Jules César (Shakespeare)/Traduction Guizot, 1864/Acte III

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Jules César
Traduction par François Guizot.
Œuvres complètes de ShakespeareDidiertome 2 (p. 48-68).
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ACTE TROISIÈME


SCÈNE I

Toujours à Rome. — Le Capitole. — Le sénat est assemblé.
(Dans la rue qui conduit au Capitole, une foule de peuple dans laquelle se trouvent Artémidore et le devin. — Fanfares.)
Entrent CÉSAR, BRUTUS, CASSIUS, CASCA, DÉCIUS, MÉTELLUS, TRÉBONIUS, CINNA, ANTOINE, LÉPIDUS, POPILIUS, PUBLIUS et plusieurs autres.

césar. — Les ides de mars sont arrivées.

le devin. — Oui, César, mais non passées.

artémidore. — Salut à César. — Lis ce billet.

décius. — Trébonius vous demande de parcourir à votre loisir son humble requête que voici.

artémidore. — Ô César, lisez d’abord la mienne, car c’est la mienne dont l’objet touche César de plus près. Lisez-la, grand César.

césar. — Ce qui n’intéresse que nous sera examiné le dernier.

artémidore. — Ne différez pas, César ; lisez la mienne à l’instant.

césar. — Je crois vraiment que cet homme est fou.

publius. — Allons, l’ami, place.

cassius. — Quoi, vous présentez vos pétitions dans les rues ! Venez au Capitole.

popilius, à part à Cassius. — Je souhaite que votre entreprise d’aujourd’hui puisse réussir.

cassius. — Quelle entreprise, Popilius ?

popilius. — Portez-vous bien.

(Il s’avance vers César.)

brutus. — Que vous dit Popilius Léna ?

cassius. — Qu’il souhaitait que notre entreprise d’aujourd’hui pût réussir. Je crains que nos projets ne soient découverts.

brutus. — Regardez quel sera son maintien en parlant à César. Observez-le.

cassius, bas à Casca. — Casca, soyez prompt ; car nous craignons d’être prévenus. (À Brutus.) Brutus, que ferons-nous ? Si la chose se sait, Cassius ou César n’en reviendra pas[1], car je me tuerai.

brutus. — Cassius, ne perdez pas courage ; Popilius Léna ne parle point de notre dessein. Regardez, il sourit, et César ne change point de visage.

cassius. — Trébonius sait prendre son temps. Remarquez-vous, Brutus ? il tire Marc-Antoine à l’écart.

(Sortent Antoine et Trébonius. César et les sénateurs prennent leurs sièges.)

décius. — Où est Métellus Cimber ? Qu’il s’avance et présente en ce moment sa requête à César.

brutus. — Il est prêt : il faut nous serrer autour de lui et le seconder.

cinna, bas. — Casca, c’est vous qui devez le premier lever le bras.

césar. — Sommes-nous prêts ? Quels sont les abus que César et son sénat doivent réformer ?

métellus cimber. — Très-noble, très-grand et très-puissant César, Métellus apporte devant ton tribunal les humbles vœux de son cœur.

(Il se met à genoux.)

césar. — Je dois te prévenir, Cimber, que ces formes rampantes, ces hommages pleins de bassesse, peuvent enflammer le sang des hommes vulgaires, et changer en vains projets d’enfants les décrets arrêtés dans leurs premières résolutions. Mais ne te flatte point de cette idée que César porte en lui-même un sang si rebelle, qu’il se laisse relâcher de son énergie naturelle par ce qui charme les imbéciles, par de douces paroles, de basses courbettes, et de viles caresses d’épagneul. Ton frère est banni par un décret : si tu t’avises de venir pour lui t’incliner, prier, cajoler, je te chasserai de mon chemin comme un vilain roquet. Apprends que César ne fait point d’injustices, et qu’il ne se laisse point apaiser sans motifs[2].

métellus cimber. — N’est-il point ici quelque voix plus recommandable que la mienne, qui, avec des accents plus doux à l’oreille du grand César, sollicite le rappel de mon frère exilé ?

brutus. — Je baise ta main, mais non pas par flatterie, César, en te demandant que Publius Cimber obtienne à l’instant la liberté de revenir.

césar. — Quoi, Brutus !

cassius. — Pardon, César ; César, pardon : Cassius s’abaisse jusqu’à tes pieds pour obtenir de toi que Publius Cimber soit délivré de son exil.

césar. — Vous pourriez me fléchir si je vous ressemblais ; si je pouvais prier pour émouvoir, je pourrais être ému par des prières. Mais je suis immuable comme l’étoile du nord, qui seule dans le firmament demeure vraiment fixe et dans sa constante immobilité. Les cieux sont peints d’innombrables étincelles : elles sont toutes de feu, et chacune d’entre elles resplendit de clarté, mais il n’en est qu’une entre toutes qui garde constamment sa place. Ce monde est de même, bien peuplé d’hommes, et tous ces hommes sont de chair et de sang, tous doués d’intelligence ; mais dans le nombre je n’en connais qu’un qui sache conserver son rang à l’abri de toute atteinte, inaccessible à tout mouvement : cet homme, c’est moi ; je veux en donner une petite preuve même en ceci. C’est parce que je suis ferme que Cimber a dû être banni ; et je demeure ferme en voulant qu’il reste banni.

métellus cimber. — Ô César !

césar. — Loin de moi. Veux-tu ébranler l’Olympe ?

décius. — Grand César !

césar. — Brutus n’a-t-il pas fléchi le genou en vain ?

casca. — Mon bras parle pour moi !

