y fait employer quelques amandes des criminels, & en a refaict quelque lopin; mais c’est bien louin de ce qu’il faudroit à la remettre en son antier, & doute fort que toute la ville vaille ce rabillage. Il est en forme ovale ; il a quarante trois degrés de rangs d’un pied ou plus de haut chacun, & est environ six cens pas de rondeur en son haut. Les Jantilshomes du païs s’en servent encore pour y courre aus joutes & autres plesirs publiques. Nous vismes aussi les Juifs, & il (Montaigne) fut en leur Sinagogue & les entretint fort de leurs serimonies. Il y a des places bien belles & beaus marchés. Du chateau qui est haut, nous decouvrions dans la pleine Mantoue qui est à vint milles à mein droite de notre chemin. Ils n’ont pas faute d’inscriptions ; car il n’y a rabillage de petite goutiere, où ils ne facent mettre, & en la ville & sur les chemins, le nom du Podesta, & de l’Artisan. Ils ont de commun avec les Allemans qu’ils ont tous des Armoiries, tant marchans qu’autres, & en Allemaigne, non les villes sulemant, mais la pluspart des Bourgs ont certenes armes propres. Nous partimes de Verone, & vismes, en sortant, l’Eglise de Nôtre-Dame des miracles, qui est fameuse, de plusieurs accidens étranges, en considération desquels on la rebastit de neuf, d’une très belle figure ronde. Les clochiers de là, sont couvers en plusieurs lieus de brique couchée de travers. Nous passames une longue pleine de diverse façon, tantost fertile, tantost autre, ayant les montaignes bien louin à nostre mein gauche, & aucunes à droite, & vinsmes, d’une trete souper à

VINCENZA, trante milles. C’est une grande ville, un peu moins que Verone, où il y a tout plein de palais de noblesse. Nous y vismes lendemein plusieurs Eglises, & la foire qui y estoit lors, en une grande place, plusieurs boutiques qui se batissent de bois sur le champ pour cet effect. Nous y vismes aussi des Jesuates qui y ont un beau Monastere, & vismes leur boutique d’eaus, de quoy ils font boutique & vente publicque, & en eusmes deus de senteur pour un escu : car ils en font des medecinales pour toutes maladies. Leur fondateur est P. Urb. S. Jan Colombini, Jantilhome Sienois, qui le fonda l’an 1367. Le Cardinal de Pelneo est pour cette heure leur protecteur. Ils n’ont des Monasteres qu’en Italie, & y en ont trante. Ils ont une très-belle habitation. Ils se foitent, disent-ils, tous les jours : chacun a ses chenettes en sa place de leur Oratoire, où ils prient Dieu sans vois, & y sont ensamble à certenes heures. Les vins vieus failloint déja lors, qui me metoit en peine à cause de sa colique (de Montaigne), de boire ces vins troubles, autremant bons toutefois. Ceus d’Allemaigne se faisoint regretter, quoiqu’ils soint pour la pluspart aromatisés, & ayent diverses santeurs qu’ils prennent à friandise, mesmes de la sauge, & l’apelent vin de sauge, qui n’est pas mauvais, quand on y est accoutumé ; car il est au demûrant bon & genereus. Delà nous partimes Jûdy après disner, & par un chemin très-uni, large, droit, fossoyé de deus pars, & un peu relevé, aïant de toutes pars un terroir très-fertile, les montaignes come de coutume, de louin à nostre veue, vinsmes coucher à Padoue.

Fin du Tome premier.

PADOUE, dix-huit milles. Les hostelleries n’ont nulle comparaison, en nulle sorte de tretemant à ceux d’Allemagne. Il est vrai qu’ils sont moins chers d’un tiers, & approchent fort du pouint de France. Elle est bien, fort vaste, & à mon avis, a sa cloture de la grandeur de Bordeaus pour le moins. Les rues étroites & ledes, fort peu peuplées, peu de belles maisons : son assiete fort plesante, dans une pleine descouverte, bien louin tout au tour. Nous y fusmes tout le lendemein, & vismes les escoles d’escrime, du bal, de monter à cheval, où il y avoit plus de çant Jantilshomes François ; ce que M. de Montaigne contoit à grand’incommodité pour les jeunes hommes de nostre païs qui y vont, d’autant que cete société les acoustume aus meurs & langage de leur nation, & leur ôte le moïen d’acquerir des connoissances étrangieres. L’Eglise S. Anthoine lui samble belle ; la voute n’est pas d’un tenant ; mais de plusieurs enfonçures en dome. Il y a beaucoup de rares sculptures de marbre & de bronse. Il y regarda de bon oeil le visage du Cardinal Bembo qui montre la douceur de ses mœurs, & je ne sçay quoy de la jantillesse de son esprit. Il y a une salle, la plus grande, sans piliers, que j’aïe jamais veu, où se tient leur justice ; & à l’un bout est la teste de Titus Livius maigre, raportant un home studieus & melancholique, antien ouvrage auquel il ne reste que la parole. Son epitaphe aussy y est, lequel ayant trouvé, ils l’ont élevé pour s’en faire honneur, & avecques raison. Paulus le Jurisconsulte y est aussi sur la porte de ce Palais ; mais il (Montaigne) juge que ce soit ouvrage recent. La maison qui est au lieu des Antienes Arènes n’est pas indigne d’estre veue, & son jardin. Les Escolirs y vivent à bonne raison à sept escus pour mois, le métre, & six le valet, aus plus honnestes pansions. Nous en partimes les samedy bien matin, & par une très-belle levée le long de la riviere, aïant à nos côtés des pleines très-fertiles de bleds & fort ombragées d’abres, entresemés par ordre dans les champs, où se tiennent leurs vignes, & le chemin fourny de tout plein de belles mesons de plesances, & entre autres d’une maison de ceus de la race Contarene, à la porte de laquelle il y a une inscription que le Roy y logea revenant de Poloigne. Nous nous rendismes à la

CHAFFOUSINE, vingt milles où nous disnames. Ce n’est qu’une hostellerie où l’on se met sur l’eau pour se rendre à Venise. Là abordent tous les bateaus le long de cete riviere, avec des engeins & des polies, que deus chevaus tournent à la mode de ceus qui tournent les meules d’huile. On emporte ces barques à tout des roues qu’on leur met au dessous, par dessus un planchier de bois pour les jetter dans le canal qui se va randre en la mer, où Venise est assise. Nous y disnames, & nous estans mis dans une gondole, vismes souper à VENISE, cinq milles. Lendemein qui fut Dimenche matin, M. de Montaigne vit M. de Ferrier Ambassadur du Roi, qui lui fit fort bonne chere, le mena à la Messe, & le retint à disner avec lui. Le Lundy M. d’Estissac & lui y disnarent encores. Entre autres discours dudict Ambassadeur, celui-là lui sembla estrange, qu’il n’avoit commerce avecq nul home de la ville, & que c’étoit un humeur de jans si supçonneuse que, si un de leurs Jantilshomes avoit parlé deus fois à lui, ils le tienderoint poter suspect : & aussi cela, que la ville de Venise valoit quinze çans mille escus de rante à la Signeurie. Au demeurant les raretés de cete ville sont assez connuës. Il (Montaigne) disoit l’avoir trouvée autre qu’il ne l’avoit imaginée, & un peu moins admirable. Il la reconnut, & toutes ses particularités, avec extrème dilijance. La police, la situation, l’arsenal, la place de S. Marc, & la presse des peuples etrangiers, lui samblarent les choses plus remerquables. Le Lundy à souper, la Signora Veronica Franca, janti fame Venitiane, envoïa vers lui pour lui presanter, un livre de Lettres qu’elle a composé ; il fit donner deux escus audict home. Le Mardy après disner il eut la colicque qui lui dura deus ou trois heures, non pas des plus extremes à le voir, & avant souper il randit deus grosses pierres l’une après l’autre. Il n’y trouva pas cete fameuse beauté qu’on attribue aus Dames de Venise, & si vid les plus nobles de celles qui en font traficque ; mais cela lui sembla autant admirable que nulle autre chose, d’en voir un tel nombre, comme de cent cinquante ou environ, faisant une dépense en meubles & vestemans de princesses ; n’ayant autre fons à se meintenir que de cete traficque & plusieurs de la noblesse de là mesme, avoir des courtisaines à leurs despens, au veu & sceu d’un chacun. Il luoit pour son service une gondole, pour jour & nuict, à deus livres, qui font environ dix-sept solds, sans faire nulle despense au barquerol. Les vivres y sont chers come à Paris ; mais c’est la ville du monde ou on vit à meilleur conte, d’autant que la suite des valets nous y est du tout inutile, chacun y allant tout sul ; & la despense des vetemans des mesmes, & puis qu’il n’y faut nul cheval. Le Samedy, dousiesme de Novembre, nous en partimes au matin, & vismes à

LA CHAFFOUSINE, cinq milles. Où nous nous mîmes homes & bagage, dans une barque pour deus escus. Il (Montaigne) a accoutumé creindre l’eau, mais ayant opinion que c’est le sul mouvemant qui offence son estomac, voulant essaïer si le mouvemant de cete riviere, qui est eguable & uniforme, atendu que des chevaus tirent ce bateau, l’offenseroit, il l’essaïa, & trouva qu’il n’y avoit eu nul mal. Il faut passer deus ou trois portes dans cete riviere, qui se ferment & ouvrent aus passans. Nous vinmes coucher, par eau, à

PADOUE, vingt milles. M. de Caselis laissa là sa compaignie, & s’y arresta en pansion, pour sept escus par mois, bien logé & treté. Il eût peu avoir un lacquais pour cinq escus ; & si ce sont des plus hautes pansions, où il y avoit bonne compagnie, & notammant le sieur de Millau, fils de M. de Salignac. Ils n’ont communémant point de valets & sulemant un garçon du logis, ou des fames qui les servent : chacun une chambre fort propre ; le feu de leur chambre & la chandele, ils se le fournissent. Le tretemant, come nous vismes, fort bon. On y vit à très-grande raison, qui est, à mon avis, la raison que plusieurs etrangiers s’y retirent, de ceus mesmes qui n’y sont plus escoliers. Ce n’est pas la coutume d’y aller à cheval par la ville ny guiere suivy. En Allemaigne je remarquois que chacun porte espée au costé, jusques aus maneuvres. Aus terres de cette Seigneurie, tout au rebours, personne n’en porte. Dimenche après disner, 13 de Novembre, nous en partimes pour voir des beins, qu’il y avoit sur la mein droite. Il (Montaigne) tira droit à Abano. C’est un petit village près du pied des montaignes, au dessus duquel, trois ou quatre cent pas, il y a un lieu un peu soublevé, pierreux. Ce haut qui est fort spacieus, a plusieurs surjons de fontenes chaudes & bouillantes qui sortent du rochier. Elles sont trop chaudes entour leur source pour s’y beigner, & encore plus pour en boire. La trace autour de leur cours est toute grise, come de la cendre bruslée. Elles laissent force excremans qui sont en forme d’éponges dures. Le goust en est salé & souffreus. Toute la contrée est en fumée, car les ruisseaus qui escoulent par-cy par là dans la pleine, emportent bien louin cete chaleur & la santur. Il y a là deus ou trois maisonnetes assez mal accommodées pour les malades, dans lesqueles on derive des canals de ces eaus, pour en faire des beins aus meisons. Non sulemant il y a de la fumée où est l’eau, mais le rochier mesme fume par toutes ses crevasses & jointures, & rand chaleur partout, en maniere qu’ils en ont percé aucuns endroits, où un home se peut coucher, & de cete exhalation se rechauffer & mettre en sueur : ce qui se faict soubdeinemant. Il (Montaigne) mit de cet eau en la bouche, après qu’elle fut fort reposée pour perdre sa chaleur excessive : il leur trouva le goust plus salé qu’autre chose. Plus, à mein droite, nous decouvrions l’abbaïe de Praïe, qui est fort fameuse pour sa beauté, richesse & courtoisie à recevoir & treter les etrangiers. Il (Montaigne) n’y voulut pas aler, faisant état que toute cette contrée, & notamment Venise, il avoit à la revoir à loisir, & n’estimoit rien cete visite ; & ce qui la lui avoit fait entreprandre, c’estoit la faim extreme de voir cete ville. Il disoit qu’il n’eût sçeu arreter ny à Rome, ny ailleurs en Italie en repos, sans avoir reconnu Venise, & pour cet effaict s’étoit detourné de chemin. Il a laissé à Padoue, sur cet esperance, à un maistre François Bourges, François, les œuvres du Cardinal Cusan, qu’il avoit acheté à Venise. De Abano, nous passames à un lieu nommé S. (San) Pietro, (lieu) bas, & avions toujours les montaignes à notre main droite, fort voisines. C’est un païs de preries & pascages qui est de mêmes tout en fumée en divers lieus de ces eaus chaudes, les unes brûlantes, les autres tiedes, autres froides : le goust un peu plus mort & mousse que les autres, moins de santur de souffre, &, quasi pouint du tout, un peu de salure. Nous y trouvames quelques traces d’antiques bastimans. Il y a deux ou trois chetisves maisonnettes autour, pour la retraite des malades ; mais, à la vérité tout cela est fort sauvage, & ne serois d’avis d’y envoïer mes amis. Ils disent que c’est la Seigneurie qui n’a pas grand souin de cela, & creint l’abord des Seigneurs etrangiers. Ces derniers beins lui firent resouvenir, disoit il, de ceus de Preissac, près d’Ax. La trace de ces eaus est toute rougeastre, & mit sur sa langue de la boue ; il n’y trouva nul goust ; il croit qu’elles soint plus ferrées. De là nous passames le long d’une très belle maison d’un Jantilhome de Padoue, où estoit M. le Cardinal d’Este, malade des goutes, il y avoit plus de deus mois pour la commodité des beins, & plus, (pour) le voisinage des Dames de Venise, & tout jouingnant, de là vinmes coucher à

BATAILLE, huit milles, petit village sur le canal del Fraichine, qui n’ayant pas de profondur, deus ou trois pieds par fois, conduit pourtant des batteaus fort étranges. Nous fumes là servis de plats de terre & assietes de bois à faute d’estein ; autremant assés passablemant. Le Lundy matin je m’en partis devant avec le mulet. Ils alarent voir des beins qui sont à cinq cens pas de là, par la levée le long de ce canal. Il n’y a, à ce qu’il (Montaigne) rapportoit, qu’une maison sur le being, avec dix ou douze chambres. En May & en Aoust ils disent qu’il y va assés de jans, mais la pluspart logent audit bourg ou à ce Chateau du seigneur Pic, où logeoit M. le Cardinal d’Este. L’eau des beins descend d’une petite crope de montaigne, & coule par des canals en ladite maison & au dessous ; ils n’en boivent point, & boivent plustot de celle de S. Pierre, qu’ils envoïent querir. Elle descent de cete mesme crope par des canaus tous voisins de l’eau-douce, & bonne ; selon qu’elle prand plus longue ou courte course, elle est plus ou moins chaude. Il fut pour voir la source jusques au haut, ils ne la lui surent montrer, & le païerent qu’elle venoit sous terre. Il lui trouve à la bouche peu de goust, come à celle de S. Pierre, peu de santur de souffre, peu de salure. Il pense que qui en boiroit en recevroit même effaict que de celes de S. Pierre. La trace qu’elle faict, par ses conduicts, est rouge. Il y a en cete maison des beins & d’autres lieus où il degoute sulemant de l’eau, sous laquelle on présante le mambre malade. On lui dict que communéemant c’est le front, pour les maus de teste. Ils ont aussi en quelques endrets, de ces canals, faict de petites logettes de pierre, où on s’enferme, & puis ouvrant le souspirail de ce canal, la fumée & la chalur font incontinant fort suer ; ce sont étuves seches, de quoy ils en ont de plusieurs façons. Le principal usage est de la fange. Elle se prand dans un grand bein qui est audessous de la maison, au descouvert, a tout un instrumant de quoy on la puise pour la porter au logis qui est tout voisin. Là ils ont plusieurs instrumans de bois propres aus jambes, aus bras, cuisses, & autres parties, pour y coucher & enfermer lesdicts mambres, ayant ramply ce vesseau de bois tout de cete fange ; laquelle on renouvelle selon le besouin. Cete boue est noire come cele de Barbotan, mais non si graneleuse, & plus grasse, chaude d’une moïene chaleur, & qui n’a quasi pouint de santur. Tous ces beins-là n’ont pas grande commodité, si ce n’est le voisinage de Venise ; tout y est grossier & maussade. Ils partirent de Bataille, après des-iuner, & suivirent ce canal. Bien près delà ils rancontrarent le pont du canal qu’on nomme le canal à deus chemins, élevés d’une part & d’autre. En cet endroit on a fait des routes par le dehors, de la hauteur desdicts chemins, sur lesquelles les voyageurs passent. Les routes par le dedans se vont baissant jusques au niveau du fond de ce canal : là où il se faict un pont de pierre qui soutient ces deus voutes, sur lequel pont coule ce canal. Par le dessus d’une voute à l’autre, sur ce canal, il y a un pont fort haut, soubs lequel passent les bateaux qui suivent le canal, & au-dessus ceus qui veulent traverser ce canal. Il y a un autre gros ruisseau tout au fond de la pleine, qui vient des montaignes, duquel le cours traverse ce canal. Pour le conduire sans interrompre ce canal, a été faict ce pont de pierre sur lequel court le canal, & au-dessous duquel court ce ruisseau & le tranche sur un planchier revestu de bois par les flancs, en maniere que ce ruisseau est capable de porter basteaus ; il aroit assés de place & en largeur & en hauteur. Et puis sur le canal d’autres bateaus y passant continuellemant, & sur la voute du plus haut des pons des coches, il y avoit trois routes l’une sur l’autre. De là, tenant tous iours ce canal à mein droite, nous couteïames une vilete nommée Montselise, basse, mais de laquelle la closture va jusques au haut d’une montaigne, & enferme un vieus chateau qui appertenoit aus antiens seigneurs de cette ville : ce ne sont asteure que ruines. Et laissant là les montaignes à droite, suivismes le chemin à gauche, relevé, beau, plain, & qui doit estre en la saison plein d’ombrages ; à nos costés des pleines très fertiles, aïant, suivant l’usage du païs, parmy leurs champs de bleds, forces abres rangés par ordre, d’où pandent leurs vignes. Les beufs fort grands & de couleur gris, sont là si ordineres que je ne trouvay plus etrange ce que j’avois remarqué de ceux de l’Archiduc Fernand. Nous nous rancontrames sur une levée ; & des deus parts des marêts qui ont de largeur plus de quinse milles, & autant que la veue se peut estandre. Ce sont autrefois esté des grands estangs, mais la Seigneurie s’est essaïé de les assécher, pour en tirer du labourage ; en quelques endrets ils en sont venus à-bout, mais fort peu. C’est à présant une infinie étandue de païs boueus, sterile, & plein de cannes. Ils y ont plus perdu que gagné à lui vouloir faire changer de forme. Nous passames la riviere d’Adisse, sur nostre mein droite, sur un pont planté sur deus petits bateaux capables de quinse ou vint chevaux ; coulant le long d’une corde attachée à plus de cinq cens pas de là dans l’eau ; & pour la soutenir en l’air, il y a plusieurs petits bateaux jetés entre deus, qui, à tout des fourchettes, soutienent cete longue corde. De là nous vinmes coucher à

ROVIGO, vint & cinq milles, petite vilete appertenant encore à ladite Seigneurie. Ils commençarent à nous y servir du sel en masse duquel on en prend come du sucre. Il n’y a pouint moindre foison de viandes qu’en France, quoyqu’on aïe acoutumé de dire, & de ce qu’ils ne lardent pouint leur rosti, (cela cependant) ne lui oste guiere de faveur. Leurs chambres à faute de vitres & closture des fenestres, moins propres qu’en France ; les licts sont mieux faicts, plus unis, à tout force de materas ; mais ils n’ont guiere que des petits pavillons mal tissus, & sont fort espargnans de linsuls blancs. Qui iroit sul, ou à petit trein, n’en auroit pouint. La cherté comme en France, ou un peu plus. C’est là la ville de la naissance du bon Célius, qui s’en surnomma Rodoginus : elle est bien jolie, & y a une très-belle place ; la riviere d’Adisse passe au milieu. Mardy au matin, 15e de Novembre, nous partismes de là, & après avoir faict un long chemin sur la chausée, come celle de Blois, & traversé la riviere d’Adisse, que nous rancontrames à nostre mein droite, & après, celle du Po, que nous trouvames à la gauche, sur des pons pareils au jour precedant, sauf que sur ce planchier il y a une loge qui s’y tient, dans laquelle on paie les tribus en passant, suivant l’ordonnance qu’ils ont là imprimée & prescripte ; & au mileu du passage arrêtent leur bateau tout court, pour conter & se faire paier avant que d’aborder. Après estre descendus dans une pleine basse, où il samble qu’en temps bien pluvieus le chemin seroit inaccessible, nous nous randimes d’une trete, au soir, à FERRARE, vint milles. Là pour leur foy & bollette, on nous arresta longtemps à la porte : & ainsi à tous. La ville est grande comme Tours, assise en un païs fort plein ; force palais ; la pluspart des rues larges & droites ; fort peu peuplée. Le Mercredy au matin MM. d’Estissac & de Montaigne alarent baiser les meins au Duc. On lui fit entendre leur dessein : il envoya un Seigneur de sa Cour les recueillir, & mener en son Cabinet, où il étoit avec deux ou trois. Nous passames au travers de plusieurs chambres closes, où il y avoit plusieurs Jantils-homes bien vétus. On nous fit entrer. Nous le trouvames debout contre une table, qui les attendoit. Il mit la mein au bonnet, quand ils entrarent, & se tint tous-iours descouvert tant que M. de Montaigne parla à lui, qui fut assés longtems. Il lui demanda premieremant, s’il entendoit la langue? & lui ayant esté respondu que oui, il leur dit en Italien très-eloquent, qu’il voïoit très volantier les Jantils-homes de cette nation étant serviteur du Roy Très Chréstien, & très-obligé. Ils eurent quelques autres propos ensamble, & puis se retirarent ; le Seigneur Duc ne s’étant jamais couvert. Nous vismes en un’eglise, l’effigie de l’Arioste, un peu plus plein de visage qu’il n’est en ses livres ; il mourut eagé de cinquante neuf ans le 6 de Juing 1533. Ils y servent le fruit sur des assietes. Les rues sont toutes pavées de briques. Le portiques qui sont continuels à Padoue & servent d’une grande commodité pour se promener en tous temps à couvert & sans crotes, y sont à dire. À Venise les rues & pavés de mesme matiere, & si pandant, que il n’y a jamais de boue. J’avoy oblié à dire de Venise que le jour que nous en partimes, nous trouvames sur nostre chemin, plusieurs barques, aïant tout leur vantre chargé d’eau douce : la charge du bateau vaut un escu randue à Venise, & s’en sert-on à boire ou à teindre les draps. Estant à Chaffousine, nous vismes comment à tout des chevaus, qui font incessamment tourner une rouë, il se puise de l’eau d’un ruisseau & se verse dans un canal, duquel canal lesdits bateaus la reçoivent, se presantans audessous. Nous fumes tout ce jour-là à Ferrare, & y vimes plusieurs belles Eglises, jardins & maisons privées, & tout ce qu’on nous dît être remerquable : entre autres, aux Jésuates, un pied de rosier qui porte fleur tous les mois de l’an, & lors mesmes s’y en trouva une qui fut donnée à M. de Montaigne. Nous vismes aussi le Bucentaure que le Duc avoit faict faire pour sa nouvelle fame, qui est belle & trop jeune pour lui, à l’envi de celui de Venise, pour la conduire sur la riviere du Pô. Nous vismes aussi l’arsenal du Duc, où il y a une piece longue de trente cinq pans, qui porte un pied de diametre. Les vins nouveaus troubles que nous beuvions, & l’eau tout ainsi trouble qu’elle vient de la riviere, lui faisoit peur pour sa colicque. À toutes les portes des chambres de l’hostelerie, il y a escrit: Ricordati della boletta. Soudein qu’on est arrivé, il faut envoyer son nom au magistrat & le nombre d’homes, qui mande qu’on les loge, autremant on ne les loge pas. Le jeudy matin nous en partimes & suivimes un païs plein & tres fertile, difficile aus jans de pied en tamps de fange, d’autant que le païs de Lombardie et fort gras, & puis les chemins etant fermés de fossés de tous costés, ils n’ont de quoy se garantir de la boue à cartier : de maniere que plusieurs du païs marchent à-tout ces petites echasses d’un demy pied de haut. Nous nous randismes au soir, d’une trete, à

BOULONGNE, trante milles. Grande & belle ville plus grande & puplée de beaucoup que Ferrare. Au logis où nous logeames, le jeune seigneur de Montluc, y étoit arrivé une heure avant, venant de France, & s’arresta en ladite ville pour l’escole des armes & des chevaus. Le vendredy nous vismes tirer des armes le Vénitian qui se vante d’avoir trouvé des inventions nouvelles en cet art là, qui commandent à toutes les autres come de vray, sa mode de tirer est en beaucoup de choses differant des communes. Le meilleur des escoliers estoit un jeune home de Bordeaus, nomé Binet. Nous vismes un clochier carré, antien, de tele structure, qui est tout pandant & samble menasser sa ruine. Nous y vismes aussi les escoles des sciences, qui est le plus beau batiment que j’aye jamais veu pour ce service. Le samedy après disner nous vismes des Comediens, de quoi il (Montaigne) se contenta fort, & y print, ou de quelque autre cause, une doleur de teste qu’il n’avoit senti il y avoit plusieurs ans ; & si, en ce tems là, il disoit se trouver en un indolence de ses reins, plus pure qu’il n’avoit acoustumé il y avoit longtans, & jouissoit d’un benefice de vantre, tel qu’au retour de Banieres : sa doleur de teste lui passa la nuict. C’est une ville toute enrichie de beaus & larges portiques & d’un fort grand nombre de beaus palais. On y vit comme à Padouë, ou environ, & a très-bonne raison ; mais la ville un peu moins paisible pour les parts antienes qui sont entre des partis d’aucunes races de la ville, desqueles l’une a pour soy les Francés de tout tamps, l’autre les Espaignols qui sont là en grand nombre. En la place, il y a une très-belle fontene. Le dimanche, il (Montaigne) avoit délibéré de prandre son chemin à gauche vers Imola, la marche d’Ancone & Lorette, pour jouindre à Rome ; mais un Alemant lui dict qu’il avoit esté volé des bannis sur le duché de Spolete. Einfin il print à droite vers Florance. Nous nous jettames soudin dans un chemin aspre & païs montueux, & vinmes coucher à

LOYAN, sese milles, petit village assés mal commode. Il n’y a en ce village que deus hosteleries qui sont fameuses entre toutes celles d’Italie, de la trahison qui s’y fait aus passans, de les paistre de belles promesses de toute sorte de commodités, avant qu’ils mettent pied à terre, & s’en mocquer quand ils les tiennent à leur mercy : de quoy il y a des proverbes publiques. Nous en partimes bon matin lendemein, & suivismes jusques au soir, un chemin qui, à la verité, est le premier de notre voïage qui peut se nommer incommode & farouche, & parmi les montaignes plus difficiles qu’en nulle autre part de ce voïage : nous vismes coucher à

SCARPERIE, vint & quattre milles. Petite villete de la Toscane, où il se vend force estuis & ciscars, & semblable marchandise. Il (Montaigne) avoit là tous les plesirs qu’il est possible, au debat des hostes. Ils ont cete coustume d’envoïer au devant des etrangers sept ou huict lieuës, les éconjurer de prandre leur logis. Vous trouverez souvent l’hoste mesme à cheval, & en divers lieus plusieurs homes biens vestus qui vous guetent ; & tout le long du chemin, lui qui les vouloit amuser, se faisoit plaisammant entretenir des diverses offres que chacun lui faisoit, & il n’est rien qu’ils ne promettent. Il y en eut un qui lui offrit en pur don un lievre, s’il vouloit seulemant visiter sa maison. Leur dispute & leur contestation s’arreste aus portes des villes, & n’osent plus dire mot. Ils ont cela en général de vous offrir un guide à cheval à leurs despans, pour vous guider & porter partie de votre bagage jusques au logis où vous allez ; ce qu’ils font toujours, & païent leur despense. Je ne scay s’ils y sont obligés par quelque ordonnance à cause du dangier des chemins. Nous avions faict le marché de ce que nous avions à païer & à recevoir à Loïan, dès Boulongne. Pressés par les jans de l’hoste où nous logeames & ailleurs, il en voioit quelqu’un de nous autres, visiter tous les logis, & vivres & vins, & santir les conditions, avant que descendre de cheval, & acceptoit la meilleure ; mais il est impossible de capituler si bien qu’on échape à leur tromperie : car où il vous font manquer le bois, la chandelle, le linge, où le souin que vous avez oblié à spécifier. Cete route est pleine de passans ; car c’est le grand chemin & ordinere à Rome. Je fus là averty d’une sotise que j’avois faite, ayant oblié à voir à dix milles deça Loïan, à deus milles du chemin, le haut d’une montaigne d’où en tamps pluvieus & orageus & de nuict, on voit sortir de la flâme d’une extrême hauteur ; & disoit le rapporteur qu’à grandes secousses il s’en regorge par fois des petites pieces de monnoie, qui a quelque figure. Il eût fallu voir (ce) que c’étoit que tout cela. Nous partimes lendemein matin de Scarperia ayant notre hoste pour guide, & passames un beau chemein entre plusieurs collines peuplées & cultivées. Nous détournames en chemin sur la mein droite environ deus milles, pour voir un palais que le Duc de Florence y a basti depuis douse ans, où il amploïe tous ses cinq sens de nature pour l’ambellir. Il samble qu’exprès il aïe choisy un’assiete incommode, stérile & montueuse, voire & sans fontenes, pour avoir cet honneur de les aler querir à cinq milles de là, & son sable & chaus à autres cinq milles. C’est un lieu, là, où il n’y a rien de plein. On a la veue de plusieurs collines, qui est la forme universelle de cete contrée. La maison s’apelle Pratellino. Le bastimant y est méprisable à le voir de louin, mais de près il est très-beau, mais non des plus beaus de notre France. Ils disent qu’il y a six vints chambres mublées ; nous en vismes dix ou douse de plus beles. Les meubles sont jolis, mais non magnifiques. Il y a de miralculeus, une grotte à plusieurs demures & pieces : cete partie surpasse tout ce que nous ayons jamais veu ailleurs. Elle est encroutée & formée partout de certene matiere qu’ils disent estre apportée de quelques montagnes, & l’ont cousue à tout des clous imperceptiblemant. Il y a non sulemant de la musicque & harmonie qui se faict par le mouvemant de l’eau, mais encore le mouvemant de plusieurs statues & portes à divers actes, que l’eau esbranle, plusieurs animaus qui s’y plongent pour boire, & choses samblables. À un sul mouvemant, toute la grotte est pleine d’eau, tous les sieges vous rejallissent l’eau aus fesses ; &, fuiant de la grotte, montant contremont les eschaliers du chateau, il sort d’eus en deus degrés de cet eschalier, qui veut donner ce plesir, mille filets d’eau qui vous vont baignant jusques au haut du logis. La beauté & richesse de ce lieu ne se peut représenter par le menu. Audessous du chasteau il y a entre autres choses une allée large de cinquante pieds, & longue de cinq cens pas ou environ, qu’on a rendu quasi égale, à grande despanse ; par les deus costés il y a des longs & très beaus acoudouers de pierre de taille de cinq ou de dix en dix pas ; le long de ces acoudouers, il y a des surjons de fontenes dans la muraille, de façon que ce ne sont que pouintes de fontenes tout le long de l’allée. Au fons, il y a une belle fontene qui se verse dans un grand timbre par le conduit d’une statue de marbre, qui est une fame faisant la buée. Ell’esprint une nape de marbre blanc, du degout de laquelle sort cet eau, & au dessous, il y a un autre vesseau, où il samble que ce soit de l’eau qui bouille, à faire buée. Il y a aussi une table de mabre en une salle du chasteau en laquelle il y a six places, à chacune desqueles on soubleve de ce mabre un couvercle à-tout un anneau, au dessous duquel il y a un vesseau qui se tient à ladite table. Dans chacun desdits six vesseaus, il sourd un tret de vive fontene, pour y refreschir chacun son verre, & au milieu un gand à mettre la bouteille. Nous y vismes aussi des trous fort larges dans terre, où on conserve une grande quantité de nège toute l’année, & la couche lon sur une lettiere de herbe de genet, & puis tout cela est recouvert bien haut en forme de piramide de glu, come une petite grange. Il y a mille gardoirs, & se bâtit le corps d’un geant, qui a trois coudées de largeur à l’ouverture d’un euil ; le demurant proportionné de mesmes, par où se versera une fontene en grande abondance. Il y a mille gardoirs & estancs, & cela tiré de deus fontenes, par infinis canals de terre. Dans une très-belle & grande voliere, nous vismes des petits oiseaus, come chardonerets qui ont à la cüe deus longues plumes, come celles d’un grand chappon. Il y a aussi une singuliere etuve. Nous y arrestames deus ou trois heures, & puis reprimes notre chemin & nous randimes par le haut de certenes colines, à

FLORENCE, 17 milles. Ville moindre que Ferrare en grandeur, assise dans une plene entournée de mille montaignettes fort cultivées. La riviere d’Arne passe au travers & se trajette à tout des pons. Nous ne trouvasmes nuls fossés autour des murailles. Il (Montaigne) fit ce jour là deus pierres & force sable, sans en avoir eu autre resantimant que d’une legiere dolur au bas du vantre. Le mesme jour nous y vismes l’escurie du grand Duc, fort grande, voutée, où il n’y avoit pas beaucoup de chevaus de prix : aussi n’y estoit-il pas ce jour-là. Nous vismes là un mouton de fort etrange forme ; aussi un chameau, des lions, des ours, & un animal de la grandeur d’un fort grand mâtin de la forme d’un chat, tout martelé de blanc & noir qu’ils noment un tigre. Nous vismes l’Eglise St. Laurent, où pandent encore les enseignes que nous perdismes sous le Mareschal Strozzi en la Toscane. Il y a en cete Eglise plusieurs pieces en plate peinture & très beles statues excellentes, de l’ouvrage de Michel Ange. Nous y vismes le Dôme, qui est une très-grande Eglise, & le clochier tout revestu de mabre blanc & noir : c’est l’une des beles choses du monde & plus sumptueuses. M. de Montaigne disoit jusques lors n’avoir jamais veu nation où il y eût si peu de beles fames que l’Italiene. Les logis, il les trouvoit beaucoup moins commodes qu’en France & Allemaigne ; car les viandes n’y sont ny en si grande abondance à moitié qu’en Allemaigne, ny si bien apprétées. On y sert sans larder & en l’un & en l’autre lieu ; mais en Allemaigne elles sont beaucoup mieu assesonnées, & diversité de sauces & de potages. Les logis en Italie de beaucoup pires ; nulles salles ; les fenétres grandes & toutes ouvertes, sauf un grand contrevant de bois qui vous chasse le jour, si vous en voulez chasser le soleil ou le vent : ce qu’il trouvoit bien plus insupportable & irremédiable que la faute des rideaus d’Allemaigne. Ils n’y ont aussi que des petites cahutes à tout des chetifs pavillons, un, pour le plus, en chaque chambre, à tout une carriole au-dessous ; & qui haïroit à coucher dur, s’y trouveroit bien ampesché. Egale ou plus grande faute de linge. Les vins communéemant pires ; & à ceus qui en haïssent une douceur lâche, en cete seson insupportable. La cherté, à la vérité, un peu moindre. On tient que Florence soit la plus chere ville d’Italie. J’avoy faict marché avant que mon maistre arrivât à l’hostelerie de l’Ange, à sept reales pour home & cheval par jour, & quatre reales pour home de pied. Le mesme jour nous vismes un palais du Duc, où il prant plesir à besouigner lui mesme, à contrefaire des pierres orientales & à labourer le cristal: car il est Prince souingneur un peu de l’Archemie & des ars méchaniques & surtout grand Architecte. Landemein M. de Montaigne monta le premier au haut du dome, où il se voit une boule d’airain doré qui samble d’embas de la grandur d’une bale, & quand on y est, elle se treuve capable de quarante homes. Il vit là que le mabre de quoy cete Eglise est encroutée, mesme le noir, comance deja en beaucoup de lieus à se demantir, & se font à la gelée & au soleil, mesmes le noir ; car cet ouvrage est tout diversifié & labouré, ce qui lui fit creindre que ce mabre ne fût pas fort naturel. Il y voulsit voir les maisons des Strozzes & des Gondis, où ils ont encore de leurs parans. Nous vismes aussi le palais du Duc, où Cosimo son pere a faict peindre la prinse de Sienne & nostre bataille, perdue. Si est-ce qu’en divers lieus de cete ville, & notammant audit palais aus antiennes murailles, les fleurs-de-lis tiennent le premier rang d’honnur. MM. d’Estissac & de Montaigne furent au disner du grand Duc : car là on l’appelle ainsi. Sa fame estoit assise au lieu d’honnur ; le Duc audessous ; au-dessous du Duc, la belle-seur de la Duchesse ; audessous de cete cy, le frere de la Duchesse, mary de cete-cy. Cete Duchesse est belle à l’opinion Italienne, un visage agréable & imprieux, le corsage gros, & de tetins à leur souhait. Elle lui sambla bien avoir la suffisance d’avoir angeolé ce Prince, & de le tenir à sa dévotion long tamps. Le Duc est un gros home noir, de ma taille, de gros mambres, le visage & contenance pleine de courtoisie, passant tous iours, descouvert au travers de la presse de ses jans, qui est belle. Il a le port sein, & d’un homme de quarante ans. De l’autre coste de la table étoint le Cardinal, & un autre june de dix-huict ans, les deus freres du Duc. On porte à boire à ce Duc & à sa fame dans un bassin où il y a un verre plein de vin descouvert, & une bouteille de verre pleine d’eau ; ils prennent le verre de vin & en versent dans le bassin autant qu’il leur samble ; & puis le ramplissent d’eau eus-mesmes, & rasséent le verre, dans le bassin que leur tient l’échanson. Il metoit assés d’eau ; elle, quasi pouint. Le vice des Allemans de se servir de verres grans outre mesure, est icy au rebours de les avoir extraordinairemant petits. Je ne scay pourquoy cete ville soit surnommée belle par priviliege ; elle l’est mais sans aucune excellence sur Boulogne, & peu sur Ferrare, & sans compareson au dessous de Venise. Il faict à la vérité beau de couvrir de ce clochier, l’infinie multitude de Maisons qui ramplissent les collines tout au tour à bien deus ou trois lieues à la ronde, & cete pleine où elle est assise qui samble en longur, avoir l’étandue de deus lieues : car il samble qu’elles se touchent, tant elles sont dru femées. La ville est pavée de pieces de pierre plate sans façon & sans ordre. L’après disnée eus quatre Jantilshomes, & un guide, prindrent la poste pour aller voir un lieu du Duc qu’on nome Castello. La maison n’a rien qui vaille ; mais il y a diverses pieces de jardinage, le tout assis sur la pante d’une coline, en maniere que les allées droites sont toutes en pante, douce toutefois & aisée ; les transverses sont droites & unies. Il s’y voit là plusieurs bresseaux tissus & couvers fort espès : de tous abres odoriferans, come cedres, ciprès, orangiers, citronniers, & d’oliviers, les branches si jouintes & entrelassées, qu’il est aisé à voir que le soleil n’y sauroit trouver antrée en sa plus grande force. Les tailles de cyprès, & de ces autres abres disposés en ordre si voisins l’un de l’autre, qu’il n’y a place à y laisser que pour trois ou quatre. Il y a un grand gardoir, entre les autres, au milieu duquel on voit un rochier contrefaict au naturel, & samble qu’il soit tout glacé au-dessus, par le moïen de cete matiere de quoi le Duc a couvert ses grottes à Pratellino, & audessus du roc une grande medalle de cuivre, representant un home fort vieil, chenu, assis sur son cul, ses bras croisés, de la barbe, du front, & poil duquel coule sans cesse de l’eau goutte à goutte de toutes parts, représentant la sueur & les larmes, & n’a la fontene autre conduit que celui là. Ailleurs ils virent, par très-plesante expérience, ce que j’ai remerqué cy dessus : car se promenant par le jardin, & en regardant les singularités ; le jardinier les aïant pour cet effect laissé de compagnie, come ils furent en certin endroit à contempler certenes figures de mabre, il sourdit sous leurs pieds & entre leurs jambes, par infinis petits trous, des trets d’eau si menus qu’ils étoint quasi invisibles, & représentans souverenemant bien le dégout d’une petite pluïe, de quoy ils furent tout arrosés, par le moïen de quelque ressort souterrin que le jardinier remuoit à plus de deux çans pas de là, avec tel art que de là en hors, il faisoit hausser & baisser ces élancemens d’eau, come il lui pleisoit, les courbant & mouvant à la mesure qu’il vouloit : ce mesme jeu est là en plusieurs lieux. Ils virent aussi la maitresse fontene qui sort par le canal de deus fort grandes effigies de bronse, dont la plus basse prant l’autre entre les bras, & l’étrint de toute sa force ; l’autre demy pasmée, la teste ranversée samble randre par force par la bouche cet’eau, & l’élance de tele roideur, que outre la hauteur de ces figures, qui est pour le moins de vint pieds, le tret de l’eau monte à trante-sept brasses au-delà. Il y a aussi un cabinet entre les branches d’un abre tous-iours vert, mais bien plus riche que nul autre qu’ils eussent veu: car il est tout etoffé des branches vifves & vertes de l’abre, & tout-partout ce cabinet est si fermé de cete verdure qu’il n’y a nulle veuë qu’au travers de quelques ouvertures qu’il faut praticquer, faisant escarter les branches çà & là ; & au milieu, par un tours qu’on ne peut deviner, monte un surjon d’eau jusques dans ce cabinet au travers & milieu d’une petite table de mabre. Là se faict auissi la musicque d’eau, mais ils ne la peurent ouïr ; car il étoit tard à jans qui avoint à revenir en la ville. Ils y virent aussi le timbre des armes du Duc tout au haut d’un portal, très-bien formées de quelques branches d’abres nourris & entretenus en leur force naturelle par des fibres qu’on ne peut guiere bien choisir. Ils y furent en la seison la plus ennemie des jardins, qui les randit encore plus emerveillés. Il y a aussi là une belle grotte, où il se voit toute sorte d’animaus represantés au naturel, randant qui par bec, qui par l’aisle, qui par l’ongle ou l’oreille ou le naseau, l’eau de ces fontenes. J’obliois qu’au palais de ce prince en l’une des sales il se voit la figure d’un animal à quatre pieds, relevé en bronse sur un pilier représanté au naturel, d’une forme étrange, le devant tout écaillé, & sur l’eschine je ne sçay quelle forme de mambre, come des cornes. Ils disent qu’il fut trouve dans une caverne de montaigne de ce païs, & mené vif il y a quelques années. Nous vimes aussi le palais où est née la Reine mere. Il (Montaigne) vousit pour essayer toutes les commodités de cete ville, come il faisoit des autres, voir des chambres à louër, & la condition des pansions ; il n’y trouva rien qui vaille. On n’y trouve à louer des chambres qu’aus hosteleries à ce qu’on lui dît, & celes qu’il vit étoient mal-propres & plus cheres qu’à Paris beaucoup, & qu’a Venise mesme ; & la pansion chetifve, à plus de douze escus par mois pour maistre. Il n’y a aussi nul exercice qui vaille ny d’armes ny de chevaux ou de lettres. L’estein est rare en toute cete contrée, & n’y sert-on qu’en vesselle de cete terre-peinte, assés mal propre. Judy au matin, 24e de Novembre, nous est partismes, & trouvames un païs médiocremant fertile, fort peuplé d’habitations, & cultivé partout, le chemin bossu & pierreus, & nous randimes fort tard, d’une trete qui est fort longue, à

