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Joyeux propos de Gros-Jean/Le poète impromptu

La bibliothèque libre.
Les cahiers populaires (p. 49-53).




LE POÈTE IMPROMPTU


Gros-Jean était de passage
Au magasin du village.
Alors qu’on y parlait
Du livre d’un nouveau poète,
Que hautement on louait.
Ayant fini son emplette,
Il s’approche pour écouter.
Mais il est tôt dérouté :
Il ne peut pas comprendre
Certains mots que l’on vient de rendre.
Il demande donc, agacé,
Sur quoi l’on est à jaser.
On le lui dit : — « C’est d’un poète ! »
— Un poète ? Quoi qu’c’est ça ?
Comment s’que c’est faite ?
— C’est un homme, vous saurez, là !
Qui fait des vers, pour que ça rime !
— Ah ! des rimes ? fit Gros-Jean,
Mais c’est pas malaisé, j’estime ;
J’peux en faire, n’importe quand !

— Ah bah ! dit-on ; vous voulez rire
— Pantoute ! Je suis sérieux !
Si vous voulez, j’peux vous en dire
Pendant que j’suis sur les lieux ?
Écoutez ben !— Au bout d’ma terre
Écoutez ben !— Au bout d’ma terre
Y a t’un ruisseau d’eau claire ;
J’étais allé faire un tour, là,
Quand tout d’un coup, v’là
Que j’vois venir deux jeunes filles,
Ben chics, ben gentilles !
La première à l’eau
Dans le ruisseau,
Une petite blonde,
Pas grande, toute ronde :
Mamzelle Desmarais,
Avait d’l’eau jusqu’aux jarrets ;

Et son amie,
Une brune jolie ;
Mamzelle Gladu,
Avait d’l’eau jusqu’aux jarrets !
Ah ! mais !… fit-on, Gladu !… jarrets
Oui, je l’sais ben, dit notre homme,
Que ça rime pas, en somme :
Mais y avait pas plus d’eau
Dans mon ruisseau !