(Casca frappe César au cou. César lui saisit le bras : il est alors frappé par plusieurs autres conjurés, et enfin par Marcus Brutus.)

césar. — Et tu, Brute[3] ? — Alors tombe, César.

(Il meurt. Les sénateurs et le peuple se retirent en tumulte.)

cinna. — Liberté ! délivrance ! La tyrannie est morte. Courez, allez le proclamer, le crier dans toutes les rues.

cassius. — Quelques-uns de vous aux tribunes. Allez et criez : Liberté ! délivrance ! affranchissement !

brutus. — Peuple et sénateurs, ne vous effrayez point, ne fuyez point, restez à vos places : la dette de l’ambition est acquittée.

casca. — Allez à la tribune, Brutus.

décius. — Et Cassius aussi.

brutus. — Où est Publius ?

cinna. — Le voici, tout consterné de ce soulèvement.

métellus cimber. — Demeurons fermes tous ensemble, de crainte que quelques amis de César n’essayent…

brutus. — Ne parle point de demeurer. — Publius, point d’abattement ; on n’a le dessein de vous faire aucun mal, ni à aucun autre Romain. Annoncez-le à tous, Publius.

cassius. — Et quittez-nous, Publius, de peur que ce peuple, en fondant sur nous, ne mette votre vieillesse en danger.

brutus. — Oui, éloignez-vous, et que nul homme n’ait à supporter les suites de cette action, que nous qui l’avons faite[4].

(Rentre Trébonius.)

cassius. — Où est Antoine ?

trébonius. — Dans sa maison, où il s’est enfui d’épouvante. Hommes, femmes, enfants, les regards pleins de terreur, crient et courent comme si nous étions au jour du jugement.

brutus. — Destins, nous connaîtrons vos volontés. Que nous devons mourir, nous le savons. Ce n’est que de l’époque et du soin d’en retarder le jour que s’inquiètent les hommes.

cassius. — Véritablement, celui qui retranche vingt années de la vie, retranche vingt années de crainte de la mort.

brutus. — Cela convenu, la mort est un bienfait ; et nous nous sommes montrés les amis de César en abrégeant le temps qu’il avait à la craindre. Baissez-vous, Romains, baissez-vous ; baignons nos bras dans le sang de César, et que nos épées en soient enduites. Marchons ensuite jusqu’à la place publique, et brandissant nos glaives rougis au-dessus de nos têtes, crions tous : Paix ! délivrance ! liberté !

cassius. — Baissons-nous donc et qu’ils en soient trempés… — Combien de siècles futurs verront représenter la noble scène que nous donnons ici, dans des empires à naître et dans des langages encore inconnus !

brutus. — Combien de fois verra-t-on couler, par manière de jeu, le sang de ce César que voilà étendu sur la base de la statue de Pompée, de pair avec la poussière !

cassius. — Et chaque fois que cela se verra, on dira de notre association : Ce sont là les hommes qui donnèrent à leur pays la liberté.

décius. — Eh bien ! sortirons-nous ?

cassius. — Oui, marchons tous, Brutus nous conduira ; et, attachés à ses pas, les cœurs les plus intrépides et les plus vertueux de Rome vont honorer sa marche.

(Entre un serviteur.)

brutus. — Un moment, qui vient à nous ? un ami d’Antoine.

le serviteur. — Brutus, mon maître m’a recommandé de fléchir ainsi le genou ; ainsi Marc-Antoine m’a enjoint de me jeter à vos pieds, et il m’a ordonné, lorsque je me serais prosterné, de vous parler en ces mots : « Brutus est noble, sage, vaillant et vertueux ; César fut puissant, intrépide, illustre et capable d’affection. Dis que j’ai aimé Brutus et que je l’honore ; dis que je craignais César, l’honorais, et l’aimais. Si Brutus veut permettre qu’Antoine vienne à lui sans avoir rien à craindre, s’il veut lui expliquer comment César a mérité d’être frappé de mort, Marc-Antoine n’aimera pas César mort autant que Brutus vivant ! mais il suivra avec une entière fidélité la fortune et les intérêts du noble Brutus à travers les hasards de cette situation encore inusitée. » Ainsi parle Antoine mon maître.

brutus. — Ton maître est un sage et brave Romain ; jamais je n’en jugeai d’une manière moins favorable. Dis-lui que, s’il lui plaît de venir en ce lieu, il sera satisfait, et que, sur mon honneur, il en sortira sans nul outrage.

le serviteur. — Je vais le chercher à l’instant.

(Il sort.)

brutus. — Je sais que nous l’aurons aisément pour ami.

cassius. — Je désire qu’il en soit ainsi : cependant j’ai en pensée qu’il faut le redouter beaucoup, et toujours mes pressentiments sinistres vont droit à l’événement.

