Joyeusetés galantes et autres/V. — Pour une Dévote

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Joyeusetés galantes et autresA l’Enseigne du Beau Triorchis (Mlle Doucé) (p. 20-23).

V

POUR UNE DÉVOTE

I



Que vous êtes belle à l’église,
Près des piliers massifs et lourds,
Sainte Thérèse et Cidalise
Sur votre carreau de velours !

Je vous admire, les mains jointes,
Baissant vos cils longs et tremblants,

Vos brodequins laissant leurs pointes
Déborder les soyeux volants,

Avec vos poses extatiques
De nonne et de chatte à la fois,
Lorsque sous les voûtes mystiques
L’orgue fait entendre sa voix.

Quand montait l’odeur du cinname
Au ciel, entre chaque verset,
Bien souvent, j’ai pensé, madame,
Que c’était vous qu’on encensait.

II



À vos pieds, ma tendre dévote,
Mon cœur, fier de s’humilier,
Danse doucement la gavotte :
Je veux baiser votre soulier !

Par le désir et la promesse
Vos yeux divins sont embellis

Si j’étais le livre de messe
Que feuillettent vos doigts de lis ?

Si j’étais, dans l’ombre incertaine,
Le reliquaire bienheureux ?
Si j’étais encore la patène
Où meurt votre souffle amoureux ?

III



Grâce pour ces choses mondaines
Que je vous murmure tout bas :
Il est de galantes fredaines
Dont les cieux ne se fâchent pas.

Oui, nous pouvons, même à l’église,
Mon beau vase d’élection,
Unir, sans qu’on s’en scandalise,
L’amour à la dévotion.

Mon cœur dans votre cœur se noye,
Je vous adore avec ferveur ;

Nos baisers frissonnants de joie
N’offenseront pas le Sauveur.

Sa charité même nous tente :
Il est bon à tout être aimant ;
Pour Madeleine repentante
Il n’eut qu’un sourire charmant.

L’ami de Marthe et de Marie,
L’agneau sans colère et sans fiel,
Est indulgent lorsqu’on le prie
Sur vos fines lèvres de miel.

S’il trouve que notre caprice
Un peu trop loin s’émancipa,
Vous désarmerez sa justice
Par un mignon Meâ culpâ,

Et répandrez, toute contrite,
Vos pleurs tendres et précieux,
Que sa main sèchera bien vite,
Pour ne pas voir rougir vos yeux.