SIENE, trante deus milles, quatres postes ; ils les font de huict milles plus longues qu’ordinairemant les nostres. Le Vandredy il (Montaigne) la reconnut curieusemant, notamant pour le respect de nos guerres. C’est une ville inégale, plantée sur un dos de colline où est assise la meilleure part des rues ; ses deus pantes sont par degrès ramplies de diverses rues, & aucunes vont encore se relevant contre-mont, en autres haussures. Elle est du nombre des belles d’Italie, mais non du premier ordre, de la grandur de Florance : son visage la tesmoigne fort antienne. Elle a grand foison de fontenes, desqueles la pluspart des privés desrobent des veines, pour leur service particulier. Ils y ont des bones caves & fresches. Le Dôme, qui ne cede guiere à celui de Florance, est revetu dedans & dehors quasi partout, de ce mabre ci : ce sont des pieces carrées de mabre, les unes espesses d’un pied, autres moins, de quoi ils encroutent, come d’un lambris, ces batimans faicts de bricques, qui est l’ordinere matiere de cette nation. La plus bele piece de la ville, c’est la place ronde, d’une très-bele grandur, & alant de toutes parts courbant vers le palais qui faict l’un des visages de cete rondur, & moins courbe que le demurant. Vis-à-vis du palais, au plus haut de la place, il y a une très-belle fontene, qui par plusieurs canals, ramplit un grand vesseau où chacun puise d’une très-belle eau. Plusieurs rues viennent fondre en cete place par des pavés tissus en degrés. Il y a tout plein de rues & nombres très antiennes : la principale est cele de Piccolomini, de celle-là, de Tolomei, Colombini, & encore de Cerretani. Nous vismes des tesmoignages de trois ou quatre çans ans. Les armes de la ville qui se voient sur plusieurs piliers, c’est la Louve qui a pandus à ses tetins Romulus & Remus. Le Duc de Florance trete courtoisement les Grans qui nous favorisarent, & il a près de sa personne, Silvio Piccolomini, le plus suffisant jantilhome de notre tamps à toute sorte de science, & d’exercice d’armes, come celui qui a principalement à se garder de ses propres sujects. Il abandonne à ses villes le souin de les fortifier, & s’atache à des citadelles qui sont munitionnées & guardées avec toute despance & diligeance, & avec tel supçon qu’on ne permet qu’à fort peu de jans d’en aprocher. Les fames portent des chapeaus en leurs testes, la pluspart. Nous en vismes qui les ostoint par honeur, come les homes, à l’endret de l’élevation de la Messe. Nous etions logés à la Couronne, assés bien, mais tousiours sans vitres & sans chassis. M. de Montaigne étant enquis du concierge de Pratellino, come il étoit étonné de la beauté de ce lieu, après les louanges, (il) accusa fort la ledur des portes & fenestres de grandes tables de sapin, sans forme & ouvrage, & des serrures grossieres & nieptes come cele de nos villages, & puis la couverture des tuiles creus ; & disoit s’il n’y avoit moyen ny d’ardoise ni de plomb ou airin, qu’on devoit au moins avoir caché ces tuiles par la forme du batimant : ce que le concierge dit qu’il le rediroit à son maistre. Le Duc laisse encore en estre les antiennes marques & divises de cete ville, qui sonent partout LIBERTÉ ; si est-ce que les tumbes & épitaphes des Francés qui sont morts, ils les ont emportées de lurs places & cachées en certein lieu de la ville, sous coleur de quelque réformation du batimant & forme de leur église. Le Samedy 26 après disner nous suivismes un pareil visage de païs, & vinmes souper à

BUONCOUVENT, douze milles, Castello de la Toscane : ils appellent einsin des villages fermés qui pour leur petitesse ne méritent pouint le nom de ville. Dimenche bien matin nous en partismes, & parce que M. de Montaigne desira de voir Montalcin pour l’accouintance que les François y ont eu, il se destourna de son chemin à mein droite, & avec MM. d’Estissac, de Mattecoulon, & du Hautoi, ala audict Montalcin, qu’ils disent estre une ville mal-bastie de la grandur de Saint-Emilion, assise sur une montaigne des plus hautes de toute la contrée, toutefois accessible. Ils rancontrarent que grand’messe se disoit, qu’ils ouïrent. Il y a, à un bout, un chateau où le Duc tient ses garnisons ; mais à son avis (de Montaigne) tout cela n’est guiere fort, etant ledict lieu commandé d’une part par une autre montaigne voisine de çant pas. Aus terres de ce Duc, on meintient la mémoire des François en si grande affection, qu’on ne leur en faict guiere souvenir que les larmes leur en viennent aus yeux. La guerre mesmes leur samblant plus douce avec quelque forme de liberté, que la paix qu’ils jouissent sous la tyrannie. Là, M. de Montaigne s’informant s’il n’y avoit point quelques sepulchres des François, on lui respondit qu’il y en avoit plusieurs en l’Eglise S. Augustin, mais que par commandemant du Duc on les avoit ensevelis. Le chemin de cete journée fut montueus & pierreus, & nous randit au soir à

LA PAILLE, vint trois milles. Petit village de cinq ou six maisons au pied de plusieurs montaignes steriles, & mal plaisantes. Nous reprimes notre chemin lendemein bon matin le long d’une fondriere fort pierreuse, où nous passames & repassames çant fois un torrant qui coule tout le long. Nous rancontrames un grand pont basti par ce Pape Gregoire, où finissent les terres du Duc de Florance, & entrames en celes de l’Eglise. Nous rancontrames Acquapendente, qui est une petite ville, & se nome je crois einsin à cause d’un torrant qui tout jouignant de là, se précipite par des rochiers en la pleine. Delà nous passames S. Laurenzo qui est un Castello, & par Bolseno qui l’est aussi, tout noïant autour du lac qui se nome Bolseno, long de trante milles & large de dix milles, au milieu duquel se voit deus rochiers come des isles, dans lesquels on dict estre des monasteres. Nous nous randismes d’une trete par ce chemin montueus & sterile à

MONTEFIASCON, vint-six milles. Villette assise à la teste de l’une des plus hautes montaignes de toute la contrée. Elle est petite, & monstre avoir beaucoup d’antienneté. Nous en partimes matin, & vinmes à traverser une bele pleine & fertile, où nous trouvames Viterbo, qui avoit une partie de son assiette couchée sur une croupe de montaigne. C’est une belle ville, de la grandur de Sanlis. Nous y remercames beaucoup de belles maisons, grande foison d’ouvriers, belles rues & plesantes ; en trois endroits d’icelle, trois très-beles fontenes. Il (Montaigne) s’y fût arresté pour la beauté du lieu, mais son mulet qui aloit devant, etoit desja passé outre. Nous commenceames là à monter une haute côte de montaigne, au pied de laquelle au deça, est un petit lac qu’ils noment de Vico. Là, par un bien plesant vallon, entourné de petites collines, où il y a force bois (commodité un peu rare en ces contrées-là), & de ce lac, nous nous vinmes rendre de bonne heure à

ROSSIGLIONE, dix-neuf milles. Petite ville & chateau au Duc de Parme, comme aussi il se treuve sur ces routes plusieurs maisons & terres appartenans à la case Farnèse. Les logis de ce chemin sont des meilleurs, d’autant que c’est le grand chemin ordinere de la Poste. Ils prennent cinq juilles pour cheval à courre, & à louer deux juilles pour poste ; & à cete mesme reison, si vous les voulés pour deus ou trois postes ou plusieurs journées, sans que vous vous mettés en nul souin du cheval car de lieu en lieu les hostes prenent charge des chevaus de leurs compaignons ; voire, si le vostre vous faut, ils font marché que vous en puissiés reprandre un autre ailleurs sur vostre chemin. Nous vismes par experience qu’à Siène, à un Flamant qui estoit en notre compaignie, inconnu, estrangier, tout sul ; on fia un cheval de louage pour le mener à Rome, sauf qu’avant partir, on païe le louage ; mais au demeurant le cheval est à vostre mercy, & sous vostre foy que vous le metrés où vous prometés. M. de Montaigne se louoit de leur coustume de disner & de souper tard, selon son humeur : car on n’y disne, aus bonnes maisons, qu’à deus heures après midy, & soupe à neuf heures ; de façon que où nous trouvames des comédians, ils ne comançent à jouer qu’à six heures aus torches, & y sont deus ou trois heures, & après on va souper. Il (Montaigne) disoit que c’estoit un bon païs pour les paresseux, car on s’y leve fort tard. Nous en partîmes lemdemein trois heures avant le jour, tant il avoit envie de voir le pan de Rome. Il trouva que le serein donnoit autant de peine à son estomac le matin que le soir, ou bien peu moins, & s’en trouva mal jusqu’au jour, quoyque la nuit fût sereine. À quinse milles nous découvrîmes la ville de Rome, & puis la reperdismes pour longtems. Il y a quelques villages en chemin & hostelleries. Nous rancontrames aucunes contrées de chemins relevés & pavés d’un fort grand pavé, qui sambloit à voir, quelque chose d’antien, & plus près de la Ville, quelques masures évidemmant très antiques, & quelques pierres que les Papes y ont faict relever pour l’honneur de l’antiquité. La plus part des ruines sont de briques, tesmoings les Termes de Diocletian, & d’une brique petite & simple, come la nostre, non de cete grandur & espessur qui se voit aus antiquités & ruines antienes en France & ailleurs. Rome ne nous faisoit pas grand’monstre à la reconnoistre de ce chemin. Nous avions louing sur nostre mein gauche, l’Apennin, le prospect du païs mal plaisant, bossé, plein de profondes fandasses, incapable d’y recevoir nulle conduite de gens de guerre en ordonnance : le terroir nud sans abres, une bonne partie stérile, le païs fort ouvert tout autour, & plus de dix milles à la ronde, & quasi tout de cete sorte, fort peu peuplé de maisons. Par là nous arrivames sur les vint heures, le dernier jour de Novembre, feste de Saint André, à la porte del Popolo, à

ROME, trante milles. On nous y fit des difficultés, come ailleurs, pour la peste de Gennes. Nous vinmes loger à l’Ours, où nous arrestames encore lendemein, & le deuxieme jour de décembre primes des chambres de louage chés un Espaignol, vis-à-vis de Santa Lucia della Tinta. Nous y estions bien accommodés de trois belles chambres, salle, garde manger, escuirie, cuisine, à vint escus par mois, sur quoi l’hoste fournit de cuisinier & de feu à la cuisine. Les logis y sont communéemant meublés un peu mieus qu’à Paris, d’autant qu’ils ont grand foison de cuir doré, de quoi les logis qui sont de quelque pris, sont tapissés. Nous en pusmes avoir un à mesme pris que du nostre, au vase d’or, assés près de là, mublé de drap d’or & de soie, come celui des rois ; mais outre ce que les chambres y estoint sujettes M. de Montaigne estima que cete magnificence estoit non-sulemant inutile, mais encore pénible pour la conservation de ces meubles, chaque lict estant du pris de quatre ou cinq çans escus. Au nostre, nous avions faict marché d’estre servis de linge, à peu près come en France, de quoi, selon la coustume du païs, ils sont un peu plus espargneus. M. de Montaigne se faschoit d’y trouver si grand nombre de François, qu’il ne trouvoit en la rue quasi personne qui ne le saluoit en sa langue. Il trouva nouveau le visage d’une si grande court & si pressée de prélats & gens d’église, & lui sambla plus puplée d’homes riches, & coches, & chevaus de beaucoup, que nulle autre qu’il eût jamais veue. Il disoit que la forme des rues en plusieurs choses, & notammant pour la multitude des homes, lui represantoit plus Paris que nulle autre où il eût jamais esté. La Ville est, d’à-cette-heure, toute plantée le long de la riviere du Tibre deça & dela. Le quartier montueus, qui estoit le siege de la vieille ville, & où il faisoit tous les jours mille proumenades & visites, est scisi, de quelques églises & aucunes maisons rares & jardins des Cardinaus. Il jugeoit par bien claires apparences, que la forme de ces montaignes & des pantes, estoit du tout changé de l’antienne, par la hauteur des ruines, & tenoit pour certin qu’en plusieurs endroits nous marchions sur le teste des maisons toutes antieres. Il est aisé à juger, par l’arc de Severe, que nous somes à plus de deus picques au dessus de l’antien planchier, & de vrai, quasi partout, on marche sur la teste des vieus murs que la pluye & les coches decouvrent. Il combattoit ceus qui lui comparoint la liberté de Rome à celle de Venise, principalement par ces argumens : que les maisons mesmes y estoint si peu sûres, que ceus qui y apportoint des moïens un peu largemant, estoint ordineremant conseillés de donner leur bourse en garde aus Banquiers de la Ville, pour ne trouver leur coffre crocheté, ce qui estoit avenu à plusieurs : Item, que l’aller de nuit n’estoit guiere bien assuré : Item, que ce premier mois, de decembre, le general des Cordeliers fut demis soudenemant de sa charge & enfermé, pour en son sermon, où estoit le Pape & les Cardinaus, avoir accusé l’oisiveté & pompes des Prelats de l’Eglise, sans en particulariser autre chose, & se servir sulemant, avec quelque aspreté de voix, de lieus communs & vulgaires sur ce propos : Item, que ses coffres avoint esté visités à l’entrée de la ville pour la doane, & fouillés jusques aus plus petites pieces de ses hardes ; là où en la pluspart des autres villes d’Italie, ces officiers se contentoint qu’on les leur eût simplement presanté : Qu’outre cela, on lui avoit pris tous les livres qu’on y avoit trouvé pour les visiter, à quoy il y avoit tant de longur, qu’un home qui auroit autre chose à faire les pouvoit bien tenir pour perdus ; joing que les regles y estoint si extraordinaires que les heures de Nostre-Dame, parce qu’elles estoint de Paris, non de Rome, leurs estoint suspectes, & les livres d’aucuns docteurs d’Allemaigne contre les Hérétiques, parce qu’en les combatans ils faisoint mantion de leurs erreurs. À ce propos il louoit fort sa fortune, de quoy n’estant aucunemant adverty que cela luy deut arriver, & estant passé au travers de l’Allemaigne, veu sa curiosité, il ne s’y trouva nul livre défandu. Toutefois aucuns Seigneurs de là luy disoint, quand il s’en fût trouvé, qu’il en fût esté quitte pour la perte des livres. Douze ou quinze jours après nostre arrivée, il se trouva mal ; & pour une inusitée défluxion de ses reins qui le menassoit de quelque ulcere, il se depucela, par l’ordonnance d’un medecin françois du Cardinal de Rambouillet, aydé de la dextérité de son Appoticaire, à prendre un jour de la casse à gros morceaus, au bout d’un cousteau trampé premieremant un peu dans l’eau, qu’il avala fort ayséemant, & en fit deus ou trois selles. Landemein il print de la térebentine de Venise, qui vient, disent-ils, des montaignes de Tirol, deus gros morceaus enveloppés dans un oblie, sur un culier d’argent, arrosé d’une ou deus goutes de certin sirop de bon goust ; il n’en sentit autre effaict que l’odur de l’urine à la violette de mars. Après cela, il print à trois fois, mais non tout de suite, certene sorte de breuvage qui avoit justemant le goust & couleur de l’amandé : aussi lui disoit son medecin, que ce n’estoit autre chose ; toutefois il panse qu’il y avoit des quatre semances froides. Il n’y avoit rien en cete derniere prise de malaysé & extraordinaire, que l’heure du matin : tout cela, trois heures avant le repas. Il ne santit non plus à quoi lui servit cet almandé ; car la mesme disposition lui dura encore après, & eut depuis une forte colicque, le vint & troisieme (decembre) ; de quoi il se mit au lict environ midy, & y fut jusques au soir qu’il randit force sable, & après une grosse pierre, dure, longue & unie, qui arresta cinq ou six heures au passage de la verge. Tout ce temps, depuis ses beings, il avoit un benefice de ventre, par le moyen duquel il pansoit estre défandu de plusieurs pires accidans. Il déroboit lors plusieurs repas, tantost à disner, tantost à souper. Le jour du Noel, nous fumes ouir la messe du Pape à S. Pierre, où il eut place commode pour voir toutes les cerimonies à son ayse. Il y a plusieurs formes particulieres : l’évangile & l’espitre s’y disent premieremant en latin & secondemant en grec, comme il se faict encore le jour de Pasques & le jour de S. Pierre. Le pape donna à communier à plusieurs autres ; & officioint avec lui à ce service les cardinaus Farnese, Medicis, Caraffa & Gonzaga. Il y a un certin instrumant à boire le calisse, pour prouvoir la sureté du poison. Il lui sambla nouveau, & en cete messe & autres, que le pape & cardinaus & autres prelats y sont assis, &, quasi tout le long de la messe, couverts, devisans, & parlans ensamble. Ces ceremonies samblent estre plus magnifiques que devotieuses. Au demourant il lui sambloit qu’il n’y avoit nulle particularité en la beauté des fames, digne de cete préexcellance que la réputation donne à cete ville sur toutes les autres du monde ; & au demurant que, come à Paris, la beauté plus singuliere se trouvoit entre les meins de celles qui la mettent en vante. Le 29 de decembre M. d’Abein, qui estoit lors ambassadur, jantil home studieus & fort amy de longue mein de M. de Montaigne, fut d’advis qu’il baisât les pieds au pape. M. d’Estissac & lui se mirent dans le coche dudict ambassadur. Quand il fut en son audiense, il les fit appeller par le camerier du pape. Ils trouvarent le pape, & avecque lui l’ambassadur tout sul, qui est la façon ; il a près de lui une clochette qu’il sonne, quand il veut que quelcun veingnes à lui. L’ambassadur assis à sa mein gauche descouvert ; car le pape ne tire jamais le bonnet à qui que ce soit, ny nul ambassadur n’est près de lui la teste couverte. M. d’Estissac entra le premier, & après lui M. de Montaigne, & puis M. de Mattecoulon, & M. du Hautoi. Après un pas ou deus dans la chambre, au couin de laquelle ledict pape est assis, ceus qui antrent, qui qu’ils soyent, mettent un genouil à terre, & atendent que le pape leur donne la benediction, ce qu’il faict ; après cela ils se relevent & s’acheminent jusques environ la mi-chambre. Il est vray que la pluspart ne vont pas à luy de droit fil, tranchant le travers de la chambre, eins gauchissant un peu le long du mur, pour donner, après le tour, tout droit à lui. Etant à ce mi chemin ils se remettent encor un coup sur un genouil, & reçoivent la seconde benediction. Cela faict, ils vont vers luy jusques à un tapis velu, estandu à ses pieds ; sept ou huict pieds plus avant. Au bord de ce tapis ils se mettent à deus genous. Là l’ambassadur qui les presantoit se mit sur un genouil à terre, & retroussa la robe du Pape sur son pied droit, où il y a une pantouffle rouge, à tout une croix blanche audessus. Ceus qui sont à genous se tienent en cete assiete jusques à son pied, & se panchent à terre, pour le baiser. M. de Montaignc disoit, qu’il avoit haussé un peu le bout de son pied. Ils se firent place l’un à l’autre, pour baiser, se tirant à quartier, tousiours en ce pouint. L’ambassadur, cela fait, recouvrit le pied du Pape, & se relevant sur son siege, luy dict ce qu’il luy sambla pour la recommandation de M. d’Estissac & de M. de Montaigne. Le Pape, d’un visage courtois, admonesta M. d’Estissac à l’estude & à la vertu, & M. de Montaigne de continuer à la devotion qu’il avoit tousiours porté à l’eglise & service du Roi très-chrestien, & qu’il les serviroit volantiers où il pourroit : ce sont services de frases Italiennes. Eus, ne lui dirent mot ; eins aiant là reçeu une autre benediction, avant se relever, qui est signe du congé, reprindrent le mesme chemin. Cela se faict selon l’opinion d’un chacun : toutefois le plus commun est de se sier en arriere à reculons, ou au moins de se retirer de costé de maniere qu’on reguarde tous iours le Pape au visage. Au michemin, come en allant, ils se remirent sur un genou, & eurent un autre benediction, & à la porte encore sur un genou, la derniere benediction. Le langage du Pape est Italien, santant son ramage Boulognois, qui est le pire idiome d’Italie, & puis de sa nature il a la parole mal aysée. Au demourant, c’est un très-beau vieillard, d’une moyenne taille & droite, le visage plein de majesté, une longue barbe blanche, eagé lors de plus de quatre-vins ans, le plus sein pour cet eage, & vigoureus qu’il est possible de desirer, sans goute, sans colicque, sans mal d’estomach, & sans aucune subjection : d’une nature douce, peu se passionant des affaires du monde, grand bâtissur, & en cela il lairra à Rome & ailleurs un singulier honneur à sa mémoire ; grand aumosnier, je dis hors de toute mesure. Entre autres tesmoingnages de cela, [il n’est nulle fille a marier à laquelle il n’eide pour la loger, si elle est de bas-lieu, & contel’on en cela cela sa libéralité pour arjant contant49]. Outre cela, il a basti des collieges pour les Grecs, pour les Anglois, Escossois, François, pour les Allemands, & pour les Polacs, qu’il a dotés de plus de dix mille escus chacun de rante à perpétuité ; outre la despanse infinie des bastimans. Il l’a faict pour appeller à l’église les enfans de ces nations-là corrompues de mauvaises opinions contre l’église ; & là les enfans sont logés, nourris, habillés, instruicts, & accommodés de toute choses, sans qu’il y aille un quatrin du leur, à quoy que ce soit. Les charges publiques penibles, il les rejette volantiers sur les espaules d’autrui, fuïant à se donner peine. Il prête tant d’audiences qu’on veut. Ses responses sont courtes & resolues, & perd on temps de lui combattre sa response par nouveaus argumans. En ce qu’il juge juste, il se croit ; & pour son fils mesme, qu’il eime furieusemant, il ne s’esbranle pas contre cete siene justice. Il avanse ses parens, [mais sans aucun interest des droits de l’église, qu’il conserve inviolablemant. Il est très-magnifique en bastimans publicques & réformation des rues de cete ville ;] & à la vérité, a une vie & des mœurs ausquels il n’y a rien de fort extraordinere ny en l’une ny en l’autre part, [toutefois inclinant beaucoup plus sur le bon.]. Le dernier de Decembre eus deus disnarent chez M. le Cardinal de Sans, qui observe plus des cerimonies Romeines que nul autre François. Les Benedicite & les Grâces fort longues y furent dites par deus Chapelins, s’antrerespondans l’un l’autre à la façon de l’office de l’église. Pandant son disné, on lisoit en Italien une perifrase de l’Evangile du jour. Ils lavarent avec lui & avant & après le repas. On sert a chacun une serviette pour s’essuïer ; & devant ceus à qui on veut faire un honneur particulier, qui tient le siege à costé ou vis-à-vis du maistre, on sert des grans quarrés d’argent qui portent leur saliere, de mesme façon que ceus qu’on sert en France aus grans. Audessus de cela, il y a une serviette pliée en quatre ; sur cete serviette le pein, le cousteau, la forchette, & le culier. Audessus de tout cela une autre serviette, de laquelle il se faut servir, & laisser le demeurant en l’estat qu’il est : car après que vous estes à table, on vous sert, à costé de ce quarré, une assiette d’arjant ou de terre, de laquelle vous vous servez. De tout ce qui se sert à table, le Tranchant en donne sur des assietes à ceus qui sont assis en ce rang-là, qui ne metent point la mein au plat, & ne met on guiere la mein au plat du mestre. On servit aussi à M. de Montaigne, comme on faisoit ordineremant chés M. l’Ambassadur, quand il y mangeoit, à boire en cette façon : c’est qu’on lui presantoit un bassin d’arjant, sur lequel il y avoit un verre avec du vin & une petite bouteille de la mesure de celle où on met de l’ancre, pleine d’eau. Il prend le verre de la mein droite, & de la gauche cete bouteille, & verse autant qu’il lui plaît d’eau dans son verre, & puis remet cete bouteille dans le bassin. Quand il boit, celui qui sert, lui presante ledit bassin au-dessous du menton, & lui remet après son verre dans ledict bassin. Cete cerimonie ne se faict qu’à un ou deux pour le plus au dessous du maistre. La table fut levée soudein après les grâces, & les chaises arrangées tout de suite le long d’un costé de la salle, où M. le Cardinal les fit soir aprés lui. Il y survint deus homes d’Eglise, bien vetus, à tout je ne scay quels instrumans dans la mein, qui se mirent à genouil devant lui, & lui firent entendre je ne scay quel service qui se faisoit en quelque Eglise, il ne leur dît du tout rien : mais come ils se relevarent après avoir parlé & s’en alloint, il tira un peu le bonnet. Un peu après il les mena dans son coche à la salle du Consistoire, où les Cardinaus s’assemblarent pour aller à Vespres. Le Pape y survint, & s’y revetit pour aller (aussi) à Vespres. Les Cardinaus ne se mirent point à genou à sa benediction, come faict le peuple, mais la receurent avec une grand inclination de la teste.

Le troisieme de Janvier 1581, le Pape passa devant nostre fenestre : marchoint devant lui environ deus çans chevaus de personnes de sa court de l’une & de l’autre robbe. Auprès de lui estoit le Cardinal de Medicis qui l’entretenoit couvert, & le menoit disner chez lui. Le Pape avoit un chapeau rouge, son accoustrement blanc, & capuchon de velours rouge, come de coustume, monté sur une hacquenée blanche, harnachée de velours rouge, franges & passemants d’or. Il monte à 49 Ce qui est enfermé entre deux crochets, est ajouté en marge de la main de Montaigne. cheval sans secours d’escuyer, & si court son 81e an. De quinse en quinse pas, il donnoit sa benediction. Après lui marchoint trois Cardinaus, & puis environ çant homes d’armes, la lance sur la cuisse, armés de toutes pieces, sauf la teste. Il y avoit aussi une autre hacquenée de mesme parure, un mulet, un beau coursier blanc, une lettiere qui le suivoint, & deus porte manteaus qui avoint à l’arson de la selle, des valises. Ce mesme jour, M. de Montaigne print de la terebentine, sans autre occasion, sinon qu’il estoit morfondu, & fit force sable après. L’onsieme de janvier, au matin, come M. de Montaigne sortoit du logis à cheval pour aller in Banchi, il rancontra qu’on sortoit de prison Catena, un fameus voleur, & capitaine des banis, qui avoit tenu en creinte toute l’Italie, & duquel il se contoit des murtres enormes, & notammant de deus Capucins ausquels il avoit fait renier Dieu, prometant sur cete condition leur sauver la vie, & les avoit massacrés après cela, sans aucune occasion, ny de commodité, ny de vanjance. Il s’arresta pour voir ce spectacle. Outre la forme de France, ils font marcher devant le criminel un grand crucifix couvert d’un rideau noir, & à pied un grand nombre d’homes vetus & masqués de toile qu’on dict estre des jantils homes & autres apparans de Rome, qui se vouent à ce service de accompaigner les criminels qu’on mene au supplice & les cors des trespassés, & en font une confrerie. Il y en a deus de ceus là, ou moines, ainsi vetus & couvers, qui assistent le criminel sur la charette & le preschent, & l’un d’eus lui presante continuellemant sur le visage & lui faict baiser sans cesse un tableau où est l’Image de Nostre Seigneur. Cela faict que on ne puisse pas voir le visage du criminel par la rue. À la potence, qui est une poutre entre deus appuis, on lui tenoit tous-iours cete image contre le visage, jusques à ce qu’il fut élancé. Il fit une mort commune, sans mouvemant & sans parole ; estoit home noir, de trante ans ou environ. Après qu’il fut estranglé, on le detrancha en quattre cartiers. Ils ne font guiere mourir les homes que d’une mort simple, & exercent leur rudesse après la mort. M. de Montaigne y remerqua ce qu’il a dict ailleurs, combien le peuple s’effraïe des rigurs qui s’exercent sur les cors mors ; car le peuple, qui n’avoit pas santi de le voir estrangler, à chaque coup qu’on donnoit pour le hâcher, s’écrioit d’une voix piteuse. Soudein qu’ils sont morts, un ou plusieurs Jésuistes ou autres, se mettent sur quelque lieu hault, & crient au peuple, qui deça, qui delà, & le preschent pour lui faire gouster cet exemple. Nous remerquions en Italie, & notammant à Rome, qu’il n’y a quas pouint de cloches pour le service de l’église, & moins à Rome qu’au moindre village de France ; aussi qu’il n’y a pouint d’images, si elles ne sont faites de peu de jours. Plusieurs antiennes églises n’en ont pas une.

Le quatorsieme jour de janvier, il (Montaigne) reprint encor de la terebentine, sans aucun effect apparent. Ce mesme jour je vis deffaire deus freres, antiens serviteurs du secrétaire du Castellan, qui l’avoint tué quelques jours auparavant de nuict en la ville, dedans le palais mesme dudict seigneur Jacomo Buoncompagno, fils du pape. On les tenailla, puis coupa le pouing devant ledict palais, & l’ayant coupé, on leur fit mettre sur la playe des chappons qu’on tua & entr’ouvrit soudenemant. Ils furent deffaicts sur un échaffaut & assommés à tout une grosse massue de bois & puis soudein esgorgés. C’est un supplice qu’on dict parfois usité à Rome. D’autres tenoint qu’on l’avoit accommodé au meffaict, d’autant qu’ils avoint einsi tué leur maistre.

Quant à la grandur de Rome, M. de Montaigne disoit « que l’espace qu’environnent les murs, qui est plus des deus tiers vuide, comprenant la vieille & la neufve Rome, pourroit égaler la cloture qu’on fairoit autour de Paris, y enfermant tous les faubourgs de bout à bout. Mais si on conte la grandur par nombre & presse de maisons & habitations, il panse que Rome n’arrive pas à un tiers près de la grandur de Paris. En nombre & grandur de places publicques, & beauté des rues, & beauté de maisons, Rome l’amporte de beaucoup».

Il trouvoit aussi la froidur de l’hyver fort approchante de celle de Guascogne. Il y eut des gelées fortes autour de Noel, & des vans frois insupportablemant. Il est vray que lors mesme il y tonne, gresle, & esclaire fort souvent. Les palais ont force suite de mambres les uns après les autres. Vous enfilés trois & quatre salles, avant que vous soyés à la maistresse. En certeins lieus où M. de Montaigne disna en cerimonie, les buffets ne sont pas où on disne, mais en un’autre premiere salle, & va-t-on vous y querir à boire, quand vous en demandés ; & là est en parade la vesselle d’arjant. Judy vint-sixieme de janvier, M. de Montaigne étant allé voir le mont Janiculum, delà le Tibre, & considerer les singularités de ce lieu là, entre autres, une grande ruine du vieus mur avenue deus jours auparavant, & contempler le sit de toutes les parties de Rome, qui ne se voit de nul autre lieu si cleremant ; & delà estant descendu au Vatican, pour y voir les statues enfermées aus niches de Belveder, & la belle galerie que le pape dresse des peintures de toutes les parties de l’Italie, qui est bien près de sa fin ; il perdit sa bourse & ce qui estoit dedans, & estima que ce fût que, en donnant l’aumone à deus ou trois fois, le tems estant fort pluvieus & mal plesant, au lieu de remettre sa bourse en sa pochette, il l’eût fourrée dans les découpures de sa chausse. Touts ces jours là, il ne s’amusa qu’à étudier Rome. Au commancemant il avoit pris un guide françois ; mais celui-ci, par quelque humeur fantastique, s’estant rebuté, il se pica, par son propre estude, de venir à bout de cete sience, aidé de diverses cartes & livres qu’il se faisoit lire le soir, & le jour alloit sur les lieus mettre en pratique son apprentissage : si que en peu de jours il eût ayséemant reguidé son guide. « Il disoit, qu’on ne voïoit rien de Rome que le Ciel sous lequel elle avoit esté assise, & le plant de son gite ; que cete science qu’il en avoit estoit une science abstraite & contemplative, de laquelle il n’y avoit rien qui tumbat sous les sens ; que ceus qui disoint qu’on y voyoit au moins les ruines de Rome, en disoint trop ; car les ruines d’une si espouvantable machine rapporteroint plus d’honneur & de reverence à sa mémoire ; ce n’estoit rien que son sepulcre. Le monde ennemi de sa longue domination, avoit premieremant brisé & fracassé toutes les piecces de ce corps admirable, & parce qu’encore tout mort, ranversé, & desfiguré, il lui faisoit horreur, il en avoit enseveli la ruine mesme. Que ces petites montres de sa ruine qui paressent encores au dessus de la biere, c’étoit la fortune qui les avoit conservées pour le tesmoignage de cete grandur inifinie que tant de siécles, tant de fus, la conjuration du monde reiterées à tant de fois à sa ruine, n’avoint peu universelemant esteindre. Mais qu’il estoit vraisamblable que ces mambres desvisagés qui en restoint, c’estoint les moins dignes, & que la furie des ennemis de cete gloire immortelle, les avoit portés, premieremant, à ruiner ce qu’il y avoit de plus beau & de plus digne ; que les bastimans de cete Rome bastarde qu’on aloit asteure atachant à ces masures antiques, quoi qu’ils eussent de quoi ravir en admiration nos sicles presans, lui faisoint resouvenir propremant des nids que les moineaus & les corneilles vont suspandant en France aus voutes & parois des eglises que les Huguenots viennent d’y demolir. Encore creignoit-il, à voir l’espace qu’occupe ce tumbeau, qu’on ne le reconnût pas tout, & que la sépulture ne fût ellemesme pour la pluspart ensevelie. Que cela, de voir une si chetifve descharge, come de morceaus de tuiles & pots cassés, estre antiennemant arrivée à un monceau de grandur si excessive, qu’il egale en hauteur & largeur plusieures naturelles montaignes [car il le comparoit en hauteur à la mote de Gurson, & l’estimoit double en largeur], c’étoit une expresse ordonnance des destinées, pour faire santir au monde leur conspiration à la gloire & préeminance de cete ville, par un si nouveau & extraordinere tesmoingnage de sa grandur. Il disoit ne pouvoir aiséemant faire convenir, veu le peu d’espace & de lieu que tiennent aucuns de ces sept mons, & notammant les plus fameus, comme le Capitolin & le Palatin, qu’il y ranjat un si grand nombre d’édifices. À voir sulemant ce qui reste du tample de la paix, le long du Forum Romanum, duquel on voit encore, la chute toute vifve, come d’une grande montaigne, dissipée en plusieures horribles rochiers : il ne samble que deus tels batimens peussent tenir en toute l’espace du mont du Capitole, où il y avoit bien 25 ou 30 tamples, outre plusieurs maisons privées. Mais, à la vérité, plusieurs conjectures qu’on prent de la peinture de cete ville antienne, n’ont guiere de verisimilitude, son plant mesme estant infinimant changé de forme ; aucuns de ces vallons estans comblés, voire dans les lieus les plus bas qui y fussent : come, pour exemple, au lieu du Velabrum, qui pour sa bassesse recevoit l’esgout de la ville, & avoit un lac, s’est tant eslevé des mons de la hauteur des autres mons naturels qui sont autour delà, ce qui se faisoit par le tas & monceaus des ruines de ces grans bastimans ; & le Monte Savello n’est autre chose que la ruine d’une partie du teatre de Marcellus. Il croioit qu’un antien romain ne sauroit reconnoistre l’assiette de sa ville, quand il la verroit. Il est souvent avenu qu’après avoir fouillé bien avant en terre, on ne venoit qu’à rencontrer la teste d’une fort haute coulonne qui estoit encor en pieds au dessous. On n’y cherche point d’autres fondemens aus maisons, que des vieilles masures ou voutes, come il s’en voit au dessous de toutes les caves, ny encore l’appuy du fondemant antien ny d’un mur qui soit en son assiete. Mais sur les brisures mesmes des vieus bastimans, come la fortune les a logés, en se dissipant, ils ont planté le pied de leurs palais nouveaus, come sur des gros loppins de rochiers, fermes & assurés. Il est aysé à voir que plusieurs rues sont à plus de trante pieds profond au dessous de celles d’a-cete-heure. »

Le 28e de Janvier, il (Montaigne) eut la colicque qui ne l’empescha de nulle de ses actions ordineres, & fit une pierre assés grossette & d’autres moindres. Le trantiesme, il fut voir la plus antienne cerimonie de religion qui soit parmy les homes, & la considera fort attentivemant & avec grande commodité : c’est la Circoncision des Juifs. Il avoit des-ia veu une autrefois leur Synagogue, un jour de samedy le matin, (&) leurs prieres, où ils chantent désordonnéemant, comme en l’église Calvinienne, certenes leçons de la bible en hebreu accommodées au tems. Ils ont les cadences du son pareilles, mais un désaccord extreme, pour la confusion de tant de vois de toute sorte d’eage : car les enfans, jusques au plus petit eage, sont de la partie, & tous indifferammant entendent l’hebreu. Ils n’apportent non plus d’attention en leurs prieres que nous faisons aus nostres, devisant parmy cela d’autres affaires, & n’apportant pas beaucoup de reverence à leurs mysteres. Ils lavent les mains à l’entrée, & en ce lieu là ce leur est execration di tirer le bonnet ; mais baissent la teste & le genous où leur dévotion l’ordonne. Ils portent sur les espaules ou sur la teste certains linges, où il y a des franges attachées : le tout seroit trop long à déduire. L’après-disnée tour à tour leurs docteurs font leçon sur le passage de la bible de ce jour là, le faisant en Italien. Après la leçon, quelque autre docteur assistant, choisit quelcun des auditeurs, & parfois deus ou trois de suite, pour argumenter contre celui qui vient de lire, sur ce qu’il a dict. Celui que nous ouïmes, lui sembla avoir beaucoup d’éloquence & beaucoup d’esprit en son argumentation. Mais, quant à la circoncision, elle se faict aus maisons privées, en la chambre du logis de l’enfant, la plus commode & la plus clere. Là où il fut, parce que le logis estoit incommode, la cerimonie se fit à l’entrée de la porte. Ils donnent aus enfans un parein & une mareine, comme nous : le pere nomme l’enfant. Ils les circoncisent le huitiesme jour de sa naissance. Le parein s’assit sur une table, & met un orillier sur son giron : la mareine lui porte là l’enfant, & puis s’en va. L’enfant est enveloppé à nostre mode ; le parein le développe par le bas, & lors les assistans, & celui qui doit faire l’opération, commancent trestous à chanter, & accompaignent de chansons toute cete action qui dure un petit quart d’heure. Le ministre peut estre autre que rabbi, & quiconque ce soit d’entre eus, chacun desire estre appellé à cet office, parce qu’ils tiennent que c’est une grande benediction d’y estre souvent employé : voire ils achettent d’y estre conviés, offrans, qui un vestemant, qui quelque autre commodité à l’enfant, & tiennent que celui qui en a circoncy jusques à certain nombre qu’ils sçavent, estant mort, a ce priviliege que les parties de la bouche ne sont jamais mangées des vers. Sur la table où est assis ce parein, il y a quant & quant un grand appret de tous utils qu’il faut à cet’operation. Outre cela, un home tient en ses meins une fiolle pleine de vin & un verre. Il y a aussi un brazier à terre, auquel brazier ce ministre chauffe, premieremant ses meins, & puis trouvant cet enfant tout destroussé, comme le parein le tient sur son giron la teste devers soy, il lui prant son mambre, & retire à soy la peau qui est au-dessus, d’une mein, poussant de l’autre la gland, & le mambre audedans. Au bout de cete peau qu’il tient vers ladite gland, il met un instrumant d’arjant qui arreste là cete peau, & empesche que la tranchant, il ne vienne à offenser la gland & la chair. Après cela, d’un couteau il tranche cete peau, laqelle on enterre soudein dans la terre qui est là dans un bassin parmy les autres apprèts de ce mystere. Après cela le ministre vient à belles ongles, à froisser encor quelque autre petite pellicule qui est sur cete gland & la deschire à force, & la pousse en arriere au-delà de la gland. Il samble qu’il y ait beaucoup d’effort en cela & de dolur ; toute fois ils n’y trouvent nul dangier, & en est tousiours la plaie guerie en quatre ou cinq jours. Le cry de l’enfant est pareil aus nostres qu’on baptise. Soudein que cete gland est ainsi descouverte, on offre hastivemant du vin au ministre qui en met un peu à la bouche, & s’en va ainsy sucer la gland de cet enfant, toute sanglante, & rand le sang qu’il en a retiré, & incontinant reprent autant de vin jusques à trois fois. Cela faict, on lui offre, dans un petit cornet de papier, d’une poudre rouge qu’ils disent estre du sang de dragon, de quoy il sale & couvre toute cete playe, & puis enveloppe bien propremant le mambre de cet’enfant à tout des linges taillés tout exprès. Cela faict, on lui donne un verre plein de vin, lequel vin, par quelques oreisons qu’il faict, ils disent qu’il benit. Il en prant une gorgée, & puis y trampant le doigt, en porte par trois fois à tout le doigt quelque goutte à sucer en la bouche de l’enfant ; & ce verre après, en ce mesme estat, on l’envoye à la mere & aux fames qui sont en quelque autre endroit du logis, pour boire ce qui reste de vin. Outre cela, un tiers prant un instrumant d’argent, rond come un esteuf, qui se tient à une longue queue, lequel instrumant est percé de petits trous come nos cassolettes, & le porte au nés premieremant du ministre, & puis de l’enfant, & puis du parein: ils présuposent que ce sont des odeurs pour fortifier & éclaircir les esprits à la dévotion. Il a toujours cependant la bouche toute sanglante. Le 8, & depuis encore le 12, il eut, (Montaigne), un ombrage de colicque & fict des pierres sans grand doleur. Le quaresme prenant qui se fit à Rome cet’année là, fut plus licentieus, par la permission du pape, qu’il n’avoit esté plusieurs années auparavant : nous trouvions pourtant que ce n’estoit pas grand’chose. Le long du cours, qui est une longue rue de Rome, qui a son nom pour cela, on faict courir à l’envi, tantost quattre ou cinq enfans tantost des Juifs, tantost des vieillards tout nuds, d’un bout de rue à autre. Vous n’y avés nul plesir que de les voir passer davant l’endret où vous estes. Autant en font ils des chevaus, surquoi il y a des petits enfans qui les chassent à coups de fouet, & des ânes & des buffles poussés à tout des éguillons par des jans de cheval. À toutes les courses, il y a un pris proposé, qu’ils appellent, el palo : ce sont des pieces de velours ou de drap. Les jantils homes, en certein endret de la rue où les dames ont plus de veue, courent sur des beaus chevaus la quintaine, & y ont bonne grâce : car il n’est rien que cete noblesse sache si communéemant bien faire que les exercices de cheval. L’eschaffaut que M. de Montaigne fît faire leur cousta trois escus. Il estoit aussi assis en un très-beau endret de la rue. Ces jours-là toutes les belles jantifames de Rome s’y virent à loisir: car en Italie elles ne se masquent pas come en France, & se monstrent tout à descouvert. Quant à la beauté parfaite & rare, il n’en est, disoit il, non plus qu’en France, & sauf en trois ou quattre : il n’y trouvoit nulle excellence : mais communéemant elles sont plus agréables, & ne s’en voit point tant de ledes qu’en France. La teste, elles l’ont sans compareson plus avantageusement accommodée, & le bas audessous de la ceinture. Le cors est mieux en France : car ici elles ont l’endret de la ceinture trop lâche, & le portent comme nos fames enceintes ; leur contenance a plus de majesté, de mollesse, & de douceur. Il n’y a nulle compareson de la richesse de leurs vêtemans aus nostres : tout est plein de perles & de pierreries. Partout où elles se laissent voir en public, soit en coche, en feste, ou en théatre, elles sont à part des homes : toutefois elles ont des danses entrelassées assés libremant, où il y a occasion de deviser & de toucher à la mein. Les hommes sont fort simplemant vetus, à quelque occasion que ce soit, de noir & de sarge de Florence ; & parce qu’ils sont un peu plus bruns que nous, je ne say comment ils n’ont pas la façon de Ducs, de Contes & de Marquis, comme ils sont, ayant l’apparence un peu vile : courtois au demurant, & gracieus tout ce qu’il est possible, quoique die le vulgaire des François, qui ne peuvent appeller gracieus ceux qui supportent mal-ayséemant leurs débordemans & insolence ordinere. Nous faisons, en toutes façons, ce que nous pouvons pour nous y faire décrier. Toute fois ils ont une antienne affection ou reverance à la France, qui y faict estre fort respectés & biens venus ceux qui meritent tant soit peu de l’estre, & qui sulemant se contiennent sans les offenser. Le jour du Jeudy-Gras, il (Montaigne) entra au festin du Castellan. Il y avoit un fort grand apprêt, & notammant un amphiteatre très artificiellemant & richemant disposé pour le combat de la barriere, qui fut faict de nuict avant le soupper, dans une grange quarrée, avec un retranchemant par le milieu, en forme ovale. Entre autres singularités, le pavé y fut peint en un instant de divers ouvrages en rouge, aiant premieremant enduit le planchier de quelque plâtre ou chaus, & puis couchant sur ce blanc une piece de parchemin ou de cuir, façonnée à piece levée des ouvrages qu’on y vouloit ; & puis à-tout une epoussette teinte de rouge, on passoit par dessus cette piece & imprimoit-on au travers des ouvertures ce qu’on vouloit sur le pavé, & si soudeinemant, qu’en deus heures la Nef d’une église en seroit peinte. Au souper, les Dames sont servies de leurs maris qui sont autour d’elles & leur donnent à boire & ce qu’elles demandent. On y servit force volaille rôtie, revêtue de sa plume naturelle comme vifve ; des chappons cuits tout entiers dans des bouteilles de verres; forces lievres, connils, & oiseaus vifs (emplumés) en paste; des plientes de linge admirables. La table des Dames, qui estoit de quattre plats, se levoit en pieces, & au dessous de celle là il s’en trouva un’autre toute servie & couverte de confitures. Ils ne font nulles masquarades pour se visiter. Ils en font, à peu de frais, pour se promener par la ville en publicq, ou bien pour dresser des parties à courre la bague. Il y en eut deus belles & riches compagnies de cette façon le jour du Lundy-Gras, à courre la quintaine : surtout ils nous surpassent en abondance de très-beaus chevaus.