(Rentre Antoine.)

brutus. — Voilà Antoine qui s’avance. Soyez le bienvenu, Marc-Antoine.

marc-antoine. — Ô puissant César, es-tu donc tombé si bas ? tes conquêtes, toutes tes gloires, tes triomphes, les dépouilles que tu as remportées sont-ils donc resserrés dans ce court espace ? Adieu ! — Patriciens, j’ignore vos intentions : j’ignore quel autre que César doit voir couler son sang, quel autre est devenu trop puissant. Si c’est moi, il n’est point pour ma mort d’heure aussi convenable que l’heure de la mort de César, ni d’arme aussi digne de moitié que ces épées que vous tenez, illustrées par le plus noble sang de cet univers. Je vous en conjure, si vous me voulez du mal, maintenant, tandis que vos mains rougies fument encore de la vapeur du sang, satisfaites votre désir. J’aurais mille ans à vivre, que jamais je ne me trouverais si disposé à mourir. Aucun lieu, aucun genre de mort, ne me plairont jamais comme de mourir ici près de César et par vos coups, vous, l’élite des grandes âmes de cet âge.

brutus. — Ô Antoine, n’implorez point de nous votre mort. Nous devons maintenant paraître sanguinaires et cruels, ainsi que par l’état de nos mains et par l’action que nous venons d’exécuter nous le paraissons à vos yeux : mais vous ne voyez que nos mains et cette œuvre sanglante qu’elles ont accomplie : nos cœurs, vous ne les voyez pas ; ils sont pitoyables, et c’est la pitié pour l’injure publique faite à Rome (car la flamme chasse une autre flamme, et de même la pitié une autre pitié) qui a ainsi agi contre César. Mais pour vous, Marc-Antoine, nos épées n’ont qu’une pointe de plomb, et nos bras, nos cœurs, frères en énergique colère, vous reçoivent avec toute la bienveillance. de l’affection, avec estime, avec égard.

cassius. — Votre voix aura autant d’influence que celle d’aucun autre dans la distribution des nouvelles dignités.

brutus. — Seulement, ayez patience jusqu’à ce que nous ayons calmé la multitude hors d’elle-même de frayeur ; et alors nous vous expliquerons par quel motif, moi qui aimais César au moment même où je le frappai, je me suis conduit ainsi.

antoine. — Je ne doute point de votre sagesse. — Que chacun de vous me donne sa main sanglante. D’abord, Marcus Brutus, je veux secouer la vôtre. Puis je prends votre main, Caïus Cassius ; maintenant la vôtre, Décius Brutus ! et la vôtre, Métellus et la vôtre, Cinna ; et la vôtre, mon brave Casca ; la vôtre enfin, bon Trébonius, nommé le dernier, mais non pas le moindre dans mon amitié. — Tous tous, patriciens… Hélas ! que dirai-je ? Ma réputation repose maintenant sur un terrain si glissant, que vous devez concevoir de moi l’une de ces mauvaises pensées, ou que je suis un lâche, ou que je suis un flatteur. — Que je t’aimai, César, oh ! c’est la vérité ! Si ton âme nous contemple maintenant, ne te sera-ce pas une douleur plus sensible que ta mort, de voir ton Antoine faisant sa paix avec tes ennemis, et secouant leur main sanglante, ô grand homme ! en présence de ton cadavre ? Si j’avais autant d’yeux que tu as de blessures, et qu’ils versassent des larmes aussi abondantes que les ruisseaux qu’elles versent de ton sang, cela me siérait bien mieux que de m’unir par des conventions d’amitié avec tes ennemis. — Pardonne-moi, Jules. — Ici tu fus environné, cerf courageux ; ici tu es tombé et ici se sont arrêtés les chasseurs portant les marques de ton massacre, et baignés dans le fleuve cramoisi de ton sang ! Ô monde, tu étais la forêt de ce cerf ; et véritablement, ô monde, il était ton centre[5]. — Maintenant te voilà étendu comme le cerf frappé par plusieurs princes.

cassius. — Marc-Antoine !…

antoine. — Pardonnez-moi, Cassius ; les ennemis de César en diront autant. C’est donc de la part d’un ami une bien froide modération.

cassius. — Je ne vous blâme point de louer ainsi César. Mais quel traité prétendez-vous faire avec nous ? Voulez-vous être inscrit au nombre de nos amis, ou bien poursuivrons-nous sans compter sur vous ?

antoine. — Vous le savez, j’ai pris vos mains ; mais il est vrai, j’ai été distrait de mon objet en baissant les yeux sur César. Je suis de vos amis à tous, et tous je vous aime, dans l’espérance que vous me donnerez des raisons qui me feront comprendre comment et en quoi César était dangereux.

brutus. — S’il en était autrement, ce serait un atroce spectacle. Les explications que nous avons à vous donner abondent tellement en considérations légitimes que fussiez-vous, vous Antoine, le fils de César, vous devriez en être satisfait.

