Joyeusetés galantes et autres/IX. — Hermance

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Joyeusetés galantes et autresA l’Enseigne du Beau Triorchis (Mlle Doucé) (p. 31-43).

HERMANCE

I



Comme une ode éclatante,
Ta gaîté crépitante
Active les frissons
De nos chansons,


Belle fille de joie,
Dont la jupe de soie
Sert à nous montrer nus
Tes reins charnus !

Ta mamelle robuste
Se dresse sur le buste,
Teignant ses bouts rosés
Dans nos baisers.

Oh ! laisse que j’y tette,
Lorsque ta belle tête
Se renverse, les vins
Les plus divins !

D’innombrables morsures
N’ont pas mis de blessures
Sur tes contours polis
Et non mollis ;

Car cette gorge dure
Comme le marbre, endure
Tout ce qui peut flétrir,
Sans s’attendrir.


Et pourtant, sous ma bouche,
Parfois elle se couche,
Avec les plus charmants
Frémissements ;

Puis, orgueilleuse et fière
Comme la Montgolfière
Que le gaz agrandit,
Elle bondit !

Tes cheveux où rayonne
L’or qui nous passionne,
Frisent en petits nœuds
Bien lumineux ;

Ton épaule sans tache,
Comme un faon à l’attache,
Fait sauter sous nos mains
Tous ses jasmins.

Malgré le tatouage
Tracé dans un autre âge,
Tes deux bras vigoureux
Font des heureux ;


Sous tes âcres aisselles
De fauves étincelles
Font plus roux le gazon
De la toison ;

Et le torse sublime
Que plus rien ne comprime,
À jeté le corset
Qui le blessait !

II



Ô jeune Pandémie !
La luxure endormie
Se réveille en dressant
Son bras puissant.

Sur ta lèvre écarlate
Avec ivresse éclate
La superbe splendeur
De l’impudeur !


Bien ! ardente faunesse,
Tu veux que l’on connaisse
Les triomphants accords
De ton beau corps ;

Et ta forme lascive,
Largement expansive,
Comme le soleil roux
Brille pour tous !

La beauté devenue
Rare, doit être nue
Et réjouir nos yeux
Dévotieux,

Ainsi qu’un magnifique
Fleuve au cours pacifique,
Menant par les roseaux
Ses calmes eaux,

Dans lequel toute lèvre
Peut rafraîchir sa fièvre,
Et qui toujours remplit
Son vaste lit !


Vois cette promenade
Qui, sous la colonnade
De ses arbres, le soir,
A vu s’asseoir

Des vagabonds sans nombre,
Et qui prête son ombre
À des gens par milliers,
Vite oubliés :

D’autres viendront encore
Sous son toit que décore
Un verdoyant lampas
Perdre leurs pas ;

Mais la discrète allée
Est toujours étoilée
De fleurs d’or se mouvant
Au gré du vent.

Le ruisseau dont la foule
A troublé l’eau qui coule
Prestement tout auprès,
Est-il moins frais ?

III



Je t’aime, quand pâmée
Sur ta couche alarmée,
Tu raidis tes bras blancs,
D’amour tremblants

Quand ta jupe frivole
On ne sait où s’envole,
Délivrant tes contours
De vains atours ;

Quand ta cuisse céleste,
Dans sa nudité reste
Avec le bas moiré
Et bien tiré.

Nulle ride ne plisse
Ton ventre dur et lisse
Où l’ombre se revêt
D’un frais duvet.


Ô ménade ! ô bacchante !
Ô nymphe provocante,
Chef-d’œuvre de Paros,
Fait pour Eros !

Fille et mère de joie,
Dont le rire flamboie
En épouvantant ceux
Qui, paresseux,

N’osent comprendre encore
Ce feu qui te dévore,
Et qui te fait chercher,
Pour les coucher,

Brisés par les ivresses
De tes âpres caresses,
Les amants dont le Beau
Est le flambeau,

Et dont l’âme sereine
Ne veut pas qu’on se traîne
Près d’une idole au cœur
Froid et moqueur !

IV



Laissons aux gens timides,
Dont nos blanches Armides
Raillent l’abord glacé
Et compassé,

L’épouse du notaire,
Livrant, dans le mystère
Du réduit conjugal,
L’humble régal

D’une gorge invisible,
Au petit clerc paisible,
Qui l’aimera demain,
Le code en main ;

La romanesque vierge
Maigre comme le cierge
Qui fume au carrefour,
Et dont l’amour


Discret et platonique
A peur que sa tunique
Ne vienne à se laisser
Par trop froisser !

V



Mais adorable Hermance,
Dont la sage démence
S’en va, les yeux ardents,
Le rire aux dents,

Tu vivras dans les odes
De nos jeunes rhapsodes,
Sur ta couche cent fois
Tombés sans voix,

Terrible, haletante,
La crinière flottante,
Le front hautain et clair,
Les seins en l’air !


Furieuse, embrasée,
Et roulant écrasée
bans tes cheveux épars
De toutes parts !

Avec un cri farouche,
Appelant sur ta bouche
Les infinis baisers
Inapaisés,

Et dans ta libre allure,
Trempant la chevelure
Qui t’empourpre le dos,
Dans le bordeaux,

Dans le pâle champagne,
Dans les vins où se gagne
Le désir radieux
Qui fait les dieux !

VI



Ô louve inassouvie,
Passe, folle et ravie,
Niant dans ton ardeur
Toute pudeur !

Ô sauvage prêtresse,
Idéale maîtresse
Des rouges et fumants
Emportements,

La Grèce, ta patrie,
Avec idolâtrie
Eût sur le Parthénon
Gravé ton nom ;

Et quand, las de la prose,
Mon poème qu’arrose
Un feu pareil à l’or
Liquide encor,


En secouant ses rimes,
Voudra des cris sublimes,
Il te demandera,
T’appellera !

Tu viendras, belle et nue,
Dans ta pose inconnue
À ceux qui n’osent pas
Suivre tes pas,

Dans ma strophe éblouie,
La lèvre épanouie,
Avec cet air mourant
Qui rend plus grand.


(Patte-de-Chat, mai 1860.)