(Ici finit la narration, ou plutôt l’écritúre sous dictée du Secrétaire de Montaigne. C’est donc ce dernier, qui, prenant la plume, continue de sa main jusqu’à la fin du Voyage.)

Aïant doné congé à celui de mes jans qui conduisoit cete bele besouigne, & la voïant si avancée, quelque incommodité que ce me soit, il faut que je la continue moi-mesmes.

Le 16 Fevrier, revenant de la station, je rancontray, en une petite Chapele, un Prêtre revêtu, ambesouigné à guerir un spiritato : c’étoit un home melancholique & come transi. On le tenoit à genous davant l’Autel, aïant au col je ne sçai quel drap par où on le tenoit ataché. Le Pretre lisoit en sa présance force oresons & exorcismes, comandant au Diable de laisser ce cors, & les lisoit dans son breviaire. Après cela il détournoit son propos au patiant, tantost parlant à lui, tantost parlant au Diable en sa personne, & lors l’injuriant, le battant à grans coups de pouin, lui crachant au visage. Le patiant repondoit à ses demandes quelques reponses ineptes : tantost pour soi, disant come où il santoit les mouvemans de son mal ; tantost pour le Diable, combien il creignoit Dieu, & combien ces exorcismes agissoint contre lui. Après cela qui dura longtams, le Pretre, pour son dernier effort, se retira à l’Autel & print la Custode de la mein gauche, où étoit le Corpus Domini ; en l’autre mein tenant une bougie alumée, la teste ranversée contre bas, si qu’il la faisoit fondre & consomer, prononçant cependant des oresons, & au bout des paroles de menasse & de rigur contre le Diable, d’une vois la plus haute & magistrale qu’il pouvoit. Come la premiere chandele vint à défaillir près de ses deits, il en print un’autre, & puis une seconde, & puis la tierce. Cela faict, il remit sa Custode ; c’est-à-dire, le vaisseau transparant où etoit le Corpus Domini, & vint retrouver le patiant, parlant lors à lui come à un home, le fit détacher & le randit aus siens pour le ramener au logis. Il nous dict que ce Diable là etoit de la pire forme, opiniatre, & qui couteroit bien à chasser & à dix ou douze Jantil’homes qui etions là, fit plusieurs contes de cete sciance, & des experiances ordineres qu’il en avoit, & notammant que le jour avant il avoit deschargé une fame d’un gros Diable, qui, en sortant, poussa hors cete fame par la bouche, des clous, des epingles & une touffe de son poil. Et parce qu’on lui respondit, qu’elle n’étoit pas encores du tout rassise, il dit que c’étoit une autre sorte d’esperit plus legier & moins malfaisant, qui s’y etoit remis ce matin-là, mais que ce janre (car il en scait les noms, les divisions, & plus particulieres distinctions), etoit aisé à esconjurer. Je n’en vis que cela. Mon home ne faisoit autre mine que de grinser les dents & tordre la bouche, quand on lui presantoit le Corpus Domini, & remachoit par fois ce mot, Si fata volent ; car il étoit Notere & scavoit un peu de latin.

Le premier jour de Mars, je fus à la station à S. Sixte. À l’Autel principal, le Prestre qui disoit la Messe, étoit audelà de l’Autel, le visage tourné vers le peuple : derriere lui il n’y avait personne. Le Pape y vint ce mesme jour : car il avoit quelques jours auparavant faict remuer de cete Eglise les Noneins qui y etoint, pour être ce lieu là un peu trop escarté, & y avoit faict accommoder tous les povres qui mandioint par la ville, d’un très bel ordre. Les Cardinaus donarent chacun vint escus pour acheminer ce trein, & fut faict des ausmosnes extremes par autres particuliers. Le Pape dota cet Hospital de 500 écus par mois. Il y a à Rome force particulieres devotions & confreries, où il se voit plusieurs grans tesmoingnages de pieté. Le commun me samble moins devotieus qu’aus bones villes de France, plus serimonieus bien : car en cete part là ils sont extremes. J’écris ici en liberté de consciance, en voici deus examples. Un quidam etant avecques une courtisane, & couché sur un lit & parmi la liberté de cete pratique là, voila sur les 24 heures, l’Ave Maria soner : elle se jeta tout soudein du lit à terre, & se mi à genous pour y faire sa priere. Etant avecques un’autre, voila la bone mere [car notammant les jeunes ont des vieilles gouvernantes, de quoi elles font des meres ou des tantes] qui vient hurter à la porte, & avecques cholere & furie arrache du col de cette jeune (fille) un lasset qu’elle avoit, où il pandoit une petite Notre-Dame, pour ne la contaminer de l’ordure de son peché : la jeune santit un’extreme contrition d’avoir oblié à se l’oster du col, come ell’avoit acostumé.

L’Ambassadur du Moscovite vint aussi ce jour-là à cete station, vetu d’un manteau d’escarlate, & une soutane de drap d’or, le chapeau en forme de bonnet de nuit de drap d’or fourré, & au-dessous une calote de toile d’arjant. C’est le deusieme Ambassadur de Moscovie qui soit venu vers le Pape. L’autre fut du tamps du Pape Pol 3e. On tenoit là que sa charge portoit d’emouvoir le Pape à s’interposer à la guerre que le Roy de Polouigne faisoit à son maistre, allegant que c’etoit à lui à soutenir le premier effort du Turc ; & si son voisin l’affoiblissoit, qu’il demeureroit incapable à l’autre guerre, qui seroit une grand fenestre ouverte au Turc, pour venir à nous ; offrant encore se reduire en quelques différences de relligion qu’il avoit avecq l’Eglise Romaine. Il fut logé ches le Castellan, come avoit été l’autre du tamps du Pape Pol, & nourri aus despans du Pape. Il fit grand instance de ne baiser pas les pieds du Pape, mais sulemant la main droite, & ne se vousit randre qu’il ne lui fût tesmoingné que l’Ampereur mesme etoit sujet à cete serimonie : car l’example des Rois ne lui suffisoit pas. Il ne savoit parler nulle langue que la siene, & étoit venu sans truchemant. Il n’avoit que trois ou quatre homes de trein, & disoit estre passé avecq grand dangier travesti, au travers de la Polouigne. Sa nation est si ignorante des affaires de deça, qu’il apporta à Venise des lettres de son maistre adressantes au grand Gouvernur de la Seigneurie de Venise. Interrogé du sans de cete inscription, (il répondit), qu’ils pansoint que Venise fût de la dition du Pape, & qu’il y envoïat des Gouvernurs, com’à Boulouigne & ailleurs. Dieu sache de quel gout ces magnifiques reçeurent cet’ignorancé. Il fit des presans & là & au Pape, de subelines & renars noirs, qui est une fourrure encores plus rare & riche.

Le 6 de Mars, je fus voir la Librerie du Vatican, qui est en cinq ou six salles tout de suite. Il y a un grand nombre de livres atachés sur plusieurs rangs de pupitres ; il y en a aussi dans des coffres, qui me furent tous ouverts ; force livres écris à mein & notammant un Seneque & les Opuscules de Plutarche. J’y vis de remercable la statue du bon Aristide à tout une bele teste chauve, la barbe espesse, grand front, le regard plein de douceur & de magesté : son nom est escrit en sa base très antique ; un livre de China, le charactere sauvage, les feuiles de certene matiere beaucoup plus tendre & pellucide que notre papier ; & parce que elle ne peut souffrir la teinture de l’ancre, il n’est escrit que d’un coté de la feuille, & les feuilles sont toutes doubles & pliées par le bout de dehors où elles le tienent. Ils tiennent que c’est la membrane de quelque abre. J’y vis aussi un lopin de l’antien papirus, où il y avoit des caracteres inconnus : c’est un écorce d’abre. J’y vis le Breviaire de S. Gregoire écrit à mein : il ne porte nul tesmoingnage de l’année, mais ils tienent que de mein à mein il est venu de lui. C’est Missal à peu-près come le nostre, & fut aporté au dernier Concile de Trante pour servir de tesmoingnage à nos serimonies. J’y vis un livre, de S. Thomas d’Aquin, où il y a des corrections de la mein du propre autheur, qui escrivoit mal, une petite lettre pire que la mienne. Item une Bible imprimée en parchemin, de celes que Plantein vient de faire en quatre langues, laquelle le roy Philippes a envoïée à ce Pape, come il dict en l’inscription de la relieure ; l’original du livre que le Roy Henry d’Angleterre composa contre Luter, lequel il envoïa il y a environ cinquante ans, au Pape Leon dixiesme, soubscrit de sa propre mein, avec ce beau distiche latin, aussi de sa mein

Anglorum Rex Henricus, Leo décime, mittit
Hoc opus, & fidei testem & amicitiae.

Je leus les Prefaces, l’une au Pape, l’autre au Lectur : il s’excuse sur ses occupations guerrieres & faute de suffisance ; c’est un langage latin bon pour scholastique. Je la vis (la Bibliothéque) sans nulle difficulté ; chacun la voit einsin, & en extrait ce qu’il veut ; & est ouverte quasi tous les matins, & si fus conduit partout & convié par un Jantilhome, d’en user quand je voudrois. M. notre Ambassadur s’en partoit en mesme tamps, sans l’avoir veue, & se pleignoit de ce qu’on lui vouloit faire faire la cour au Cardinal Charlet, maistre de cete Librerie pour cela ; & n’avoit, disoit-il, jamès peu avoir le moïen de voir ce Seneque ecrit à la mein ce qu’il desiroit infinimant. La fortune m’y porta, come je tenois sur ce tesmoingnage la chose pour desesperée. Toutes choses sont einsin aisées à certeins biais, inaccessibles par autres. «L’occasion & l’opportunité ont leurs privilieges, & offrent souvant au peuple ce qu’elles refusent aus Rois. La curiosité s’ampeche souvant elle mesme, comme faict aussi la grandur & la puissance ». J’y vis aussi un Virgile ecrit à mein, d’une lettre infiniemant grosse & de ce caractere long & etroit que nous voïons ici aus inscriptions du tamps des Ampereurs, come environ le siecle de Constantin, qui ont quelque façon gothique, & ont perdu cete proportion carrée qui est aus vieilles escritures latines. Ce Virgile me confirma, en ce que j’ai tousiours jugé, que les quatre premiers vers qu’on met en l’Æneide sont ampruntés: ce Livre ne les a pas. Il y a des Actes des Apostres escrits en très belle lettre d’or grecque, aussi vifve & recente que si c’etoit d’aujourd’hui. Cete lettre est massive, & a un cors solide & eslevé sur le papier, de façon que si vous passés la mein pardessus, vous y santés de l’espessur. Je croi que nous avons perdu l’usage de cete escriture.

Le 13 de Mars, un vieil Patriarche d’Antioche, Arabe, très-bien versé en cinq ou six langues de celes de delà, & n’aiant nulle connoissance de la grecque, & autres nôtres, avecq qui j’avois pris beaucoup de familiarité, me fit present d’une certene mixtion pour le secours de ma gravelle, & m’en prescrivit l’usage par escrit. Il me l’enferma dans un petit pot de terre, & me dît que je la pouvois conserver dix & vint ans, & en esperoit tel fruit, que de la premiere prinse je serois tout à fait guéri de mon mal. Afin que si je perdois son escrit, je le retreuve ici : il faut prandre cete drogue, s’en alant coucher, aïant legieremant soupé, de la grossur de deus pois, la mesler à de l’eau tiede ; l’aïant froissée sous les dois, & laissant un jour vuide entre deus, en prandre par cinq fois. Disnant un jour à Rome avecq nostre Ambassadur, où estoit Muret & autres sçavans, je me mis sur le propos de la traduction Françoise de Plutarche, & contre ceus qui l’estimoint beaucoup moins que je ne fais, je meintenois au moins cela: « Que ou le Traductur a failli le vrai sans de Plutarche, il y en a substitué un autre vraisamblable, s’entretenant bien aus choses suivantes & précédentes ». Pour me montrer qu’en cela mesme je lui donnois trop, il fut produit deus passages, l’un duquel ils attribuent l’animadversion au fils de M. Mangot, Avocat de Paris, qui venoit de partir de Rome, en la vie de Solon environ sur le milieu, où il dict que Solon se vantoit d’avoir affranchi l’Attique, & d’avoir osté les bornes qui faisoint les separations des hæritages. Il a failli, car ce mot grec signifie certenes marques qui se metoint sur les terres qui etoint engagées & obligées, affin que les acheturs fussent avertis de cete hypoteque. Ce qu’il a substitué des limites, n’a point de sans accommodable ; car ce seroit faire les terres non libres, mais communes. Le latin d’Estiene s’est aproché plus près du vrai. Le secont, tout sur la fin du treté de la nourriture des enfans, « d’observer, dict il, ces regles, cela se peut plustost souhaiter que conseiller ». Le Grec, disent-ils, sone, cela est plus desirable qu’esperable, & est une forme de proverbe qui se treuve ailleurs. Au lieu de ce sans cler & aisé, celui que le traductur y a substitué est mol & etrange ; parquoi recevant leurs præsuppositions du sans propre de la langue, j’avouai de bone foi leur conclusion.

Les églises sont à Rome moins belles qu’en la pluspart des bones viles d’Italie, & en general en Italie & en Allemaigne, encore communéemant moins belles qu’en France. À S. Pierre, il se voit à l’entrée de la nouvelle église, des enseignes pandues pour trophées : leur escrit porte, que ce sont enseignes gaignées par le Roy sur les Huguenots ; il ne spécifie pas où ou quant. Auprès de la chapelle Gregoriane, où il se voit un nombre infini de veux atachés en la muraille, il y a entr’autres un petit tableau carré, assés chetif & mal peint, de la bataille de Moncontour. En la salle audavant la chapelle S. Sixte ou en la paroi, il y a plusieurs peintures des accidens mémorables qui touchent le S. Siege, comme la bataille de Jan d’Austria, navale. Il y a la represantation de ce Pape, qui foule des pieds la teste de cet Amperur qui venoit pour lui demander pardon, & les lui baiser, non pas les paroles dictes, selon l’histoire, par l’un & par l’autre. Il y a aussi deus andrets où la blessure de M. l’Amiral de Chatillon est peinte & sa mort, bien authantiquemant.

Le 15 de Mars M. de Monluc me vint trouver à la pouinte du jour, pour executer le dessein que nous avions faict le jour avant, d’aler voir Ostia. Nous passames le Tibre, sur le pont Notre-Dame & sortismes par la porte del-Porto, qu’ils nomoint antienemant Portuensis : delà nous suivimes un chemin inégal & mediocremant fertile de vins & de bleds ; & au bout d’environ huit milles, venant à rejouindre le Tibre, descendimes en une grande pleine de preries & pascages, au bout de laquelle etoit assise une grande ville, de quoi il se voit là plusieurs belles & grandes ruines qui abordent au lac de Trajan, & qui est un regorgemant de la mer Tyrrehene, dans lequel se venoint randre les navires ; mais la mer n’y done plus que bien peu, & encore moins à un autre lac qui est un peu audessus du lieu, qu’on nomoit l’Arc de Claudius. Nous pouvions diner là avecq le Cardinal de Peruse qui y estoit, & il n’est à la vérité rien si courtois que ces Seigneurs-là & leurs serviteurs ; & me manda ledict Sr. Cardinal, par l’un de mes jans qui passa soudein par là, qu’il avoit à se pleindre de moi ; & ce mesme valet fut mené boire en la sommellerie dudict Cardinal, qui ne avoit nulle amitié ny connoissance de moi, & n’usoit en cela que d’une hospitalité ordineire à tous etrangiers, qui ont quelque façon ; mais je creignois que le jour nous faillit à faire le tour que je voulois faire, aïant fort alongé mon chemin pour voir ces deus rives du Tibre. Là nous passames à bateau un petit rameau du Tibre, & entrâmes en l’isle Sacrée, grande d’environ une grande lieue de Gascouigne, pleine de pascages. Il y a quelques ruines & colonnes de mabre, com’il y en a plusieurs en ce lieu de Porto, où estoit cete vieille ville de Trajan ; & en fait le Pape désenterrer tous les jours & porter à Rome. Quand nous eusmes traversé cet’isle, nous rancontrames le Tibre à passer, de quoi nous n’avions nulle commodité pour le regard des chevaus, & estions à mesmes de retourner sur nos pas ; mais de fortune voilà arriver à l’autre rive les sieurs du Bellai, Baron de Chasai, de Marivau, & autres : surquoi je passai l’eau, & vins faire troque avec ces jantils-homes qu’ils prinsent nos chevaus & nous les leurs. Einsin ils retournarent à Rome par le chemin que nous etions venus, & nous par le leur qui estoit le droit d’Ostia.

OSTIA, quinse milles, est assise le long de l’antien canal du Tibre ; car il l’a un peu changé, & s’en esloingne tous les jours. Nous dejunasmes sur le pouin à une petite taverne ; audelà nous vismes la Rocca, qui est une petite place assés forte où il ne se fait nulle garde. Les Papes, & notammant celui-ci, ont faict en cete coste de mer dresser des grosses tours ou védettes, environ de mille en mille, pour prouvoir à la descente que les Turcs y faisoint souvant, mesme en tamps de vandange, y prenoint betail & homes. De ces tours à-tout un coup de canon, ils s’entravertissent les uns les autres d’une si grande soudeineté, que l’alarme en est soudein volée à Rome. Autour d’Ostia sont les salins, d’où toutes les terres de l’Eglise sont proveues : c’est une grande plene de marets où la mer se desgorge. Ce chemin d’Ostia à Rome, qui est via Ostiensis, a tout plein de grandes merques de son antienne beauté, force levées, plusieurs ruines d’aqueducs, & quasi tout le chemin semé de grandes ruines, & plus de deus parts dudict chemin encore pavé de ce gros cartier noir, de quoi ils planchoint leurs chemins. À voir cete rive du Tibre, on tient aiséemant pour vraïe cete opinion, que d’une part & d’autre tout étoit garni d’habitations de Rome jusques à Ostie. Entr’autres ruines, nous rancontrâmes environ à mi chemin sur notre mein gauche, une très-bele sepulture d’un Prætur Romein, de quoi l’inscription s’y voit encore entiere. Les ruines de Rome ne se voient pour la pluspart que par le massif & espais bastimant. Ils faisoint de grosses murailles de brique, & puis ils les encroutoint ou de lames de mabre ou d’autre pierre blanche, ou de certein simant ou de gros carreau enduit par dessus. Cete croute, quasi partout, a été ruinée par les ans, sur laquelle etoint les inscriptions : par où nous avons perdu la pluspart de la connoissance de teles choses. L’écrit se voit où le bastimant estoit formé de quelque muraille de taille espoisse & massifve. Les avenues de Rome, quasi par tout, se voient pour la pluspart incultes & steriles, soit par le défaut du terroir, ou, ce que je treuve plus vraisamblable, que cete ville n’a guiere de maneuvres & homes qui vivent du travail de leurs meins. En chemin je trouvai, quand j’y vins, plusieurs troupes d’homes de villages qui venoint des Grisons & de la Savoïe, gaigner quelque chose en la saison du labourage des vignes & de leurs jardins ; & me dirent que tout les ans c’etoit leur rante. C’est une ville toute cour & toute noblesse : chacun prant sa part de l’oisifveté ecclesiastique. Il n’est nulle rue marchande, ou moins qu’en une petite ville ; ce ne sont que palais & jardins. Il ne se voit nulle rue de la Harpe ou de St. Denis ; il me samble tousiours estre dans la rue de Seine, ou sur le cai des Augustins à Paris. La ville ne change guiere de forme pour un jour ouvrier ou jour de feste. Tout le Caresme il se faict des stations ; il n’y a pas moins de presse un jour ouvrier qu’un autre. Ce ne sont en ce temps que coches, Prélats & Dames. Nous revinmes choucher à

ROME, quinze milles. Le 16 de Mars, il me print envie d’aler essaïer les eteuves de Rome, & fus à celes de St. Marc, qu’on estime des plus nobles ; j’y fus tresté d’une moïenne façon, sul pourtant, & aveq tout le respect qu’ils peuvent. L’usage y est d’y mener des amies, qui veut, qui y sont frotées aveq vous par les garçons. J’y appris que de chaus vifve & orpimant, démeslé à-tout de la lessifve, deus part de chaus & la tierce d’orpimant, se faict cete drogue & ongant de quoi on faict tumber le poil, l’aïant appliqué un petit demi quart d’heure. Le 17, j’eus ma cholique cinq ou six heures supportable, & randis quelque tamps après une grosse pierre come un gros pinon & de cete forme. Lors nous avions des roses à Rome & des artichaus ; mais pour moi je n’y trouvois nulle chaleur extraordinere, vestu & couvert come chés moi. On y a moins de poisson qu’en France ; notammant leurs brochets ne valent du tout rien, & les laisse t’on au peuple. Ils ont rarement des soles & des truites, des barbeaus fort bons & beaucoup plus grans qu’à Bourdeaus, mais chers. Les daurades y sont en grand pris, & les mulets plus grands que les nostres & un peu plus fermes. L’huile y est si excellante, que cete picure qui m’en demure au gosier en France, quand j’en ai beaucoup mangé, je ne l’ai nullemant ici. On y mange des resins frès tout le long de l’an, & jusques à cet’heure il s’en treuve de très-bons pandus aus treilles. Leur mouton ne vaut rien, & est en peu d’estime. Le 18, l’Ambassadur de Portugal fit l’obédiance au Pape du Royaume de Portugal, pour le Roy Philippes. Ce mesme Ambassadur qui estoit ici pour le Roy trespassé & pour les Etats contrarians au Roy Philippes. Je rancontrai au retour de Saint Pierre un home qui m’avisa plesammant de deus choses : que les Portuguais faisoint leur obédiance la semmene de la Passion, & puis que ce mesme jour la station estoit a Saint Jean Porta Latina, en laquelle Eglise certains Portuguais, quelques années y a, étoint antrés en une étrange confrerie. Ils s’espousoint masle à masle à la messe, aveq mesmes serimonies que nous faisons nos mariages, faisoint leur pasques ensamble, lisoint ce mesme évangile des noces, & puis couchoint & habitoint ensamble. Les esperis romeins disoint que, parce qu’en l’autre conjonction de masle & femelle, cete sule circonstance la rand legitime, que ce soit en mariage, il avoit samblé à ces fines jans que cet’autre action deviendroit pareillemant juste qui l’auroit authorisée de serimonies & misteres de l’Eglise. Il fut brûlé huit ou neuf Portuguais de cete bele secte. Je vis la pompe Espaignole. On fit une salve de canons au Chateau St. Ange & au Palais, & fut l’Ambassadur conduit par les trompettes & tambours & archiers du Pape. Je n’entrai pas audedans voir la harangue & la serimonie. L’Ambassadur du Moscovite, qui étoit à une fenestre parée pour voir cete pompe, dict qu’il avoit été convié à voir une grande assamblée : mais qu’en sa nation, quand on parle de troupes de chevaus, c’est tousiours vint & cinq ou trante mille, & se moqua de tout cet appret, à ce que me dict celui mesmes qui étoit commis à l’antretenir par truchemant. Le Dimanche des Rameaus, je trouvai à vespres en un’église, un enfant assis au costé de l’autel sur une chese, vestu d’une grande robe de tafetas bleu neufve, la teste nue, aveq une courone de branches d’olivier, tenant à la mein une torche de cire blanche alumée. C’étoit un garçon de 15 ans ou environ, qui, par ordonnance du Pape, avoit été ce jour là délivré des prisons, qui avoit tué un autre garçon. Il se voit à St. Jean de Latran du mabre transparant. Landemein le Pape fit les sept Eglises. Il avoit des botes du costé de la cher, & sur chaque pied une crois de cuir plus blanc. Il mene tousiours un cheval d’Espaigne, une haquenée & un mulet, & une lettierre, tout de mesme parure ; ce jour là le cheval en étoit à dire. Son escuier avoit deus ou trois peres d’esperons dorés en la mein, & l’attendoit au bas de l’eschele Saint Pierre ; il les refusa & demanda sa lettierre, en laquele il y avoit deus chapeaus rouges quasi de mesme façon pandans atachés à des clous. Ce jour au soir me furent randus mes ESSAIS, chatiés selon l’opinion des Docturs Moines. Le Maestro del sacro palasso n’en avoit peu juger que par le rapport d’aucun Frater François, n’entandant nullemant notre langue ; & se contantoit tant des excuses que je faisois sur chaque article d’animadversion que lui avoit laissé ce François, qu’il remit à ma consciance de rabiller ce que je verrois être de mauvès gout. Je le suppliai, au rebours, qu’il suivît l’opinion de celui qui l’avoit jugé, avouant en aucunes choses, come d’avoir usé du mot de fortune, d’avoir nommé des Poëtes hæretiques, d’avoir excusé Julian, & l’animadversion sur ce que celui qui prioit, devoit être exampt de vitieuse inclination pour ce tamps ; item, d’estimer cruauté ce qui est audelà de mort simple ; item, qu’il falloit nourrir un enfant à tout faire, & autres teles choses, que c’etoit mon opinion, & que c’etoit choses que j’avois mises, n’estimant que ce fussent erreurs ; à d’autres niant que le correctur eût entendu ma conception. Ledict Maestro, qui est un habill’home, m’excusoit fort, & me vouloit faire santir qu’il n’étoit pas fort de l’avis de cete reformation, & pledoit fort ingénieusemant pour moi en ma presance, contre un autre qui me combatoit, Italien aussi. Ils me retindrent le livre des histoires de Souisses traduit en François, pour ce sulemant que le traductur est hæretique, duquel le nom n’est pourtant pas exprimé ; mais c’est merveille combien ils connoissent les homes de nos contrées : & le bon, ils me dirent que la préface étoit condamnée. Ce mesme jour en l’Eglise Saint Jean de Latran, au lieu des Poenitenciers ordineres qui se voient faire cet office en la pluspart des Eglises, Monseignur le Cardinal St. Sixte estoit assis à un couin, & donoit sur la teste de une baguette longue qu’il avoit en la mein, aus passans, & aus dames aussi, mais d’un visage sousriant & plus courtois, selon leur grandur & beauté. Le Mercredi de la semmene seinte, je fis les sept Eglises aveq M. de Foix, avant disner, & y mismes environ cinq heures. Je ne sçai pourquoi aucuns se scandalisent de voir libremant accuser le vice de quelque particulier Prelat, quand il est connu & publicq ; car ce jour là, & à S. Jean de Latran, & à l’Eglise Ste. Croix en Jerusalem, je vis l’histoire, escrite au long en lieu très apparant, du Pape Silvestre second, qui est la plus injurieuse qui se puisse imaginer.

Le tour de la ville que j’ai faict plusieurs fois du côté de la terre, depuis la porte del Popolo, jusques à la porte S. Paulo, se peut faire en trois bones heures ou quatre, alant en trousse, & le pas ; ce qui est delà la riviere se faict en une heure & demie, pour le plus. Entr’autres plesirs que Rome me fournissoit en caresme, c’étoint les sermons. Il y avoit d’excellans precheurs, come ce Rabi renié qui preche les Juifs le Samedi après dîner, en la Trinité. Il y a tousjours 60 Juifs, qui sont tenus de s’y trouver. Cetui étoit un fort fameus Doctur parmi eus ; & par leurs argumans, mesmes leurs Rabis, & le texte de la bible, combat leur creance. En cete sciance & des langues qui servent à cela, il est admirable. Il y avoit un autre prechur qui prechoit au Pape & aus Cardinaus, nomé Padre Toledo [en profondur de sçavoir, en pertinance & disposition, c’est un home très rare] ; un autre très-eloquent & populere, qui preschoit aus Jesuistes, non sans beaucoup de suffisance parmi son excellance de langage: les deus derniers sont Jesuites. C’est merveille combien de part ce colliege tient en la Chretianté ; & croi qu’il ne fut jamais confrerie & cors parmi nous qui tint un tel ranc, ny qui produisit enfin des effaicts tels que fairont ceus ici, si leurs desseins continuent. Ils possedent tantost toute la chretianté : c’est une pepiniere de grands homes en toute sorte de grandur. C’est celui de nos mambres qui menasse le plus les hæretiques de notre tamps. Le mot, d’un prechur fut que nous faisions les Astrolabes de nos coches. Le plus commun exercice des Romeins, c’est se promener par les rues, & ordineremant l’entreprinse de sortir du logis se faict pour aler sulemant de rue en rue, sans avoir ou s’arreter ; & y a des rues plus particulieremant destinées à ce service. À dire vrai, le plus grand fruit qui s’en retire, c’est de voir les Dames aus fenetres, & notammant les courtisanes qui se montrent à leurs jalousies, aveques un art si traitresse, que je me suis souvant esmerveillé come elles piquent ainsi notre veue ; & souvant etant descendu de cheval sur le champ, & obtenu d’être ouvert je admirois cela, de combien elles se montroint plus beles qu’elles n’étoint. Elles sçavent se presanter par ce qu’elles ont de plus agréable ; elles vous presanteront sulemant le haut du visage, ou le bas ou le costé, se couvrent ou se montrent, si qu’il ne s’en voit une sule lede à la fenêtre. Chacun est là à faire des bonetades & inclinations profondes, & à recevoir quelque euillade en passant. Le fruit d’y avoir couché la nuict pour un ecu ou pour quatre, c’est de leur faire einsin landemein la court en publiq. Il s’y voit aussi quelques Dames de qualité, mais d’autre façon, & contenance bien aisée à discerner. À cheval on voit mieus ; mais c’est affaire ou aus chetifs come moi, ou aus jeunes homes montés sur des chevaus de service qui manient.

Les persones de grade ne vont qu’en coche, & les plus licentieus, pour avoir plus de vue contremont, ont le dessus du coche entr’ouvert à clairvoises ; c’est ce que vouloit dire le prechur de ces astrolabes. Le Judy-saint au matin, le Pape en pontificat se met sur le premier portique de S. Pierre, au second etage, assisté des Cardinaus, tenant, lui, un flambeau à la mein. Là d’un costé, un Chanoine de St. Pierre lit à haute vois une bulle latine où sont excommuniés une infinie sorte de jans, entre autres les Huguenots, sous ce propre mot, & tous les Princes qui détiennent quelque chose des terres de l’Eglise : auquel article les Cardinaus de Medicis & Caraffe, qui etoint jouignant le Pape, se rioint bien fort. Cete lecture dure une bone heure & demie ; car à chaque article que ce Chanoine lit en latin, de l’autre costé le Cardinal Gonsague, aussi descouvert, en lisoit autant en Italien. Après cela le Pape jeta cete torche alumée contre bas au peuple, & par jeu ou autremant, le Cardinal Gonsague un’autre ; car il y en avoit trois alumées. Cela choit sur le peuple ; il se faict en bas tout le trouble du monde à qui ara un lopin de cete torche, & s’y bat-on bien rudemant à coup de pouin & de bâton. Pandant que cete condamnation se lit, il y a aussi une grande piece de taffetas noir qui pant sur l’accoudoir dudict portique, davant le Pape. L’excommunication faite, on trousse ce tapis noir, & s’en descouvre un autre d’autre colur ; le Pape lors done ses benedictions publiques. Ces jours se montre la Veronique qui est un visage ouvrageus, & de colur sombre & obscure, dans un carré come un grand miroir. Il se montre aveq serimonie du haut d’un popitre qui a cinq ou six pas de large. Le prestre qui le tient a les meins revetuës de gans rouges, & y a deus ou trois autres prestres qui le soutienent. Il ne se voit rien aveq si grande reverance, le peuple prosterné à terre, la pluspart les larmes aus yeux, aveq de ces cris de commiseration. Une fame, qu’on disoit estre spiritata, se tampetoit, voïant cete figure, crioit, tandoit & tordoit ses bras. Ces prestres se promenans autour de ce popitre, la vont presantant au peuple, tantost ici, tantost là ; & à chaque mouvemant, ceus à qui on la presante s’escrient. On y monstre aussi en mesme tamps & mesme serimonie, le fer de lance, dans une bouteille de cristal. Plusieurs fois ce jour se faict cete montre, aveq un assamblée de peuple si infinie, que jusques bien louin au dehors de l’Eglise, autant que la veue peut arriver à ce popitre, c’est une extreme presse d’homes & de fames. C’est une vraïe Cour Papale : la pompe de Rome & sa principale grandur, est en apparance de devotion. Il faict bean voir l’ardur d’un peuple si infini à la religion ces jours là. Ils ont çant confreries & plus, & n’est guieres home de qualité qui ne soit ataché à quelcune : il y en a aucunes pour les étrangiers. Nos Roys sont de cele du Gonfalon. Ces sociétées particulieres ont plusieurs actes de communication religieuse, qui s’exercent principalemant le Caresme ; mais ce jour-ici ils se promenent en troupes, vetus de toile : chacune compaignie a sa façon, qui, blanche, rouge, bleue, verte, noire, la pluspart les visages couvers. La plus noble chose & magnifique que j’aie vue, ny ici ny ailleurs, ce fut l’incroiable nombre du peuple espars ce jour là par la ville aus devotions, & notammant en ces compaignies. Car outre un grand nombre d’autres que nous avions veu le jour, & qui etoint venues à S. Pierre, come la nuict commança, cete ville sambloit être tout’en feu ; ces compaignies marchant par ordre vers S. Pierre, chacun portant un flambeau, & quasi tous de cire blanche. Je croi que il passa davant moi douse mille torches pour le moins ; car despuis huit heures du soir jusques à minuit, la rue fut tousiours plene de cete pompe, conduite d’un si bon ordre & si mesuré, qu’encore que ce fussent diverses troupes & parties de divers lieus, il ne s’y vit jamès de breche ou interruption : chaque cors aiant un grand cheur de musique, chantant tousiours en alant, & au milieu des rancs une file des Poenitanciers qui se foitent à tout des cordes ; de quoi il y en avoit cinq çans, pour le moins, l’eschine toute escorchée & ensanglantée d’une piteuse façon. C’est un oenigme que je n’entans pas bien encores ; mais ils sont tous meurtris & cruelemant blessés, & se tourmantent & batent incessammant. Si est-ce qu’a voir leur contenance, l’assurance de leur pas, la fermeté de leur paroles, (car j’en ouis parler plusieurs), & leur visage (car plusieurs estoint descouvers par la rue), il ne paroissoit pas sulemant qu’ils fissent en action penible, voire ny serieuse, & si y en avoit de junes de douse ou trese ans. Tout contre moi, il y en avoit un fort june, & qui avoit le visage agréable ; une june fame pleignoit de le voir einsin blesser. Il se tourna vers nous, & lui dit, en riant : Basta, disse che fo questo per li lui peccati, non per li miei. Non sulemant ils ne montrent nulle destresse ou force à cete action, mais ils le font aveq allegresse, ou pour le moins aveq tele nonchalance, que vous les voiés s’entretenir d’autres choses, rire, criailler en la rue, courir, sauter, come il se faict à une si grand presse où les rancs se troublent. Il y a des homes parmi eus qui portent du vin qu’ils leur presantent à boire : aucuns en prennent une gorgée. On leur done aussi de la dragée, & plus souvant ceus qui portent ce vin en metent en la bouche, & puis le soufflent & en mouillent le bout de leurs foits, qui sont de corde, & se caillent & colent du sang, en maniere que, pour le demesler, il les faut mouiller ; à aucuns ils soufflent ce même vin sur leurs plaïes. À voir leurs souliers & chausses, il parêt bien que ce sont persones de fort peu, & qui se vandent pour ce service, au moins la pluspart. On me dict bien qu’on gressoit leurs espaules de quelque chose ; mais j’y ai veu la plaïe si vive, & l’ossance si longue, qu’il n’y a nul medicamant qui en sceut oster le santimant ; & puis ceus qui les louent, à quoi faire, si ce n’etoit qu’une singerie? Cete pompe a plusieurs autres particularités. Come ils arrivoint à S. Pierre, ils n’y faisoint autre chose, sinon qu’on leur venoit à montrer el Viso Santo, & puis ressortoint & faisoint place aus autres. Les Dames sont ce jour là, en grande liberté ; car toute la nuit les rues en sont pleines, & vont quasi toutes à pied. Toutes fois, à la vérité, il samble que la ville soit fort reformée, notammant en cete desbauche. Toutes euillades & apparances amoureuses cessent. Le plus beau sepulchre c’est celui de Santa Rotonda, à cause des lumineres. Entr’autres choses, il y a un grand nombre de lampes roulant & tournoïant sans cesse de haut en bas. La veille de Pasques, je vis à S. Jean de Latran, les Chefs S. Pol & S. Pierre qu’on y montre, qui ont encore leur charnure, teint & barbe, come s’ils vivoint : S. Pierre, un visage blanc un peu longuet, le teint vermeil & tirant sur le sanguin, une barbe grise fourchue, la teste couverte d’une mitre papale ; & S. Pol, noir, le visage large & plus gras, la teste plus grosse, la barbe grise, espesse. Ils sont en haut dans un lieu exprès. La façon de les montrer, c’est qu’on apele le peuple au son des cloches, & que à secousses, on devale contre bas un rideau au derriere duquel sont ces testes, à costé l’une de l’autre. On les laisse voir le tamps de dire un Ave Maria, & soudein on remonte ce rideau : après on le ravale de mesmes, & cela jusques à trois fois : on refaict cete montre quatre ou cinq fois le jour. Le lieu est élevée, de la hautur d’une pique, & puis de grosses grilles de fer, au travers desqueles on voit. On alume autour par le dehors, plusieurs sierges ; mais est mal aisé de discerner bien cleremant toutes les particularités ; je les vis à deus ou trois fois. La polissure de ces faces avoit quelque ressamblance à nos masques. Le Mercredi après Pasques, M. Maldonat qui étoit lors à Rome, s’enquerant à moi de l’opinion que j’avois des mœurs de cete ville, & notammant en la Religion, il trouva son jugemant du tout conforme au mien, (sçavoir,) que le menu puple etoit, sans compareson, plus devot en France qu’ici ; mais les riches, & notammant courtisans, un peu moins. Il me dict davantage qu’à ceus qui lui allegoint que la France etoit toute perdue de heresie, notammant aus Espaignols, de quoi il y en a grand nombre en son Colliege, il maintenoit qu’il y avoit plus d’homes vraïmant religieus, en la sule ville de Paris, qu’en toute l’Espaigne ensamble.

Ils font tirer leurs bâteaus à la corde contremont la riviere du Tibre, par trois ou quatre paires de buffles. Je ne sçai come les autres se trouvent de l’air de Rome ; moi je le trouvois très-plesant & sein. Le Sr. de Vielart disoit y avoir perdu sa subjection à la migrene : qui étoit aider l’opinion du peuple, qui est très-contrere aus pieds & commode à la teste. Je n’ai rien si enemi, à ma santé, que l’ennui & 1’oisifveté : là, j’avois tousiours quelque occupation, sinon si plesante que j’eusse peu desirer, au moins suffisante à me desennuïer : comme à visiter les antiquités, les Vignes, qui sont des jardins & lieus de plesir, de beauté singuliere, & là où j’ai aprins combien l’art se pouvoit servir bien à pouint d’un lieu bossu, montueus, & inégal ; car eus ils en tirent des graces inimitables à nos lieus pleins, & se prævalent très-artificielemant de cete diversité. Entre les plus beles sont celes des Cardinaus d’Este, à Monte-Cavallo ; Farnese, al Palatino ; Urfino, Sforza, Medicis ; cele du Pape Jule ; cele de Madama ; les jardins de Farnèse, & du Cardinal Riario à Transtevere, de Cesio, fuora della porta del populo. Ce sont beautés ouvertes à quiconque s’en veut servir, & à quoi que ce soit, fut-ce à y dormir & en compaigne, si les maistres n’y sont, qui n’aiment guiere, ou aller ouir des sermons, de quoi il y en a en tout tamps, ou des disputes de Theologie ; ou encore par fois, quelque fame des publiques, où j’ai trouvé cet’incommodité, qu’elles vandent aussi cher la simple conversation (qui étoit ce que j’y cherchois, pour les ouïr deviser & participer à leurs subtilités,) & en sont autant espargnantes que de la négociation entiere. Tous ces amusemans m’embesouignoint assés : de melancholie, qui est ma mort, & de chagrin, je n’en avois nul’occasion, ny dedans ny hors la maison. C’est einsin, une plesante demure, & puis argumanter par-là, si j’eusse gouté Rome plus privéemant, combien elle m’eût agréé ; car, en vérité, quoique j’y aïe emploïé d’art & de souin, je ne l’ai connue que par son visage publique, & qu’elle offre au plus chetif etrangier. Le dernier de Mars, j’eus un accés de cholique, qui me dura toute la nuit, assés supportable ; elle m’emeut le ventre, avec des tranchées, & me dona un’acrimonie d’urine, outre l’accoutumée. J’en randis du gros sable & deus pierres. Le Dimanche de Quasimodo, je vis la serimonie de l’aumône des pucelles. Le Pape a, outre sa pompe ordinere, vint cinq chevaus qu’on mene davant lui, parés & houssés de drap d’or, fort richemant accommodés, & dix ou douze mulets, houssés de velours cramoisi, tout cela conduit par ses Estaffiers, à pied : sa lettiere couverte de velours cramoisi. Au davant de lui, quatre homes à cheval portoint, au bout de certeins batons, couverts de velours rouge, & dorés par le pouignet & par les bouts, quatre chapeaus rouges : lui étoit sur sa mule. Les Cardinaus qui le suivoint etoint aussi sur leurs mules, parés de leurs vetemans pontificaus, les cuhes de leurs robes étoint attachées à tout un’eguillette, à la tetiere de leurs mules. Les pucelles étoint en nombre çant & sept ; elles sont chacune accompaignée d’une vieille parante. Après la Messe, elles sortirent de l’Eglise & firent une longue procession. Au retour de là, l’une après l’autre passant au Cueur de l’Eglise de la Minerve, où se faict cete serimonie, baisoint les pieds au Pape ; & lui leur aïant doné la benediction, done à chacune, de sa mein, une bourse de damas blanc, dans laquelle il y a une cedule. Il s’entant qu’aïant trouvé mari, elles vont querir leur aumosne, qui est trante-cinq escus pour tête, outre une robe blanche qu’elles ont chacune ce jour là, qui vaut cinq escus. Elles ont le visage couvert d’un linge, & n’ont d’ouvert que l’endret de la veue.

Je disois des commodités de Rome, entr’autres, que c’est la plus commune ville du monde, & où l’etrangeté & differance de nation se considere le moins ; car de sa nature c’est une ville rappiecée d’étrangiers ; chacun y est come chés soi. Son Prince ambrasse toute la chretianté de son authorité ; sa principale jurisdiction oblige les etrangiers en leurs maisons, come ici, à son election propre ; & de tous les princes & Grans de sa Cour, la consideration de l’origine n’a nul pois. La liberté de la police de Venise, & utilité de la trafique la peuple d’étrangiers ; mais ils y sont come chés autrui pourtant. Ici ils sont en leurs propres offices & biens & charges ; car c’est le siege des persones ecclesiastiques. Il se voit autant ou plus d’étrangiers à Venise, (car l’affluance d’étrangiers qui se voit en France, en Allemaigne, ou ailleurs, ne vient pouint à cete compareson), mais de resseans & domiciliés beaucoup moins. Le menu peuple ne s’effarouche non plus de notre façon de vetemans, ou Espaignole ou Tudesque, que de la leur propre, & ne voit-on guiere de belitre qui ne nous demande l’aumosne en notre langue.