antoine. — C’est tout ce que je désire ; et de plus, je voudrais obtenir de vous qu’il me fût permis de présenter son corps sur la place du marché, et de parler à la tribune, lors de la cérémonie de ses funérailles, comme il convient à un ami.

brutus. — Vous le pourrez, Marc-Antoine.

cassius. — Brutus, un mot. (À part.) Vous ne savez pas ce que vous accordez là. Ne consentez point qu’Antoine parle à ses funérailles : savez-vous à quel point ce qu’il dira ne sera pas capable d’émouvoir le peuple ?

brutus. — Permettez. Je monterai le premier à la tribune : j’exposerai les motifs de la mort que nous avons donnée à César ; tout ce qu’Antoine dira, je déclarerai qu’Antoine le dit de notre aveu, par notre permission, et que nous consentons qu’on accomplisse pour César tous les rites réguliers, toutes les cérémonies légales. Cela nous sera plutôt avantageux que contraire.

cassius. — Je ne sais ce qui en peut arriver : cela me déplaît.

brutus. — Approchez, Marc-Antoine ; disposez du corps de César. Dans votre harangue funéraire, vous vous abstiendrez de nous blâmer ; mais dites de César tout le bien qui vous viendra en pensée, et ajoutez que vous le faites par notre permission ; autrement vous n’aurez aucune espèce de part dans ses funérailles.

antoine. — Soit ; je n’en désire pas davantage.

brutus. — Préparez donc le corps et suivez-nous.

(Tous sortent, excepté Antoine.)

antoine. — Ô pardonne-moi, masse de terre encore saignante, si je parais doux et pacifique avec ces bouchers ! Tu es le débris du plus grand homme qui ait jamais vécu dans la durée des àges. Malheur à la main qui répandit ce sang précieux ! Je le prédis en ce moment sur tes blessures, qui, comme autant de bouches muettes, ouvrent leurs lèvres rougies pour me demander la voix et les paroles de ma langue. La malédiction va fondre sur la tête des hommes ; les fureurs intestines, la terrible guerre civile vont envahir toutes les parties de l’Italie. Le sang, la destruction seront des choses si communes, et les objets effroyables deviendront si familiers, que les mères ne feront plus que sourire à la vue de leurs enfants déchirés des mains de la guerre. Toute pitié sera étouffée par l’habitude des actions atroces ; et conduisant avec elle Até, sortie brûlante de l’enfer, l’ombre de César promènera sa vengeance, criant d’une voix puissante dans l’intérieur de nos frontières : Carnage[6] et alors seront lâchés les chiens de la guerre, jusqu’à ce qu’enfin l’odeur de cette action exécrable s’élève au-dessus de la terre avec les exhalaisons des cadavres pourris, gémissant après la sépulture. (Entre un serviteur.) Vous servez Octave César, n’est-il pas vrai ?

le serviteur. — Je le sers, Marc-Antoine.

antoine. — César lui a écrit de se rendre à Rome.

le serviteur. — Il a reçu les lettres de César. Il est en chemin, et il m’a chargé de vous dire de vive voix… (Il apercoit le corps de César.) Ô César !

antoine. — Ton cœur se gonfle : retire-toi à l’écart et pleure. La douleur, je le sens, est contagieuse ; et mes yeux, en voyant rouler dans les tiens ces marques de ton affliction, commencent à se remplir de larmes. — Ton maître vient-il ?

le serviteur. — Il couche cette nuit à sept lieues de Rome.

antoine. — Retourne sur tes pas en diligence, et dis-lui ce qui est arrivé. Il n’y plus ici qu’une Rome en deuil, une Rome dangereuse, et non point une Rome où Octave puisse encore trouver la sûreté[7]. Hàte-toi de partir et de lui donner cet avis. — Non, demeure encore : tu ne partiras point que je n’aie porté ce corps sur la place du marché. Là, dans ma harangue, je pressentirai les dispositions du peuple sur le cruel succès de ces hommes de sang, et, selon l’événement, tu rendras compte au jeune Octave de l’état des choses. — Prêtez-moi la main.

(Ils sortent, emportant le corps de. César.)

SCÈNE II

Toujours à Rome. — Le Forum.
Entrent BRUTUS et CASSIUS, et une foule de citoyens.

les citoyens. — Nous voulons qu’on nous rende raison de ce qui a été fait : rendez-nous-en raison.

brutus. — Suivez-moi donc et prêtez l’oreille à mon discours, amis. — Vous, Cassius, passez dans la rue voisine et partageons le peuple entre nous. — Ceux qui voudront m’entendre parler, qu’ils demeurent ici ; que ceux qui veulent écouter Cassius aillent avec lui, et il va être rendu un compte public des motifs de la mort de César.

premier citoyen. — Je veux entendre parler Brutus.

second citoyen. — Je veux entendre Cassius, afin de comparer leurs raisons quand nous les aurons écoutés séparément l’un et l’autre.

