Joyeux propos de Gros-Jean/Le wagon-lit
LE WAGON-LIT
Une fois, Gros-Jean, en voyage,
Retournait vers son cher village :
Il avait pris le train du soir.
Il dut donc dans le char dortoir
Se louer un lit. Le cher homme
Aurait voulu faire un bon somme.
Bien à son aise, comme il faut,
Mais il n’eut qu’un lit du haut,
Le seul qui lors fut disponible.
Gros-Jean n’était pas susceptible ;
Quoiqu’il fût très haut perché,
Cela n’allait pas l’empêcher,
Dans un moment, une seconde,
D’oublier tous les bruits du monde
Et, sur son oreiller moëlleux,
De dormir comme un bienheureux.
Et le convoi fila rapide
Dans le noir de la nuit vide.
Le silence régnait partout,
Excepté lorsque tout à coup
La voix de la locomotive
Semait dans sa marche hâtive
Le cri vibrant de son sifflet.
Mais hors ça, silence complet !
Soudain, un staccato bizarre,
Éclatant comme une fanfare
Se répandit dans le wagon,
Suivi bientôt d’un autre son ;
Le souffle d’une forte gorge
Bruyant comme un tuyau de forge.
C’était le Gros-Jean qui ronflait !
Dans le lit sous le sien, dormait
Ou reposait une matrone.
Ce bruit la réveille et l’étonne ;
Elle comprend qu’il vient d’en haut.
Pour en protester aussitôt
Elle frappe de son ombrelle.
Elle frappe fort de plus belle,
Jusqu’à ce que Gros-Jean troublé,
S’arrête enfin de ronfler.
Mais il n’a pas pris connaissance ;
Il est toujours sous la puissance
Du sommeil, et, Gros-Jean qui dort,
Grogne en se retournant de bord.
D’avoir arrêté le tumulte,
La bonne dame alors exulte
Et se prépare à fermer l’œil,
Mais elle en doit faire son deuil :
Rompant derechef le silence,
Gros-Jean à ronfler recommence.
Lors, la dame d’en bas, en courroux,
Bondit sur son lit, à genoux,
Et frappe en haut, frappe avec rage.
Jean se lève en son lit-étage,
Constate d’où viennent les coups :
Se penche et regarde en dessous
De son lit, voit la femme
Qui frappe toujours : « Hé ! la dame !
Lui dit-il, « tant que tu voudras,
Frappe, mais tu sais ! j’descends pas ! »