Je recherchai pourtant, & amploiai tous mes cinq sans de nature pour obtenir le titre de Citoyen Romein, ne fut-ce que pour l’antien honur, & religieuse memoire de son authorité. J’y trouvai de la difficulté ; toutefois, je la surmontai, n’y ayant amploïé nulle faveur, voire ny la sciance sulemant d’aucun François. L’authorité du Pape y fut amploïée, par le moïen de Philippo Musotti, son Maggior-domo, qui m’avoit pris en singuliere amitié, & s’y pena fort ; & m’en fut depeché lettres 3°. Id. Martii 1581, qui me furent randues le 5 d’Avril très-autantiques, en la mesme forme & faveur de paroles que les avoit eues le Seigneur Jacomo Buon-Compagnon, Duc de Sero, fils du Pape. C’est un titre vein ; tant-y-a que j’ai receu beaucoup de plesir de l’avoir obtenu. Le 3 d’Avril je partis de Rorne bon matin, par la porte S. Lorenzo Tiburtina. Je fis un chemin assés plein, & pour la pluspart fertile de bleds, & à la mode de toutes les avenues de Rome, peu habité. Je passai la riviere del Teverone, qui est l’antien Anio, premieremant au pont de Mammolo ; secondemant, au pont Lucan, qui retient encore son antien nom. En ce pont il y a quelques inscriptions antiques, & la principale fort lisable. Il y a aussi deus ou trois sepultures Romeines le long de ce chemin ; il n’y a pas autres traces d’antiquités & fort peu de ce grand pavé antien, & est Via Tiburtina. Je me randis à disner à

TIVOLI, quinse milles : c’est l’antien Tiburtum couché aux racines des monts, s’etandant la ville le long de la premiere pante, assés roide, qui rant son assiete & ses veues très-riches : car elle comande une pleine infinie de toutes parts, & cete grand Rome. Son prospect est vers la mer & ha derriere soi les monts ; cete riviere du Teverone la lave, & prés de là prant un merveilleus saut, descendant des montaignes & se cachant dans un trou de rochier, cinq ou six çans pas, & puis se randant à la pleine où elle se joue fort diversemant & se va joindre au Tibre un peu au dessus de la ville. Là se voit ce fameus palais & jardin du Cardinal de Ferrare : c’est une très-bele piece, mais imparfaite en plusieurs parties, & l’ouvrage ne s’en continue plus par le Cardinal presant. J’y considerai toutes choses fort particulieremant ; j’essaïerois de le peindre ici, mais il y a des livres & peintures publiques de ce sujet. Ce rejallissemant d’un infinité de surjons d’eau bridés & eslancés par un sul ressort qu’on peut remuer de fort louin, je l’avoi veu ailleurs en mon voïage & à Florance, & à Auguste, come il a été dict ci dessus. La musique des orgues, qui est une vraïe musique & d’orgues natureles, sonans tousïours toutefois une mesme chose, se faict par le moïen de l’eau qui tumbe aveq grand violance dans une cave ronde, voutée, & agite l’air qui y est, & le contreint de gaigner, pour sortir, les tuyaus des orgues & lui fournir de vent. Un’autre eau poussant une roue à tout certeines dents, faict batre par certein ordre le clavier des orgues ; on y oit aussi le son de trompetes contrefaict. Ailleurs on oit le chant des oiseaus, qui sont des petites flutes de bronse qu’on voit aus regales, & randent le son pareil à ces petits pots de terre pleins d’eau que les petits enfants souflent par le bec ; cela par artifice pareil aus orgues, & puis par autres ressorts on faict remuer un hibou, qui, se presantant sur le haut de la roche, faict soudein cesser cete harmonie, les oiseaus étant effraïés de sa presance & puis leur faict encore place : cela se conduit einsin alternativement, tant qu’on veut. Ailleurs il sort come un bruit de coups de canon ; ailleurs un bruit plus dru & menu ; come des harquebusades : cela se faict par une chute d’eau soudeine dans des canaux, & l’air se travaillant en mesme tamps d’en sortir, enjandre ce bruit. De toutes ces invantions ou pareilles, sur ces mesmes raisons de nature, j’en ai veu ailleurs. Il y a des estancs ou des gardoirs, aveq une marge de pierre tout au tour, aveq force piliers de pierre de taille haus, audessus de cet accoudoir, esloignés de quatre pas environ l’un de l’autre. À la teste de ces piliers sort de l’eau aveq grand force, non pas contre-mont, mais vers l’estanc. Les bouches étant einsi tournées vers le dedans & (se) regardant l’une l’autre, jetent l’eau, & l’esperpillent dans cet estanc, avec tele violance, que ces verges d’eau viennent à s’entrebatre & rancontrer en l’air, & produisent dans l’estanc une pluïe espesse & continuelle. Le soleil tumbant là-dessus enjandre, & au fons de cet estanc & en l’air, & toutautour de ce lieu, l’arc du ciel si naturel & si apparant qu’il n’y a rien à dire de celui que nous voïons au Ciel. Je n’avois pas veu ailleurs cela. Sous le palais, il y a des grans crus, faits par art, & soupiraus, qui randent une vapur froide & refrechissent infinimant tout le bas du logis : cete partie n’est pas toutefois parfaicte. J’y vis aussi plusieurs excellantes statues, & notammant une Nympe dormante, une morte ; & une Pallas celeste ; l’Adonis qui est chés l’Eveque d’Aquino ; la Louve de bronse ; & l’Enfant qui s’arrache l’espine, du Capitole ; le Laocoon & l’Antinoüs, de belvedere ; la Comedie, du Capitole ; le Satyre, de la vigne du Cardinal Sforza ; & de la nouvelle besouigne, le Moïse, en la sepulture de S. Pietro in Vincula ; la belle fame qui est aus pieds du Pape Pol tiers en la nouvelle Eglise de S. Pierre. Ce sont les statues qui m’ont le plus agréé à Rome. Pratolino est faict justemant à l’envi de ce lieu. En richesse & beauté des grottes, Florance surpasse infinimant ; en abondance d’eau, Ferrare ; en diversité de jeus & de mouvemans presans tirés de l’eau, ils sont pareils ; si le Florantin n’a quelque peu plus de mignardise en la disposition & ordre de tout le cors du lieu. Ferrare en statues antiques, & en palais ; Florance en assiete du lieu, béauté du prospect, surpasse infinimant Ferrare, & dirois en tout faveur de nature, s’il n’avoit ce malheur extreme que toutes ses eaus, sauf la fontene qui est au petit jardin tout en haut, & qui se voit en l’une des salles du palais, ce n’est qu’eau du Teveron duquel il a desrobé une branche, & lui a donné un canal à part pour son service. Si c’étoit eau clere & bone à boire, come elle est aucontraire trouble & lede, ce lieu seroit incomparable, & notammant sa grande fontene qui est la plus belle manufacture & plus belle à voir, aveq ses despendances, que null’autre chose ny de ce jardin ny dailleurs. À Pratoline, au contrere, ce qu’il y a d’eau est de fontene & tirée de fort louin. Parce que le Teveron descent des montaignes beaucoup plus hautes, les habitans de ce lieu s’en servent come ils veulent, & l’example de plusieurs privés rant moins esmerveillable cet ouvrage du Cardinal. J’en partis landemein après disner, & passai à cete grande ruine à mein droite du chemin de nostre retour, qu’ils disent contenir six milles & être une ville, come ils disent être le Proedium d’Adrian, l’Ampereur. Il y a sur ce chemin de Tivoli à Rome, un ruisseau d’eau souffreuse qui le tranche. Les bors du canal sont tout blanchis de souffre, & rand un odur à plus d’une demie lieue de là: on ne s’en sert pas de la medecine. En ce ruisseau se treuvent certeins petits corps bastis de l’escume de cete eau, ressamblant si propremant à notre dragée, qu’il est peu d’homes qui ne s’y trompent, & les habitans de Tivoli en font de toutes sortes de cete mesme matiere, de quoi j’en achetai deus boîtes 7 f. 6. d. Il y a quelques antiquités en la ville de Tivoli, comme deus Termes qui portent une forme tres antique, & le reste d’un Tample où il y a encore plusieurs piliers entiers : lequel Tample ils disent avoir été le Tample de leur antiene Sybille. Toutefois sur la cornice de cet’Eglise, on voit encore cinq ou six grosses lettres qui n’étoint pas continuées ; car la suite du mur est encore entiere. Je ne sçais pas si au davant il y en avoit, car cela est rompu, mais en ce qui se voit, il n’y a que Ce..Ellius L. F. Je ne sçai ce que ce peut estre. Nous nous randimes au soir à ROME, quinse milles, & fis tout ce retour en coche sans aucun ennui, contre ma costume. Ils ont un’observation ici beaucoup plus curieuse qu’ailleurs : car ils font differance aus rues, aus cartiers de la ville, voire aus departemens de leurs maisons, pour respect de la santé, & en font tel estat qu’ils changent de habitation aus sesons ; & de ceus mesmes qui les louent, qui tient deus ou trois Palais de louage à fort grand despance, pour se remuer aux sesons, selon l’ordonance de leurs Medecins. Le 15 d’Avril, je fus prandre congé du Maistre del sacro Palazzo & de son compaignon, qui me priarent « ne me servir pouint de la censure de mon Livre en laquelle autres François les avoint avertis qu’il y avoit plusieurs sotises ; qu’ils honoroint & mon intention & affection envers l’Eglise & ma suffisance, & estimoint tant de ma franchise & consciance, qu’ils remetoint à moi-mesmes de retrancher en mon Livre, quand je le voudrois réimprimer, ce que j’y trouverois trop licentieus, & entr’autres choses, les mots de fortune ». Il me sambla les laisser fort contans de moi ; & pour s’excuser de ce qu’ils avoint einsi curieusemant veu mon Livre & condamné en quelques choses, m’allegarent plusieurs Livres de notre tamps de Cardinaus & Religieus de très-bone réputation, censurés pour quelques teles imperfections, qui ne touchoint nulemant la reputation de l’authur ny de l’euvre en gros ; me priarent d’eider à l’Eglise par mon éloquance (ce sont leurs mots de courtoisie), & de faire demure en cete ville paisible & hors de trouble aveques eus. Ce sont persones de grande authorité & cardinalables.

Nous mangions des artichaus, des fèves, des pois, environ la mi-Mars. En Avril il est jour à leur dix heures, & crois aus plus longs jours, à neuf. En ce tamps là je prins, entr’autres, connoissance à un Polonois le plus privé ami qu’eût le Cardinal Hosius lequel me fit presant de deus examplaires du livret qu’il a faict de sa mort, & les corrigea de sa mein. Les douceurs de la demure de cete ville s’estoint de plus de moitié augmentées en la praticant ; je ne goutai jamais air plus tamperé pour moy, ny plus commode à ma complexion. Le 18 de Avril j’alai voir le dedans du Palais du Sig. Jan George Cesarin, où il y a infinies rares anticailles & notamant les vraies testes de Zenon, Possidonius, Euripides, & Carneades, come portent leurs inscriptions græques très antienes. Il a aussi les portrets des plus belles Dames Romeines vivantes, & de la seignora Cloelia-Fascia Farnese, sa fame, qui est, sinon la plus agréable, sans compareson la plus eimable fame qui fût pour lors à Rome, ny que je sçache ailleurs. Celui ci dict être de la race des Coesars, & porte par son droit le confalon de la noblesse Romeine ; il est riche & a en ses armes la colonne avec l’ours qui y est ataché, & au dessus de la colonne un’egle eploiée.

C’est une grande beauté de Rome que les vignes & jardins, & leur seson est fort en esté. Le Mercredy, 19 d’Avril, je partis de Rome après disner, & fumes conduits jusques au pont de Mole par MM. de Marmoutiés de la Trimouille, du Bellay, & autres jantils homes. Aïant passé ce pont, nous tournames à mein droite, laissant à mein gauche le grand chemin de Viterbe par lequel nous etions venus à Rome, & à mein droite le Tibre & les Monts. Nous suivimes un chemin decouvert & inégal, peu fertile & pouint habité ; passames le lieu qu’on nome prima porta, qui est la premiere porte à sept milles de Rome ; & disent aucuns que les murs antiens de Rome aloint jusques là, ce que je ne treuve nullemant vraisamblable. Le long de ce chemin, qui est l’antiene via Flaminia, il y a quelques antiquités inconnues & rares ; & vinmes coucher à

CASTEL-NOVO, sese mille. Petit castelet qui est de la case Colonne, enseveli entre des montaignetes en un sit qui me represantoit fort les avenues fertiles de nos montagnes Pirenées sur la route d’Aigues-Caudes. Landemein 20 d’Avril, nous suivimes ce mesme païs montueus, mais très plesant, fertile & fort habité, & vinmes arriver à un fons le long du Tibre à

BORGUET, petit castelet apartenant au Duc Octavio Farnese. Nous en partismes après disner, & après avoir suivi un très plesant vallon entre ces collines, passames le Tibre à Corde, où il se voit encore des grosses piles de pierre, reliques du pont qu’Auguste y avoit faict faire pour atacher le païs des Sabins, qui est celui vers lequel nous passames, aveq celui des Falisques, qui est de l’autre part. Nous rancontrâmes après Otricoli, petite villette apartenant au Cardinal di Peruggi. Au davant de cete ville, il se voit en une belle assiete, des ruines grandes & importantes ; le païs montueus & infinimant plesant, presante un prospect de region toute bossée, mais très fertile partout & fort peuplée. Sur ce chemin se rancontre un escrit, où le Pape dict avoir faict & dressé ce chemin, qu’il nome viam Boncompaignon, de son nom. Cet usage de mettre enisi par escrit & laisser tesmouignage de tels ouvrages, qui se voit en Italie & Allemaigne, et un fort bon eguillon ; & tel qui ne se soucie pas du publiq, sera acheminé par cet esperance de reputation, de faire quelque chose de bon. De vrai, ce chemin étoit plus la pluspart mal aisé, & a presant on l’a randu accessible aus coches mesmes jusques à Lorette. Nous vinmes coucher à

NARNI, dix milles, Narnia en latin. Petite ville de l’Eglise, assise sur le haut d’un rochier, au pied duquel roule la riviere Negra, Nar en latin ; & d’une part ladite ville regarde une très plesante plene où ladicte riviere se joue & s’enveloppe estrangement. Il y a en la place une très-belle fontene. Je vis le dôme, & y remercai cela que la tapisserie qui y est, a les escrits & rimes Françoises de notre langage antien. Je ne sçeus aprendre d’où cela venoit ; bien aprins je du peuple qu’ils ont de tout tamps grand’inclination à notre faveur. Ladicte tapisserie est figurée de la passion, & tient tout l’un costé de la nef. Parceque Pline dict qu’en ce lieu là se treuve certeine terre qui s’amollit par la chaleur & se seche par les pluies, je m’en enquis aus habitans qui n’en sçavent rien. Ils ont a un mille près de là, des eaus fredes qui font mesme effaict des nôtres chaudes ; les malades s’en servent ; mais elles sont peu fameuses. Le logis, selon la forme d’Italie, est des bons, si est-ce que nous n’y avions pouint de chandelle, eins par tout de la lumiere à huile. Le 21, bon matin, nous descendismes en une très plesante vallée où court ladicte riviere Negra, laquele riviere nous passâmes sur un pont aus portes de Tarni que nous traversames, & sur la place vismes une colonne fort antique qui est encore sur ses pieds. Je n’y aperçus nulle inscription, mais à côte il y a la statue d’un Lion relevée, audessous de laquelle il y a en vieilles lettres une dédicace à Neptune, & encore ledict Neptunius insculpé en mabre à tout son equipage. En cete mesme place il y a une inscription, qu’ils ont relevée en lieu eminant, à un A. Pompeius A. F. Les habitans de cete ville, qui se nome Interamnia, pour la riviere de Negra qui la presse d’un côté & un autre ruisseau par l’autre, ont erigé une statue pour les services qu’il a faict à ce peuple ; la statue n’y est pas, mais je jugeai la vieillesse de cet escrit, par la forme d’escrire en diptonge periculeis & mots semblables. C’est une belle villete (Narni) en singulieremant plesante assiete. À son cul d’où nous venions, ell’a la pleine très fertile de cete valée, & au delà, les coteaus les plus cultivés, habités. Et entr’autres choses, pleins de tant d’oliviers, qu’il n’est rien de plus beau à voir, attandu que parmi ces couteaus, il y a quelquefois des montaignes bien hautes qui se voient jusques sur la sime labourées & fertiles de toutes sortes de fruis. J’avois bien fort ma cholique, qui m’avoit tenu 24 heures, & étoit lors sur son dernier effort ; je ne lessai pourtant de m’agreer de la beauté de ce lieu là. Delà nous nous engajames un peu plus avant en l’Appennin, & trouvasmes que c’est à la vérité une belle grande & noble reparation, que de ce nouveau chemin que le Pape y a dressé, & de grande despanse & commodité. Le peuple voisin a été contreint à le bâtir ; mais il ne se pleint pas tant de cela que de ce que sans aucune recompanse, où il s’est trouvé des terres labourables, vergiers, & choses samblables, on n’a rien espargné pour cete esplanade. Nous vismes à nostre mein droite une tête de colline plesante, sesie d’une petite villette. Le peuple la nome Colle Scipoli : ils disent que c’est antienemant

Castrum Scipionis. Les autres montaignes sont plus hautes, seches & pierreuses, entre lesquelles & la route d’un torrant d’hyver, nous nous randismes à

SPOLETO, dix-huit milles. Ville fameuse & commode, assise parmi ces montaignes, & au bas. Nous fumes contreins d’y montrer notre bollette, non pour la peste qui n’estoit lors en nulle part d’Italie, mais pour la creinte en quoi il sont d’un Petrino, leur citoïen, qui est le plus noble bani volur d’Italie, & duquel il y a plus de fameus exploits, duquel ils creignent & les villes d’alentour d’être surpris. Cete contrée est semée de plusieurs tavernes ; & où il n’y a pouint d’habitation, ils font des ramées où il y a des tables couvertes & des eufs cuits & du fromage & du vin. Ils n’y ont pouint de burre & servent tout fricassé de huille. Au partir de là, ce mesme jour après disner, nous nous trouvasmes dans la vallée de Spoleto, qui est la plus bele pleine entre les montaignes qu’il est possible de voir, large de deus grandes lieues de Gascouigne. Nous descouvrions plusieurs habitations sur les croupes voisines. Le chemin de cette pleine et de la suite de ce chemin que je vien de dire du Pape, droit à la ligne, come une carriere faicte à poste. Nous laissâmes force villes d’une part & d’autre ; entr’autres sur la mein droite, la ville de Trevi. Servius dict sur Virgile, que c’est Oliviferæque Mutiscæ, de quoi il parle Liv. 7. Autres le nient & argumantent au contrere ; tant-y-a que c’est une ville pratiquée sur une haute montaigne & d’un endret étandue tout le long de sa pante jusques à mi montaigne. C’est une très-plesante assiete, que cete montaigne chargée d’oliviers tout au tour. Ce chemin là nouveau, & redressé depuis trois ans, qui est le plus beau qui se puisse voir, nous nous randismes au soir à

FOLIGNI douze milles. Ville bele, assise sur cet pleine qui me represanta à l’arrivée le plan de Sainte-Foi, quoiqu’il soit beaucoup plus riche & la vile beaucoup plus bele & peuplée sans compareson. Il y a une petite riviere ou ruisseau qui se nome Topino. Cete ville s’apelloit antienemant Fulignium, autres Fulcinia, bastie au lieu de Forum Flaminium. Les hosteleries de cete route, où la pluspart, sont comparables aux Françoises, sauf que les chevaus n’y treuvent guiere que du soin à manger. Ils servent le poisson mariné & n’en ont guiere de frais. Ils servent des feves crues par toute l’Italie, & des pois & des amandes vertes, & ne font guiere cuire les artichaux. Leurs aires sont pavés de carreau. Ils atachent leurs beufs par le muffle, à tout un fer qui leur perce l’entredeus des naseaus come des buffles. Les mulets de bagage, de quoi ils ont foison & fort beaus, n’ont leurs pieds de davant ferrés à notre mode, einsi d’un fer ront, s’entretenant tout au tour du pied, & plus grand que le pied. On y rancontre en divers lieus les Moines qui donent l’eau benite aus passans, & en atandent l’aumône ; & plusieurs enfans qui demandent l’aumône, prometant de dire toute leur disene de pati-nôtres, qu’ils montrent en leurs meins, pour celui qui la leur aura baillée. Les vins n’y sont guere bons. Landemein matin, aïant laissé cete bele pleine, nous nous rejetâmes au chemin de la montaigne, où nous retrouvions force beles pleines, tantost à la teste, tantost au pied du mont. Mais sur le comancemant de cete matinée, nous eusmes quelque tamps un très-bel object de mille diverses collines, revetues de toutes pars de très-beaus ombrages de toute sorte de fruitiers & des plus beaus bleds qu’il est possible, souvant en lieu si coupé & præcipitus, que c’étoit miracle que sulemant les chevaus puissent avoir accès. Les plus beaus vallons, un nombre infini de ruisseaus, tant de maisons & villages par-ci par-là, qu’il me resouvenoit des avenues de Florance, sauf que ici il n’y a nul palais ny maison d’apparance ; & là le terrein est sec & sterile pour la pluspart, là ou en ces collines il n’y a pas un pousse de terre inutile. Il est vrai que la seson du printamps les favorisoit. Souvant, bien louin au-dessus de nos testes, nous voions un beau vilage ; & sous nos pieds, come aus Antipodes, un’autre aiant chacun plusieurs commodités & diverses : cela mesme n’y done pas mauvès lustre, que parmi ces montaignes si fertiles l’Apennin montre ses testes refrouignées & inaccessibles, d’où on voit rouller plusieurs torrans, que aïant perdu cete premiere furie, se randent là tost-après dans ces valons des ruisseaus très-plesans & très-dous. Parmi ces bosses, on descouvre & au haut & au bas plusieurs riches pleines, grandes par fois à perdre de veue par certein biaiz du prospect. Il ne me samble pas que nulle peinture puisse represanter un si riche païsage. De-là nous trouvions le visage de notre chemin, tantost d’une façon, tantost d’un’autre, mais tousiours la voïe très-aisée ; & nous randismes à disner à

LA MUCCIA, vingt milles. Petite villote assise sur le fluve de Chiento. De-là nous suivismes un chemin bas & aisé au travers ces mons, & parceque j’avoi donné un soufflet à notre vetturin, qui est un grand excès selon l’usage du païs, temouin le vetturin qui tua le Prince de Trésignano, ne me voiant plus suivre audict vetturin, & en étant tout à part moi un peu en humur, qu’il fit des informations ou autres choses, je m’arretai contre mon dessein (qui étoit d’aler à Tolentino) à souper à

VALCHIMARA, huit milles. Petit village, & la poste, sur ladicte riviere de Chiento. Le Dimanche landemein, nous suivimes tousiours ce valon entre des montaignes cultivées & fertiles jusques à Tolentino, petite villete, au travers de laquele nous passames & rancontrames après le païs qui s’applanissoit, & n’avions plus à nos flancs que des petites cropes fort accessibles, raportant cete contrée fort à l’Agenois, où il est le plus beau le long de la Garonne ; sauf que, come en Souisse, il ne s’y voit nul chateau ou maison de gentilhome, mais plusieurs villages, ou villes sur les côteaus. Tout cela fut, suivant le Chiento, un très-beau chemin, & sur la fin, pavé de brique, par où nous nous randismes à disner à

MACERATA, dix-huit milles. Belle ville de la grandur de Libourne, assise sur un haut en forme aprochant du ront, & se haussant de toutes pars egalemant vers son vantre. Il n’y a pas beaucoup de bastimans beaus. J’y remercai un Palais de pierre de taille, tout taillé par le dehors en pouinte de diamans carrée ; come le Palais du Cardinal d’Este à Ferrare cete forme de constructure est plesante à la veue. L’antrée de cete ville, c’est une porte neufve, où il y a descrit : Porta Boncompaigno, en lettres d’or ; c’est de la suite des chemins que ce Pape a redressés. C’est ici le siege du Legat pour le païs de la Marque. On vous presante en ces routes la cuiton du cru, quand ils offrent leurs vins : car ils en font cuire & bouillir jusques au dechet de la moitié, pour le randre meilleur. Nous santions bien que nous etions au chemin de Lorette, tant les chemins etoint pleins d’alans & venans ; & plusieurs, non homes particuliers sulemant, mais compaignies de personnes riches faisant le voïage à pied, vestus en pelerins, & aucunes avec un’enseigne & puis un crucifix qui marchoit davant & eus vetus d’une livrée. Après disner, nous suivismes un païs commun, tranchant tantost des pleines & aucunes rivieres, & puis aucunes collines aisées, mais le tout très-fertile & le chemin pour la pluspart pavé de carreau couché de pouinte. Nous passames la ville de Recanati, qui est une longue ville assise en un haut, & etandue suivant les plis & contours de sa colline ; & nous randismes au soir à

LORETTE, quinze milles. C’est un petit village clos de murailles, & fortifié pour l’incursion des Turcs, assis sur un plant un peu relevé, regardant une très-bele pleine, & de bien près la mer Adriatique ou golfe de Venise ; si qu’ils disent que, quant il fait beau, ils descouvrent au delà du golphe les montaignes de l’Esclavonie : c’est enfin une très-bele assiete. Il n’y a quasi autres habitans que ceus du service de cete devotion, come hostes plusieurs, (& si les logis y sont assés mal propres), & plusieurs marchans, sçavoir est, vandurs de cire, d’images, de pastenostres, agnus Dei, de Salvators, & teles danrées, de quoi ils ont un grand nombre de beles boutiques & richemant fournies. J’y lessai près de 50 bons escus pour ma part. Les Prestres, jans d’Eglise, & Colliege de Jesuites, tout cela est rassemblé en un grand Palais qui n’est pas antien, où loge aussi un Gouverneur, home d’Eglise, à qui on s’adresse pour toutes choses, sous l’authorité du Legat & du Pape. Le lieu de la devotion, c’est une petite maisonete fort vieille & chetifve, bastie de brique, plus longue que large. À sa teste, on a faict un moïen, lequel moïen a à chaque costé, une porte de fer : à l’entredus une grille de fer : tout cela grossier, vieil, & sans aucun appareil de richesse. Cete grille tient la largeur d’une porte à l’autre ; au travers d’icelle, on voit jusques au bout de cete logette, & ce bout, qui est environ la cinquieme partie de la grandur de cete logette, qu’on renferme, c’est le lieu de la principale relligion. Là se voit au haut du mur, l’image Notre Dame, faicte, disent-ils, de bois ; tout le reste est si fort pavé de vœux riches de tant de lieus & princes, qu’il n’y a jusques à terre pas un pousse vuide, & qui ne soit couvert de quelque lame d’or ou d’arjant. J’y peus trouver à toute peine place, & avec beaucoup de faveur, pour y loger un tableau dans lequel il y a quatre figures d’arjant attachées: cele de Notre-Dame, la miéne, cele de ma fame, cele de ma fille. Au pieds de la miéne, il a insculpé sur l’arjant : Michael Montanus, Gallus Vasco, Eques Regij Ordinis 1581 ; à cele de ma fame, Francisca Cassaniana uxor ; à cele de ma fille, Leonora Montana filia unica ; & sont toutes de ranc à genous dans ce tableau, & la Notre Dame au haut au devant. Il y a un’autre antrée en cete chapelle que par les deus portes de quoi j’ai parlé, laquelle antrée respont au dehors. Entrant donc par là en cete chapelle, mon tableau est logé à mein gauche contre la porte qui est à ce couin, & je l’y ai laissé très curieusemant ataché & cloué. J’y avois faict mettre une chenette & un aneau d’arjant, pour par icelui le pandre à quelque clou ; mais ils amarent mieus l’atacher tout à faict. En ce petit lieu est la cheminée de cete logette, laquelle vous voiés en retroussant certeins vieus pansiles qui la couvrent. Il est permis à peu d’y entrer ; voire par l’escriteau de devant la porte, qui est de metal très-richemant labouré, & encore y a-t-il une grille de fer audavant cete porte, la defance y est que, sans le congé du Gouvernur, nul n’y entre. Entr’autres choses, pour la rarité, on y avoit laissé parmi d’autres presans riches, le cierge qu’un Turc frechemant y avoit envoïé, s’étant voué à cette Nostre-Dame, estant en quelque extreme necessité, & se voulant eider de toutes sortes de cordes. L’autre part de cete casete, & la plus grande sert de chapelle, qui n’a nulle lumiere du jour, & a son Autel audessous de la grille contre ce moïen duquel j’ai parlé. En cete chapelle, il n’y a nul ornemant, ni banc, ny accoudoir, ny peinture ou tapisserie au mur ; car de foi mesmes il sert de reliquere. On n’y peut porter nulle espée, ny armes, & n’y a nul ordre ny respect de grandur. Nous fismes en cete chapelle-là nos Pasques, ce qui ne se permet pas à tous ; car il y a lieu destiné pour cet effaict, à cause de la grand’presse d’homes qui ordineremant y communient. Il y a tant de ceus qui vont à toutes heures en cete chapelle, qu’il faut de bon’heure mettre ordre qu’on y face place. Un Jésuite Allemand m’y dît la messe, & dona à communier. Il est défendu au peuple de rien esgratigner de ce mur ; & s’il etoit permis d’en amporter, il n’y en auroit pas pour trois jours. Ce lieu est plein d’infinis miracles, de quoi je me raporte aus Livres ; mais il y en a plusieurs & fort recens de ce qui est mésavenu à ceus qui par devotion avoint amporté quelque chose de ce batimant, voire par la permission du Pape ; & un petit lopin de brique qui en avoit été osté lors du concile de Trante, y a été raporté. Cete casete est recouverte & appuiée par le dehors en carré, du plus riche bastimant, le plus labouré & du plus beau mabre qui se peut voir ; & se voit peu de pieces plus rares & excellantes. Tout autour & audessus de ce carré, est une belle grande Eglise, force beles chapelles tout au tour, tumbeaus, & entr’autres celui du Cardinal d’Amboise, que M. le Cardinal d’Armaignac y a mis. Ce petit carré est come le Cœur des autres Eglises ; toutefois il y a un cœur mais c’est dans une encouignure. Toute cete grande Eglise est couverte de tableaus, peintures, & histoires. Nous y vismes plusieurs riches ornemans, & m’étonai qu’il ne s’y en voïoit encore plus, veu le nom fameus si antienemant de cete Eglise. Je croi qu’ils refondent les choses antienes, & s’en servent à autres usages. Ils estiment les aumones en arjant monoïé à dix mille escus. Il y a là plus d’apparance de relligion qu’en nul autre lieu que j’aïe veu. Ce qui s’y perd, je dis de l’arjant ou autre chose, digne, non d’être relevée sulemant, mais desrobée, pour les jans de ce metier, celui qui le treuve, le met en certein lieu publique & destiné à cela ; & reprant là, quiconque le veut reprandre, sans connoissance de cause. Il y avoit, quand j’y etois, plusieurs teles choses, patenostres, mouchoirs, bourses sans aveu, qui etoint au premier occupant. Ce que vous achetés pour le service de l’Eglise & pour y laisser, nul artisan ne veut rien de sa façon, pour, disent-ils, avoir part à la grâce : vous ne païés que l’arjant ou le bois, d’aumone & de liberalité bien, mais en verité ils le refusent. Les jans d’Eglise, les plus officieus qu’il est possible à toutes choses, pour la confesse, pour la communion, & pour nulle autre chose, ils ne prennent rien. Il est ordinere de doner à qui vous voudrés d’entre eus de l’arjant, pour le distribuer aus pauvres en vostre nom, quand vous serés parti. Come j’étois en ce sacrere, voilà arriver un home qui offre au premier Prestre rancontré, une coupe d’arjant en disant en avoir faict veu ; & parceque il l’avoit faict de la despanse de douse escus, à quoi le calice ne revenoit pas, il paya soudein le surplus audict Prestre, qui pleidoit du païemant & de la monnoïe, comme de chose due très-exactemant, pour eider à la parfaicte & consciantieuse execution de sa promesse ; cela faict, il fit entrer cet home en ce sacrere, offir lui-mesme ce calice à Nostre-Dame, & y faire une courte oreson, & l’arjant le jeta au tronc commun. Ces examples, ils les voient tous les jours, & y sont assés nonchalans. À peine est reçu à doner qui veut, au moins c’est faveur d’être accepté. J’y arretai Lundi, Mardi & Mercredi matin ; après la messe j’en partimes. Mais, pour dire un mot de l’experience de ce lieu, où je me plus fort, il y avoit en mesme tamps là Michel Marteau, seigneur de la Chapelle, Parisien, june home très riche, avcq grand trein. Je me fis fort particulieremant & curieusemant reciter & à lui & à aucuns de sa suite, l’evenemant de la guerison d’une jambe qu’il disoit avoir eüe de ce lieu ; il n’est possible de mieus ny plus exactemant former l’effaict d’un miracle. Tous les Chirurgiens de Paris & d’Italie s’y étoint faillis. Il y avoit despandu plus de trois mille escus : son genou enflé, inutile, & très-dolureus, il y avoit plus de trois ans, plus mal, plus rouge, enflammé, & enflé, jusques à lui doner la fievre ; en ce mesme instant, tous autres médicamans & secours abandonés, il y avoit plusieurs jours ; dormant, tout à coup, il songe qu’il est gueri, & lui samble voir un escler ; il s’eveille, crie qu’il est gueri, apele ses jans, se leve, se promene, ce qu’il n’avoit faict onques depuis son mal ; son genou désenfle, la peau fletrie tout autour du genou & come morte, lui tousiours despuis, en amandant, sans null’autre sorte d’eide. Et lors il étoit en cet etat d’entiere guerison, etant revenu à Lorette ; car c’étoit d’un autre voïage d’un mois ou deus auparavant qu’il étoit gueri & avoit eté cepandant à Rome aveq nous. De sa bouche & de tous les siens, il ne s’en peut tirer pour certein que cela. Le miracle du transport de cete maisonete, qu’ils tienent être celle là propre où en Nasaret nasquit Jesus-Christ, & son remuemant premieremant en Esclavonie, & depuis près d’ici, & enfin ici, est attaché à de grosses tables de mabre en l’Eglise le long des piliers, en langage Italien, Esclavon, François, Alemant, Espaignol. Il y a au Cœur, un’anseigne de nos Rois pandue, & non les armes d’autre Roy. Ils disent qu’ils y voient souvant les Esclavons à grans tropes venir à cete devotion, aveq des cris, d’aussi loin qu’ils descouvrent l’Eglise de la mer en hors, & puis sur les lieus tant de protestations & promesses à Nostre-Dame, pour retourner à eus ; tant de regrets de loi avoir doné occasion de les abandoner, que c’est merveille. Je m’informai que de Lorette, il se peut aler le long de la marine, en huit petites journées, à Naples, voiage que je desire de faire. Il faut passer à Pescare & à la cita de Chiete, où il y a un Procaccio qui part tous les Dimanches pour Naples. Je offris à plusieurs Prestres de l’arjant ; la pluspart s’obstina à le refuser, & ceus qui en acceptarent, ce fut à toutes les difficultés du monde. Ils tienent là & gardent leur grein dans des caves, sous la rue. Ce fut le 25 d’Avril que j’offris mon veu. À venir de Rome à Lorette, auquel chemin nous fumes quatre jours & demi, il me couta six écus de monnoïe, qui sont 50 sols piece, pour cheval, & celui qui nous louoit les chevaus les nourrissoit & nous. Ce marché est incommode, d’autant qu’ils hastent vos journées, à cause de la despanse qu’ils font, & puis vous font treter le plus escharsemant qu’ils peuvent. Le 26, j’allai voir le Port, à trois milles delà, qui est beau, & y a un fort qui despant de la communauté de Ricanate. Don Luca-Giovanni Benefìciale, & Giovanni-- Gregorio da Cailli, Custode de la Secrestia, me donnarent leurs noms, affin que, si j’avois affaire d’eus ou pur moi ou pour autrui, je leur escrivisse : ceus-là me firent force courtoisies. Le premier comande à cete petite chapelle, & ne vousit rien prandre de moi. Je leur suis obligé des effaictes & courtoisies qu’ils m’ont faictes de parole. Ledict Mercredi après disner, je suivis un païs fertile, descouvert, & d’une forme meslée, & me randis à souper à

ANCONA, quinze milles. C’est la maitresse ville de la Marque : la Marque etoit aus latins Picoenum. Elle est fort peuplée & notammant de Grecs, Turcs, & Esclavons, fort marchande, bien bastie ; costoiée de deus grandes butes qui se jetent dans la mer, en l’une desqueles est un grand fort par où nous arrivasmes. En l’autre qui est fort voisin, il y a un’Eglise entre ces deus butes, & sur les pandans d’icelles, tant d’une part que d’autre, est plantée cete ville : mais le principal est assis au fons du vallon & le long de la mer, où est un très-beau port, où il se voit encores un grand arc à l’honur de l’Amperur Trajan, de sa feme, & de sa seur. Ils disent que souvant en huit, dix, ou douse heures, on trajecte en Esclavonie. Je croi que pour six escus ou un peu plus, j’eusse treuvé une barque qui m’eût mené à Venise. Je donai 33 pistolets pour le louage de huit chevaus jusques à Lucques, qui sont environ huit journées. Doit le vetturin nourrir les chevaus, & au cas que j’y sois quatre ou cinq jours plus que de huit, j’ai les chevaus, sans autre chose que de paier les despans des chevaus & garçons. Cete contrée est pleine de chiens couchans excellans, & pour six escus il s’y en trouveroit à vandre. Il ne fut jamais tant mangé de cailles, mais bien maigres. J’arrestai le 27 jusques après disner, pour voir la beauté & assiete de cete ville : à St. Creaco, qui est l’Eglise de l’une des deus butes, il y a plus de reliques de nom, qu’en Eglise du monde, lesqueles nous furent montrées. Nous averasmes que les cailles passent deça de la Sclavonie a grand foison, & que toutes les nuits on tand des rets au bord de deça & les apele-t-on à tout cete leur voix contrefaicte, & les rapele-t-on du haut de l’air où elles sont sur leur passage ; & disent que sur le mois de Septambre elles repassent la mer en Sclavonie. J’ouis la nuit un coup de canon de la Brusse, au roiaume & audelà de Naples. Il y a de lieuë en lieuë une tour ; la premiere qui descouvre une fuste de Corsere, faict signal à tout du feu à la seconde vedette ; d’une tele vitesse qu’ils ont trouvé qu’en une heure du bout de l’Italie l’avertissemant court jusques à Venise. Ancone s’apeloit einsin antienemant du mot grec, pour l’encouignure que la mer faict en ce lieu ; car ses deus cornes s’avancent & font un pli enfoncé, où est la ville converte par le davant de ces deus testes & de la mer, & encore par derriere d’une haute bute, où autrefois il y avoit un fort. Il y a encores une Eglise Grecque, & sur la porte, en une vieille pierre, quelques lettres que je pense Sclavones. Les fames sont ici communemant beles, & plusieurs homes honêtes & bons artisans. Après disner, nous suivismes la rive de la mer qui est plus douce & aisée que la nôtre de l’Ocean, & cultivée jusques tout jouignant de l’eau, & vinmes coucher à

SENIGAGLIA, vint milles. Bele petite ville, assise en une très-bele pleine tout jouignant la mer, & y faict un beau port ; car une riviere descendant des mons la lave d’un costé. Ils en font un canal garni & revestu de gros pans d’une part & d’autre, là ou les bateaus se metent à l’abri & en est l’entrée close. Je n’y vis nulle antiquité ; aussi logeames-nous hors la ville, en une belle hostelerie qui est la seule de ce lieu. On l’apeloit antienemant Senogallia, de nos ancetres qui s’y plantarent, quand Camillus les eut batus ; elle est de la juridiction du Duc d’Urbin. Je ne me trouvois guiere bien. Le jour que je partis de Rome, M. d’Ossat se promenant aveq moi, je vousis saluer un autre jantilhome : ce fut d’une tele indiscretion, que de mon pousse droit j’allai blesser le couin de mon euil droit, si que le sang en sortit soudein, & j’y ai eu longtamps une rougeur extreme ; lors elle se guerissoit, Erat tunc dolor ad unguem sinistrum. J’obliois à dire, qu’à Ancone, en l’Eglise de St. Creaco, il y a une tumbe basse d’une Antonia Rocamoro, patre, matre, Valletta, Galla, Aquitana, Paciocco Urbinati, Lusitano nupta, qui est enterrée depuis dix ou douze ans. Nous en partismes bon matin, & suivismes la marine par un très-plesant chemin jouignant nostre disnée ; nous passames la riviere Metro, Metaurus, sur un grand pont de bois, & disnames à

FANO, quinze milles. Petite ville en une bele & très-fertile pleine, jouignant la mer, assés mal bastie, bien close. Nous y fumes très-bien tretés de pein, de vin & de poisson ; le logis n’y vaut guiere. Ell’a cela sur les autres villes de cete coste, come Senigaglia, Pesaro, & autres, qu’elle a abondance d’eaus douces, plusieurs fontenes publiques & puis particulieres, là où les autres ont à chercher leur eau jusques à la montaigne. Nous y vismes un grand arc antien, où il y a un’inscription sous le nom d’Auguste, qui muros dederat. Elle s’apelloit Fanum, & étoit Fanum Fortunæ. Quasi en toute l’Italie, on tamise (la farine) à tout des roues, où un Boulanger fait plus de besouigne en un’heure que nous en quatre. Il se treuve quasi à toutes les hosteleries, des rimeurs, qui sont sur le champ des rimes accommodées aus assistans. Les instrumans sont en toutes les boutiques jusques aus ravaudurs des carrefours des rues. Cete ville est fameuse sur toutes celes d’Italie : de belles fames nous n’en vismes nulle, que très-ledes ; & à moi qui m’en enquis à un honête-home de la ville, il me dit que le siecle en estoit passé. On païe en cete route environ dix sous pour table, vint sous par jour pour home, le cheval pour le louage & despans environ 30 s. Cete ville est de l’Eglise. Nous laissames sur cete mesme voïe de la Marine, à voir un peu plus outre, Pesaro, qui est une bele ville & digne d’être veuë, & puis Rimini, & puis cet’antiene Ravenne ; & notammant à Pesaro, un beau bastimant d’étrange assiete que faict faire le Duc d’Urbin, à ce qu’on m’a dict : c’est le chemin de Venise contre bas. Nous laissames la Marine & primes à mein gauche, suivant une large pleine au travers de laquele passe Metaurus. On descouvre partout d’une part & d’autre des très beaus couteaus, & ne retire pas mal le visage de cete contrée à la pleine de Blaignac à Castillon. En cete pleine de l’autre part de cete riviere, fut donée la bataille de Salinator & Claudius-Nero, contre Asdrubal, où il fut tué. À l’antrée des montaignes qui se rancontrent au bout de cete pleine, tout sur l’antrée se treuve

FOSSOMBRUNE quinze milles, appartenant au Duc d’Urbin : ville assise contre la pante d’une montaigne, aïant sur le bas une ou deus beles rues fort droites, égales & bien logées ; toutefois ils disent que ceus de Fano sont beaucoup plus riches qu’eus. Là il y a sur la place un gros piédestal de mabre, aveq une fort grande inscription, qui est du tamps de Trajan, à l’honur d’un particulier habitant de ce lieu, & un’autre contre le mur qui ne porte nulle enseigne du tamps. C’etoit antienemant Forum Sempronij ; mais ils tienent que leur premiere ville étoit plus avant vers la pleine & que les ruines y sont encores en bien plus bele assiete. Cete vile a un pont de pierre, pour passer le Metaurus, per viam Flaminiam. Parceque j’y arrivai de bon’heure, (car les milles sont petites & nos journées n’étoint que de sept ou huit heures à chevaucher), je parlai à plusieurs honetes jans qui me contarent ce qu’ils savoint de leur ville & environs. Nous vismes là un jardin du Cardinal d’Urbin, & force pieds de vigne entés d’autre vigne. J’entretins un bon home faisur de Livres, nomé Vincentius Castellani, qui est de là. J’en partis landemein matin, & après trois milles de chemin, je me jetai à gauche & passai sur un pont la Cardiana, le fluve qui se mesle à Metaurus, & fis trois milles le long de aucunes montaignes & rochiers sauvages, par un chemin etroit & un peu mal aisé, au bout duquel nous vismes un passage de bien 50 pas de long, qui a été pratiqué au travers de l’un de ces haus rochiers ; & parceque c’est une grande besouigne, Auguste qui y mit la mein le premier, il y avoit un’inscription en son nom que le tamps a effacée, & s’en voit encores un’autre à l’autre bout, à l’honur de Vespasien. Autour de là il se voit tout plein de grans ouvrages des bastimans du fons de l’eau, qui est d’une extreme hautur, au dessous du chemin, des rochiers coupés & aplanis d’une espessur infinie, & le long de tout ce chemin qui est via Flaminia, par où on va à Rome, des traces de leur gros pavé qui est enterré pour la pluspart, & leur chemin qui avoit 40 pieds de large n’en a plus que quatre. Je m’étois détourné pour voir cela & repassai sur mes pas, pour reprandre mon chemin que je suivis par le bas d’aucunes montaignes accessibles & fertiles. Sur la fin de notre trete, nous comançames à monter & à descendre, & vinmes à