(Cassius sort avec une partie du peuple. Brutus monte dans le rostrum.)

troisième citoyen. — Le noble Brutus est monté ; silence.

brutus. — Écoutez patiemment jusqu’à la fin. Romains, compatriotes, amis, entendez-moi dans ma cause, et faites silence pour que vous puissiez entendre. Croyez-moi pour mon honneur, et ayez égard à mon honneur, afin que vous puissiez me croire. Jugez-moi dans votre sagesse, et faites usage de votre raison afin de pouvoir mieux juger. S’il est dans cette assemblée quelque ami sincère de César, je lui dis que l’amour de Brutus pour César n’était pas moindre que le sien. Si cet ami demande pourquoi Brutus s’est élevé contre César, voici ma réponse : ce n’est pas que j’aimasse moins César, mais j’aimais Rome davantage. Aimeriez-vous mieux voir César vivant et mourir tous esclaves, que de voir César mort, et de vivre tous libres ? César m’aimait, je le pleure ; il fut heureux, je m’en réjouis ; il était vaillant, je l’honore : mais il fut ambitieux, et je l’ai tué. Il y a des larmes pour son amitié, du respect pour sa vaillance, de la joie pour sa fortune, et la mort pour son ambition. — Quel est ici l’homme assez abject pour vouloir être esclave ? S’il en est un, qu’il parle, car pour lui je l’ai offensé. Quel est ici l’homme assez stupide pour ne vouloir pas être un Romain ? S’il en est un, qu’il parle, car pour lui je l’ai offensé. Quel est ici l’homme assez vil pour ne pas aimer sa patrie ? S’il en est un, qu’il parle, car pour lui je l’ai offensé. — Je m’arrête pour attendre une réponse.

plusieurs citoyens parlant à la fois. — Personne, Brutus, personne.

brutus. — Je n’ai donc offensé personne. Je n’ai pas fait plus contre César que vous n’avez droit de faire contre Brutus. Les motifs de sa mort sont enregistrés au Capitole, sans atténuer la gloire qu’il méritait, sans appuyer sur ses fautes, pour lesquelles il a subi la mort. (Entrent Antoine et plusieurs autres conduisant le corps de César.) — Voici son corps qui s’avance accompagné de signes de deuil par les soins de Marc-Antoine, qui, sans avoir participé à sa mort, recueillera les fruits de son trépas, une place dans la république. Et qui de vous n’en recueillera pas une ? Voici ce que j’ai à vous dire en vous quittant : Ainsi que j’ai tué mon meilleur ami pour le bien de Rome, de même je garde ce poignard pour moi dès que ma patrie jugera ma mort nécessaire.

les citoyens. — Vivez, Brutus, vivez, vivez !

premier citoyen. — Reconduisons-le en triomphe jusque dans sa maison.

second citoyen. — Élevons-lui une statue parmi ses ancêtres.

troisième citoyen. — Qu’il soit fait César.

quatrième citoyen. — Les meilleures qualités de César seront couronnées dans Brutus.

premier citoyen. — Il faut le conduire à sa maison avec de bruyantes acclamations.

brutus. — Mes concitoyens !

second citoyen. — Paix, silence ; Brutus parle.

premier citoyen. — Holà, silence.

brutus. — Bons concitoyens, laissez-moi me retirer seul, et, pour l’amour de moi, demeurez-ici avec Antoine. Accueillez le corps de César, et accueillez aussi sa harangue à la gloire de César. — C’est notre permission qui autorise Marc-Antoine à la faire. Je vous conjure, que personne ne sorte d’ici que moi seul, jusqu’à ce qu’Antoine ait parlé.

(Il sort.)

premier citoyen. — Holà, restez ; écoutons Marc-Antoine.

troisième citoyen. — Qu’il monte dans la tribune, nous l’écouterons. Noble Antoine, montez.

antoine. — Je suis reconnaissant de ce que vous m’accordez pour l’amour de Brutus.

quatrième citoyen. — Que dit-il de Brutus ?

troisième citoyen. — Il dit qu’il est reconnaissant envers nous tous de ce que nous lui accordons pour l’amour de Brutus.

quatrième citoyen. — Il ferait bien de ne pas parler mal de Brutus.

premier citoyen. — Ce César était un tyran.

troisième citoyen. — Oui, cela est certain : nous sommes bien heureux que Rome en soit délivrée.

second citoyen. — Paix : écoutons ce qu’Antoine pourra dire.

antoine. — Généreux Romains…

les citoyens. — Silence ! holà ! écoutons-le.

antoine. — Amis, Romains, compatriotes, prêtez-moi l’oreille. — Je viens pour inhumer César, non pour le louer. Le mal que font les hommes vit après eux ; le bien est souvent enterré avec leurs os. Qu’il en soit ainsi de César. — Le noble Brutus vous a dit que César était ambitieux : s’il l’était, ce fut une faute grave, et César en a été gravement puni. — Ici par la permission de Brutus et des autres (car Brutus est un homme honorable : ils le sont tous, tous des hommes honorables), je viens pour parler aux funérailles de César. Il était mon ami, il fut fidèle et juste envers moi ; mais Brutus dit qu’il était ambitieux, et Brutus est un homme honorable. — Il a ramené dans Rome une foule de captifs dont les rançons ont rempli les coffres publics : César en ceci parut-il ambitieux ? Lorsque les pauvres ont gémi, César a pleuré : l’ambition devrait être formée d’une matière plus dure. — Cependant Brutus dit qu’il était ambitieux, et Brutus est un homme honorable. — Vous avez tous vu qu’aux Lupercales, trois fois je lui présentai une couronne de roi, et que trois fois il la refusa. Était-ce là de l’ambition ? — Cependant Brutus dit qu’il était ambitieux, et sûrement Brutus est un homme honorable. Je ne parle point pour contredire ce que Brutus a dit, mais je suis ici pour dire ce que je sais. — Vous l’aimiez tous autrefois, et ce ne fut pas sans cause : quelle cause vous empêche donc de pleurer sur lui ? Ô discernement, tu as fui chez les brutes grossières, et les hommes ont perdu leur raison ! — Soyez indulgents pour moi ; mon cœur est dans ce cercueil avec César : il faut que je m’arrête jusqu’à ce qu’il me soit revenu.

premier citoyen. — Il y a, ce me semble, beaucoup de raison dans ce qu’il dit.

second citoyen. — Si tu examines sensément cette affaire, César a essuyé une grande injustice.

troisième citoyen. — Serait-il vrai, compagnons ? Je crains qu’il n’en vienne à sa place un plus mauvais que lui.

quatrième citoyen. — Avez-vous remarqué ces mots : « Il ne voulut pas prendre la couronne ? » Donc il est certain qu’il n’était pas ambitieux.

premier citoyen. — Si cela est prouvé, il en coûtera cher à quelques-uns.

second citoyen. — Pauvre homme ! ses yeux sont rouges comme le feu à force de pleurer.

troisième citoyen. — Il n’est pas dans Rome un homme d’un plus grand cœur qu’Antoine.

quatrième citoyen. — Attention maintenant, il recommence à parler.

antoine. — Hier encore la parole de César aurait pu résister à l’Univers aujourd’hui le voilà étendu, et parmi les plus misérables, il n’en est pas un qui croie avoir à lui rendre quelque respect ! Ô citoyens, si j’avais envie d’exciter vos cœurs et vos esprits à la révolte et à la fureur, je pourrais faire tort à Brutus, faire tort à Cassius, qui, vous le savez tous, sont des hommes honorables. Je ne veux pas leur faire tort ; j’aime mieux faire tort au mort, à moi-même, et à vous aussi, que de faire tort à des hommes si honorables. — Mais voici un parchemin scellé du sceau de César ; je l’ai trouvé dans son cabinet. Si le peuple entendait seulement ce testament, que, Pardonnez-le-moi, je n’ai pas dessein de vous lire, tous courraient baiser les blessures du corps de César, et tremper leurs mouchoirs dans son sang sacré ; oui, je vous le dis, tous solliciteraient en souvenir de lui un de ses cheveux qu’à leur mort ils mentionneraient dans leurs testaments, le léguant à leur postérité comme un précieux héritage.

quatrième citoyen. — Nous voulons entendre le testament : lisez-le, Marc-Antoine.

les citoyens. — Le testament ! le testament ! nous voulons entendre le testament de César.

antoine. — Modérez-vous, mes bons amis ; je ne dois pas le lire. Il n’est pas à propos que vous sachiez combien César vous aimait. Vous n’êtes pas de bois, vous n’êtes pas de pierre, vous êtes des hommes ; et puisque vous êtes des hommes, si vous entendiez le testament de César, il vous rendrait frénétiques. Il est bon que vous ne sachiez pas que vous êtes ses héritiers ; car si vous le saviez, oh ! qu’en arriverait-il ?

quatrième citoyen. — Lisez le testament ; nous voulons l’entendre, Antoine. Vous nous lirez le testament, le testament de César.

antoine. — Voulez-vous avoir de la patience ? voulez-vous différer quelque temps ? — Je me suis laissé entraîner trop loin en parlant du testament. Je crains de faire tort à ces hommes honorables dont les poignards ont massacré César ; je le crains.

quatrième citoyen. — Ce furent des traîtres. Eux, des hommes honorables !

les citoyens. — Le testament ! les dispositions de César !

second citoyen. — Ce sont des scélérats, des assassins. — Le testament ! le testament !

antoine. — Vous voulez donc me contraindre à lire le testament ? Puisqu’il en est ainsi, formez un cercle autour du corps de César, et laissez-moi vous montrer celui qui fit le testament. — Descendrai-je ? y consentez-vous ?

les citoyens. — Venez, venez.

second citoyen.-Descendez.

troisième citoyen. — Nous y consentons.

(Antoine descend de la tribune.)