URBIN, seize milles. Ville de peu d’excellence, sur le haut d’une montaigne de moïene hautur, mais se couchant de toutes parts selon les pantes du lieu, de façon qu’elle n’a rien d’esgal, & partout il y a à monter & à descendre. Le marché y estoit, car c’étoit Sammedi. Nous y vismes le Palais qui est fort fameus pour sa béauté : c’est une grand’masse, car elle prant jusques au pied du mont. La veue s’étand à mille autres montaignes voisines, & n’a pas beaucoup de grace. Come tout ce bastimant n’a rien de fort agreable ny dedans ny autour, n’aïant qu’un petit jardinet de 25 pas ou environ. Ils disent qu’il y a autant de chambres que de jours dans l’an ; de vrai, il y ‘en a fort grand nombre, & à la mode de Tivoli & autres Palais d’Italie. Vous voiés au travers d’une porte, souvant 20 autres portes qui se suivent d’un sans, & autant par l’autre sans, ou plus. Il y avoit quelque chose d’antien, mais le principal fut basti en 1476, par Frederic Maria de la Rovere, qui ha leans plusieurs titres & grandurs de ses charges & exploits de guerre ; de quoi ses murailles sont fort chargées, & d’une inscription qui dict que c’est la plus bele maison du monde. Ell’est de brique, toute faicte à voutes, sans aucun planchier, come la pluspart des bastimans d’Italie. Cetui-ci est son arriere neveu ; c’est une race de bons Princes & qui sont eimés de leurs sujets. Ils sont de pere en fis tous jans de lettres, & ont en ce Palais une bele Librairie ; la clef ne se treuva pas. Ils ont l’inclination Espaignole. Les armes du Roy d’Espaigne se voient en ranc de faveur, de l’ordre d’Engleterre & de la Toison, & rien du nôtre. Ils produisent eus mesmes, en peinture, le premier Duc d’Urbin, june home qui fut tué par ses sujets pour son injustice : il n’etoit pas de cete race. Cetui-ci a épousé la sur de M. de Ferrare, plus vieille que lui de dix ans. Ils sont mal ensamble & séparés, rien que pour la jalousie d’elle, à ce qu’ils disent. Einsin, outre l’eage d’elle qui est de 45 ans, ils ont peu d’esperance d’enfans, qui rejetera, disent-ils, cete duché à l’Eglise, & en sont en peine. Je vis là, l’effigie au naturel de Picus Mirandula. Un visage blanc, très-beau, sans barbe, de la façon de 17 ou 18 ans, le nés longuet, les yeus dous, le visage maigrelet, le poil blon, qui lui bat jusques sur les espaules, & un estrange accoutremant. Ils ont en beaucoup de lieus d’Italie cete façon de faire des vis, voire fort droites & etroites, qu’à cheval vous pouvés monter à la sime ; cela est aussi ici avec du carreau mis de pouinte. C’est un lieu, disent-ils, froit, & le Duc faict ordinere d’y estre sulemant l’esté ; pour prouvoir à cela, en deus de leurs chambres, il s’y voit d’autres chambres carrées en un couin, fermées, de toutes pars, sauf quelque vitre qui reçoit le jour de la chambre ; au dedans de ces retranchemans est le lit du maistre. Après disner je me destourné encores de cinq milles, pour voir un lieu que le peuple de tout tamps apele Sepulchro d’Asdrubale, sur une colline fort haute qu’ils noment Monte deci. Il y a là quatre ou cinq mechantes maisonetes & une Eglisete, & se voit aussi un bastimant de grosse brique ou carreau, rond de 25 pas environ, & haut de 25 pieds. Tout au tour il y a des accoudoirs, de mesme brique de trois en trois pas. Ie ne sçai comant les massons apelent ces pieces, qu’ils font pour soutenir come des becs. On monta au dessus, car il n’y a null’entrée par le bas. On y trouva une voute, rien dedans, nulle pierre de taille, rien d’escrit ; des habitans disent qu’il y avoit un mabre, où il y avoit quelques marques, mais que de notre eage il a été pris. D’où ce nom lui a été mis, je ne sçai, & je ne crois guiere que ce soit vraïmant ce qu’ils disent. Bien est-il certein qu’il fut defaict, & tué assés près de là. Nous suivismes après un chemin fort montueus, & qui devint fangeus pour une sole heure qu’il avoit pleu, & repassames Metaurus à gué, come ce n’est qu’un torrant qui ne porte pouint de bateau, lequel nous avions passé un’autrefois depuis la disnée, & nous randismes sur la fin de la journée par un chemin bas & aisé à

CASTEL DURANTE, quinze milles. Villete assise en la pleine, le long de Metaurus, apartenant au duc d’Urbin. Le peuple y faisoit fus de joïe & feste de la naissance d’un fils masle, à la Princesse de Besigna, sur de leur Duc. Nos vetturins déselent leurs chevaus à mesure qu’ils les débrident, en quelqu’etat qu’ils soint, & les font boire sans aucune distinction. Nous bevions ici des vins sophistiqués, & à Urbin, pour les adoucir ....50. Le Dimanche matin nous vinmes le long d’une pleine assés fertile & les couteaus d’autour, & passames premieremant une petite bele vile, S. Angelo, apartenant audit Duc, le long de Metaurus, aïant des avenues fort beles. Nous y trouvasmes en la ville des petites reines du micareme parceque c’étoit la veille du premier jour de Mai. De là suivant cete pleine nous traversames encores une autre villete de mesme jurisdiction, nomée Marcatello, & par un chemin qui comançoit deja à santir la montaigne de l’Apennin, vinmes diner

BORGO-A-PASCI, dix milles. Petit village & chetif logis pour une soupée, sur l’encouignure des mons. Après disner nous suivismes premieremant une petite route sauvage & pierreuse, & puis vinmes à monter un haut mont de deus milles de montée, & quatre milles de pante ; le chemin escailleus & ennuïeus : mais non effroïable ny dangereus, les præcipices n’estant pas coupés si droit que la veue n’aïe ou se soutenir. Nous suivismes le Metaurus jusques à son gite, qui est en ce mont ; einsi nous avons veu sa naissance & sa fin, l’aïant veu tumber en la mer à Senogallia. À la descente de ce mont, il se presantoit à nous une très belle & grande pleine, dans laquele court le Tibre qui n’est qu’à 8 milles ou environ de sa naissance, & d’autres monts audelà : prospet representant assés celui qui s’offre en la Limaigne d’Auvergne, à ceus qui descendent le Pui de Domme à Clermont. Sur le haut de nostre mont se finit la Jurisdiction du Duc d’Urbin, & comance cele du Duc de Florance & cele du Pape à mein gauche. Nous vinmes souper à

BORGO S. SEPOLCHRO, treize milles. Petite ville en cete pleine, n’aiant nulle singularité, audict Duc de Florance ; nous en partimes le premier jour de May. À un mille de cete ville, passames sur un pont de pierre la riviere du Tibre, qui a encores là ses eaus cleres & belles, qui est signe que cete colur sale & rousse, Flavum Tiberim, qu’on lui voit à Rome, se prant du meslange de quelqu’autre riviere. Nous traversames cete pleine de quatre milles, & à la premiere colline trouvames une villete à la teste. Plusieurs filles & là & ailleurs sur le chemin, se metoint au devant de nous, & nous sesissoint les brides des chevaus, & là en chantant certeine chanson pour cet effaict, demandoint quelque liberalité pour la feste du jour. De cete colline, nous nous ravalames en une fondriere fort pierreuse, qui nous dura longtamps le long du canal d’un torrant, & puis eusmes à monter une montaigne sterile & fort pierreuse, de trois milles à monter & descendre, d’où nous descouvrimes une autre grande pleine, dans laquele nous passames la riviere de Chiasso, sur un pont de pierre, & après la riviere d’Arno, sur un fort grand & beau pont de pierre, au deça duquel nous logeames à

50 Il manque ici quelque chose

PONTE BORIANO, petite maisonete, dix-huit milles. Mauvés logis, come sont les trois præcedans, & la pluspart de cete route. Ce seroit grand folie de mener par ici des bons chevaus, car il n’y a pouint de souin. Après disner, nous suivismes une longue pleine toute fendue de horribles crevasses que les eaus y font d’une estrange façon, & croi qu’il y faict bien led en hiver ; mais aussi est-on après à rabiller le chemin. Nous laissames sur nostre mein gauche, bien près de la disnée, la ville d’Arezzo, dans cete mesme pleine, à deus milles de nous ou environ. Il samble toutefois que son assiete soit un peu relevée. Nous passames sur un beau pont de pierre de grande hautur la riviere de Ambra, & nous randismes à souper à

LAVENELLE, dix milles. L’hostellerie est audeça dudict village d’un mille ou environ, & est fameuse ; (aussi) la tient-on la meilleure de Thoscane & a-t-on raison ; car à la raison des hosteleries d’Italie, elle est des meilleures. On en faict si grand feste, qu’on dict que la noblesse du païs s’y assamble souvant, come chés le More, à Paris ; ou Guillot, à Amians. Ils y servent des assietes d’estein, qui est une grande rarité. C’est une maison sule, en très bele assiete, d’une pleine qui a la source d’une fonteine à son service. Nous en partismes au matin, & suivismes un très beau chemin & droit en cete pleine, & y passames au travers quatre villetes ou bourgs fermés, Mantenarca, S. Giovanni, Fligline & Anchisa & vinmes disner à

PIANDELLA FONTE, douze milles. Assés mauvés logis, où est aussi une fonteine un peu au dessus ledict bourg d’Anchisa, assis au val d’Arno, de quoi parle Petrarca, lequel on tient nai dudict lieu Anchisa, au moins d’une maison voisine d’un mille, de laquelle on ne treuve plus les ruines que bien chetifves ; toutefois ils en remerquent la place. On semoit là lors des melons parmi les autres qui y etoint deja semés, & les esperoit-on recueillir en Aoust. Cete matinée j’eus une pesantur de teste & trouble de veue come de mes antienes migrenes, que je n’avois santi il y avoit dix ans. Cete valée où nous passames, a eté autrefois toute en marès, & tient Livius, que Annibal fut contreint de les passer sur un Elefant, & pour la mauvese seson y perdit un euil. C’est de vrai un lieu fort plat & bas, & fort sujet au cours de l’Arne. Là je ne vousis pas disner, & m’en repantis ; car cela m’eût eidé à vomir, qui est ma plus prompte guerison : autremant je porte cete poisantur de teste un jour & deus, come il m’avint. Alors, nous trouvions ce chemin plein du peuple du païs, portant diverses sortes de vivres à Florance. Nous arrivasmes à

FLORANCE, douze milles, par l’un des quatre pons de pierre qui y sont sur l’Arne. Landemein, après avoir ouï la messe, nous en partismes, & biaisant un peu le droit chemin, allames pour voir Castello, de quoi j’ai parlé ailleurs ; mais parceque les filles du Duc y etoint, & sur cete mesme heure aloint par le jardin ouïr la messe, on nous pria de vouloir atandre, ce que je ne vousis pas faire. Nous rancontrions en chemin force prossessions ; la baniere va devant, les fames après, la pluspart fort belles, a tout des chapeaus de paille, qui se font plus excellans en cete contrée qu’en lieu du monde, & bien vetues pour fames de village, les mules & escarpins blancs. Après les fames, marche le Curé, & après lui les masles. Nous avions veu le jour avant une prossession de Moines, qui avoint quasi tous de ces chapeaus de paille. Nous suivismes une très bele pleine fort large, & à dire le vrai, je fus quasi contreint de confesser que ny Orleans, ny Tours, ny Paris, mesmes en leurs environs, ne sont accompaignés d’un si grand nombre de maisons & villages, & si louin que Florance : quant à beles maisons & Palais, cela est hors de doubte. Le long de cete route, nous nous randismes à disner à

PRATO, petite ville, dix milles, audict Duc, assise sur la riviere de Bisanzo, laquelle nous passames sur un pont de pierre à la porte de ladicte ville. Il n’est nulle region si bien accommodée, entr’autres choses, de pons & si bien estoffés ; aussi le long des chemins partout on rancontre des grosses pierres de taille, sur lesqueles est escrit ce que chaque contrée doit rabiller de chemin, & en respondre. Nous vismes là au Palais dudict lieu les armes & nom du Legat du Prat, qu’ils disent être oriunde de là. Sur la porte de ce Palais et une grande statue coronée, tenant le monde en sa mein, & à ses pieds, Rex Robertus. Ils disent là que cete ville a été autreffois à nous ; les flurs de lis y sont partout : mais la ville de soi porte de gueules semé de flurs de lis d’or. Le dome y est beau & enrichi de beaucoup de mabre blanc & noir. Au partir de là, nous prismes un’autre traverse de bien 4 milles de destour, pour aler al Poggio, maison de quoi ils font grand feste apartenant au Duc, assis sur le fluve Umbrone ; la forme de ce bastimant est le modele de Pratolino. C’est merveille, qu’en si petite masse il y puisse tenir çant très beles chambres. J’y vis entr’autres choses des lits grand nombre de tres-bele etoffe, & de nul pris : ce sont de ces petites etoffes bigarrées, qui ne sont que de leine fort fine, & les doublent de tafetas à quatre fils de mesme colur de l’estoffe. Nous y vismes le cabinet des distiloirs du Duc & son ouvroir du tour, & autres instrumans : car il est grand mechanique. Delà par un chemin très droit & le païs extrememant fertile, le chemin clos d’abres, ratachés de vignes qui faict la haie, chose de grande beauté, nous nous randismes à souper à

PISTOIE, quatorze milles. Grande ville sur la riviere d’Umbrone ; les rues fort larges, pavées come Florance, Prato, Lucques, & autres, de grandes plaques de Pierre fort larges. J’obliois à dire que des salles de Poggio, on voit Florance, Prato & Pistoïa, de la table : le Duc etoit lors à Pratolino. Audict Pistoïe, il y a fort peu de peuple, les Eglises belles, & plusieurs belles maisons. Je m’enquis de la vante des chapeaus de paille, qu’on fit 15 s. Il me samble qu’ils vaudroint bien autant de francs en France. Auprès de cette ville & en son territoire, fut ancienemant deffaict Catilina. Il y a à Poggio, de la tapisserie represantant toute sorte de chasses ; je remercai entr’autres une pante de la chasse des Autruches, qu’ils font suivre à gens de cheval & enferrer à tout des Javelots. Les Latins apelent Pistoïa, Pistorium ; elle est au Duc de Florance. Ils disent que les brigues antienes des maisons de Cancellieri & Pansadissi, qui ont eté autrefois, l’ont einsi randue come inhabitée, de maniere qu’ils ne content que huit mille ames en tout ; & Lucques qui n’est pas plus grande, fait vint & cinq mille habitans & plus. Messer Tadeo Rospiglioni, qui avoit eu de Rome lettre de recommandation en ma faveur, de Giovanni Franchini, me pria à disner le landemein, & tous les autres qui etions de compaignie. Le Palais fort paré, le service un peu farouche pour l’ordre des mets, peu de viande, peu de valets ; le vin servi encores après le repas, comme en Allemaigne. Nous vismes les Eglises : à l’élevation, on y sonnoit en la maitresse Eglise les trompettes. Il y avoit parmi les enfans de ceurs des Prestres revestus, qui sonnoint des saquebutes. Cete poure ville se païe de la libéralité perdue sur cete veine image de sa forme antiene. Ils ont neuf premiers & un Gonfalonier qu’ils elisent de deus en deus mois. Ceus-ci ont en charge la police, sont nourris du Duc, com’ils étoint antienemant du Publiq, logés au Palais, & n’en sortent jamais guiere que tous ensamble, y etant perpetuelemant enfermés. Le Gonfalonier marche devant le Potesta que le Duc y envoïe, lequel Potesta en effaict a toute puissance ; & ne salue ledict Gonfalonier personne, contrefaisant une petite roïauté imaginere. J’avois pitié de les voir se paitre de cete singerie, & cependant le Grand-Duc a accreu les subsides des dix pars sur les antiens. La pluspart des grans jardins d’Italie nourrissent l’herbe aus maistresses allées & la fauchent. Environ ce tamps-là comançoint à murir les serises ; & sur le chemin de Pistoïe à Luques, nous trouvions des jans de village qui nous presentoint des bouquets de freses à vandre. Nous en partismes Jeudi, jour de l’Ascension après disner, & suivismes premieremant un tamps cete pleine, & puis un chemin un peu montueus, & après une très-belle & large pleine. Parmi les champs de bled, ils ont force abres bien rangés, & ces abres couverts & ratachés de vigne de l’un à l’autre : ces champs samblent être des jardins. Les montaignes qui se voïent en cete route sont fort couvertes d’abres, & principalemant d’oliviers, chataigniers, & muriers pour leurs vers à soïe. Dans cete pleine se rancontre.

LUCQUES, vint milles. Ville d’un tiers plus petite que Bourdeaus, libre, sauf que pour sa foiblesse elle s’est jettée sous la protection de l’Ampereur & maison d’Austriche. Elle est bien close & flanquée ; les fossés peu enfoncés, où il court un petit canal d’eaus, & pleins d’herbes vertes, plats & larges par le fons. Tout au tour du mur, sur le terre-plein de dedans, il y a deux ou trois rancs d’abres plantés qui servent d’ombrage, & disent-ils de fascines à la nécessité. Par le dehors vous ne voyés qu’une forest qui cache les maisons. Ils font tousiours garde de trois cens soldats etrangiers. La ville fort peuplée, & notammant d’artisans de soïe ; les rues étroites, mais belles, & quasi partout des belles & grandes maisons. Ils passent au travers un petit canal de la riviere Cerchio ; ils batissent un Palais de cent trente mille escus de despanse, qui est bien avansé. Ils disent avoir six vins mille ames de sujets, sans la ville. Ils ont quelques Chatelets, mais nulle ville en leur subjection. Leurs Jantilshommes & jans de guerre font tous estat de marchandises : Les Buonvisi y sont les plus riches. Les Estrangiers n’y entrent que par une porte où il y a une grosse Garde. C’est l’une des plus plesantes assietes de ville que je vis jamais, environnée de deus grans lieus de pleine, belle par excellance au plus étroit, & puis de belles montaignes & collines, où pour la pluspart ils se sont logés aus champs. Les vins y sont mediocremant bons ; la cherté à vint sols par jour ; les hosteleries à la mode du païs, assés chetives. Je receus force courtoisies de plusieurs particuliers, & vins & fruits & offres d’arjant. J’y fus Vandredi, Sammedi & en partis le Dimanche après disner, pour autrui, non pas pour moi qui etois à jun. Les collines les plus voisines de la ville sont garnies de tout plein de maisons plesantes, fort espais ; la plus part du chemin fut par un chemin bas, assés aisé entre des montaignes, quasi toutes fort ombragées & habitables partout le long de la riviere de Cerchio. Nous passames plusieurs villages & deus fort bourgs Reci & Borgo, & au-deça ladicte riviere que nous avions à notre mein droite, sur un pont de hautur inusitée, ambrassant d’un surarceau une grande largeur de ladicte riviere, & de cette façon de pons nous en vismes trois ou quarre. Nous vinmes sur les deus heures après midi au

BEIN DELLA VILLA, seize milles. C’est un païs tout montueus. Audavant du bein, le long de la riviere, il y a une pleine de trois ou quatre çans pas, audessus de laquele le bein est relevé le long de la côte d’une montaigne médiocre, & relevé environ come la fontaine de Banieres, où l’on boit près de la ville. Le Site où est le bein a quelque chose de plein, où sont trante ou quarante maisons très-bien accommodées pour ce service, les chambres jolies, toutes particulieres, & libres qui veut, à-tout un retret (chacune) & ont un’entrée pour s’entreatacher, & un autre pour se particulariser. Je les reconnus quasi toutes avant que de faire marché, & m’aretai à la plus belle, notammant pour le prospect qui regarde (au moins la chambre que je choisis) tout ce petit fons, & la riviere de la lima, & les montaignes qui couvrent ledict fons, toutes bien cultivées & vertes jusques à la sime, peuplées de chataigniers & oliviers, & ailleurs de vignes qu’ils plantent autour des montaignes, & les enceignent en forme de cercles & de degrés. Le bort du degré vers le dehors un peu relevé, c’est vigne ; l’enfonceure de ce degré, c’est bled. De ma chambre j’avois toute la nuit bien doucemant le bruit de cette riviere. Entre ces maisons est une place à se proumener, ouverte d’un costé en forme de terrasse, par laquele vous regardés ce petit plein sous l’allée d’une treille publique, & voiés le long de la riviere dans ce petit plein, à deus cens pas, sous vous, un beau petit village qui sert aussi à ces beins, quand il y a presse. La pluspart des maisons neufves, un beau chemin pour y aler, & une belle place audict village. La pluspart des habitans de ce lieu se tienent là l’hiver, & y ont leurs boutiques, notammant d’apotiquerie ; car quasi tous sont Apotiqueres. Mon hôte se nome le Capitene Paulini, & en est un. Il me donna une salle, trois chambres, une cuisine & encore un’apant pour nos jans, & là dedans huit lits, dans les deus desquels il y avoit pavillon ; fournissoit de sel, serviete le jour, à trois jours une nape, tous utansiles de fer à la cuisine, & chandeliers, pour unse escus, qui sont quelques sous plus que dix pistolets pour quinze jours. Les pots, les plats, assietes qui sont de terre, nous les achetions, & verres & couteaus ; la viande s’y treuve autant qu’on veut, veau & chevreau ; non guiere autre chose. À chaque logis on offre de vous faire la despanse, & croi qu’à vint sous par home on l’aroit par jour ; & si vous la voulés faire, vous trouvés en chaque logis quelque home ou fame capable de faire la cuisine. Le vin n’y est guiere bon ; mais qui veut en fait porter ou de Pescia ou de Lucques. J’arrivai là le premier, sauf deus Jantilhomes Bolonois qui n’avoint pas grand trein ; einsi j’eus à choisir &, à ce qu’ils disent, meilleur marché que je n’eusse eu en la presse, qu’ils disent y être fort grande ; mais leur usage est de ne comancer qu’en Juin, & y durer jusques en Septambre : car en Octobre ils le quittent & s’y fait des assamblées souvant pour la sule recreation ; ce qui se faict plustot, come nous en trouvasmes qui s’en retournoint y aïant deja été un mois, ou en Octobre, est extraordinere. Il y a en ce lieu une maison beaucoup plus magnifique que les autres des Sieurs Buonvisi, & certes fort belle ; ils la noment le Palais. Elle a une fontene belle & vive dans la salle, & plusieurs autres commodités. Elle me fut offerte, au moins un appartement de quatre chambres que je voulois, & tout, si j’en eusse eu besouin. Les quatre chambres meublées come dessus, ils me les eussent laissées pour vint escus du païs pour quinse jours ; j’en vousis doner un escu par jour pour la consideration du tamps & pris, qui change. Mon hoste n’est obligé à notre marché que pour le mois de May ; il le faudra refaire, si j’y veus plus arrester. Il y a ici de quoi boire & aussi de quoi se beigner. Un bein couvert, vouté, & assés obscur, large come la moitié de ma salle de Montaigne. Il y a aussi certein esgout qu’ils noment la Doccia ; ce sont des tuïeaus par lesquels on reçoit l’eau chaude en diverses parties du cors & notamment à la teste, par des canaus qui descendent sur vous sans cesse, & vous vienent batre la partie, l’echauffent, & puis l’eau se reçoit par un canal de bois, come celui des buandieres, le long duquel elle s’écoule. Il y a un autre bein vouté de mesme & obscur pour les fames : le tout d’une fonteine de laquelle on boit, assés mal plaisammant assise, dans une enfonceure où il faut descendre quelques dégrés. Le Lundi huit de Mai au matin, je pris à grande difficulté de la casse que mon hoste me presenta, non pas de la grace de celui de Rome, & la pris de mes meins. Je disnai deus heures après, & ne peus achever mon disner ; son operation me fit randre ce que j’en avois pris, & me fit vomir encores despuis. J’en fis trois ou quatre selles avec grand dolur de vantre, à cause de sa vantosité qui me tourmenta près de vint-quatre heures, & me suis promis de n’en prandre plus. J’eimerois mieus un accès de cholique, aiant mon vantre einsin esmeu, mon gout altéré, ma santé troublée de cette casse

car j’étois venu là en bon estat, en maniere que le Dimanche après souper, qui étoit le sul repas que

j’eusse faict ce jour, j’alai fort alegremant voir le bein de Corsena, qui est à un bon demi mille de là, à l’autre visage de cete mesme montaigne, qu’il faut monter & devaler après, environ à mesme hautur que les beins de deça. Cet autre bein est plus fameus pour le bein & la Doccia ; car le nostre n’a nul service receu communéemant ny par les Medecins ny par l’usage, que le boire ; & dict-on que l’autre est plus antienemant conu. Toutefois pour avoir cete vieillesse qui va jusques au siecles des Romeins, il n’y a nulle trace d’antiquité ny en l’un ny en l’autre. Il y a là trois ou quatre grans beins voutés, sauf un trou sur le milieu de la voute, com’un soupirail ; ils sont obscurs & mal plaisans. Il y a un’autre fonteine chaude à deus ou trois çans pas de là un peu plus haut en ce mesme mont, qui se nome de Saint Jan, & là on y a faict une loge à trois beins aussi couverts ; nulle maison voisine, mais il y a de quoi y loger un materas pour y reposer quelque heure du jour. À Corsena, on ne boit du tout pouint. Au demeurant, ils diverisifient l’operation de ses eaus qui refreche qui eschauffe, qui pour telle maladie, qui pour telle autre, & là-dessus mille miracles ; mais en somme, il n’y a nulle sorte de mal qui n’y treuve sa guerison. Il y a un beau logis à plusieurs chambres, & une vintene d’autres non guiere beaus. Il n’y a nulle compareson en cela de leur commodité à la nostre, ny de la beauté de la veue, quoiqu’ils aïent nostre riviere à leurs pieds & que leur veue s’étande plus longue dans un vallon, & si sont beaucoup plus chers. Plusieurs boivent ici, & puis se vont beigner là. Pour cet’heure Corsena a la reputation. Le Mardi, neuf de Mai 1581, bon matin, avant le soleil levé, j’alai boire du surjon mesme de notre fonteine chaude, & en beus sept verres tout de suite, qui tienent trois livres & demie : ils mesurent einsi. Je croi que ce seroit à douze, notre carton. C’est un’eau chaude fort moderéemant, come celle d’Aigues-Caudes ou Barbotan, aïant moins de gout & saveur que nulle autre que j’aïe jamais beu. Je n’y peus apercevoir que sa tiedur, & un peu de douceur. Pour ce jour elle ne me fit null’operation, & si fus cinq heures despuis boire jusques au disner, & n’en randis une sule goute. Aucuns disoint que j’en avois pris trop peu : car là ils en ordonent un fiasque : sont deus boccals qui sont huit livres, sese ou dix sept verres des miens. Moi je pense qu’elle me trouva si vuide à-cause de ma medecine, qu’elle trouva place à me servir d’alimant. Ce mesme jour je fus visité d’un jantil home Boulonois, Colonel de douse çans homes de pied, aus gages de cete seigneurie, qui se tient à quatre milles des beins ; & me vint faire plusieurs offres, & fut aveq moi environ deus heures ; comanda à mon hoste & autres du lieu de me favoriser de leur puissance. Cete seigneurie a cete regle de se servir d’Officiers etrangiers, & leur done un Colonel à leur comander : qui a plus grande, qui moindre charge. Les Colonels sont païés ; les Capitaines qui sont des habitans du païs ne le sont qu’en guerre, & comandent aus compaignies particulieres lors du besouin. Mon Colonel avoit sese escus par mois de gages, & n’a charge que de se tenir prest. Ils vivent plus sous regle en ces beins ici qu’aus nostres, & junent fort, notammant du boire. Je m’y trouvois mieus logé qu’en nuls autres beins, fut-ce à Banieres. Le sit du païs est bien aussi beau à Banieres, mais en nuls autres beins ; les lieus à se beigner à Bade surpassent en magnificence & commodité tous les autres de beaucoup ; le logis de Bade comparable à tout autre, sauf le prospet d’ici. Mercredi bon matin, je rebeus de cet’eau, & etant en grand peine du peu d’operation que j’en avoi senti le jour avant ; car j’avoi bien faict une selle soudein après l’avoir prise, mais je randois cela à la medecine du jour præcedant, n’aiant faict pas une goute d’eau qui retirât à celle du bein. J’en prins le Mecredi, sept verres mesurés à la livre, qui fut pour le moins double de ce que j’en avois pris pour l’autre jour, & croi que je n’en ai jamais tant pris en un coup. J’en santis un grand desir de suer, auquel je ne vousis nullemant eider, aïant souvant oui dire que ce n’etoit pas l’effaict qu’il me faloit ; &, come le premier jour, me contins en ma chambre, tantost me promenant, tantost en repos. L’eau s’achemina plus par le derriere, & me fit faire plusieurs selles lâches & cleres, sans aucun effort. Je tien qu’il me fit mal de prandre cete purgation de casse, car l’eau trouvant nature acheminée par le derriere & provoquée, suivit ce trein-la ; là où je l’eusse, à-cause de mes reins, plus desirée par le devant ; & suis d’opinion, au premiers beins que je pranderai, de sulemant me preparer aveq quelque june le jour avant. Aussi crois-je que cet’eau soit fort lâche & de peu d’operation, & par conséquant sûre & pouint de hasard : les aprantis & delicats y seront bons. On les prant pour refreschir le foïe, & oster les rougeurs de visage : ce que je remerque curieusemant pour le service que je dois à une très vertueuse Dame de France. De l’eau de Saint Jan, on s’en sert fort aus fars, car ell’est extrememant huileuse. Je voïois qu’on en emportoit à pleins barrils aus païs etrangiers, & de cele que je beuvois encore plus, à force asnes & mulets, pour Reggio, Modène, la Lombardie, pour le boire. Aucuns la prenent ici dans le lit, & leur principal ordre est de tenir l’estomac & les pieds chaus, & ne se branler guieres. Les voisins la font porter à trois ou quatre milles à leurs maisons. Pour montrer qu’elle n’est pas fort apéritive, ils ont en usage de faire aporter de l’eau d’un bein près de Pistoïe, qui a le goust acre & très chaude en son nid ; & tienent les Apotiqueres d’ici pour en boire avant celle d’ici, un verre, & tienent qu’elle achemine cete ci, etant active & apéritive. Le segond jour je rendis de l’eau blanche, mais non sans quelque altération de colur, com’ailleurs, & fis force sable ; mais il etoit acheminé par la casse. J’appris là un accidant mémorable. Un habitant du lieu, soldat qui vit encore, nomé Giuseppe, & comande à l’une des galeres des Genevois en forçat, de qui je vis plusieurs parans proches, etant à la guerre sur mer, fut pris par les Turcs. Pour se mettre en liberté, il se fit Turc, (& de cete condition il y en a plusieurs, & notammant des montaignes voisines de ce lieu, encore vivans), fut circuncis, se maria là. Estant venu piller cete coste, il s’elouigna tant de sa retrete que le voilà, aveq quelques autres Turcs, attrapé par le Peuple qui s’etoit soublevé. Il s’avise soudein de dire qu’il s’estoit venu randre à esciant, qu’il estoit Chrétien, fut mis en liberté quelques jours après, vint en ce lieu, & en la maison qui est vis à vis de cele où je loge : il entre, il rancontre sa mere. Elle lui demande rudemant qui il etoit, ce qu’il vouloit : car il avoit encore ses vestemans de Matelot, & étoit estrange de le voir là. Enfin il se faict conètre : car il etoit perdu despuis dix ou douse ans, ambrasse sa mere. Elle aïant faict un cri, tumbe toute éperdue, & est jusques au landemein qu’on n’y conessoit quasi pouint de vie, & en étoint les Medecins du tout désesperés. Elle se revint enfin & ne vescut guiere depuis, jugeant chacun que cete secousse lui acoursit la vie. Nostre Giuseppe fut festoïé d’un checun, receu en l’Eglise à abjurer son erreur, reçeut le Sacremant de l’Eveque de Lucques, & plusieurs autres serimonies : mais ce n’etoit que baïes. Il étoit Turc dans son ceur, & pour s’y en retourner, se desrobe d’ici, va à Venise, se remesle aus Turs, reprenant son voïage. Le voilà retumbé entre nos meins, & parceque c’est un home de force inusitée & soldat fort entandu en la Marine, les Genevois le gardent encore, & s’en servent, bien ataché & garroté. Cete Nation a force soldats qui sont tous enregistrés, des habitans du païs, pour le service de la seigneurie. Les Colonels n’ont autre charge que de les exercer souvant, faire tirer, escarmoucher, & teles choses, & sont tous du païs. Ils n’ont nuls gages, mais ils peuvent porter armes, mailles, harquebouses, & ce qui leur plait ; & puis ne peuvent étre sesis au cors pour aucun debte, & à la guerre reçoivent païe. Parmi eus sont les Capitenes, Anseignes, Sarjans. Il n’y a que le Colonel qui doit estre de nécessité étrangier & païé. Le Colonel del Borgo, celui qui m’étoit venu visiter le jour avant, m’envoïa dudict lieu (qui est à quatre milles du bein) un home, avec sese citrons & sese artichaus. La douceur & foiblesse de cet’eau s’argumante encore de ce que elle se tourne si facilemant en alimant ; car elle se teint & se cuit soudein, & ne done pouint ces pouintures des autres à l’appetit d’uriner, come je vis par mon experiance & d’autres en mesme tamps. Encore que je fusse plesammant & très commodemant logé, & à l’envi de mon logis de Rome, si n’avois-je ny chassis ny cheminée, & encore moins vitres en ma chambre. Cela montre qu’ils n’ont pas en Italie les orages si frequans que nous ; car cela, de n’avoir autres fenetres que de bois quasi en toutes les maisons, ce seroit une incommodité insupportable

outre ce, j’étois couché très-bien. Leurs lits, ce sont petits mechans treteaus sur

lesquels ils jetent des esses, selon la longur & largeur du lit ; là dessus une paillasse, un materas, & vous voilà logé très bien, si vous avés un pavillon. Et pour faire que vos treteaus & esses ne paroissent, trois remedes : l’un d’avoir des bandes, de mesme que le pavillon, come j’avois à Rome ; l’autre, que votre pavillon soit assés long pour pandre jusques à terre, & couvrir tout, ce qui est le meillur ; le tiers, que la couverte qui se ratache par les couins avec des boutons, pande jusques à terre, qui soit de quelque legere etoffe, come de suteine blanche, aïant audessous un’autre couverte pour le chaut. Au moins j’aprans pour mon trein cet’epargne pour tout le commun de chés moi, & n’ai que faire de chalits. On y est fort bien, & puis c’est une recette contre les punèses. Le mesme jour, après disner, je me beignai, contre les regles de cete contrée, où on dict que l’une operation ampeche l’autre ; & les veulent distinguer, boire tout de suite, & puis beigner tout de suite. Ils boivent huit jour, & beignent trante : boire en ce bein & beigner en l’autre. Le bein est très-dous & plesant ; j’y fus demi heure, & ne m’esmeut qu’un peu de sueur : c’etoit sur l’heure de souper. Je me cochai au partir delà, & soupai d’une salade de citron sucrée, sans boire ; car ce jour je ne beus pas une livre, & croi, qui eût tout conté jusques au landemein, que j’avoi randu par ce moien à peu près l’eau que j’avoi prise. C’est une sotte costume de conter ce qu’on pisse. Je ne me trouvais pas mal, eins gaillard, come aus autres beins ; & si etois en grand peine de voir que mon eau ne se randoit pas, & à l’advanture m’en etoit il autant advenu ailleurs. Mais ici de cela, ils font un accidant mortel, & dès le premier jour si vous faillés à randre les deus pars au moins, ils vous conseillent d’abandoner le boire, ou prandre medecine. Moi, si je juge bien de ces eaus, elles ne sont ny pour nuire beaucoup, ny pour servir : ce n’est que lâcheté & foiblesse, & est à craindre qu’elles eschauffent plus les reins qu’elles ne les purgent ; & croi qu’il me faut des eaus plus chaudes & apéritives. Le Jeudi matin j’en rebus cinq livres, creignant d’en estre mal servi & ne les vuider. Elles me firent faire une selle, uriner fort peu, & ce mesme matin escrivant à M. Ossat, je tumbe en un pansemant si pénible de M. de la Boétie, & y fus si longtamps, sans me raviser, que cela me fit grand mal. Le lit de cet’eau est tout rouge & rouillé, & le canal par où elle passe : cela, meslé à son insipidité, me faict crère qu’il y a bien du fer, & qu’elle resserre. Je ne randis le Jeudi, en cinq heures que j’atandis à disner, que la cinquiesme partie de ce que j’avois beu. La vaine chose que c’est que la medecine. Je disois par rancontre, que me rapantois de m’estre tant purgé, & que cela faisoit que l’eau me trouvant vuide, servoit d’alimans & s’arretoit. Je vien de voir un Medecin imprimé parlant de ces eaus, nomé Donati, qui dit qu’il conseille de peu disner, & mieus souper. Come je continuai landemein à boire, je croi que ma conjecture lui sert : son compaignon Franciotti, est au contrere, come en plusieurs autres choses. Je santois ce jour là quelques poisanteurs de reins que je creignois que les eaus mesmes me causassent, & qu’elles s’y croupissent : si est-ce qu’à conter tout ce que je randois en 24 heures, j’arrivois à mon pouint à peu près, atandu le peu que je beuvois aus repas. Vandredi je ne beus pas, & au lieu de boire, m’alai beigner au matin & m’y laver la teste, contre l’opinion commune du lieu. C’est un usage du païs d’eider leur eau par quelque drogue meslée, come de sucre candi, ou manne, ou plus forte medecine, encore qu’ils meslent au premier verre de leur eau & le plus ordineremant, de l’eau del Testuccio, que je tâtai : elle est salée. J’ai quelque soupçon que les Apotiqueres, au lieu de l’envoïer querir près de Pistoïe où ils disent qu’elle est, sophistiquent quelque eau naturelle : car je lui trouvai la saveur extraordinaire, outre la salure. Ils la font rechaufer & en boivent au comancemant un, deus, ou trois verres. J’en ai veu boire en ma presance, sans aucun effaict. Autres mettent du sel dans l’eau au premier & second verre ou plus. Ils y estiment la sueur quasi mortelle, & le dormir, aïant beu. Je santois grand action de cet’eau vers la sueur.

ASSAGGIAMO di parlar un poco questa altra lingua, massime essendo in queste contrade dove mi pare sentire il più perfetto favellare della Toscana, particolarmente tra li paesani ché non l’hanno mescolato & alterato con li vicini. Il Sabbato la mattina a bona ora andai a tor l’acqua di Bernabò. Questa è una fontana fra le altre di questo monte : & è maraviglia come ne ha tante e calde, e fredde. Non è troppo alto. Ha forse tre miglia di circuito. Non si beve che della nostra fontana principale, e di questa altra che s’usa pochi anni fa. Un Bernabò leproso avendo assaggiato & acque, e bagni di tutte le altre fontane, si risolse a questa abbandonato : dove guarì. Di là è venuta in credito. Non ci è case intorno, e solamente una piccola coperta, e sedie di pietra intorno al canale : il quale essendo di ferro, e messo là poco fa, è la più parte mangiato di sotto. Si dice, ch’è la forza dell’acqua che lo consuma ; & è molto verisimile. Questa acqua è un poco più caldetta che l’altra, e, per l’opinione publica, più grave, e violenta. Ha un poco più d’odore di sulfine, ma tuttavia poco : e dove cade, imbianca il loco di colore di cenere come le nostre, ma poco. Discosta del mio alloggiamento un miglio poco manco, girando il piede della montagna, suo sito è più basso assai che tutte le altre calde. E circa una lancia, o due, del fiume, ne tolsi cinque libre con qualche disagio perchè non stava troppo bene della persona questa mattina. Il giorno innanzi avea fatto un grande esercizio di tre miglia circa di poi pranzo al caldo, e di poi cenare. Sentii l’effetto di questa acqua di qual cosa più gagliardo ; cominciai a smaltirla fra una mezz’ora. Presi una gran svolta come di due miglia per tornare a casa. Non so se questo esercizio estraordinario mi portasse giovamento, perchè gli altri giorni tornava subito alla mia stanza acciocché l’aria mattutina non mi freddasse : e le case non sono trenta passi discoste del fonte. La prima acqua che buttai fuora, fu naturale con arenella assai : le altre albe, e crude. Flati infiniti. Circa la terza libra ch’io smaltii, cominiciò di ripigliare non so che di rosso. Più della metà aveva messa giù innanzi il desinare. Voltante questa montagna di tutti versi trovai molte polle di fontane calde. Et oltre a questo dicono ancora li contadini, ch’in certi lochi l’inverno si vede, ch’ella fuma : argomento che ce n’e ancora d’altre. Mi paiono a me quasi calde a un modo, senza odore, senza sapore, senza fumo al paragone delle nostre. Viddi un altro loco a Corsenna più basso assai che li bagni, dove sono gran numero d’altre doccie più comode che le altre. Dicono essi, che sono piú fontane che fanno questi canali ; che sono otto, o dieci & hanno in capo un scritto di diversi nomi a ogni canale, la Saporita, la Dolce, la Innamorata, la Corona, la Disperata &c., accennando gli effetti loro. À la verità sono certi canali più caldi l’un che l’altro.

Le montagne d’intorno sono quasi tutte fertili di grano, & uva. E dove cinquanta anni per l’addietro erano piene di boschi, e di castagne, poche montagne pelate si vedono con la neve al capo, ma discoste assai. Il popolo mangia pane di legna : così dicono in proverbio pane di castagne, ch’è loro principale ricolta : & è fatto come quel che si domanda in Francia pein d’espisse. Di bode e biscie, non ne vidi mai tante. E per paura delle biscie li ragazzi non hanno l’ardire più volte di ricogliere le fragole : che ce ne fa grandissima abondanzia nella montagna, e fra le siepi. Alcuni a ogni bicchiere d’acqua pigliano tre, o quattro grani di coriandro confetto per far sventare. La domenica di Pasqua 14 di maggio presi dell’acqua di Bernabò cinque libre e più, perchè il vetro mio capiva più d’una libra. Le quattro principali Feste dell’anno le chiamano Pasqua. Buttai assai d’arenella la prima volta : & avanti che fusseno due ore, avea smaltito più di dui terzi dell’acqua secondo che l’aveva presa con voglia d’orinare & appetito usato alli altri bagni. Mi tenne il corpo lubrico : e mi scaricai di quella banda assaissimo. La libra d’Italia non è che di 12 oncie. Si vive qui a bonissimo mercato. La libra di carne di vitella bonissima, e tenerissima, circa tre soldi Franzesi. Ci fa assai trutte, ma piccole. Ci sono buoni artigiani a far parasoli : e se ne porta di quì per tutto. Il paese è montuoso : e si trova poche strade pari. Tuttavia ce ne sono d’assai piacevoli : e fino alli viali della montagna sono la più parte lastricati. Feci dopo pranzo un ballo di contadine, e ci ballai ancor`io per non parer troppo ristretto. In certi lochi d’Italia, come in tutta la Toscana, & Urbino, fanno le donne gl’inchini alla Francese delli ginocchi. Darente del canale di questa fontana della villa c’è un marmo quadro che ci è stato messo sono giusto 100 anni queste cal. di Maggio, dove sono scritte le virtù di questo fonte. La lascio perché si trova questa scritta in assai libri stampati dove si parla de’ bagni di Lucca. À tutti li bagni si ritrovano assai orioli per il servizio comune. Ne aveva sempre due su la mia tavola, che mi furono prestati. Questa sera non mangiai altro che tre fette di pane arrostite con buturo e succara senza bere. Lunedì giudicando, che questa acqua avesse abbastanza aprito la strada, ritornai a ripigliare quella della fontana ordinaria, e ne presi cinque libre. Non mi mosse a sudore come avea usato fare. La prima volta ch’io smaltiva l’acqua, buttava delle arenella che parevano in fatti pietre spezzate. Questa acqua mi parse, a comparazione di quella di Bernabó, come fredda ; conciosiacosachè quella di Bernabó abbia una caldezza molto moderata, e non arrivi di gran lunga a quelle di Plomieres né all’ordinaria di Banieres. Fece buon effetto d’ambedue le bande : è così fu la mia ventura di non credere questi Medici ch’ordinavano d’abbandonare il bere subito ch’il primo giorno non succedeva. Il Martedì 16 di Maggio, come è l’usanza di queste bande (e mi piace) intermessi il bere : e stetti al bagno un’ora e più, sotto la polla, perché mi pare l’acqua fredda in altri lochi. Ebbi paura (sentendo durar tuttavia questi venti nel ventricolo, & intestino, senza dolore, e pochi al stomaco) che l’acqua ne desse particulare causa : per questo l’intermissi. Mi piacque molto il bagno sì che mi ci fussi volentieri addormentato. Non mi mosse il sudore, sì bene il corpo. M’asciugai bene, e stetti un pezzo nel letto. Si fanno le rassegne de i soldati d’ogni Vicariato ogni mese. Il Colonnello, nostro uomo, dal quale riceveva un mondo di cortesie, fece la sua. Erano 200 soldati piquieri & harquebusieri. Li fece combattere. Sono troppo pratichi per paesani. Ma questo è il suo principale carico di tenerli in ordine, & insegnare la disciplina militare. Il popolo fra se è tutto diviso in la parte Francese, e Spagnola : e tuttavia si fanno questioni d’importanza in questa briga. Di questo fanno publica dimostrazione. Le donne e gli uomini di nostra parte portano li mazzi di fiori sur l’orecchia dritta, la berretta, fiocchi di capelli, & ogni tal cosa : gli Spagnuoli dall’altra banda. Questi contadini, & le lor donne, sono vestiti da gentiluomini. Non si vede contadina che non porti le scarpe bianche, le calzette di filo belle, il grembiale d’ermesino di qualche colore : e ballano, fanno capriole e molinetti molto bene. Quando si dice il Principe in questa Signoria s’intende il Consiglio de’ 120. Il Colonnello non può pigliar moglie senza licenzia del Principe, e l’ha con grande difficultà perchè non vogliono, che faccia amici, e parentadi nella patria : e non può ancora comprar nissuna possessione. Nissun soldato parte della patria senza licenza : e ce ne sono molti mendicanti per povertà, in quelle montagne ; e del guadagno comprano le arme loro.