Quatrième citoyen. — Formons un cercle, mettons-nous autour de lui.

premier citoyen. — Écartez-vous du cercueil, écartez-vous du corps.

second citoyen. — Place pour Antoine, le noble Antoine.

antoine. — Ne vous jetez pas ainsi sur moi, tenez-vous éloignés.

les citoyens. — En arrière, place, reculons en arrière.

antoine. — Si vous avez des larmes, préparez-vous à les répandre maintenant. — Vous connaissez tous ce manteau. — Je me souviens de la première fois où César le porta : c’était un soir d’été dans sa tente, le jour même qu’il vainquit les Nerviens. — Regardez ; à cet endroit il a été traversé par le poignard de Cassius. Voyez quelle large déchirure y a faite le haineux Casca ! C’est à travers celle-ci que le bien-aimé Brutus a poignardé César ; et lorsqu’il retira son détestable fer, voyez jusqu’où le sang de César l’a suivi, se précipitant au dehors comme pour s’assurer si c’était bien Brutus qui frappait si cruellement ; car Brutus, vous le savez, était un ange pour César. Jugez, ô vous, grands dieux, avec quelle tendresse César l’aimait : cette blessure fut pour lui la plus cruelle de toutes ; car lorsque le noble César vit Brutus le poignarder, l’ingratitude, plus forte que les bras des traîtres, acheva de le vaincre : alors son cœur puissant se brisa, et de son manteau enveloppant son visage, au pied même de la statue de Pompée qui ruisselait de son sang, le grand César tomba. — Oh quelle a été cette chute, mes concitoyens ! Alors vous et moi, et chacun de nous, tombâmes avec lui, tandis que la trahison sanguinaire brandissait triomphante son glaive sur nos têtes. — Oh maintenant vous pleurez ; je le vois, vous sentez le pouvoir de la pitié. Ce sont de généreuses larmes. Bons cœurs, quoi, vous pleurez, en ne voyant encore que les plaies du manteau de notre César ! Regardez-ici : le voici lui-même déchiré, comme vous le voyez, par des traîtres !

premier citoyen. — Ô lamentable spectacle !

second citoyen. — Ô noble César !

troisième citoyen. — Ô jour de malheur !

quatrième citoyen. — Ô traîtres scélérats !

premier citoyen. — Ô sanglant, sanglant spectacle !

second citoyen. — Nous voulons être vengés. Vengeance ! — Courons, cherchons. — Brûlons. — Du feu ! — Tuons, massacrons. — Ne laissons pas vivre un des traîtres.

antoine. — Arrêtez, concitoyens.

premier citoyen. — Paix ; écoutez le noble Antoine.

second citoyen. — Nous l’écouterons, nous le suivrons ; nous mourrons avec lui.

antoine. — Bons amis, chers amis, que ce ne soit point moi qui vous précipite dans ce soudain débordement de révolte. — Ceux qui ont fait cette action sont des hommes honorables. Quels griefs personnels ils ont eu pour la faire, hélas ! je ne le sais pas : ils sont sages et honorables, et sans doute ils auront des raisons à vous donner. — Je ne viens point, amis, surprendre insidieusement vos cœurs ; je ne suis point, comme Brutus un orateur ; je suis tel que vous me connaissez tous, un homme simple et sans art qui aime son ami, et ceux qui m’ont donné la permission de parler de lui en public le savent bien ; car je n’ai ni esprit, ni talent de parole, ni autorité, ni grâce d’action, ni organe, ni aucun de ces pouvoirs d’éloquence qui émeuvent le sang des hommes. Je ne sais qu’exprimer la vérité ; je ne vous dis que ce que vous savez vous-mêmes : je vous montre les blessures du bon César (pauvres, pauvres bouches muettes !), et je les charge de parler pour moi. Mais si j’étais Brutus, et que Brutus fût Antoine, il y aurait alors un Antoine qui porterait le trouble dans vos esprits, et donnerait à chaque blessure de César une langue qui remuerait les pierres de Rome et les soulèverait à la révolte.

les citoyens. — Nous nous soulèverons.

premier citoyen. — Nous brûlerons la maison de Brutus.

troisième citoyen. — Courons à l’instant, venez, cherchons les conspirateurs.

antoine. — Écoutez-moi encore, compatriotes ; écoutez encore ce que j’ai à vous dire.

les citoyens. — Holà, silence ; écoutons Antoine, le très-noble Antoine.

antoine. — Quoi, mes amis, savez-vous ce que vous allez faire ? En quoi César a-t-il mérité de vous tant d’amour ? Hélas ! vous l’ignorez : il faut donc que je vous le dise. Vous avez oublié le testament dont je vous ai parlé.

les citoyens. — C’est vrai ! — Le testament ; restons et écoutons le testament.

antoine. — Le voici, le testament, et scellé du sceau de César. — À chaque citoyen romain, à chacun de vous tous, il donne soixante-quinze drachmes.

second citoyen. — Ô noble César ! — Nous vengerons sa mort.

troisième citoyen. — Ô royal César !

antoine. — Écoutez-moi avec patience.

les citoyens. — Silence donc.

antoine. — En outre il vous a légué tous ses jardins, ses bocages fermés, et ses vergers récemment plantés de ce côté du Tibre. Il vous les a laissés, à vous et à vos héritiers à perpétuité, pour en faire des jardins publics destinés à vos promenades et à vos amusements. — C’était là un César : quand en naîtra-t-il un pareil ?

premier citoyen. — Jamais, jamais. — Venez, partons, partons ; allons brûler son corps sur la place sacrée, et avec les tisons incendier toutes les maisons des traîtres. — Enlevez le corps.

second citoyen. — Allez, apportez du feu.

troisième citoyen. — Jetez bas les sièges.

quatrième citoyen. — Enlevez les bancs, les fenêtres, tout.

(Le peuple sort emportant le corps.)

antoine, à part. — Maintenant laissons faire. — Génie du mal ! te voilà lancé ; suis le cours qu’il te plaira. — (Entre un serviteur.) Qu’y a-t-il, camarade ?

le serviteur. — Seigneur, Octave est déjà arrivé dans Rome.

antoine. — Où est-il ?

le serviteur. — Lépidus et lui sont dans la maison de César.

antoine. — Je vais l’y voir à l’instant ; il arrive à souhait. — La Fortune est en belle humeur, et dans ce caprice elle nous accordera tout.

le serviteur. — Octave a dit devant moi que Brutus et Cassius étaient sortis au galop hors des portes de Rome, comme des hommes qui ont la tête perdue.

antoine. — Sans doute ils auront reçu du peuple quelque nouvelle de la manière dont je l’ai animé. — Conduis-moi vers Octave.

(Antoine sort, suivi du serviteur.)

SCÈNE III

Toujours à Rome. — Une rue.
Entre CINNA le poëte.

cinna. — J’ai rêvé cette nuit que j’étais à un banquet avec César, et mon imagination est obsédée d’idées funestes. Je me sens de la répugnance à sortir de ma maison ; cependant quelque chose m’entraîne.

(Entrent des citoyens.)

premier citoyen. — Quel est votre nom ?

second citoyen. — Où allez-vous ?

troisième citoyen. — Où demeurez-vous ?

quatrième citoyen. — Êtes-vous marié ou garçon ?

second citoyen. — Répondez sans détour à chacun de nous.

premier citoyen. — Oui, et brièvement.

quatrième citoyen. — Oui, et sagement.

troisième citoyen. — Oui, et véridiquement ; vous ferez bien.

cinna. — Quel est mon nom, où je vais, où je demeure, si je suis marié ou garçon ? Eh bien pour répondre à chacun de vous sans détour, brièvement, véridiquement et sagement, je dis sagement : Je suis garçon.

second citoyen. — Autant dire : Il n’y a que les imbéciles qui se marient. Vous pourriez bien être rossé pour ça, j’en ai peur. Poursuivez et sans détour.

cinna. — Sans détour ? J’allais aux funérailles de César.

premier citoyen. — Comme ami, ou comme ennemi ?

cinna. — Comme ami.

second citoyen. — C’est répondre sans détour.

quatrième citoyen. — Et votre demeure ? Brièvement.

cinna. — Brièvement ? Je demeure près du Capitole.

troisième citoyen. — Et votre nom, s’il vous plaît ? véridiquement.

cinna. — Véridiquement ? Mon nom est Cinna.

premier citoyen. — Mettons-le en pièces : c’est un conspirateur.

cinna. — Je suis Cinna le poëte, je suis Cinna le poëte.

quatrième citoyen. — Mettons-le en pièces pour ses mauvais vers mettons-le en pièces pour ses mauvais vers.

cinna. — Je ne suis point Cinna le conspirateur.

quatrième citoyen. — N’importe, il se nomme Cinna ; arrachons seulement son nom de son cœur, et puis nous le laisserons aller.

troisième citoyen. — Déchirons-le, déchirons-le, — Allons, des brandons, holà, des brandons de feu ! — Chez Brutus, chez Cassius, brûlons tout. — Quelques-uns à la maison de Décius, quelques-uns chez Ligarius : partons, courons.

(Ils sortent.)
FIN DU TROISIÈME ACTE.
  1. Cassius or Cæsar never shall turn back. Voltaire traduit :

    Cassius ou César tournerait-il le dos ?

  2. Voltaire traduit :

    Lorsque César fait tout, il a toujours raison.

  3. Suétone rapporte seulement comme un ouï dire, auquel même il n’ajoute pas foi, que César dit en grec à Brutus καὶ σὺ, τέκνον, et toi aussi mon fils. Les historiens ont depuis naturalisé ce mot en latin, et en ont fait le et tu, Brute, mot devenu si populaire, que Shakspeare n’imagina pas probablement qu’il fût permis de le faire passer dans une autre langue. Il est assez singulier que Voltaire n’ait pas fait mention de cette bizarrerie.
  4. Voltaire a traduit :

    Allez, qu’aucun Romain ne prenne ici l’audace
    De soutenir ce meurtre, et de parler pour nous ;
    C’est un droit qui n’est dû qu’aux seuls vengeurs de Rome.

  5. Ô world, thou wast the forest to this hart
    and this, indeed, O world, the heart of thee.

    Hart, cerf, et heart, cœur, se prononcent de la même manière : ainsi la phrase d’Antoine signifiera également, il était ton cœur ou ton centre, et il était ton cerf.

  6. Havock ! (dévastation, carnage) était en Angleterre, dans les anciens temps, le cri par lequel on ordonnait aux combattants de ne faire aucun quartier.
  7. No Rome of safety. Shaksheare a eu probablement ici l’intention de renouveler le jeu de mots entre Rome et room, déjà employé dans la première scène, entre Cassius et Brutus.