Mercordì fui al bagno, e ci stetti più d’un’ora, sudai là un poco, mi bagnai la testa. Si vede là, che l’uso Todesco è comodo l’invernata a scaldar panni, & ogni cosa, a queste loro stufe, perchè il bagnaiuolo nostro tenendo un poco di carbone sotto un focone, & alzandogli la bocca con un mattone acciocché riceva l’aria per nutrire il fuoco, scalda benissimo, e subito, li panni, anzi più comodamente ch’il fuoco nostro. Il focone è un bacino nostro.

Qui si domandano bambe le zitelle, e giovani da marito : e putti li ragazzi fin alla barba. Il Gobbia fui un poco più sollecito, e presi il bagno più per tempo, sudai un poco al bagno, bagnai la testa sotto la polla. Sentiva le forze un poco indebolite del bagno, un poco di gravezza ai reni, buttando tuttavia le arenelle come del bere, e delle flegma assai. Anzi mi pareva, che faccessino il medesimo effetto che bevute. Continuai Venerdì. Ogni giorno si vendeva infinite some di questo fonte, e dell’altro di Corsenna, per diverse parti d’Italia. Mi pareva, che questi bagni mi rischiarassino il viso. Era travagliato sempre da questi flati circa il pettignone senza dolore, e per quello buttava nell’orine molta schiuma, e bulle che non si sfacevano di molto tempo. Qualche volta ancora de i peli negri, pochi. Mi sono accorto altre volte, ne che buttava assai. Per ordinario faceva l’orine torbide e cariche di roba. Sopra il suolo suo aveva l’orina del strutto. Questa nazione non ha il nostro costume di mangiar tanta carne. Non si vende altro che carne ordinaria. Non ne fanno appena il prezzo. Un levoratto bellissimo in questa stagione mi fu venduto alla prima parola, come di dire, sei soldi nostri. Non se ne caccia, non se ne porta, perché nissun li compra. Il Sabbato perché faceva un tempo torbido, e vento tal che si sentiva il difetto di pannate, e vetri, mi stetti cheto senza bagnare, e senza bere. In questo vedeva un grand’effetto di queste acque, ch’il Fratello mio che mai non s’era accorto di far arenella né da se, né nelli altri bagni dove aveva bevuto con esso me, ne buttava qui tuttavia infinite. La Domenica mattina mi bagnai, non la testa : e feci dipoi pranzo un ballo a premi publici, come si usa di fare a questi bagni : e volsi dare il principio di questo anno. Prima, cinque, o sei giorni innanzi, feci publicare per tutti i lochi vicini la festa. Il giorno innanzi mandai particolarmente a invitare tutti li Gentiluomini, e Signore, che si trovavano all’uno e l’altro bagno. Gli faceva invitar io al ballo, e poi alla cena. Mandai a Lucca per li premi. L’uso è, che se ne danno più, per non parer scegliere una sola donna fra tutte, per schifare e gelosia ; e sospetto. Ce n’è sempre otto, o dieci per le donne : per gli uomini due, o tre. Fui richiesto da molte di non scordare chi se stessa, chi la nipote, chi la figliuola. Gli giorni innanzi Messer Giovanni da Vincenzo Saminiati, secondo che gliene avea scritto, molto mio amico, mi fece portar di Lucca una cintura di corame, & una berretta di panno nero per gli uomini. Per le donne dui grembiali di tafetas, l’uno verde, l’altro pavonazzo (perché bisogna avvertire, che ci sia sempre qualche premio più onorevole per favorir una o due che volete) due grembiali di buratto, 4 carte di spille, 4 paia di scarpette (ma di queste ne diedi uno a una bella giovane fuora del ballo) un paro di pianelle (il quale giunsi a un paro di scarpette, e ne feci di questi dui uno solo premio), 3 reti di cristallo, e 3 intrecciature, che facevano tre premi ; 4 vezzetti. Furono premi 19 per le donne. Venne tutto a sei scudi poco più. Ebbi cinque fiffari. Gli dava a mangiare tutto il giorno, & un scudo a tutti : che fu la mia ventura, perché non lo fanno a questo prezzo. Questi premi s’appiccano a un certo cerchio molto adornato d’ogni banda, e si mettono alla vista del mondo.

Cominciammo noi il ballo con le vicine alla piazza : e temeva al principo, che restassimo soli. Fra poco giunse gran compagnia di tutte le bande, e particolarmente parecchi Gentiluomini di questa Signoria, e Gentildonne, le quali io ricevetti, & intrattenni secondo la mia possa. Tanto è, che mi parve, che ne restassino satisfatti. Perché faceva un poco caldo, adammo alla sala del palazzo di Buonvisi molto convenevole. Come il giorno cominciò a calare sulle 22 m’indrizzai alle Gentildonne di più importanza : e dicendo, che non mi bastava l’ingegno, e l’ardire di giudicar di tante bellezze, e grazia, e buon modi ch’io vedeva a quelle giovani, le pregava, pigliassino questo carico di giudicare esse, e premiare la compagnia secondo i meriti. Fummo là su le cerimonie perché esse rifiutavano questo carico che pigliavano a troppa cortesia. In fine ci mescolai questa condizione, che se lor piacesse ricevermi ancora di consiglio loro, ne diria la mia opinione. Per effeto fu, ch’i’andava scegliendo con gli occhi or questa, or quella : dove non mancai a aver certo rispetto alla bellezza, e vaghezza proponendo, che la grazia del ballo non dipendeva solamente del movimento de’ piedi, ma ancora del gesto, e grazia di tutta la persona e piacevolezza, e garbo. Gli presenti furono così distribuiti, chi più, chi manco, secondo il valore, questa Signora offerendoli alle ballatrici da parte mia, & io al contrario rimettendo a Lei questo obbligo tutto. Andò la cosa assai ordinatamente, e regolatamente : fuora che una di queste rifiutò il premio. Ben mi mandò pregare, che io lo dessi per amor suo a un’altra : e questo non lo comportai. Questa non era delle piú favorite. Si chiamava una per una dal suo loco, e veniva a trovare questa Signora, e me, ch’eramo a sedere darente l’un l’altro. Io dava il presente che mi pareva, alla Signora, basciandolo : e Lei pigliandolo lo dava alla Giovane dicendole con buon modo : ecco il Signor Cavaliere che vi fa questo bel presente : ringrazia. Anzi n’avete l’obbligo a sua Signoria che vi ha indicato degna di premiarvi fra tante altre. Ben mi rincresce, che non sia il presente più degno di tale virtù vostra : diceva, secondochè erano. Fu d’un tratto fatto il medesimo alli uomini. Non si mettono in questo conto li Gentiluomini, nè Gentildonne, conciosiachè abbino parte della danza. Alla verità è bella cosa, e rara a noi altri Francesi, di veder queste contadine tanto garbate vestite da Signore ballar tanto bene : & a gara di nostre Gentildonne, le più rare in questa virtù, ballano altro. Invitai tutti alla cena, perché li banchetti in Italia non è altro ch’un ben leggiero pasto di Francia. Parecchi pezzi di vitella, e qualche paro di pollastri, è tutto. Ci stettero a cena il Colonnello di questo Vicariato Sig. Francesco Gambarini Gentiluomo Bolognese, mio come fratello : un Gentiluomo Francese, non altri. Fuora che feci mettere a tavola Divizia. Questa è una povera contadina vicina duo miglia de i bagni, che non ha, né il marito, altro modo di vivere che del travaglio di lor proprie mani, brutta, dell’età di 37 anni. La gola gonfiata. Non sa né scrivere, né leggere. Ma nella sua tenera età avendo in casa del patre un zio che leggeva tuttavia in sua presenzia l’Ariosto, & altri poeti, si trovò il suo animo tanto nato alla poesia, che non solamente fa versi d’una prontezza la più mirabile che si possa, ma ancora ci mescola le favole antiche, nomi delli Dei, paesi, scienzie, uomini clari, come se fusse allevata alli studi. Mi diede molti versi in favor mio. À dir il vero non sono altro che versi, e rime. La favella elegante, e speditissima. La compagnia del ballo fu di cento persone forestiere, e più, con questo che il tempo fusse incomodo : che allora si fa la ricolta grande e principale di tutto l’anno, di seta : & in quei giorni s’affaticano senza rispetto di festa nissuna a coglier mattina e sera le foglie di mori per loro bigatti e frugelli : & a questo lavoro s’adoprano tutte queste giovani. Il Lunedì la mattina fui al bagno un poco più tardi perché mi feci radere, e tosare. Mi bagnai la testa, e la docciai più d’un quarto d’ora sotto la gran polla.

Del mio ballo fu tra li altri il Signor Vicario che tiene la ragione. Si domanda un Magistrato semestre, che la Signoria manda a ogni Vicariato per indicar delle cause civili in prima instanzia, e definisce a certa piccola somma. C’è un altro Officiero per le cause criminali. À costui diedi ad intendere, che mi pareva ragionevole, che la Signoria mettesse qualche regola (il che sarebbe molto facile : e line diedi gli modi che mi parevano più a proposto) che un numero infinito di mercanti, che vengono quà a pigliar di queste acque, e le portano per tutta l’Italia, portassino fede di quanta acqua si caricano, per levarli l’occasione di far qualche furfanteria. Di che gli dava una esperienzia mia, ch’era tale. Uno di questi mulattieri venne a mio oste uomo privato, e lo pregò darli una scritta per testimonio che lui portava via 24 some di questa acqua : e non ne aveva che quattro. L’oste al principio lo rifiutò per questo : ma l’Altro soggiunse, che fra quattro o sei giorni era per tornare a cercarne venti some. Diceva io, che questo mulattiere non era tornato. Ricevette molto bene questo mio avviso il Signor Vicario ; ma s’ingegnò, quanto poté, a sapere chi era questo testimonio, e chi era il mulattiere, qual forma, qual cavalli. Né l’uno né l’altro mai non li volsi dire, mai. Li dissi ancora, ch’io voleva dar principio a questo costume che si vede in tutti li bagni famosi d’Europa, che le persone di qualche grado ci lasciano le arme loro, pegno dell’obbligo c’hanno a queste acque : del che Lui me ne ringraziò molto per la Signoria. In questi giorni si cominciava in qualche lochi a segare il fieno. Il Martedì stetti al bagno due ore, e m’adocciai la testa un quarto d’ora poco più. Ci venne ai bagni in questi giorni un Cremonese mercante abitante in Roma. Pativa di molte infirmità estraordinarie. Parlava tuttavia, andava, e, da quel che si vedeva, assai allegro della vita. Il principal difetto era alla testa : per la debolezza della quale dice, ch’avea in modo persa la memoria, che mangiando mai non si ricordava di quel che li era stato messo innanzi alla tavola. Se partiva di casa per andar per qualche suo servizio, dieci volte bisognava, che tornasse a casa a domandar dove era per andare. Il Pater noster a pena lo poteva finire : dal fine veniva cento volte al principio, non s’avvedendo mai al fine, ch’avesse cominciato, né al ricominciare, ch’avesse finito. Era stato sordo, cieco ; e patito dolor di denti. Sentiva tanto calore alle reni, che bisognava, che ci avesse sempre un pezzo di piombo intorno. Viveva sotto la regola de i Medici con una religiosissima osservanzia già più anni. Era cosa piacevole di veder le diverse ordinazioni de i Medici di diverse parti d’Italia tanto contrari, e particolarmente sul fatto di questi bagni, e doccie : che di venti consulte non ci erano due d’accordo, anzi accusavano, e dannavano l’una l’altra quasi tutte d’omicidio. Pativa costui un accidente per la cosa de i venti mirabile, cioè che li uscivano con tanta furia gli flati per le orecchie, che il più delle volte non lo lasciavano dormire. Anzi quando sbadacciava sentiva sentiva subito uscire venti grandissimi per le orecchie. Diceva, per avviare il ventre, ch’il migliore rimedio che avesse, era di metter quattro coriandri confetti grossi un poco nella bocca, e poi avendoli bagnati e levigati un poco, metterli nel buso : e che facevano un apparentissimo, e subito effetto. À lui vidi il primo di questi cappelli grandi fatti di piume di pavone, coperti di tafetaso leggiero il buso del capo, alto d’un gran palmo, e grosso : e là dentro una scuffia di ermesino secondo la grandezza della testa acciocch’il sole non penetri ; e le ale intorno d’un piede e mezzo di larghezza, in iscambio de’ nostri parasoli che a la verità danno fastidio a portarli a cavallo.

Perché mi son altre volte pentito di non aver più minutamente scritto sul suggetto delli altri bagni, per pigliar regola & essempio ai seguenti ; questa volta mi voglio stendere, e slargare. Il Mercordì andai al bagno. Sentii un calore nel corpo, e sudore oltra il solito, un poco di debolezza, siccità, & asprezza nella bocca, e non so che stordimento all’uscire del bagno, come m’accadeva a tutti li altri per la caldezza delle acque Plomieres, Banieres, Preissac. À quelle di Barbotan, & a questo, no, se no questo Mercordì ; sia che ci era andato molto più per tempo che li altri giorni, non avendo ancora scaricato il corpo, sia che trovai l’acqua assai più calda del solito. Ci fui una ora e mezza, e circa un quarto d’ora m’adocciai la testa. Faceva molte cose contra la regola comune. D’addocciarmi nel bagno, perché l’uso è di fare particolarmente l’uno, e poi l’altro. D’addocciarmi di quest’acqua, dove pochi sono che non vadano alle doccie dell’altro bagno, e là ne pigliano di questa polla, o quella, chi prima, chi seconda, chi terza, secondo la prescritta de’ Medici. Di bere, e poi bagnare, e poi bere, mescolando così li giorni l’un fra l’altro, dove gli altri bevono certi giorni, e poi d’un tratto si mettono in bagno. Di non osservar il spazio del tempo, perché li altri bevono dieci giorni al più, e bagnano 25 giorni al manco di mano in mano. Di bagnarmi una sola volta il giorno, dove si bagna sempre due volte. D’addocciarmi così poco tempo, dove si sta sempre una ora al manco la mattina, e la sera il medesimo. Quanto al chericare che si fa da tutti, e poi si mette su questo loco un pezzettin di rasa con certe reti che la fermano su la testa, la mia testa leva non ne avea bisogno.

Questo medesimo giorno la mattina venne a visitarmi il Signor Vicario delli principali Gentiluomi di questa Signoria, venendo appunto delli altri bagni dove alloggiava. Fra l’altre cose mi narrò una mirabile istoria di se stesso, che la puntura d’un scargioffolo al polpastrello del pollice certi anni fa l’avea messo prima in tal termine, che fu per morirne d’un crudelissimo mancamento d’animo ; e di là cascò in tal miseria, che fu cinque mesi al letto senza moversi, stando continuamente sopra li reni, li quali sì essendo scaldati di questo oltra modo, partorirono il calculo del quale ha patito assai, più d’un anno, e di coliche. In fine il Padre suo Governator di Velitri li mandò certa pietra verde che li era venuta nelle mani per il mezzo d’un Frate ch’era stato in India. La quale pietra mentre l’ha avuta addosso, non ha mai sentito né dolore, né corso d’arenella. Et in questo stato era dipoi dui anni. Quanto alla puntura li era rimasto il dito, e quasi tutta la mano, inutile, e ancora il braccio tanto indebolito, ch’ogni anno vienne a i bagni di Corsenna per adocciarsi questo braccio & mano, come faceva allora.

Il Comune qui è molto povero. Mangiavano in questi tempi delle more verdi, le quali coglievano delli arbori che spogliavano della fronde per gli bigatti. Perchè era rimaso dubbioso il mercato dell’affitto della casa per il mese di Giugno, volsi chiarirmene con l’oste, il quale sentendo come io era richiesto da tutti sui vicini, e particolarmente dal patrone del palazzo de’ Bonvisi che me l’avea offerto a un scudo d’oro per giorno, risolse di lasciarmelo quanto mi pateria a ragione di 25 scudi d’oro per mese cominciando questo patto il primo di Giugno, e fin la il primo mercato. Questo loco è pienissimo d’invidi fra li abitatori, e d’inimicizie occulte mortali conciò che siano tutti parenti. Mi diceva qui una donna questo proverbio :

Chi vuol, che la sua donna impregni
Mandila al bagno, e non ci vegni.

Questo nella mia casa fra l’altre cose m’era assai grato, che per una via pari mi veniva del bagno al letto, e corta di 30 passi. Mi dispiaceva di veder questi mori spogliarsi di fronde, e far a mezza state viso d’invernata. Le arenelle ch’io buttava continuamente, mi parevano assai più rozze che del solito, e mi lasciavano non so che puntura al cazzo.

Ogni giorno si vedeva d’ogni banda portar a questo loco saggi di diversi vini in piccoli fiaschetti acciò che a chi piacesse delli forestieri ch’erano quá, ne mandasse a recare & erano pochissimi buoni vini ; leggieri, aggretti, e crudi bianchi, o veramente grossi, aspri, rozzi, se non chi mandasse à Lucca, o a Pescia per il Trevisano bianco, forte maturo, e non per questo troppo delicato. Il Giovedì, festa del Corpus Domini, presi il bagno un’ora e più, temperato ; ci sudai pochissimo, e n’uscii senza alterazione alcuna : m’adocciai la testa mezzo quarto d’ora, & al ritorno al letto m’addormentai un pezzo. À questo bagnare, & adocciare, pigliava più di pacere che altramente. Sentiva nelle mani, & altre parti del corpo, della bruzzura, e m’accorgeva di piú, che delli paesani di qua ce n’erano molti rognosi, e putti che pativano del latine. Si fa qui come altrove, che quel che cerchiamo noi con tanta difficultà, l’hanno gli paesani in dispregio : e ne vidi assai, che mai non avevano gustate queste acque, e ne facevano cattivo indizio. Con questo ci sono pochi vecchi. Con le flegma ch’io buttava nell’orina (quel che mi accade di continuo) si vedevano delle arenella inviluppate, e sospese. Mi pareva sentire questo effetto del bagno quando sotto poneva il pettignone alla polla, che mi spingeva fuora i venti. E di certo ho sentito subito, e chiaramente, scemare il sonaglio mio dritto se per caso l’aveva qualche volta gonfiato, come assai volte m’avviene. Di questo conchiudo quasi, che questa gonfiatura si faccia per mezzo dei flati che si rinchiudono. Il Venerdì mi bagnai al solito, & adocciai la testa un pezzetto più. La quantità estraordinaria ch’io buttava d’arenella di continuo, mi faceva dubitare, che potesse essere stata rinchiusa nelle reni perchè sene fusse fatto, chi la ristringesse, una grossa palla : e che più presto fusse che l’acqua la facesse concepire, e di mano in mano partorire. Il Sabbato mi bagnai due ore, & adocciai piú d’un quarto. La Domenica stetti cheto. Al qual giorno un Gentiluomo Bolognese faceva la festa d’un altro ballo. Il mancamento d’oriuoli ch’è in questo loco, & in la piú parte d’Italia, mi pareva molto discomodo. Al bagno c’e una Madonna, e questi versi :

AUSPICIO fac, Diva, tuo, quicumque lavacrum
Ingreditur, sospes ac bonus hinc abeat.

Non si può assai lodare e per la bellezza, e per l’utile, questo modo di cultivare le montagne fin alla cima, facendoci in forma di scaloni delli cerchi intorno d’esse, e l’alto di quelli scaloni adesso appoggiandolo di pietre, adesso con altri ripari, se la terra di se non stà soda ; il piano del scalone, come si riscontra più largo, o più stretto, empiendolo di grano ; e lestremo del piano verso la valle, cioè il giro, e l’orlo, aggirandolo di vigna ; e dove (come verso le crime) non si può ritrovar, né fare piano, mettendoci tutto vigne.

A questo ballo una donna si messe a ballare avendo sur la testa una anguistara piena d’acqua ; e tenendola soda, e ferma, non mancò di molti movimenti gagliardi.

Si stupivano i medici di vedere la piú parte di nostri Francesi bere la mattina, e poi bagnarsi il medesimo giorno. Lunedì la mattina stetti al bagno due ore. Non mi ci adocciai perché presi tre libre d’acqua per capricio, la quale mi mosse del corpo. Bagnava gli occhi ogni mattina, tenendoli aperti nell’acqua. Non ne sentiva effetto né d’un verso, né d’altro. Queste tre libre d’acqua credo che le smaltii al bagno dove pisciai assai volte, e poi sudai un poco più del solito, e per il secesso. Sentendomi gli giorni passati il corpo stitico fuora dell’ordinario usava delli sopraddetti grani di coriandro confetto, li quali mi scacciavano molte ventosità donde era pienissimo, roba poco. Con questo che io mi purgassi mirabilmente i reni, non lasciava di sentirci qualche punture : giudicava, che fusseno più presto ventosità che altro. Martedì stetti due ore al bagno, m’adocciai mezza ora, non bevvi. Mercordì stetti una ora e mezza al bagno, m’adocciai mezza ora circa.

Fin adesso a dir la verità, di quella poca pratica, e domestichezza ch’io aveva con questa gente, non scorgeva questi miracoli d’ingegni e discorsi che gliele dà la fama. Non ci vedeva veruna facultà straordinaria : anzi maravigliarsi e far troppo conto di queste piccole forze nostre. In modo che questo giorno avendo certi Medici a fare una consulta importante per un Signore giovane Signor Paolo de Cesis (nipote del Cardinal de Cesis) ch’era in questi bagni ; da parte sua mi vennero a pregare, che piacesse d’intendere le loro opinioni e controversie, perché lui era risoluto di stare del tutto al giudizio mio. Me ne rideva fra me stesso. M’accaddero assai di simili altre cose qui, & in Roma.

Sentivami ancora tal volta abbagliar gli occhi quando mi affaticava o a leggere, o a fissarli incontra a qualche obietto splendente e chiaro : e n’era in gran travaglio d’animo sentendo continuarmi questo difetto dal giorno che mi pigliò la migrena ultimamente presso a Firenze : cioè una gravezza di testa sur la fronte senza dolore, un certo annuvolar degli occhi che non mi curtava la vista, ma non so come me la turbava alle volte. Di poi la migrena ci era ricascato due o tre volte : & in questi dì si fermava più, lasciandomi pure al restante le azioni libere. Ma dipoi questo addocciarmi la testa mi ripigliava ogni giorno : e cominciai, di avere li occhi bagnati, come anticamente, senza dolore e rossore : come ancora questo patire della testa erano più di dieci anni che non l’avea sentito fino a questa migrena.

Temendo anco, che quest’acqua non m’indebolisse la testa, per questo il Giovedì non volsi adocciarmi e mi bagnai una ora.

Il Venerdì, il Sabbato, la Domenica feci pausa a tutta sorte di cura per rispetto di questo, e che mi trovava assai men allegro della vita, scacciando sempre arenella in furia : ma la testa sempre ad un modo non si saldava in suo bono stato. À certe ore sentiva lì questa alterazione ch’era augmentata del travaglio della fantasia.

Il Lunedì la mattina bevvi in 13 bicchieri 6 libre e mezza d’acqua della fontana ordinaria. Ne smaltii circa 3 libre di bianca, e cruda, innanzi il pasto ; il resto poco poco. Questo mal di testo con cio che non fusse continuo, né molto molesto, m’impeggiorava assai la carnagione. Non ci sentiva difetto o debolezza, come anticamente alle volte, ma solamente peso su li occhi con un poco di vista turbida. Questo giorno cominciarono al nostro piano a tagliare la segola.

Il Martedì al far del giorno andai alla fontana di Bernabò, e ci bevvi 9 libre in sei volte. Pioveva un poco. Sudai un poco. Mi mosse il corpo, e lavò gagliardamente le budella. Per questo non possi giudicare quanto ne avea reso. Orinai poco, ma in due ore avea pigliato colore. Si tiene qui a dozzina sei scudi d’oro, poco più, per mese uno alloggiato in camera particulare, comoda quanto volete : un servitore altrettanto. Chi non servitore, sarà ancor servito dall’oste di più cose a mangiare convenevolmente.

Innanzi che passasse il giorno naturale la smaltii tutta, e più che non avea bevuto di tutto sorte di bevanda. Non bevvi ch’una voltetta per pasto mezza libra. Cenava poco. Il Mercordì piovoso presi 7 libre in 7 volte dell’ordinaria, e le smaltii, e quel ch’io avea bevuto di più.

Il Giobbia ne presi 9 libre, cioè d’un tiro prima 7, e poi avendo cominciato di smaltirla ne mandai a cercare altre due libre. La smaltii per ogni banda. Beveva pochissimo al pasto. Venerdì, e Sabbato, feci il medefimo. Domenica mi stetti cheto.

Lunedì presi 7 bicchieri, 7 libre. Buttava sempre arenella ma un poco manco che del bagno, del quale in questo effetto viddi ancora l’essempio in assai d’altri in un medesimo tempo. Questo dì sentii un dolore al pettignone come del cascar di pietre, e ne feci una picciola. Il Martedì una altra. E posso dire quasi affermatamente essermi accorto, che questa acqua ha forza di spezzarle, perché d’alcune al calare ne sentiva la grossezza ; e poi le buttava in pezzi più minuti. Questo Martedì ne bevvi 8 libre in 8 volte.

Se Calvino avesse saputo, che gli Frati Predicatori di quì si nominavano Ministri, senza dubbio avesse dato altro titolo alli suoi.

Mercordì presi 8 libre, 8 bicchieri. La smaltiva quasi sempre, fino alla mezza parte, cruda e naturale in tre ore, poi qualche mezza libra di rossa e tinta ; il resto di poi pasto, e la notte. In questa stagione si radunava la gente al bagno. E di quelli essempi ch’io vedeva, & opinione delli Medici, medesimamente del Donato scrittore di queste acque, io non avea fatto grande errore di bagnarmi la testa in questo bagno, perché ancora usano, essendo al bagno, d’adocciarsi il stomaco con una lunga canna, attaccandola d’una banda alla polla, e dell’ altra al corpo dentro il bagno, e poiché d’ordinario si pigliava la doccia per la testa di questa istessa acqua : e quel dì che si pigliava, si bagnavano. Così per aver io mescolato l’uno & l’altro insieme, non potti far grande errore, o in cambio della canna d’aver presa l’acqua del proprio canale della fontana. E forse ch’io ho mancato in questo di non continuarla. E quel sentimento ch’io n’ho fin adesso, par essere, c’ho mosso gli umori, i quali col tempo si fussero scacciati, e purgati. Colui permetteva, ch’in un medesimo giorno si bevesse, e bagnasse. Et io mi pento di non aver preso l’ardire, come ne aveva voglia, e con qualche discorso, di berla nel bagno la mattina. Bernabó la lodava molto, ma con queste ragioni & argomenti medicinali. L’effetto di queste acque sopra dell’arenella che continuava in me tuttavia, non si vedeva in parecchi altri liberi di questa infermità. Il che dico per non risolvermi, ch’elle producessero l’arenella che buttano fuora.

Giovedì la mattina fui al bagno una ora senza bagnar la testa, e innanzi il giorno, per aver il primo loco. Di quello, credo, e dell’aver poi dormito al letto, mi sentii male, la bocca asciutta e sitibonda, e caldo in modo che la sera andando al letto bevvi dui grandi bicchieri di quest’acqua rinfrescata. Del che non ne sentii altra mutazione.

Il Venerdì stetti cheto. Il ministro Frate di S. Francesco (così chiamano li Provinciali) valente uomo, e cortese, & erudito, che era al bagno con molti altri Frati di diversa sorte, mi mandò un bel presente di vino bonissimo, massepanni, & altre cose da mangiare.

Il Sabbato non mi curai, andai a desinare a Menalsio, villaggio bello e grande alla cima dell’una di queste montagne. Portai del pesce, e fui ricevuto in casa d’un soldato ricco che ha molto viaggiato in Francia & altri lochi, e preso moglie, & arricchito in Fiandra. Signor Santo si domanda. Sono là infiniti soldati contadini, bella chiesa, e pochi che non abbino viaggiato molto, divisissimi in queste parti di Spagna, e Francia. Senza avvedermene messi un fiore all’orecchia manca. Lo pigliavano a ingiuria li Francesini. Di poi pranzo salii al Forte, ch’è un loco munito di mura grandi alla cima giusto del colle ertissimo, ma per tutto cultivatissimo. E quì per li balzi strabocchevoli, per li dirupi, lochi ripidi, e scoscesi colli, si trova non solamente vigna, e gran, ma prato ancora : e non hanno erba nè piano. Mi calai poi per un altro verso del monte, dritto.

La Domenica la mattina, andai al bagno con parecchi altri Gentiluomini. Ci stetti mezza ora. Mi venne dal Sig. Ludovico Pinitesi un bel presente d’un caval carico di frutti bellissimi, e fra gli altri de i fichi primi ; de i quali non cen’era ancora visti al bagno, e dodici fiaschi di vino suavissimo. Et in medesimo tempo il sopraddetto Frate altre sorte di frutti in grande quantità : che ne poteva ancora io usar liberalità a i paesani.

Di poi pranzo fu il ballo, dove si radunarono parecchi Gentildonne ben vestite, ma di bellezza comune, con ciò che fusson belle di Lucca.

La sera mi mandò il Sig. Ludovico di Ferrari Cremonese, molto mio conoscente, un presente di scatole di cotognaro bonissimo, e muschiato, e certi limoni, e delli melaranci di grandezza estraordinaria.

La notte mi prese un pocco innanzi il far del giorno il grancio alla polpa della gamba dritta con grandissimo dolore non continuo, ma vicendevole. Stetti in questo disagio una mezza ora. Non era molto tempo che n’avea sentito, ma mi passò in un baleno.

Il Lunedì andai al bagno, e ci fui una ora, il stomaco sotto la polla. Mi pizzicava sempre un poco questa vena della gamba.

Giusto ora cominciammo a sentir li caldi, e le cicale, niente di più ch’in Francia : e fin adesso mi parevano le stagioni più fresche ch’in casa mia.

Le nazioni libere non hanno la distinzione delli gradi delle persone come le altre : e fino alli infimi hanno non so che di signorile à’ lor modi. Domandando l’elemosina mescolanci sempre qualche parola d’autorità : Datemi l’elemosina : volete? Datemi l’elemosina, sapete. Come dice quest’altro in Roma : Fate bene per voi.

Il Martedì stetti al bagno una ora.

Il Mercordì 21 di Giugno a buona ora mi partii della villa avendo ricevuto della compagnia che ci era di donne & uomini, prendendo congedo, tutte le significazioni d’amorevolezza che potevo desiderare. Me ne venni per montagne erte, ma piacevoli pure, e coperte, a

PESCIA, 12 miglia, piccolo castello sopra il fiume Pescia del Fiorentino. Belle case, strade aperte, vini famosi del Trebbiano ; sito fra oliveti foltissimi ; la gente affezionatissima alla Francia : e per questo dicono, che porta la lor città per arme un Delfino.

Dipoi pranzo riscontrammo una bella pianura molto popolata di castella, e case. E per una mia trascuratezza mi scordai, come era il mio proposito, e disegno risoluto, diveder il Monte Catino dove è l’acqua salata e calda del Tettuccio, la quale lasciai un miglio discosto della mia, strada a man dritta circa sette miglia di Pescia, e non me n’avvidi che non fussi quasi giunto a

PISTOIA, 11 miglia. Fui alloggiato fuora la città, dove venne a visitarmi il Figliuolo del Ruspiglioni. Chi va per l’Italia con altri cavalli che di vettura non intende ben le cose sue. E di cambiarli di luoco in luoco mi pare più comodo, che di mettersi in mano di vetturini per lungo viaggio.

Di Pistoia a Firenze, che sono 20 miglia, non costano i cavalli che 4 iuilli. Di là passando per la città di Prato venni a desinare a Castello in una osteria dirimpetto al palazo del Granduca, dove fummo di poi desinare a considerare più minutamente quello giardino. E m’avvenne là come in più altre cose : l’immaginazione trapassava l’effetto. L’avea visto l’invernata ignudo, e spogliato. Giudicava della sua bellezza futura nella più dolce stagione più che non mi parve al vero.

CASTELLO, 17 miglia. Dipoi desinare venni a

FIRENZE, 3 miglia. Il Venerdì viddi le publiche processioni, e il Granduca in cocchio. Tra l’altra pompa ci vedeva un carro in faccione di teatro dorato di sopra, où erano quattro Fanciullini, & un Frate vestito, e che rappresentava S. Francesco, dritto, tenendo le mani come si vede dipinto, una corona sul cucullo : o Frate, o uomo travestito da Frate con una barba posticcia. Ci erano alcuni fanciulli della città armati, e fra loro uno per S. Giorgio. Li venne incontra alla piazza un gran drago assai goffamente appoggiato, e portato d’ uomini, buttando foco per la bocca con rumore. Il fanciullo li dava della lancia, e della spada, e lo scannava.

Fui accarezzato d’un Gondi, ch’abita a Lione : il quale mi mandò vini bonissimi, cioè Trebisiano.

Faceva un caldo da stupire li medesimi paesani.

Quella matina al spuntar del giorno ebbi la colica al lato dritto. M’afflisse tre ore circa. Mangiai allora il primo pepone. Delli cetrioli, mandole, se ne mangiava in Firenze del principio di Giugno. In su le 23 si fece il corso delli cocchi in una grande e bella piazza intornata d’ogni banda di belle case, quadrata, più lunga che larga. À ognun capo della lunghezza fu messa un’aguglia di legno quadrata, e dall’una all’altra attaccato un lungo fune acciò non si potesse traversare la piazza : & alcuni danno di traverso per stroppare la detta canape. Tutti gli balconi carichi di donne, & in un palazzo il Granduca, la Moglie, e sua corte. Il popolo il lungo della piazza, e su certi palchi, come io ancora. Correvano a gara cinque cocchi vuoti. E della sorte presero tutti il luogo ad un lato dell’una piramide. E si diceva d’alcuni, ch’il più discosto avevano il vantaggio per dar più comodamente il giro. Partirono al suono delle trombe. Il terzo giro intorno la piramide donde si prende il corso, è quel che dà la vittoria. Quel del Granduca mantenne sempre il vantaggio fin alla terza volta. À questa il cocchio del Strozzi ch’era sempre stato il secondo, affrettandosi più che del solito a freno sciolto, e stringendosi, messe in dubbio le vittoria. M’avveddi, ch’il silenzio si ruppe dal popolo quando videro avvicinarsi Strozzi, e con gridi, e con applauso darli tutto il favore che si poteva alla vista del Principe. E poi quando venne questa disputa e litigio a essere giudicato fra certi Gentiluomini, gli Strozzeschi rimettendo all’opinione del popolo assistente ; del popolo si alzava subito un crido uguale, e consentimento publico al Strozzi, il quale in fine lo ebbe, contra la ragione al parer mio.

Valerà il palio cento scudi. Mi piacque questo spettacolo più che nessun altro che avessi visto in Italia, per la sembianza di questo corso antico.

Perché quel giorno era la vigilia di S. Giovanni furono messi certi piccoli fochi alla cima del Duomo in giro a due, o tre gradi, donde si lanciavano raggi in aria. Si dice ch’in Italia non è uso come in Francia, di far fuochi di S. Giovanni.

Il Sabbato S. Giovanni : ch’è la festa principale di Firenze, e la più celebrata in maniera che fin alle zitelle si vedono quella festa al publico : e non ci vidi pure gran bellezza. La mattina alla piazza del palazzo il Granduca comparse su uno palco il lungo delle mura del palazzo (sotto un cielo) ornate di ricchissimi tapeti, lui avendo a lato il Nunzio del Papa a man sinistra, e molto più di là l’Imbasciadore di Ferrara. Là li passavano innanzi tutte le sue Terre e Castella, secondo ch’erano chiamare d’un araldo. Come per Siena si presentò un Giovane vestito di velluto bianco e nero, portando alla mano certo gran vaso argenteo, e la figura della Lupa Sanese. Fece costui sempre in questo modo una proferta al Granduca, ed orazione piccola. Quando ebbe finito costui, secondo ch’erano nominati venivano innanzi certi Ragazzi mal vestiti su cattivissimi cavalli, e mule, portando quì una coppa d’argento, quì una bandiera rotta e ruinata. Questi in gran numero passavano il lungo via senza far motto, senza rispetto, e senza cerimonia in foggia di burla più ch’altramente, & erano le Castella e Luochi particolari dipendenti del Stato di Siena. Ogni anno si rinova questo per forma.

Passò ancora là un carro, e una piramide quadrata di segno, grande, portando intorno certi gradi delli Putti vestiti chi d’un modo, chi d’un altro, da Angeli, o Santi : & alla cima che veniva d’altezza a pari delle più alte case, un S. Giovanni, uomo travestito a suo modo, legato a un pezzo di ferro. Seguivano questo carro gli Officieri, e particolarmente quelli della zecca.

Marciava all’estremo un altro carro, sul quale erano certi Giovani che portavano tre palii per li corsi diversi, avendo a canto i cavalli barberi ch’erano per correre a gara quel giorno, e i garzoni che li dovevano cavalcare con le insegne de i Padroni, che sono Signori de’ primi. Li cavalli piccioli, e belli.

Non mi pareva il caldo più violento ch’in Francia. Tuttavia per schifarlo in queste stanze di osteria, era sforzato di domire la notte su la tavola della sala, mettendovi materassi, & lenzuola ; non ci ritrovando a locare nissun alloggiamento comodo, perchè questa città non è buona a’ forestieri ; e per schifare ancora gli cimici, di che sono gli letti infestatissimi.

Non c’è quantità di pesci, e non si mangia di trote, & altri pesci, che di fuora, e marinati. Viddi, ch’il Granduca mandava a Giovan Mariano Milanese alloggiato in la medesima osteria dove io era, un presente di vino, pane, frutti, pesci : ma gli pesci vivi piccoli dentro gli rinfrescatori di terra. Aveva io tutto il giorno la bocca arida & asciutta, & un’alterazione non di sete, ma di caldezza interna quale ho sentita altre volte ai caldi nostri. Non mangiava altro che frutti, e insalate con zucchero. In fine non stava bene.

Quelli diporti che si pigliano al fresco in Francia di poi la cena, qui innanzi. E nelli più lunghi giorni cenano spesso di notte. Fra le sette, & otto, la mattina si fa il giorno. Dipoi pranzo si corse il palio de i barbi. Lo vinse il cavallo del Cardinale de’ Medicis. Vale questo palio ¤51 200. E’ cosa poco dilettevole, perchè, essendo su la strada, non vedete altro che passar in furia questi cavalli.

La Domenica viddi il palazzo de’ Pitti, e fra l’altre cose una mula in marmo rappresentando un’altra mula ancora viva, per li lunghi servizi c’ha fatto a menar roba per questa fabbrica. Questo dicono i versi latini. Al palazzo vimmo quella Chimera c’ha fra le spalle una testa (con le corna & orecchie) che nasce, & il corpo di foggia d’uno piccolo leone.

Il Sabbato era il palazzo del Granduca aperto, e pieno di contadini, ai quali era aperta ogni cosa

e la gran sala piena di diversi balli chi di quà, chi di la. Questa sorte di gente credo, che fusse

qualche immagine della libertà perduta che si rinfreschi a questa Festa pincipale della Città. Il Lunedi fui a desinare in casa del Signor Silvio Piccolomini molto conosciuto per la sua virtù, & in particolare per la scienzia della scherma. Ci furono messi innanzi molti discorsi, essendoci buona compagnia d’altri Gentiluomini. Dispargia lui del tutto l’arte di schermare delli maestri Italiani, del Veniziano, di Bologna, Patinostraro, & altri. Et in questo loda solamente un suo criado ch’è a Brescia dove insegna a certi Gentiluomini questa arte. Dice, che non ci è regola, né arte in l’insegnare volgare : e particolarmente accusa l’uso di spinger la spada innanzi, e metterla in possa del nimico ; e poi, la botta passata, di rifar un altro assalto, e fermarsi ; perché dice, che questo è del tutto diverso di quel che si vede per esperienza delli combattenti. Lui era in termine di far stampar un libro di questo suggetto. Quanto al fatto di guerra, spregia assai l’artiglieria : e in questo mi piacque molto. Loda il libro della Guerra di Machiavelli, e segue le sue opinioni. Dice, che di questa sorte d’uomini che provvedono al fortificare, il più eccellente che sia, si trova adesso in Firenze al servizio del Granduca simo.

Si costuma quì di metter neve nelli bicchieri di vino. Ne metteva poco io non stando troppo bene della persona, avendo assai volte dolor di fianchi, e scacciando tuttavia arenella incredibile ; 51 Nel M S. c’è un segno che significa scudi.

oltre a questo non potendo riaver la testa, e rimetterla al suo primo stato. Stordimento, e non so che gravezza sugli occhi, la fronte, le guancie, denti, naso, e parte d’innanzi. Mi messi in fantasia che fussero gli vini bianchi dolci e fumosi, perché quella volta che mi riprese prima la migrena ne avea bevuti gran quantità di Trebisiano, scaldato del viaggiare, e della stagione, e la dolcezza d’esso non stancando la sete.

In fine confessai, ch’è ragione, che Firenze si dica la bella.

Quel giorno andai solo per mio diporto a veder le donne che si lasciano veder à chi vuole. Viddi le più famose : niente di raro. Gli alloggiamenti raunati in un particolare della città, e per questo spregievoli, oltra ciò cattivi, e che non si fanno in nissun modo a quelli delle puttane Romane, o Veneziane : nè anco esse in bellezza, o grazia, o gravità. Se alcuna vuole starsi fuora di questi limiti, bisogna che sia di poco conto, e faccia qualche mestiere per celarsi.

Viddi le bottheghe di filattieri di seta con certi instrumenti, gli quali spingendo in giro una sola donna, fa d’un tratto torcere, e voltare cinquecento fusi.

Martedì la mattina spinsi fuora una pietrella rossa.

Mercordì viddi la cassina del Granduca. E quel che mi parve più importante è una rocca in forma di piramide, composta e fabbricata di tutte le sorte di miniere naturali, d’ogn’una un pezzo, radunate insieme. Buttava poi acqua questa rocca, con la quale si verranno là dentro movere molti corpi, molini d’acqua, e di vento campanette Chiese, soldati di guardia, animali, caccie, e mille tal cose. Giovedì non volsi restar a vedere correre un altro palio ai cavalli. Andai dipoi desinare a Prattalino, il qual rividdi molto minutamente. Et essendo pergato dal Casiero del Palazzo di dire la mia sentenzia di quelle bellezze, e di Tivoli, ni discorsi non comparando questi luoghi in generale, ma parte per parte, con le diverse considerazioni dell’un & dell’ altro, essendo vicendevolmente vittore ora questo or quello.

Venerdì alla bottega di Giunti comprai un mazzo di Commedie, undeci in numero, e certi altri libretti. E ci viddi il testamento di Boccaccio stampato con certi discorsi fatti sul Decamerone. Questo testamento mostra una mirabile povertà e bassezza di fortuna di questo grand’Uomo. Lascia delle lenzuola, e poi certe particelle di letti a sue parenti, e sorelle. Gli libri a un certo Frate, al quale oridina, che gli comunichi a chiunque gliene richiederà. Fin a’ vasi, e mobili vilissimi gli mette in conto. Ordina delle Messe, e sepoltura. C’è stampato come s’è ritrovato di carta pergamena molto guasta, e ruinata.

Come le puttane Romane, e Veneziane si fanno alle finestre per i loro amanti, così queste alle porte delle lor case, dove si stanno al publico alle ore comode ; e là le vedete, chi con più, chi con manco compagnia, a ragionare, e a cantare nella strada, ne’ circoli.

La Domenica 2 di Luglio partii di Firenze di poi desinare, & avendo varcato l’Arno sul ponte, lo lasciammo alla man dritta seguendo il suo corso tuttavia. Passassimo delle belle pianure fertili, nelle quali sono le più famose peponaie di Toscana. E non sono maturi gli buoni melloni che sul 15 di Luglio. E particolarmente si nomina il loco dove si fanno li più eccellenti, Legnaia, a 3 miglia di quà Firenze .

Andassimo una strada la più parte piana e fertile, e per tutto popolatissima di case, castellucci, villaggi quasi continui.

Attraversassimo fra le altre una bellissima Terra nominata Empoli. Il suono di questa voce ha non so che d’antico. Il suono piacevolissimo. Non ci riconobbi nessun vestigio d’antichità fuora che un ponte ruinato vicino sur la strada, c’ha non so che di vecchiaia.

Considerai tre cose : di veder la gente di queste bande lavorare chi a batter grano, o acconciarlo, chi a cucire, a filare, la festa di Domenica. La seconda di veder questi contadini il liuto in mano, e fin alle pastorelle l’Ariosto in bocca. Questo si vede per tutta Italia. La terza di veder come lasciano sul campo dieci, e quindeci e più giorni il grano segato, senza paura del vicino. Sul buio giunsimo a

SCALA, 20 miglia, alloggiamento solo, assai buono. Non cenai ; e dormii poco, molestato d’un dolor di denti sulla destra, il quale molte volte sentiva col mio mal di testa. Mi fatigava più nel mangiare, non potendo toccar nulla senza dolore grandissimo.

La mattina del Lunedì 3 di Luglio seguitassimo la strada piana il lungo d’Arno, e sul fine una pianura ubertosa di biade. Capitassimo sul meriggio a

PISA, 20 miglia, Città al Duca di Firenze, posta in questo piano su l’Arno che li passa per mezzo, e di là a sei miglia si diffonde nel mare, e porta alla detta Città parecchi sorte di navili. Cessava in quel tempo la scuola, come è il costume tre mesi del grande caldo.

Ci riscontrassimo la compagnia delli Disiosi, di Commedianti, buonissima.

Perché non mi satisfece l’osteria, presi a pigione una casa con quattro stanze, una sala. Aveva l’oste a far la cucina, e dar mobili. Bella casa. Il tutto per otto scudi il mese. Perché quel ch’aveva promesso per il servigio di tavola di toaillie, e serviette, era troppo scarso (atteso ch’in Italia s’usa pochissimo di muitar serviette che quando si muta la toaillia; e la toaillia, due volte la settimana) lasciavamo gli servitori far per loro le spese : noi all’osteria a 4 iulli ogni giorno.

La casa era in un bellissimo sito, e veduta piacevole, riguardando il canale per il quale passa l’Arno, e traversa la Terra.

Questo fosso è molto largo, e lungo più di 500 passi, inchinato e piegato un poco, facendo una piacevole vista, scoprendo più agevolmente per questa sua curvità l’un capo, e l’altro di questo canale, con tre ponti che là varcano l’Arno pieno di vascelli, e di mercanzie. L’una e l’altra proda di questo canale edificate di belle mura coll’appoggiarsi alla cima, come il canale delli Augustini in Parigi. Di poi all’una, e l’altra banda, larghe strade : & all’orlo delle strade un ordine di case. Era posta là la nostra.

Mercordì 5 di Luglio viddi il Duomo dove fu il palazzo d’Adriano Imperatore. Ci sono infinite colonne di marmo diverse ; diversi lavori, e forme ; porte bellissime di metallo. E’ ornata di diverse spoglie di Grecia, e d’Egitto, & edificata di ruine antiche, di modo che si vedono delle scritte a rovescio, altre mezzo tagliate, ed in certi luoghi caratteri sconosciuti, che dicono essere gli antichi Toscani.

Viddi il campanile d’una forma estraordinaria inchinato di sette braccia come quell’altro di Bologna, & altri, intorniato di pilastri per tutto, e di corridori aperti.

Viddi la chiesa S. Giovanni vicina, ricchissima anche lei d’opere famose di scultura, e pittura. Fra gli altri d’un pulpito di marmo con spessissime figure tanto rare, che questo Lorenzo ch’ammazzò il Duca Alessandro, si dice che levò le teste d’alcune di queste statuette, e ne fece presente alla Reina. La forma della Chiesa assomiglia la Rotonda di Roma.

Il Figliuolo naturale del detto Duca vive qui : e lo viddi vecchio. Vive comodamente della liberalità del Duca, e non li cale d’altro. Ci sono cacciagione, e pescagioni bellissime. À questo s’occupa.

Di sante reliquie, e di opere rare, e marmi, e pietre di rarità, grandezza, e lavoro mirabile, qui se ne trova quanto in nissuna altra città d’Italia.

Mi piacque sopra modo l’edificio del cimiterio che domando Camposanto di grandezza inusitata, quadro, 300 passi di lunghezza, e 100 di larghezza. Coridore d’intorno intorno, largo di 40 passi, coperto di piombo, lastricato di marmo. Le mura piene di pitture antiche. Fra l’altre di Gondi Fiorentino, autore di questa casa.

Gli nobili di questa Città sotto questo corridore al coperto avevano gli sepolcri loro. Ci sono gli nomi & arme delle famiglie fin a 400 : delle quali non ne sono appena adesso 4 casate restate delle guerre, e ruine di questa antichissima città : del popolo così poco è abitata, e posseduta di forestieri. Di queste nobili famiglie ce ne sono parecchi di Marchesi, Conti, e Grandi in altre bande della Cristianità o si sono traslate.

Al mezzo di questo edificio è un luogo scoperto dove si seppellisce di continuo. Si dice affermatamente da tutti, che gli corpi che vi si mettono, in otto ore gonfiano in modo che se ne vede alzar il terreno ; le otto di poi scema, e cala ; le ultime otto si consuma la carne in modo, ch’innanzi le 24 non ci è più che le ossa ignude. Questo miracolo è simile a quell’altro del cimitero di Roma, dove se si mette un corpo d’un Romano, la terra lo spinge subito fuora. Questo luogo è lastricato di sotto di marmo come il corridore, e gli è messa di sopra la terra della altezza d’un braccio, o due. Dicono, che fu portata di Gerusalemme questa terra, perché furono gli Pisani con grande armata a quella impresa. Con licenza del Vescovo si piglia un poco di questa terra, e se ne sparge nelli altri sepolcri con questa opinione che gli corpi abbino a consumare spacciatamente. Parve verisimile, perché in un cimiterio di così fatta Città si vedono rarissime ossa, e quasi nulle, e nessun loco dove si raccoglino, e riserrino come in altre Città.

Le montagne vicine producono bellissimi marmi, de’ quali ha questa Città molti nobili artefici. In quel tempo lavoravano per il Re di Fez in Barberia una ricchissima opera d’un teatro ch’egli disegna con 50 grandissime colonne di marmo.

In questa Città si vede in luoghi infiniti le arme nostre, & una colonna ch’il Re Carlo 8 diede al Duomo. Et in una casa al muro verso la strada è rappresentato il detto Re al naturale in ginocchione innanzi alla Madonna, la quale pare, che li dia consiglio. Dice la scritta, che cenando il detto Re in questa casa per sorte gli cascó nell’animo di dare la libertà antica a’ Pisani vincendo in questo la grandezza d’Alessandro. Gli titoli del detto Re ci sono, di Gerusalemme, di Sicilia ec. Le parole che toccano questo parte della libertà data, guaste a posta & a mezzo scancellate. Altre case private hanno ancora queste arme in fregio per la nobiltà che il Re gli diede.

Non ci sono molti vestigi d’edifici antichi. Ci è una ruina di mattoni bella, dove fu il Palazzo di Nerone, e ne ritiene il nome : e una Chiesa di S. Michele ; che fu di Marte.

Giovedì ch’era Festa di S. Pietro, dicono, ch’anticamente era lor costume ch’il Vescovo andava alla Chiesa S. Pietro a 4 miglia fuora della Città in processione, e di là al mare, dove gettava un anello, e sposava il mare, essendo questa Città potentissima in la marina. Adesso ci va un mastro di scuola solo. Ma gli Preti in processione vanno a questa Chiesa, dove sono gran perdonanze. Dice la bolla del Papa di 400 anni poco manco (pigliandone fede d’un libro di piú di 1200) che fu edificata questa Chiesa di S. Pietro : e che S. Clemente facendo l’ufficio su una tavola di marmo, li cascarono sopra tre gocciole di sangue del naso del detto Santo. Queste goccie si vedono come impresse di tre giorni in qua.

Gli Genovesi ruppero questa tavola, e portarono via una di queste gocce. Per questo gli Pisani levarono il restante della detta tavola dalla detta Chiesa, e portarono nella Città loro. Ma ogni anno si riporta con processione al suo loco al detto giorno S. Pietro. Il popolo ci va tutta la notte in barche.

Al Venerdì 7 di Luglio di buona ora andai a veder le cascine di Don Pietro di Medici, discoste di due miglia della Terra. Egli ha là un mondo di possessioni che tiene da per se mettendoci di 5 in 5 anni nuovi lavoratori con pigliarne la metà dei frutti. Terreno abondantissimo di grano. Pasture dove tiene d’ogni sorte d’animali. Scavalcai per veder il particolare della casa. Ci soro gran numero di persone che travagliono a far ricotte, buturo, casci, e diversi instrumenti per questa opera. Di là seguendo il piano capitai alla spiaggia del mar Tirreno d’una banda scorgendo l’Erici a man dritta, dall’altra Livorno più vicino, castello posto nel mare. Di là si scuoprono a chiaro l’isola Gorgona ; e più oltra Capraia, e più oltra Corsica. Diedi la volta a man manca il lungo della ripa fin che giunsimo la bocca d’Arno d’un’entrata malagevole alli navigli attesochè di diversi fiumicelli che concorrono all’Arno, si porta terra e fango che si ferma, & innalza la detta bocca. Ci comprai del pesce che mandai poi alle donne commedianti. Il lungo di quel fiume si vedono parecchi macchie di tamarisci. Il Sabbato ne comprai un barile sei giuli, il quale feci cerchiare d’ariento. Ci andò all’aurefice 3 scudi. Comprai di più una canna d’India a appoggiare, sei giuli. Un vasetto, & un bicchiere di noce d’India, che fa il medesimo effetto per la milza, e per la gravella, che il tamarisco, 8 giuli.

L’artista uomo ingegnoso, e famoso da far belli instrumenti di matematica, m’insegnò, che tutti arbori portano tanti cerchi e giri, quanti anni hanno durato : e me lo fece vedere in tutti quelli ch’aveva nella bottega sua, essendo legnaiuolo. E la parte che riguarda il settentrione, è più stretta & ha gli circoli più serrati e densi, che l’altra. Per questo si dà vanto, qualche segno che gli sia portato, di giudicare quanti anni avesse l’arbore, & in qual sito stasse.

Durava fatica in questo tempo della testa che mi stava sempre d’un modo ; con una tal stitichezza che non moveva il corpo senza arte e soccorso di confetti, soccorso debole. Dei reni bene secondo.

Questa città era poco fa vituperata di cattiva aria. Ma avendo Cosimo Duca asseccati gli paduli che le sono d’ognintorno, stà bene. Et era cattiva a tal modo, che quando volevano confinare qualcuno, e levarlo via, lo confinavano in Pisa dove in pochi mesi la forniva.

Questo loco non fa pernici con questo che gli Principi ci hanno messo ogni cura. Mi venne a visitare in casa parecchi volte Girolamo Borro Medico dottor della Sapienzia. Et essendo io andato a visitarlo il 14 di Luglio mi fece presente del suo libro del flusso e riflusso del mare in lingua volgare : e mi fece vedere un altro libro Latino ch’avea fatto de i morbi de i corpi. Quel medesimo giorno vicino a casa mia scamparono dell’arsenale 21 schiavi Turchi avendo trovata una fregata colla sua guarnigione, che il Sig. Alessandro di Piombino avea lasciata, essendo ito alla pescagione.

Tranne l’Arno, e questo suo attraversala con bellissimo modo, queste chiese, e vestigi antichi, e lavori particolari ; Pisa ha poco di nobile, e piacevole. Pare una solitudine. E in questo, e forma d’edifici, & grandezza sua, e larghezza di strade, si confà assai con Pistoia. Ha un estremo difetto d’acque cattive, e c’hanno tutte del paduloso.

Uomini poverissimi, e non manco altieri inimici, e poco cortesi ai forestieri, e particolarmente a’ forestieri dopo la morte d’un Vescovo loro, Pietro Paulo Borbonico, che si dice di casa de i nostri Principi, e ce n’è di questi una casata.

Costui era tanto amorevole a nostra Nazione, e tanto liberale, che aveva messo ordine, che non ci capitasse nissun Francese, che subito non li fusse menato in casa. Ha lasciato della sua bona vita, e liberalità, onoratissima memoria ai Pisani. Sono cinque, o sei anni solamente, che morì. Il 17 di luglio mi messi con 25 altri, a un scudo per uno, a giocare alla riffa certa roba del Fargnocola di questi Commedianti. Prima si fa alla sorte a chi tocca di giocar primo, e poi secondo, fin all’ ultimo. Si segue questo ordine. Di poi essendo diverse cose a giocare, ne fecero due parti uguali. L’una guadagnava chi faceva più punti, l’altra chi ne faceva manco. Toccò a me di giocar il secondo.

Il 18 alla Chiesa di S. Francesco fra li Preti del Duomo, e gli Frati nacque un garbuglio grande. Un gentiluomo Pisano essendo seppellito alla soppradetta chiesa il giorno innanzi, volevano gli Preti dir la messa. Ci vennero con li ferramenti & apparecchi loro. Cotesti allegavano l’antico costume e privilegio loro. Li Frati al contrario, che toccava a loro, non ad altri, dir la messa in chiesa loro. Volse un Prete pigliare il marmo accostatosi al grande altare. Un Frate si sforzò a levarlo via. Al qual Frate il Vicario patrone di questa chiesa di Preti diede un schiaffo. Di là in là, di mano in mano la cosa passò con pugni, con bastonate, candelieri, torchi, e simil cose : tutto fu adoprato. Fu il fine, che non fu detta la messa da nissuna parte. Fu questa stizza e tenzone di gran scandalo. Subito che ne fu sparsa la nuova ci andai : e mi venne ragguagliata ogni cosa. Al 22 a l’alba arrivarono tre legni di Corsari Turcheschi al lito vicino, e levarono via quindeci, o venti prigioni pescatori, e poveri pastori.

Il dolor di testa alle volte mi tralasciava per cinque, sei, e più giorni : ma non me ne poteva riavere affatto.

Mi venne un capriccio d’imparare con studi & arte, la lingua Fiorentina. Ci metteva assai tempo, e sollecitudine : ma me ne veniva fatto pochissimo utile.

Si sentì in quella stagione una caldura vie più maggiore che non si sentiva comunemente.

Al 12 andai altresì a visitar fuori di Lucca la villa del Sig. Benedetto Buonvisi, piacevole mezzanamente. Fra l’altre cose ci viddi la forma di certi boschettucci che fanno in lochi erti. Nel spazio di 50 passi circa, piantano albori diversi, di quelli che tutto l’anno stanno verdi. Questo loco circondano di fossi piccoli, e ci fanno dentro certi vialuzzi coperti. Al mezzo un loco per il uccellaio

il quale con un fischio d’argento, e nume di tordi presi a posta, e attaccati, avendo disposto d’ogni

canto parecchi panie vescate, a certa stagione dell’anno, come di dire verso il Novembre, farà una mattina presa di 200 tordi : e questo non si fa, ch’a certa contrada a certo lato della città. Al 13 la Domenica io partii di Lucca avendo ordinato, che si offrisse al detto M. Ludovico Pinitesi per rispetto della casa sua ¤ 15. Il qual conto tornava a un scudo ogni giorno. Di che restò satisfattissimo.

Fummo quel giorno a visitare moltissime ville delli Gentiluomini Lucchesi, pulite, gentili, e belle. Hanno acqua assaissima, ma posticcia, cioè non viva, non naturale, o continua. È maraviglia di veder tanta rarità di fontane in un loco così montuoso. Tirano certe acque di rivi, e per bellezza le acconciano in modo di fonti con vasi, grotte, & altri lavori di tal servizio. Venimmo a cena quella sera in una villa del detto M. Ludovico avendo sempre in compagnia nostra M. Orazio suo figliuolo. Il quale ci ricevette molto comodamente in questa villa, e ci diede una buonissima cena di notte sotto un gran portico molto fresco, aperto d’ogni banda : e poi ci messe a dormire in bone stanze appartate, con panni di lino bianchissimi, e netti, come li avevamo goduti a Lucca nella casa del patre.

Lunedì a buon’ora partimmo di là. E nella strada senza scavalcare essendo un pezzo fermati a visitare la villa del Vescovo il quale ci era (e fummo molto accarezzati dagli uomini suoi, & invitati a restar là a desinare) venimmo a desinare a

BAGNI DELLA VILLA, 15miglia. Furono grandi le accoglienze e carezze le quali io ebbi di tutta questa gente. Da vero si pareva, ch’io fussi ritornato in casa mia. Mi remissi in quella medesima stanza ch’io aveva da prima, al prezzo di 20 scudi al mese, e quelle stesse condizioni. Martedì 15 d’Agosto a buona ora andai al bagno, e ci stetti poco manco d’una ora. Lo ritrovai più presto freddo che altramente. Non mi mosse punto a sudare. Giunti a questi bagni non sano solamente, ma si può dire allegramente d’ogni parte. Dopo avermi bagnato resi le orine torbide ; e la sera avendo camminato un buon pezzo per strade alpestre, e non speditevoli, le resi affatto sanguinose : e sentii al letto non so che alterazione ai reni.

Al 16 seguitai il bagnare, e fui al bagno delle donne dove non era ancora stato, per stare appartatamente, e solo. Lo riscontrai troppo caldo ; o che lo fosse da vero, o veramente che li pori essendo aperti per la bagnatura del giorno innanzi, m’avessino agevolito a scaldarmi. Tanto è che ci stetti una ora il piú, e sudai mezzanamente. Le orine le faceva naturali. Di sabbio nulla. Dopo pranzo mi vennero ancora le orine torbide, e rosse : & al tramontar del sole sanguinose.

Al 17 m’abbattei in quell’istesso bagno più temperato. Sudai pochissimo. Le orine torbidette con un poco di sabbio. Il colore di certa pallidezza gialla.

Al 18 stetti au suddetto bagno due ore. Sentii non so che gravezza di reni. Aveva il corpo lubrico ragionevolmente. Sin dal primo giorno mi sentii pregno di ventosità, e gorgogliare di budella. Questo effetto lo credo facilmente proprio a queste acque perché all’altra bagnatura m’avviddi molto chiaro, che mi recaron le ventosità a questo modo.

Al 19 andai al bagno un po’ più tardi per dar loco a una donna Lucchese che si volse bagnare, e si bagnò innanzi: essendo osservata, e ragionevole questa regola, che le donne godano il bagno loro a sua posta. Ci stetti due ore altresì.

Mi ci venne un poco di gravezza di testa, la quale parecchi giorni s’era mantenuto in bonissimo stato. Le orine sempre torbide, ma in diverse guise, e portavano via delle arenella assai. Scorgeva altresì non so che movimenti ai reni. E s’io dirittamente sento, questi Bagni possono molto intorno a questo particolare : e non solamente dilatano, & aprono i passi, & i condotti, anzi di più spingono la materia, la dissipano, e dileguano. Buttava arenella le quali parevano proprio pietre allora spezzate, e disfatte.

La notte sentii al lato manco un principio di colica assai violento, e pungente, il quale mi straccinò un buon pezzo, e tuttavia non ebbe il progresso ordinario : non pervenne al ventre, al pettignone : e finì in modo che mi lasciò credere, che fusse ventosità.

Al 20 fui due ore al bagno. Mi diedero tutto quel giorno gran noia, e disagio grande le ventosità al basso del ventre. Buttava di continuo le orine molto torbide, rosse, e spesse con qualche poco d’arenella. Sentiva la testa. Andava del corpo più presto oltra il solito che altramente. Non si osservano qui le Feste con quella religione che le osserviamo noi, massimamente la Domenica. Fanno le donne la più parte de i loro lavori dopo pranzo.

Al 21 seguitai la mia bagnatura. Dapoi essermi bagnato mi dolevano i reni assai. Orinava molto torbido. Buttava arenella, ma poche. Il dolore ch’io pativa allora ai reni, secondo giudicava, fu causato dalle ventosità le quali si rimenavano d’ogni verso. Della torbolanza delle orine indovinai la scesa di qualche pietra grossa. Indovinai troppo bene. Avendo fatta la mattina questa scritta, subito dopo pranzo venni a essere molto travagliato de’ dolor colici. E per non starmi troppo neghittoso mi si attaccò una giunta d’un dolore acutissimo ai denti della guancia manca, non ancora sentito. Non potendo comportare questo disagio, dopo due o tre ore mi metti al letto, dove in poco tempo mi si levò questo dolore della guancia.

L’altro stracciandomi tuttavia, e sentendo ultimamente (per vederlo movere di loco in loco, & occupare diverse parti della personna) che fussero più presto ventosità che piettra, fui sforzato a domandar d’un serviziale ; il quale sul buio mi fu attaccato molto comodamente, d’oglio, camomillo, & anisi, e non altro, dall’ordine del speziale solo. Mene servì il Capitan Paulino con tal arte, che sentendo le ventosità che spingevano all’incontro, si posava, e tirava indietro ; e poi pian piano seguitava, a tanto che senza fastidio veruno lo pigliai intero. Non fu bisogno, che lui mi ricordasse di servarlo quanto io potessi, perché non mi diede nessuna voglia d’andar del corpo. Sino a tre ore mi stetti così, e poi da me stesso m’ingegnai di buttarlo. Essendo fuora del letto presi un boccone di massepano a gran pena, e quattro gocciole di vino. Ritornato al letto, e un poco addormentato, mi venne voglia d’andare al destro : e fino al giorno ne andai quattro volte, avendo sempre qualche parte del detto cristiero che non era resa.

La mattina mi sentii alleggerito molto, avendo sgombrato ventosità infinite. Mi restai con stracchezza assai, ma di dolore nulla. Desinai un poco senza appetito, bevvi senza gusto con ciò fusse ch’io mi sentissi assetato assai. Dappoi aver desinato mi si attaccò ancora una volta questo travaglio della guancia manca, del quale patii assaissimo per infino dell’ora del desinare a quella della cena. Tenendo per certo, che queste ventosità mi fussino causate del bagno, lo lasciai stare. Passai la notte con buon sonno.

La mattina mi ritrovai al destare, lasso, & affannato, la bocca asciutta, con asprezza, e mal gusto, e il fiato come se avessi avuto la febbre. Non sentiva nulla che mi dolesse, ma continuava sempre mai questo orinare estraordinario, e torbidissimo, recando seco tuttavia sabbio & arenella rossa non in molta quantità.

Al 24 la mattina buttai una pietra la quale si fermò al canale. Mi stetti perfino di quella ora a quella del desinare, senza orinare, acciò me ne venisse gran voglia. Allora non senza disagio, e sangue, & innanzi, e dopo, la buttai, grande e lunga come una nocciola di pino, ma all’un capo grossa a pari d’una fava, avendo a dire il vero la forma d’un cazzo affatto affatto. Fu mia grande ventura di poterla spinger fuora. Non ne ho mai messo che stesse a petto di questa in grandezza. Aveva troppo veracemente indovinato della qualità delle mie orine questo successo. Verrò quel che n’è da seguire.

Sarà troppo grande dappocaggine, & ischifiltà la mia se tutto dì ritrovadomi in caso di morte a questo modo, e facendolami più presso ogni ora, non m’ingegni sì ch’io la possa di leggieri sopportare quanto prima io ne sia sopraggiunto. Et in questo mezzo fia senno il pigliarsi allegramente il bene ch’a Dio piacerà di mandarci. Non c’è altra medicina, altra regola, o scienzia a schifare gli mali chenti e quali d’ogni canto, e ad ogni ora soprastanno l’uomo, che risolversi a umanamente sofferirgli, o animosamente e spacciatamente finirgli.

Al 25 d’Agosto riprese l’orina il suo colore, & io mi ritrovai della persona al stato da prima. Senza che spesse volte e dì, e notte, pativa della gota manca, ma era un certo dolore che non si fermava punto. Mi ricorda avermi dato noia cotesto, male altre volte in casa mia. Al Sabato 26 fui al bagno una ora la mattina.

Al 27 dopo desinare fui crudelmente travagliato d’un dolore di denti cocentissimo si che ne mandai per il Medico, il quale venuto, e considerato ogni cosa, e spezialmente che in sua presenzia mi passò il dolore, giudicò, che non avesse corpo questa deflussione, se no molto sottile, e che fussero ventosità e stati i quali del stomaco montassino a la testa, e mescolati con un poco d’umore mi dessino questo disagio. Il che mi parse molto assomigliante al vero, considerato, ch’io avea patito di simili accidenti in altri lochi della persona.

Lunedì 28 d’Agosto a l’alba andai a bere alla fontana di Bernabò, e ne bevvi 7 libre, 4 oncie, a 12 oncie la libra. Mi fece andar del corpo una volta. Ne buttai poco manco di metà, innanzi pranzo. Evidentemente sentiva, che mi mandava vapori alla testa, e l’aggravava.

Martedì 29 bevvi della fontana ordinaria 9 bicchieri, i quali capivano una libra uno, una oncia manco. Di subitamente mi sentii la testa. È vero, a dirla, come ella stà, che di se stessa stava male, e non s’era mai ben riavuta del mal stare ove casco alla prima bagnatura. Più di rado la sentiva, & un po’ po’ d’un altro modo, perché non mi indebolivano, o abbagliavano gli occhi, d’un mese avanti. Pativa più indrio ; e mai alla testa che non passasse di subito il male alla guancia manca, toccandola tutta, denti sin a i bassi, l’orecchio, parte del naso. Il dolore breve, ma il più delle volte molto cocente, il quale spessissime fiate il giorno, e la notte, mi ripigliava. Tal era in quella stagione il star della mia testa.

Ben credo, che i fumi di questa acqua tanto per il beveraggio, quanto per la bagnatura (con ciò sia cosa che più per quello che per questa) siano nocivissimi alla testa, & affermatamente si può dire di più al stomaco. E per questo si usa da costoro comunemente delle medicine per provedere a questo caso.

Resi, mettendo in conto quel ch’io beveva a tavola (il che era molto poco, e manco d’una libra) in tutto il giorno fino all’altro domane, l’acqua, una libra manco. Dopo desinare sul tramontar del sole andai al bagno, e ci stetti 3 quarti di ora. Sudai un poco.

Al Mezzedima 30 d’Agosto bevvi 9 bicchieri, 18 oncia. Ne resi la metà innanzi pranzo.

Il Giovedì tralasciai il bere, & andai la mattina a cavallo a veder Controne, Comune molto popoloso in queste montagne. Ci sono molte belle e fertili pianure, e pascoli al colmo d’esse montagne. Ha questo Comune parecchi villette, allogiamenti di pietra comodi. I tetti loro coperti di pietra. Feci una gran girandola intorno a questi monti innanzi tornar a casa.

Non mi piaceva quel smaltire dell’acqua presa ultimamente. Per questo feci pensiero di smettere il berne. E non mi piaceva perché non tornava, e non scontrava il conto dell’orinare di quel dì col bere. Bisognava, che mifussino rimasti dentro più di tre bicchieri della acqua del bagno. Senza che mi sopravvenne una stitichezza del corpo, avuto riguardo al mio ordinario.

Venerdì primo di Settembre 1581 mi bagnai una hora la mattina. Sudai alquanto al bagno, e ci buttai con l’orina dell’arenella rossa con assai quantità. Bevendo, non ne avea buttato nulla, o poca. La testa stava sempre ad un modo, cioè cattivo. Cominciava a stentare in questi bagni. E se fussero venute nove di Francia, le quali aspettava essendo suto 4 mesi senza riceverne, era per partire alla bella prima, e per andare più presto fornir la cura d’autunno a qual si voglia altri bagni. Andando verso Roma mi venivano riscontrati poco discosto della maestra strada i bagni Bagno acqua, quelli di Siena, e di Viterbo. Andando verso Venezia, quelli di Bologna, e poi quelli di Padoa.

Feci fare le mie arme in Pisa dorate, e di bei colori, e vivi, per un scudo e mezzo di Francia ; e poi al bagno impastarle (perché erano in tela) su una tavola ; e questa tavola la feci chiodare molto molto sollecitamente al muro della camera dove io stava, con quel patto, che si tenessino date alla camera, non al capitan Paulino padrone d’essa, e che in ogni modo non ne fussino spiccate che che dovesse accadere della casa per di quì innanzi. E così mi fu promesso, e giorato da lui. La Domenica al 3 di Settembre fui a bagnarmi, e ci stetti una ora, e un po’ più. Ne sentii quantita di ventosità, ma senza dolore.

La notte, e la mattina del Lunedì 4, fui crudelmente travagliato di dolor di denti : e continuai a dubitare non fusse qualche dente guasto. Masticava mastice la mattina senza pro veruno. Della alterazione che mi menava questo cocentissimo male, ne seguiva ancora la stitichezza del corpo. Per la quale non ardiva ripigliare il beveraggio del bagno : & in questo modo faceva pochissima cura. In su l’ora di desinare, e tre, o quattro ore dopo desinare, mi diede pace. Sulle venti mi si attaccò con tanta furia alla testa, & ambedue le guancie, ch’io non mi poteva reggere in piedi. Per la acutezza del dolore mi veniva voglia di vomitare. Era quando tutto in sudore, quando raffreddato. Questo sentire, che m’assalisse d’ogni lato, mi dava à credere, che non fosse il male causato del vizio d’un dente. Perchè in questo, ch’il lato manco fusse assai più tormentato, nondimeno ambedune le tempie, e il mento, e fino alle spalle, & alla gola, d’ogni verso sentiva alle volte grandissimo dolore : sì che trapassai la più crudelle, notte ch’io mi ricorda, avere mai passata. Era veramente rabbia, e furore.

Mandai la notte per un speziale il quale mi diede dell’acqua vita a metter sur lato il quale più mi tormentava. Ne ricevetti un soccorso mirabile, perché in quell’istesso instante ch’io l’ebbi messa nella bocca, mi s’appagò tutto il dolore. Ma di subito ch’io la aveva spruzzata, mi ripigliava come prima : in modo che continuamente aveva il bicchiere alla bocca. Non poteva conservarla nella bocca perché per la stracchezza di subito ch’il dolore mi lasciava, il sonno forte mi veniva ; e venendomi il sonno, mi cascava qualche goccia di quest’acqua nella gola, e così bisognava, ch’io la spruzzassi. In sul far del giorno mi passò il dolore.

Fui visitato il Martedì mattina al letto da tutti i Gentiluomini i quali erano al bagno. Mi feci attaccare alla tempia del lato manco un empiastretto di mastice sul polso. Quel giorno sentii poco dolore. La notte mi metterono della stoppa calda sur la guancia, e la parte stanca della testa. Dormii senza dolore : ma il sonno torbido.

Mezzedima sentiva tuttavia dolore al dente, & occhio manco. Con lo orinare buttava delle arenella ma non in quella grande quantita che le buttava la prima volta ch’io ci fui. Ne buttava certi granelli sodi, come di miglio, e rossi.

Al Giovedì 7 Settembre la mattina fui un’ora al bagno grande.

Quella istessa mattina mi diedero nelle mani per la via di Roma lettere del signor du Tausin scritte a Bordea al 2 d’Agosto, per le quali m’avvisa, ch’il giorno innanzi, d’un publico consentimento io era suto creato Governatore di quella città : e mi confortava d’accettare questo carico per l’amor di quella Patria.

La Domenica 10 Settembre mi bagnai la mattina un’ora al bagno delle donne : & essendo un po’ caldo, ci sudai alquanto.

Dopo desinare andai solo a cavallo a vedere certi altri lochi vicini, & una villetta la quale si noma Gragnaiola, e sta in la cima d’un monte de’ più alti di quelle bande. Passando più là su quelle cime mi paravano le più belle, e fertili, e piacevoli piaggie abitate che si possino vedere.

Essendo a ragionare con i paesani, & avendo io addomandato a uno uomo molto attempato, se essi usavano i nostri bagni, mi rispose, che lor accadeva quel ch’interviene a quelli che stanno vicino alla Madonna di Loreto, che rade volte ci vanno in pellegrinaggio : e che l’operazione delli bagni non si vede che in favore delli forestieri, e lontani. Tuttavia che li rincresceva assai quello che dopo certi anni si accorgesse, li bagni essere più nocivi che giovevoli a chi li usava. Diceve di questo essera la causa tale. Che con ciò sia cosa che a i tempi passati non ci fusse un solo speziale in queste bande, e non si vedesse nissun medico, che di rado ; ora si vedeva il contrario : avendo questi tali, riguardando all’utile loro, sparso questa usanza, che non valevano i bagni a chi non pigliasse, non solamente e dopo, e prima, delle medicine, ma di più a chi non le mescolasse con la operazione dell’acqua del bagno : la quale non facilmente consentivano che fusse presa pura. Di questo diceva seguire questo chiarissimo effetto, che più gente morisse, che non guarisse di questi bagni. E teneva per certo, ch’in poco tempo era per venire in cattivo concetto, & in disdetto al mondo.

Lunedì 11 di Settembre, buttai la mattina buona quantità d’arenella, e la piú parte in forma di miglio, soda, rossa di sopra, di dentro bigia.

Al 12 di Settembre 1581 partimmo de i bagni della Villa la mattina a bona ora, e venimmo desinare a

LUCCA, 14 miglia. Cominciavano in quei giorni a cogliersi l’uva. La Festa di Santa Croce è delle principali della Città : e si dà intorno a quella otto giorni libertà a chi vuole, bandito per conto di debito civile, di tornare a casa sua sicuramente per darli commodità d’attendere alla divozione. Non ho trovato in Italia un solo buono barbiere a tosarmi la barba, & il pelo.

Al Mezzedima la sera fummo a udir le vespere al Duomo, dove fu il concorso di tutta la Città, e processioni. Si vedeva scoperta la reliquia del Volto Santo, la quale è di grandissima venerazione fra essi, conciosia cosa ch’è antichissima, e nobile di parecchi miracoli. Per il servizio della quale s’è edificato il Domo : sì che la picciola cappella dove si tiene questa reliquia stà ancora al mezzo di quella grande Chiesa in loco sconcio, e contra ogni regola d’architettura. Quando furono fornite le vespere si mosse tutta la pompa a un’altra Chiesa, la quale ai tempi passati era il Duomo.

Giovedì udii la messa nel Coro del detto Duomo dove erano tutti gli Ufficiali della Signoria. Si dilettano in Lucca molto di musica : e comunemente cantano tutti. Si vede pure, che hanno pochissime bone voci. Fu cantato a questa messa con ogni sforzo : e non ci fu pure gran cose. Avevano fatto a posta un grande altare molto alto, di legno e carta, ricoperto d’immagini, e grandi candellieri d’argento, e di più vasellamenti d’argento, posti in tal guisa : un bacile al mezzo, & intorno quattro piatti ; e guarnito in questa maniera del piè fino al capo che rendeva una forma ragguardevole e bella.

Ogni volta che dice la messa il Vescovo, come egli quel giorno la diceva, sul punto ch’egli dice Gloria in excelsis s’attacca il fuoco a certo mazzo di stoppe ; il quale s’appicca a una graticola di ferro pendente nel mezzo della Chiesa per cotale servigio.

Già era in quelle contrade la stagione molto raffreddata & umida. Al Venerdì 15 di Settembre mi venne quasi un flusso d’orina cioè ch’io orinava presso a due volte più che non aveva bevuto. Se m’era rimasta nel corpo qualche parte dell’acqua del bagno, credo che la buttassi.

Al Sabbatto mattina resi una pietrella aspra senza difficultà niuna. L’aveva la notte sentita un po’ sul pettignone, e capo della verga.

La Domenica 18 di Settembre si fece la ceremonia del mutamento del Gonfaloniere della Città. Io fui a vederla al palazzo. Si lavora quasi senza rispetto della Domenica, e ci sono assai botteghe aperte.

Al Mezzedima 20 di Settembre dopo desinare partii di Lucca, avendo prima fatto acconciar due balle di robe per mandar in Francia.

Seguitassimo una strada speditevole e piana. La contrada sterile a modo delle Lome di Gascogna. Passammo sopra un ponte fatto dal Duca Cosimo, un rio grande. In quel luogo sono mulini a far ferro, del Granduca, e bello alloggiamento. Ci sono ancora tre peschiere, o lochi appartati a modo di stagnetti rinchiusi, e lastricati di sotto di mattoni ne i quali si conserva un numero infinito d’anguille, le quali compariscono facilmente, essendoci poca acqua. Varcammo poi l’Arno a Fucecchio, e capitammo al buio alla

SCALA 20 miglia. Di Scala partii al spuntar del sole. Passai un cammino bello, e quasi pari. Il paese montuoso di montagne piccole, e fertilissime come le montagne Francesche. Passammo per il mezzo di Castel Fiorentino, piccola Terra chiusa di mura ; e poi al piede e darente a Certaldo patria del Boccacio, Castello bello sopra un colle. Venimmo a desinare a POGGIBONZI 18 miglia, una Terra piccola. Di là a cena a

SIENA 12 miglia. À me pare, che fusse più freddo il cielo in questa stagione in Italia, ch’in Francia.

La piazza di Siena è la più bella che si vedda in nissuna altra Città. Si dice in quella ogni giorno la messa in un altare al publico, al quale d’ogni intorno riguardano le case, e botteghe, in modo che gli artefici, e tutto questo popolo, senza abbandonare le loro faccende, e partirsi del loco loro, la possono sentire. E quando si fa l’elevazione, si fa tocca una trombetta acciò ch’ognuno avvertisca. Al 23 di Settembre la Domenica dopo desinare partimmo di Siena. Et avendo seguito una strada speditevole, comechè un poco inuguale (quel paese essendo montuoso di colline fertili, e monti non alpestri) giunsimo a

S. CHIRICO 20 miglia, un castelluccio. Alloggiassimo fuora delle mura. Il cavallo della soma essendo giaciuto in un fiumicello che passammo a guado, ruinò tutte le mie robe, e particolarmente i libri : e bisognò del tempo a asciugarle. Stavano sui colli di man stanca vicini Montepulciano, Moncello, Castiglioncello.

Lunedì a buona ora andai a vedere un bagno discosto di due miglia, il quale bagno si domanda Pignone, del nome d’un Castelluccio chegli è darente. Il bagno è posto in un loco un po’ alto : al piede del quale passa il fiume Urcia. In questo loco ci sono una dodicina di casette, o in quel torno, poco comode, e disgustevoli, poste intorno. Non pare altro che una pidocchieria. Un gran stagno intornato di mura, e scaloni, dove vedono bollire nel mezzo parecchi polle di questa acqua calda. La quale non avendo odore di zolfo, poco fumo, e la sua fece rossa, pare essere più tosto ferruminea che altramente. Non se ne beve. La lunghezza di questo stagno è di sessanta passi, la larghezza di trenta cinque. Ci sono in certi lochi intorno desso stagno lochi appartati, coperti, quattro o cinque, dove è uso di bagnarsi. Questo bagno è assai nobile.

Non si beve di questa acqua, ma sì bene di quella di S. Cassiano, la quale ha più grido, vicino del detto S. Chierico 18 miglia verso Roma a man stanca della strada maestra. Considerando la pulitezza di questi Vasellamenti di terra, che paiono di porcellana sì sono bianchi e netti, e tanto a buon mercato, che veramente mi paiono più gustevoli per lo mangiare, che il stagno di Francia, massimamente brutto come si trova alle osterie.

A questi giorni mi sentiva un po’ della testa, del che avea pensato dovere essere a pieno liberato. E sì, come prima, mi veniva intorno agli occhi, & alla fronte, & alle altre parti d’innanzi della testa, gravezze, debolezze, turbolenze : del che sentiva un grande travaglio d’animo. Martedì venimmo a desinare a

LA PAGLIA 13 miglia, a dormire a

S. LORENZO 16 miglia : cattivi alberghi. Le vindegne si cominciavano a fare in quelle bande. Mercordì la mattina nacque una questione tra nostri uomini con gli Vetturini di Siena i quali considerato ch’eramo stati in viaggio più dell’ordinario, toccando loro di far le spese a i cavalli, dicevano non voler pagare la spesa di quella sera. Fu a tanto la cosa, che bisognò parlarne al Governatore, il quale avendomi udito, me la diede vinta, e messe in prigione l’uno de i Vetturini. Diceva io, che la cascata del cavallo nell’acqua, della quale aveva ruinata la più parte della mia roba, era stata causa del nostro indugiare.

Vicino alla strada maestra, discosto di qualche passi a man dritta a sei miglia di Montefiascone, o in quel torno, c’e un bagno nomato …. posto in una grandissima pianura. Et a tre miglia, o quattro, del monte piú vicino fa un piccolo lago : all’un termine del quale si vede una grossa polla bollir gagliardamente, e buttar acqua da abbruciare. Puzza assai al solfo, e fa una schiuma, e fece bianca. Di questa polla d’una banda nasce un condotto, il quale mena l’acqua a duo bagni che sono in una casa vicino. La qual casa è sola con assai stanzette, ma cattive. Non credo, che ci sia gran calca. Se ne beve sette giorni dieci libre per volta : ma bisogna lasciare l’acqua un po’ rinfrescare prima, per levarli quel calore, come si fa al bagno di Preissac. Il bagno si prende altrettanto. Questa casa, & il bagno, è del dominio di certa Chiesa. S’affitta cinquanta scudi. Ma oltra questo utile delli ammalati che ci vanno alla primavera, colui il quale la tiene a pigione, vende certo fango che si tira del detto lago : il qual fango serve a’ cristiani, disfacendolo con oglio caldo per le rogne ; o vero alle pecore rognose, e cani, disfacendolo con acqua. Quello fango, quando lo vende in terra a some 2 giuli la soma : quando in palle secche a sette quattrini per una. Ci riscontrammo assaissimi cani del Cardinal Farnese, li quali erano menati là per farli bagnare. Circa tre miglia di là giunsimo a

VITERBO 16 miglia. Era tal ora, che bisognò fare tutto una del pranzo e della cena. Era io allora molto roco, e raffreddato ; & avea dormito vestito su una tavola a S. Lorenzo per rispetto de cimici : quel che non m’era accaduto ch’a Firenze ; & in quel loco. À Viterbo mangiai certa sorte di ghiandegensole nomate. Se ne trova in assaissimi lochi d’Italia. Sono gustevoli. Ci sono ancora tanti stornelli, che per un baiocco ne avete uno.

Giovedì 28 di Settembre la mattina andai a vedere certi altri bagni vicini di quella Terra, posti nel piano, assai discosto e lontano del monte. Prima si vedono edifici in duo diversi lochi, dove erano bagni, non è molto tempo, i quali per trascuraggine sono persi. Esala tuttavia il terreno un puzzore grande. C’è più là una casettuccia, nella quale sta una polla piccinina d’acqua calda a dare un laghetto a bagnarci. Questa acqua non ha odore. Un gusto insipido. Calda mezzanamente. Giudicai che avesse molto del ferro. Di questa se ne beve. Più là è il Palazzo che si dice del Papa, perché si tiene, ch’il Papa Nicolò lo fece, o rifece. Al basso di quel Palazzo, e nel terreno in sito molto basso, sono tre polle diverse d’acque calde. L’una delle quali è per servizio di beveraggio. Quella è d’un calore mezzano, e temperato. Puzzore niuno, o odore. Nel sapore ha un poco di punta, e d’acume. Credo, che tenga molto del nitro. Era ito con intento di berne tre giorni. Se ne beve come in altri lochi, quanto alla quantità. Si passeggia poi : e si loda il sudore.

Questa acqua ha grandissimo grido, e se ne porta via con some per tutta l’Italia : & a questa dà il Medico, il quale ha universalmente scritto de i bagni, il vantaggio sopra tutte l’acque d’Italia per il bere. Particolarmente se le attribuisce grande virtù per le cose de i reni. Si beve piú ordinariamente in Maggio. Mi diede cattivo augurio il leggere la scritta contra il muro, d’uno che bestemmiava i Medici d’averlo mandato là, e che s’era molto impeggiorato. Di più, che il bagnaiolo diceva, la stagione esser troppo tarda ; e mi confortava freddamente berne.

Non c’è ch’uno alloggiamento, ma grande & onestamente comodo, discosto di Viterbo d’un miglio, e mezzo. Io ci andai a piedi. Ci sono tre o quattro bagni di diversi effetti : e di più, loco per le doccie. Fanno queste acque una schiuma bianchissima, la quale si fitta facilmente, e stà soda come ghiaccio, facendo una crosta dura sopra l’acqua. Tutto il loco si vede imbianchito, & incrostato a questo modo. Metteteci un panno lino, in un subito lo vedete carico di questa schiuma, e sodo come se fusse assiderato. Di questa cosa si nettano utilmente li denti, e se ne manda via, e vende. Masticando questa fece non si vede sapore che di terra o sabbio. Si dice, che questa è materia del marmo. Chi sa fusse per impetrarsi ancora nelli reni? Si dice tuttavia, che quella acqua che si porta in fiaschi, non fa niuna fece, e si mantiene purissima, e chiara. Credo, che se ne possa bere a piacere, e che riceva qualche guasto di quella punta per agevolire il berne.

Di là al ritorno andai in questo medesimo piano, il quale ha una lunghezza grande, e larghezza di otto miglia, a vedere il loco dove gli abitatori di Viterbo (fra i quali non è nissuno Gentiluomo, e sono tutti lavoratori, e mercatanti) radunano i lini, e la canape : delle quali cose fanno grande arte. Gli uomini fanno questo lavoro. Non è da donne fra loro. Ce n’era quantità grande, e di lavoratori intorno a un certo lago d’acqua medesimamente calda, e bollente d’ogni stagione. Il quale lago dicono non aver fondo : del quale si tirano poi altri laghetti tiepidi dove si mette a bagnare la canape, & il lino.

Tornato a casa, fatto questa gita andando a piè, e tornando a cavallo, buttai una piccola pietra rossa, e soda, grossa come un grosso grano di frumento. La scesa della quale avea il giorno innanzi sentita un po’ in sul pettignone. Si fermò al passaggio. Per amor di agevolirle l’uscita fa bene di ferrare il passo all’orina, e stringere il cazzo alquanto acciocch’esca poi più gagliardamente. M’apparò questa ricetta il Signor di Langon a Arsac.

Il Sabbato, Festa di S. Michele, dopo desinare andai alla Madonna del Cerquio discosta della città d’un miglio. Si va per una grande strada molto bella, pari e dritta, guarnita d’alberi d’un termine e dall’ altro, fatta studiosamente dal Papa Farnese. La Chiesa è bella, piena di gran religione, e di voti infiniti. Porta la scritta latina, che fa cento anni, o in quel torno, essendo un uomo assalito da alcuni ladri, e mezzo morto, ricorse a una quercia, nella quale era questa immagine della Madonna ; alla quale fatto le sue preghiere, per miracolo fu invisibile a i ladri : e così scampò un pericolo evidentissimo. Di questo miracolo nacque la particolar devozione alla Madonna. Fu a torno della quercia édificata questa bellissima Chiesa. Ora si vede il tronco della quercia tagliato da basso, e la parte dove è posta l’immagine attaccata al muro, & i rami intorno tagliati.

Al Sabbato ultimo di Settembre la mattina io mi partii di Viterbo, e presi la strada di Bagnaio, loco del Cardinal Gimbaro molto ornato, e ben acconcio fra l’altre cose di fontane. Et in questa parte pare, che non solamente pareggi, ma vinca e Pratolino, e Tivoli. Prima ha l’acqua di fontana viva, che non ha Tivoli ; e tanto abbondevole (che non ha Pratolino) ch’ella basta a infiniti disegni. Il medesimo Messer Tomaso da Siena, il quale ha condotto l’opera di Tivoli, o la principale, è ancora conduttore di questa la quale non è fornita : e così aggiungendo sempre nuove invenzioni alle vecchie, ha posto in questo suo ultimo lavoro assai più d’arte, di bellezza, e leggiadria. Tra mille altre membra di questo eccellente corpo si vede una piramide alta, la quale butta acqua in assaissimi modi diversi : questa monta, questa cala. À torno a questa piramide sono quattro laghetti belli, chiari, netti, gonfi d’acqua. Nel mezzo di ciascuno una navicella di pietra con due archibuggieri, i quali tirano acqua, e la balestrano contra la piramide : & un trombetto in ciascuna che tira ancora lui acqua. E si va a torno questi laghi e piramide per bellissimi viali con appoggi di bella pietra lavorati molto artificiosamente. Ad altri piacquero piú altre parti. Il Palazzo piccolo, ma pulito, e piacevole. Certo, s’io me ne intendo, porta questo loco di gran lunga il pregio dell’uso, e servizio delle acque. Lui non ci era. Ma essendo Francesco di core, come egli, ci fu fatta da i suoi tutta la cortesia & amorevolezza che si può richiedere.

Di là seguendo la dritta strada incappassimo a Caprarola Palazzo del Cardinal Farnese : il quale è di grandissimo grido in Italia. Non ne ho visto in Italia nissuno che li stia a petto. Ha un gran fosso d’attorno intagliato nel tufo. L’edificio di sopra alla foggia d’un terrazzo : non si vedono le tegole. La forma cincangola, ma la quale pare quadratissima agli occhi. Dentro pure è tonda perfettamente con larghi corridori à torno, voltati tutti, e dipinti d’ogni parte. Le stanze quadre tutte. L’edificio molto grande. Sale bellissime. Fra le quali ce n’è una mirabile ; nella quale alla volta di sopra, (perché l’edifizio è voltato per tutto), si vede il globo celeste con tutte le figure. À torno alle mura il globo terrestre, le regioni, e la cosmographia, pinta ogni cosa molto riccamente sul moro istesso. In diversi altri luochi si vedono dipinte le piú nobili azioni di Papa Paolo 3, e Casa Farnese. Le persone ritratte sì al vivo, che, dove il nostro Contestabile, o la Regina Madre, o i suoi figliuoli Carlo, Enrico, e Duca d’Alanzone, e Regina di Navarra, si vedono ritratti, subito sono riconosciuti di chi li ha visti. Simigliantemente il Re Francesco, Enrico II, Pietro Strozzi, & altri. In una medesima sala a i duo termini si vedono le effigie del Re Enrico II d’una banda, & al loco più onorevole ; sotto la quale lo dice la scritta Conservatore di Casa Farnese ; all’altra si vede il Re Filippo, la cui scritta dice, Per li molti beni da Lui ricevuti. Ci sono anche fuora parecchi cose ragguardevoli e belle. Fra le altre una gotta la quale spruzzando l’acqua in un laghetto con arte fa parere & alla vista, & al suono, la scesa della pioggia naturalissima. Il sito sterile, & alpestro. E li bisogna tirare l’acqua delle sue fontane fino di Viterbo a otto miglia discosto.

Di lá seguitando una strada pari, & una grande pianura, ci abbattemmo a grandissimi prati, in mezzo de i quali in certi lochi e senza erba, si vede bollire delle polle d’acqua fredda pure, ma puzzolente al zolfo in modo di molto lontano se ne scorge l’odore. Venimmo a dormire a

MONTEROSSI, 23 miglia. Domenica primo d’Ottobre a

ROMA, 22 miglia. Si sentiva quella stagione un grandissimo freddo, & un vento di tramontana agghiacciato. Lunedì, & alcuni giorni seguenti, io mi sentiva il stomaco indigesto. E per questa occasione feci alcuni pasti appartato per mangiare manco : & ebbi lubrichezza del corpo : in modo che mi sentiva assai allegro della persona, fuori che della testa la quale non si riaveva mai del tutto. Il dì ch’io giunsi a Roma ricevetti le lettere delli Giurati di Bordeaux, i quali mi scrivevano molto cortesemente della elezione ch’avevano fatta di me per Governatore della lor Città : e mi pregavano molto d’andardi a trovare.

La Domenica alli 8 d’Ottobre 1581 andai a vedere ne i termi di Diocleziano in sul Monte Cavallo un Italiano il quale essendo suto molto tempo schiavo de i Turchi aveva imparato mille rare cose nel cavalcare ; come, che correndo a tutta briglia si stava dritto in piè sulla sella, e gittava con ogni forza un dardo, e poi d’un tratto si calava nella sella. Correndo in furia, e tenendo d’una mano all’arcione, scendeva del cavallo, toccando del piè dritto a terra, il mancino tenendo nella staffa : e più volte scendeva, e saliva sulla sella a questo modo. Faceva parrecchi giri del corpo sulla sella correndo sempre. Tirava d’un arco Turchesco dinanzi, e di dietro con grande agevolezza.

Appogiando la testa, e la spalla sul collo del cavallo, e stando i piè in su dritto, dava carriera al cavallo. Avendo una mazza in mano, la gittava in l’aria, e ripigliava correndo. Essendo in piede sulla sella, una lancia in mano dritto dava in un guanto, e l’infilava, come si corre all’anello. À piedi girava una piqua intorno al collo dinanzi, e dietro, avendola prima spinta forte con la mano.

Al 10 d’Ottobre, l’Ambasciatore di Francia mi mandò dopo desinare un staffiero per dirmi, che veniva a pigliarmi nel suo cocchio, s’io voleva ; per menarmi a vedere gli moboli del Cardinale Ursino, i quali si vendevano, perché Lui era morto questa state in Napoli : & avea lasciato erede delli suoi beni grandissimi una sua Nipote bambina. Fra le altre cose rade ci era una coperta di taffettà frodata di piuma di cigno. Di queste pelli di cigni intere colla piuma se ne vede assai in Siena e tutte acconcie non me ne fu domandato altro che uno scudo e mezzo. Sono grandi come una pelle di castrato : e poche basterebbono a fare una coperta a questo modo. Vidi ancora un ovo di autrucilo lavorato intorno, e tutto pinto di belle pitture. Di più una cassetta quadra a metter gioie, nella quale ce n’era qualche quantità : ma essendo la cassa molto artatamente d’ogni banda acconcia di spere, come s’apriva la cassa, pareva che d’ogni lato, e di sopra, e di basso, fosse molto più larga, e cupa, e che ci fussino dieci volte più di gioie che non ci erano, una medesima cosa vedendosi più volte per il riverbero delle spere, delle quali spere malagevolmente si poteva scorgere.

Il Giovedì 12 d’Ottobre il Cardinal di Sans mi menò in cocchio solo seco a veder S. Giovanni, e Paolo, Chiesa della quale lui è Padrone : & è di quei Frati che fanno acque e profumi, de i quali ho parlato di sopra ; posta sopra il monte Celio. E pare, che quella altura di sito sia come fatta ad arte, essendo tutta quanta di sotto voltata con grandi corridori, e sale sotterra. Si dice, che fusse là il Foro Ostilio. I giardini e vigne di questi Frati sono posti in una bellissima veduta donde si scuopre la vecchia, e nuova Roma, loco per la sua altezza diripita, e cupa, appartato, e inaccessibile quasi d’ogni parte. Quel medesimo dì diedi una cassetta di legno ben assettata a un conduttore a mandarla a Milano : nella qual strada i mulattieri ordinariamente stanno 20 giorni. Pesava tutta la roba 150 libre, e si paga 4 baiocchi per libra, i quali tornano a 2 soldi Franceschi. Ci erano dentro molte robe di pregio, massimamente una collana d’Agnus Dei bellissima, e la quale non aveva la sua pari in Roma, fatta a posta per l’Imbasciatore dell’Imperatrice, il quale la avea fatta benedire al Papa con un Cavalliere.

La Domenica 15 d’Ottobre la mattina io partii di Roma, e ci lasciai il mio Fratello con 43 scudi d’oro, con i quali si risolveva di poter star là, & imparar la scherma per il tempo di cinque mesi. Avea innanzi ch’io partissi, affittato una camerina polita per 20 giuli il mese. Mi fecero compagna fino alla prima posta i Signori d’Estissac, di Montu, Baron di Chase, Morens, & altri parecchi. E senza ch’io partii più per tempo per levar l’occasione di dar questa noia a questi Gentiluomini, ce n’erano assai d’altri in procinto per venire, i quali avevano già affittati i cavalli, come i Signori di Bellai, d’Ambres, d’Alegra, & altri. Venni a dormire a

RONCIGLIONE, 30 miglia, avendo locato fino a Lucca i cavalli a 20 giuli per uno, facendo il vetturino le spese a i detti cavalli da per se.

Lunedi la mattina stupiva di sentire un freddo tanto acuto, che mai mi pareva aver sentito stagione tanto fredda, e di vedere in quelle bande le vendemmie, e ricolta del vino non ancora fornita. Venni a desinare a Viterbo, ove mi messi addosso le pellicie, e tutti i miei ferramenti dell’ inverno ; di là a cenare a

S. LORENZO, 29 miglia. Di là venni a dormire a

S. CHIRICO, 32 miglia. Tutte queste strade sono state assettate uguanno per ordine del Duca di Toscana : la quale opera è molto bella, e profittevole al servigio publico. Dio glielo rimeriti, perché le vie difficillime sono per questo mezzo speditevoli e commode come le vie d’una Città. Era cosa stupenda di sentire il numero infinito di gente che andava a Roma. Si vedeva per questo conto, che i cavalli da vettura per andare a Roma erano fuora d’ogni pregio di carestia : e quei di ritorno di Roma si lasciavano per nonnulla. Presso di Siena, come in infiniti altri luoghi, si trova un ponte doppio, cioè ponte sopra il quale passa un’altra acqua con un canale. Giunsimo la sera a

SIENA, 20 miglia. Quella notte mi sentii circa due ore della colica : e mi parse sentire la scesa della pietra. Il Giovedì a buona ora mi venne a trovare Guglielmo Felice Ebreo medico, il quale mi diede un gran discorso dell’ordine del mio vivere sopra il suggetto delle reni, & arenella. In quel punto mi partii di Siena : e mi represe la colica, la quale mi durò tre, o quattro ore. Al capo delle quali m’accorsi chiaramente con un grandissimo dolore del pettignone, del cazzo, e del culo, che la pietra era cascata. Venni a cena a

PONTEALCE, 28 miglia. Buttai là una pietra più grossa ch’un grano di miglio con alcune arenella rosse, senza dolore, o difficoltà al passare. Ne partii Venerdì la mattina, e nella strada mi fermai a

ALTOPASCIO, 16 miglia. Stetti là una ora per far mangiare la biada alle bestie : dove senza gran fastidio buttai con assai sabbio una pietra lunga, parte soda, parte molle, della grandezza d’un grosso grano, e più. Riscontrammo nella strada parecchi contadini i quali coglievano le fronde delle vigne, la quale guardano per darne l’inverno alle bestie, altri che coglievano la felce per farne lattume. Vemmo a dormire a

LUCCA, 8 miglia. Fui là visitato da parecchi Gentiluomini, & artigiani. Il Sabbato 21 d’Ottobre alla mattina mi si spinse fuora un altra pietra, la quale si fermó un pezzo nel canale, ma n’uscì pure senza dolore, e difficultà. Questa era più tosto tonda che altramente, dura, e massiccia, aspera pure, e rozza, bianca dentro, e rossa di sopra, assai più grande ch’un grano. In quel mentre buttai tuttavia arenella. Di qui si vede, che di se stessa la natura si scaria alcune delle volte ; e si sente come un flusso di questa roba. Ringraziato sia Iddio, ch’esce fuora senza dolore d’importanza, e non disturba le azioni.

Dopo aver mangiato un’uva (perchè in questo viaggio mangiava, pochissimo la mattina, o nonnulla), mi partii di Lucca senza aspettare certi Gentiluomini i quali si mettevano in ordine per venirmi ad accompagnare. Feci una bella strada, la più parte piana, avendo della man dritta gli monticelli carichi d’infiniti oliveti, alla manca paduli, e d’arente il mare.

Riscontrai in un loco del Stato di Lucca un instrumento il quale è mezzo ruinato per la trascuraggine de i detti Signori : e fa questo difetto gran danno alle campagne d’intorno. Questo instrumento era fatto per il servizio d’asseccar le terre in questi paduli, e renderle fertili. S’era tirato un gran fosso, al capo del quale tre rote, le quali si movevano di continuo per il mezzo d’un rivo d’acqua viva, il quale veniva cascando della montagna in su queste ruote, le quali con certi vasi attaccati ad esse tiravano d’una banda l’acqua del detto fosso e dell’altra banda la versavano dentro un altro fosso a canale più alto : il qual fosso fatto a posta, e guarnito di muro d’ogni banda portava questa acqua nel mare. Si asseccava cosi tutto il paese d’intorno.

Passai nel mezzo di Pietra Santa Castello del Duca di Firenza assai grande, & popolato di case, vuoto tuttavia di persone, perciocchè, a quel che si dice, l’aria ci è tanto cattiva che non si può stare, e morono la più parte, o stentano. Venimmo a cena a

MASSA DI CARRARA, 22 miglia : Terra la quale è al Principe di Massa di Casa Cibo. Si vede un Castello bello alla cima d’un monticello. Sul mezzo del detto monticello, intorno al detto Castello e di sotto di esso, sono le strade, e le case intorniate di buone mura. E piú basso fuora le dette mura, sta un Borgo grande al piano, intorniato d’altre mura nuove. Il loco è bello, belle strade, belle case, e pitturate. Era sforzato di bere vini nuovi ; e non se ne beve altri in quelle bande : i quali con certi legni, e ghiara d’uova, si fanno tanto chiari che non ci manca nulla del colore de i vecchi, ma hanno non so che sapore non naturale.

La Domenica 22 di Ottobre seguitai prima una strada molto piana, avendo sempre il mare Tirreno su la man manca vicino d’una archibugiata. Et in quella strada fra noi, & il mare vimmo una ruina non molto grande, la quale gli paesani dicono essere stata una grande Città nomata Luna.

Vimmo poi a Sarrezana, Terra della Signoria di Genoa : e si vede la loro insegna, la quale è un S. Giorgio a cavallo. Tiene là una guardia di soldati Svizzeri, essendo Terra la quale è suta altre volte del Duca di Firenze. E se non s’intermettesse il Principe di Massa fra loro, non si dubita, che Pietra Santa, e Sarrezana, frontiere dell’un Stato, e dell’altro, non fussino di continuo alle mani. Passato Sarrezana (dove fummo sforzati pagare 4 giuli per una posta per cavallo, e dove si faceva una grande allegrezza d’artiglieria per il passaggio di Don Gioan de Medici Fratello naturale del Duca di Firenze, il quale tornava di Genoa dell’Imperatrice, dove era ito da parte del detto Fratello, come parecchi altri Principi d’Italia erano ancora loro andati ; e fra li altri si faceva gran grido della sontuosità del Duca di Ferrara, il quale venne a riscontrarla a Padoa con 400 carrozze avendo domandato licenzia alla Signoria di Vinezia d’andare nelle loro Terre con seicento cavalli, alla quale richiesta Essi aveano fatto risposta, che li concedevano di venire con certo numero alquanto minore : Lui messe tutta sua gente in carrozze, e così li menó tutti, ma diminuì il numero de i cavalli. Questo Principe Don Gianni lo iscontrai nelle via, giovane assai bello di persona, accompagnato di 20 uomini ben in arnese, ma su cavalli di vettura, il quale andare non disdice punto in Italia né anco a’ Principi) passato Sarezzana lasciammo a man stanca la strada di Genoa. Per andare a Milano c’e poca differenza di passar per Genoa, o per l’altra via, e torna a uno.

Desiderava veder quella Città, e l’Imperatrice che ci era. Mi disturbò, che per andarci sono due strade, l’una lunga di tre giornate di Sarrezana, la quale ha 40 miglia di cattivissima, & alpestrissima via di sassi, e precipizi, e male osterie : poco si bazzica quella via ; l’altra è per Lerici discosto tre miglia di Sarrezana, dove si mette per mare, e si passa dodici ore in Genoa. Io non sopportando l’acqua per il difetto del stomaco, e non tanto sospettando il disagio di quella strada, quanto il tentare d’alloaggiamenti per la gran calca ch’era in Genoa ; e di più, che si diceva, che la strada di Genoa a Milano non era troppo sicura di ladri ; e non avendo altro in testa che il mio ritorno ; mi risolsi di lasciar Genoa da parte, e seguii la strada a man dritta fra molte montagne, tenendo sempre il fondo, e vallone, il lungo del fiume Magra. Et avendola a man stanca passammo adesso per il Stato di Genoa, adesso del Duca di Firenze, adesso de i Signori di Casa Malespina. In fine per una via comodamente bona fuori qualche passi scoscesi è diripiti giunsimo a dormire a

PONTREMOLI, 30 miglia, Cittá molto lunga, popolata d’antichi edifizi non molto belli. Ci sono alcune ruine, e si dice che si nomava delli antichi Appua. È adesso del Stato di Milano : e ultimamente la godevano quei di Casa Fiesca. À tavola mi fu data la prima cosa il cacio, come si fa verso Milano, e contrade d’intorno Piacenza. Mi furono date, secondo l’uso di Genoa, delle olive senza anima acconcie con oglio, & aceto, in forma d’insalata buonissime. Il sito d’essa Cittá è fra le montagne, & al piede d’esse. Si dava a lavar le mani un bacile pieno d’acqua posta sopra un scannetto. Bisognava, che si lavasse ognuno le mani con esso l’acqua.

Me ne partii Lunedì 23 la mattina ; e salii, all’uscir di casa, l’Apennino alto assai, ma la strada punto difficile, né pericolosa. Stettimo tutto il dì salendo, e calando montagne alpestre la più parte, e poco fertili. Venimmo la sera a dormire a

FORNOVO nel Stato del Conte di S. Secondo, 30 miglia. Mi fu piacere di vidermi uscito delle mani di quei furfanti della montagna : dei i quali s’usa tutta la crudeltà a’ viandanti sulla spesa del mangiare, e locare cavalli, che si possa immaginare. Mi fu là messo a tavola diverse sorte d’intingoletti in forma di mostarda buonissimi di diverse sorte. Era l’una di quelle fatta di mele cotonie. Si sente in quelle bande estrema carestia di cavalli a vettura. Sete in mano di gente senza regola, e senza fede verso i forestieri. Altri pagavano duo giuli per cavallo per posta : a me ne domandavano tre, e quattro, e cinque giuli per posta, in modo ch’ogni giorno andava più d’un scudo a logar un cavallo, perchè oltra di questo contavano due poste dove non ne era che una. Era là discosto di Parma due poste : e di Parma c’era fino a Piacenza quella medesima strada la quale era di Fornovo, in modo che non si slungava la via che di due poste. Non ci volsi andare per non disturbare il mio viaggio, avendo dismesso ogni altro intento. Questo loco é una piccola Villa di sei, o sette casette, posta sopra un piano il lungo della fiumara Taro, mi pare che si nomi. La quale seguitammo Martedì la mattina un pezzo venendo a desinare a

BORGO S. DONI, 12 miglia, Casteluccio, il quale il Duca di Parma comincia d’intorniare di mura belle, e ben fornite di fianchi. Si messe là a tavola della mostarda fatta di mele, e di naranchie, tagliate a pezzi in forma di codogniaco mezzo cotto.

Di là lasciando a man dritta Cremona a medesima distanza che Piacenza, seguitando una bellissima strada pari & in un paese dove fin all’orizzonte non si vede montagna, nè inegualità ; il terreno fertilissimo, mutando di posta in posta cavalli, i quali due poste io menai al galoppo, per sentir le forze de i lombi : e non ci trovai nè mal, nè stracchezza : l’orina naturale. Vicino a Piacenza ci sono due colonne grandi, l’una d’un lato della strada, l’altra dell’altra, circa quaranta passi di larghezza fra le due. À piede delle quali colonne è scritto in Latino, che si proibisce di edificare, piantare arbori, e vigne fra essi. Non so se voglia conservare la larghezza della strada solamente, o veramente, che di esse colonne fino alla città, la quale n’è distante di mezzo miglio, si voglia conservar la spianura scoperta come ella si vede. Venimmo a dormire a

PIACENZA, 20 miglia, Città via assai grande. Essendoci giunto assai di bon’ora la voltai d’ogni banda tre ore. Strade fangose non lastricate, piccole case. E nella piazza, dove è la sua grandezza, c’è il Pallazzo della Giustizia, e le prigioni, & il concorso di tutti i Cittadini quì intorno, guarnito di botteghe da nessun conto.

Viddi il Castello, il quale è nelle mani del Re Filippo, il quale ci ha guardia di 300 Spagnuoli mal pagati, a quel ch’io intesi d’essi. La Diana la mattina e la sera si sona con quelli instrumenti che noi nomamo haubois, & essi fiffari : e si sona una hora. Ci è gran gente là dentro, e belle pezze d’artigliera. Il Duca di Parma non ci va mai. Lui a parte sua è alloggiato (& in quel tempo era nella Città) nella Cittadella, la quale è un Castello in un altro loco : e mai non va a questo Castello che tiene il Re Filippo. In fine io non ci viddi nulla degno d’esser veduto, che il novo edificio di S. Augustino, edificato per di quel che il Re Filippo ci ha messo in iscambio d’una altra Chiesa di S. Augustino della quale Lui ha fatto questo Castello : ch’egli tiene parte della rendita della Chiesa stessa. La Chiesa resta a fare, & ha un bel principio. Ma le abitazioni de i Frati, i quali sono 70 di numero, & i chiostri doppi, sono forniti. Questo edificio mi pare in corridori, dormitori, cantine, & altra faccenda, il più suntuoso e magnifico che io abbia visto in niun altro loco, se ben mi ricordo, per servigio di Chiesa. Mettono a tavola il sale in mazza ; il formaggio un gran pezza senza piatto. Il Duca di Parma aspettava in Piacenza la venuta del Figliuolo primogenito dell’Arciduca d’Austria, il quale Figliuolo io viddi à Isprug ; e adesso si diceva, che andasse a Roma per essere coronato Re de’ Romani. Si porge l’acqua alle mani : & a mescolarla col vino con un cocchiaro grande d’ottone. Il formaggio che si mangia là, è del tutto simile a quelli Piacentini che si vendono per tutto. Piacenza è dritto la mezza strada di Roma a Lione. Avea, per farla più dritta verso Milano, a andare a dormire a

MARIGNANO, 30 miglia : e di là a Milano ne sono dieci. Slungai di dieci miglia il viaggio per veder Pavia. Partii a bona ora il Mercordì 25 d’Ottobre seguitando una bella strada, nella quale orinai una pietrella molle, e sabbio assai. Passammo nel mezzo un Castelluccio del Conte Santafiore. Sul fine della via varcassimo il Po sopra un catafalco posto sopra due barche con una loggietta condotto con una longa fune appoggiata in diversi lochi sopra alcune barchetelle poste per ordine nel fiume. Vicino a quel loco si mescola il Tesino al Po. Giunsimo a bona ora a PAVIA, 30 miglia piccole. Subito mi messi a veder le cose principali della Città, il ponte sopra il Tesino, le Chiese del Duomo, Carmini, S. Tomaso, S. Agostino, nella quale è l’arca d’Augustino, ricco sepolcro di marmo bianco con molte statue. In una certa piazza della Città si vede una colonna di mattoni, sopra la quale è una effigie, la quale pare ritratta di quell’Antonino Pio ch’è a cavallo innanzi al Campidoglio.

Questa e più piccola, e non ha alcuna parità di bellezza. Ma quel che mi mette più in dubbio è questa statua ha delle staffe, & una sella con arcioni dinanzi, e dietro, dove l’altra non ha questo, e confà di tanto meglio con l’opinione de i dotti, che le staffe, e selle, a questo modo, sono trovate dapoi. Qualche ignorante scultore forse ha pensato, che questo ci mancasse. Viddi oltra, quel principio d’edificio del Cardinal Borromeo per il servizio delli Scolari.

La Città è grande & onestamente bella, popolata comodamente, e non ci manca artigiani d’assai sorte. Poche belle case ci sono. E quella dove fu i giorni passati alloggiata l’Imperatrice, è poca cosa. Viddi le arme di Francia, ma erano scancellati i gigli. In fine non ci e cosa niuna rara. Si danno per quelle bande i cavalli a duo giuli per posta. La meglio osteria, o, a dir meglio, il meglio albergo dove io avessi albergo di Roma fin qui, fu la posta di Piacenza : e credo la meglio d’Italia, di quella di Verona in poi. La più cattiva di questo viaggio fu il Falcone di Pavia. Quì si paga, & in Milano, la legna a partito : e si manca materassi a i letti.

Partii di Pavia il Giobbia 26 Ottobre. Pigliai a man dritta la strada mezzo miglio discosta della - dritta per veder il loco dove dicono esser stato il fracasso dell’armata del Re Francesco, il quale è un loco piano : e per veder anco la Chartrosa la quale con ragione ha il grido d’una bellissima Chiesa. La facciata dell’intrata tutta di marmo con infiniti lavori, è cosa veramente da stupirne. C’è di più, un ornamento d’Altare d’avorio, nel quale è scolpito il Vecchio e Novo Testamento. C’è oltra di questo il sepolcro di marmo di Gian Galeazzo Visconti Fondatore della Chiesa : e poi il Coro, & ornamenti del grande altare, & il chiostro d’una grandezza inusitata, e bellissimo. Queste son le più belle cose. La casa è grandissima d’intorno, e fa vista non solamente in grandezza, e quantità di diversi edifici, ma più in numero di gente, servitori, cavalli, cocchi, manovali, & artigiani, d’una Corte d’un grandissimo Principe. Si lavora di continuo con spesa incredibile, la quale fanno i Patri delle lor intrate. Il sito è nel mezzo d’un prato bellissimo. Di là venimmo in

MILANO, 20 miglia. Questa Città è la più popolata d’Italia, grande, e piena d’ogni sorte d’artigiani, e di mercanzia : non dissimiglia troppo a Parigi, & ha molto la vista di Città Francese. Le mancano i palazzi di Roma, Napoli, Genoa, Firenze : ma di grandezza le vince tutte, e di calca di gente arriva a Venezia. Al Venerdì 7 Ottobre andai vedere il Castello per di fuora, e lo girai quasi tutto. E un grandissimo edificio, e di mirabile fortezza. Ci è la guardia almeno di 700 Spagnuoli, benissimo guarnita d’artiglierie, e ci facevano ancora d’ogni intorno alcuni ripari. Quel giorno mi fermai là per la grandissima pioggia che ci sopraggiunse. Fin allora ci avea il tempo, e la via, molto favorevolmente servito. Al Sabbato 28 d’Ottobre partii di Milano la mattina. Mi messi in una via piana e bella ; e con ciò fosse cosa che piovesse di continuo, e che fusse la via piena d’acqua, non ci era fango, inteso che il paese è arenoso. Venni a desinare a

BUFFALORA, 18 miglia. Varcammo là sul ponte il fiume Naville stretto, ma fondo in modo che porta a Milano grosse barche. E un poco più in quà passammo a barche il Tesin, e venimmo dormire a

NOVARRA, 12 miglia, Città piccola, e poco piacevole, posta in un piano. Intorno d’essa vigne, e boschetti, e terreno fertile. Di là partimmo la mattina, e venimmo a stare un pezzo, per far mangiar le bestie, a

VERCEL, 10 miglia, Città del Duca di Savoia ancora essa in piano, e lungo della zesa fiume, il quale varcammo in barca. Il detto ha fatto in quel luogo edificar in gran fretta, & un mondo di gente, una Fortezza bellina a quel ch’io potti scorgere di fuori : e ne ha messo in suspetto i Spagnuoli vicini a quelle bande. Di là passammo per mezzo di S. German, e poi di S. Giaco piccole Castella. E seguendo sempre un bel piano, fertile massimamente di noci (perché in quelle contrade non sono olive, né altro oglio, che di noce) venimmo a dormire a

LIVORNO, 20 miglia, Villetta dove sono assai case. Partimmo Lunedì a buona ora, e seguendo un cammin piano, venimmo a desinar a

CHIVAS, 10 miglia, & di là varcando assaissime fiumare con barche, & a guado, venimmo a

TURINO, 10 miglia. Ci potevamo venire a desinare facilmente. Piccola Città in un sito molto acquoso, non molto ben edificato, né piacevole con questo che per mezzo delle vie corra un fiumicello per nettarle delle lordure.

Diedi a Turino cinque scudi, e mezzo, per cavallo, a servirmene fin a Lione, sei giornate, le spese a fare da per loro. Qui si parla ordinariamente Francese ; e paiono tutti molto divoti alla Francia. La lingua popolesca è una lingua la quale non ha quasi altro che la pronunzia Italiana : il restante sono parole delle nostre. Ne partimmo al Martedì ultimo d’ottobre, e venimmo il lungo d’una via pari a desinare a

S. AMBROGIO, 2 poste. Di là seguendo un piano stretto fra le montagne, a domire a SUSA, 2 poste, Castelluccio popolato d’assai di case. Io sentiva lì un gran dolore al ginocchio dritto, il qual dolore mi avea durato assai giorni, ma andava tuttavia augumentando. Le osterie sono lì meglio che in altri loci d’Italia, buoni vini, pane cattivo, molto a mangiare, albergatori cortesi, e per tutta Savoia. Alla festa di tutti i Santi avendo udita la messa venni alla

NOVALESE, una posta. Locai lì 8 marroni i quali mi portassero in sedia fin alla cima di Mon Senis, e poi al calare di l’altra mi ramassassero.

Montaigne continue ici son Journal en sa Langue naturelle.

Ici on parle Francès ; einsi je quite ce langage étrangier, duquel je me sers bien facilemant, mais bien mal assûréemant, n’aïant eu loisir, pour être tousiours en compaignie de François, de faire nul apprentissage qui vaille. Je passai la montée du Mont-senis moitié à cheval, moitié sur une chese portée par quatre hommes, & autres qui les refrechissoient. Ils me portoient sur leurs épaules. La montée est de deus heures, pierreuse & mal aisée à chevaus qui n’y sont acostumés, mais autremant sans hasard & difficulté car la montaigne se haussant tousiours en son espessur, vous n’y voyés nul praecipice ni dangier que de broncher. Sous vous, au dessus du mont, il y a une plaine de deus lieues, plusieurs maisonetes, lacs & fontenes, & la poste : point d’abres, oui bien de l’herbe & des prés qui servent en la douce saison. Lors tout étoit couvert de nege. La descente est d’une lieue coupée & droite, où je me fis ramasser à mes mesmes Marrons, & de tout leur service à huit, je donai deux escus. Toutefois le sul ramasser ne coute qu’un teston, c’est un pesant badinage, mais sans hasard aucun & sans grand esperit : nous disnâmes à

LANEBOURG, deux postes, qui est un village au pied de la montaigne, où est la Savoie, & vinmes coucher à deux lieues, à un petit vilage. Partout là il y a force truites, & vins vieus & nouveaus excellans. De là nous vinmes, par un chemin montueus & pierreus, disner à

S. MICHEL, cinq lieues, village où est la poste. De là vinsmes au giste, bien tard & bien mouillé, à

LA CHAMBRE, cinq lieues, petite Ville d’où tirent leur titre les Marquis de la Chambre. Le Vandredi, 3 de Novambre, vinmes disner à

AIGUEBELLE, quatre liues, Bourg fermé, & au giste à

MONTMELLIAN, quatre lieues, Ville & Fort, lequel tient le dessus d’une petite croupe qui s’éleve au milieu de la plaine entre ces hautes montaignes ; assise ladicte Ville, audessous du dict Fort, sur la riviere d’Isère qui passe à Grenoble, à sept lieues dudict lieu. Je santois là évidammant l’excellance des huiles d’Italie : car celes de deça commancoint à me faire mal à l’estomac, là où les autres jamais ne me revenoint à la bouche. Vinmes disner à

CHAMBERI, deux lieues, Ville principale de Savoie, petite, belle & marchande, plantée entre les mons, mais en un lieu où ils se reculent fort & font une bien grande plaine. De là nous vinmes passer le Mont du Chat, haut, roide & piereus, mais nullemant dangereus ou mal aisé, au pied duquel se siet un grand lac, & le long d’icelui un Château nomé Bordeau, où se font des espées de grand bruit ; & au giste à

HYENE, quatre lieues, petit Bourg. Le Dimanche matin nous passâmes le Rosne que nous avions à notre mein droite, après avoir passé sur icelui un petit Fort que le Duc de Savoie y a basti entre des rochers qui se serrent bien fort ; & le long de l’un d’iceux y a un petit chemin étroit au bout duquel est ledict Fort, non guiere différant de Chiusa, que les Vénitiens ont planté au bout des montaignes du Tirol. De là continuant tousiours le fond entre les montaignes, vinmes d’une trete à

S. RAMBERT, sept lieues, petite vilete audict vallon. La pluspart des Villes de Savoie ont un ruisseau qui les lave par le milieu ; & les deux costés jusques audict ruisseau où sont les rues, sont couverts de grans otervans, en maniere que vous y êtes à couvert & à sec en tout tamps ; il est vrai que les boutiques en sont plus obscures. Le Lundi six de Novambre, nous partismes au matin de S. Rambert, auquel lieu le sieur Francesco Cenami, Banquier de Lyon, qui y étoit retiré pour la peste, m’envoïa de son vin & son neveu, aveq plusieurs très-honnestes complimans. Je partis de là Lundi bon matin, & après estre enfin sorti tout-à-faict des montaignes, comançai d’antrer aus plaines à la Francèse. Là je passai en bateau la riviere d’Ain, au pont de Chesai, & m’en vins d’une trete à

MONLOEL, six lieues, petite Ville de grand passage appartenante à Monsieur de Savoie, & la derniere des sienes. Le Mardi après-dîner, je prins la poste & vins coucher

LYON, deux postes, trois lieues. La Ville me pleut beaucoup à la voir. Le Vandredi j’achetai de Joseph de la Sone, trois courtaus neufs par le billot deux cens escus ; & le jour avant avois acheté de Milesieu un cheval de pas de cinquante escus, & un autre courtaut trente trois. Le Samedi, jour de S. Martin, j’eus au matin grand mal d’estomac, & me tins au lit jusques après midi qu’il me print un flux de ventre ; je ne disnai point & soupai fort peu. Le Dimanche douze de Novambre, le sieur Alberto Giachinotti Florentin, qui me fit plusieurs autres courtoisies, me dona à disner en sa maison, & m’offrit à prester de l’argent, n’aïant eu connoissance de moi que lors. Le Mercredi 15 de Novambre 1581, je partis de Lyon après disner, & par un chemin montueus vins coucher à

BORDELIERE, cinq lieues, village où il n’y a que deus maisons. De là le Jeudi matin, fimes un beau chemin plein, & sur le milieu d’icelui près de Fur, petite vilette, passâmes à bateau la riviere de Loire, & nous randismes d’une trete à

L’HOSPITAL, huit lieues, petit bourg clos. De là, vandredi matin, suivismes un chemin montueus, en tamps aspre de nèges, & d’un vant cruel, contre lequel nous venions & nous randismes à

TIERS, six lieues ; petite Ville sur la riviere d’Allier fort marchande, bien bâtie & peuplée. Ils font principalemant trafiq de papier, & sont renomés d’ouvrages de couteaus & cartes à jouer. Elle est également distante de Lyon, de St Flour, de Moulins & du Puy. Plus je m’approchois de chés moi, plus la longur du chemin me sambloit ennuïeuse ; & de vrai, au conte des journées, je n’avois été à mi chemin de Rome à ma maison, qu’à Chamberi pour le plus. Cette vile est des terres de la maison de . . . apartenant à M. de Montpansier. J’y fus voir faire les cartes chés Palmier. Il y a autant d’ouvriers & de façon à cela qu’à une autre bone besouigne. Les cartes ne se vandent qu’un sol les comunes, & les fines deux carolus. Samedi nous suivismes la plaine de la Limaigne grasse ; & après avoir passé à bateau la Doare & puis l’Allier, vinmes coucher au

PONT DU CHATEAU, quatre lieues. La peste a fort persécuté ce lieu-là, & en ouis plusieurs histoires notables. La maison du Seigneur, qui est le manoir paternel du Viconte de Canillac, fut brûlée ainsi qu’on la vouloit purifier à tout du feu. Ledict sieur envoïa vers moi un de ses jans, aveq plusieurs offres verbales, & me fit prier d’escrire à M. de Foix pour la recomandation de son fils qu’il venoit d’envoïer à Rome. Le Dimanche 19 de Novambre, je vins disner à

CLERMONT, deus lieues, & y arrêtai en faveur de mes jeunes chevaux. Lundi 20, je partis au matin, & sur le haut du Pui de Doume, randis une pierre assés grande, de forme large & plate, qui étoit au passage despuis le matin, & l’avois santie le jour auparavant, seulemant au bout de la verge ; & comme elle vousit choir en la vessie, la santis aussi un peu aus reins. Elle n’étoit ni molle ni dure. Je passai à Pongibaut, où j’alai saluer en passant Madame de la Fayette, & fus une demie-heure en sa salle. Cete maison n’a pas tant de beauté que de nom ; l’assiete en est leide plustost qu’autremant ; le jardin petit, quarré, où les allées sont relevées de bien 4 ou 5 pieds : les carreaus sont en fons, où il y a force fruitiers & peu d’herbes, les côtés desdicts carreaus einsin enfoncés, revetus de pierre de taille. Il faisoit tant de nège, & le temps si aspre de vant froit, qu’on ne voïoit rien du païs. Je vins coucher à

PONT-A-MUR, sept lieues, petit village. Monsieur & Madame du Lude étoint à deus lieues de là. Je vins landemain coucher à

PONT-SARRANT, petit village, six lieues. Ce chemin est garni de chetifves hostelleries jusques à Limoges, où toutes fois il n’y a faute de vins passables. Il n’y passe que Muletiers & Messagiers qui courent à Lyon. Ma teste n’étoit pas bien ; & si les orages & vans frédureus & pluies y nuisent, je lui en donois son soul en ces routes-là, où ils disent l’hiver estre plus aspre qu’en lieu de France. Le Mercredi 22 de Novambre de fort mauvais tamps, je partis de là, & aïant passé le long de Feletin, petite Ville qui samble estre bien bastie, situé en un fons tout entourné de haus costaus, & étoit encore demi déserte pour la peste passée, je vins coucher à

CHASTEIN, cinq lieues, petit méchant village. Je beus là du vin nouveau & non purifié, à faute du vin vieus. Le Jeudi 23 aïant tousiours ma teste en cet estat, & le tamps rude, je vins coucher à AUBIAC, cinq lieues, petit village qui est à Monsieur de Lausun. De là je m’en vins coucher landemain à

LIMOGES, six lieues, où j’arrêtai tout le Samedi, & y achetai un mulet quatre vingt dix écus-sol, & païai pour charge de mulet de Lyon là, cinq escus, aïant esté trompé en cela de 4 livres ; car toutes les autres charges ne coutarent que trois escus & deus tiers d’escu. De Limoges à Bourdeaus on païe un escu pour çant. Le Dimanche 26 de Novambre, je partis après disner de Limoges, & vins coucher aus

CARS, cinq lieues, où il n’y avoit que Madame des Cars. Le Lundi vins coucher à

TIVIE, six lieues. Le Mardi coucher à

PERIGUS, cinq lieues. Le Mercredi coucher à

MAURIAC, cinq lieues. Le Jeudi jour de St. André, dernier Novambre, coucher à

MONTAIGNE, sept lieues : d’où j’étois partis le 22 de Juin 1580 pour aller à la Fere. Par-einsin avoit duré mon voyage 17 mois 8 jours.

FIN