Jules Michelet (Monod)/II

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Sandoz et Fischbacher, éditeurs (p. 60-108).

II


Il suffisait de voir Michelet pour reconnaître que le système nerveux et le développement cérébral rallient entièrement emporté chez lui sur le reste du développement physique. On oubliait qu’il eût un corps, tant il était maigre et chétif, et l’on ne voyait que sa belle tête, trop grande, il est vrai, pour sa petite taille, et qu’on eût dit sculptée par son esprit, car elle en était la vivante image. Le haut du visage était admirable de noblesse et de majesté. Son vaste front, encadré de longs cheveux blancs, ses yeux pleins de flamme en même temps que de bonté disaient sa poésie, son enthousiasme, son grand cœur. Les narines minces et dilatées exprimaient une intensité de vie extraordinaire. Sa bouche un peu grande, mais à lèvres fines, dessinée d’un trait accentué et ferme, était tour à tour éloquente et spirituelle et donnait à sa parole un son net et vibrant qui faisait porter chaque mot. Enfin, le bas du visage, le menton carré et un peu lourd, révélaient la forte origine plébéienne, peut-être même un côté de nature moins idéal, plus matériel, qui ne se trahissait jamais dans la vie, mais qui parfois a percé dans ses derniers livres. Quand il parlait, quand la pensée animait ses yeux, on ne voyait plus que son regard, ce regard qui fut jusqu’au bout limpide et brillant comme chez tous ceux dont le cœur reste jeune. Et qui, plus que lui, eut le don d’éternelle jeunesse ? Devenu blanc à vingt-cinq ans, il ne changea plus ; il ne vieillit pas. Jeune homme, il était d’une maturité précoce ; vieillard, il ne perdit rien de sa sève et de son ardeur.

La source de cette immuable jeunesse c’était son cœur. Il a dit lui-même en quoi il fut supérieur aux autres historiens contemporains : « J’ai aimé davantage. » Toutes ses grandes qualités morales et intellectuelles pourraient se ramener à une seule, principe de toutes les autres : la puissance extraordinaire d’amour et de sympathie qui était en lui. Il a été le vivant commentaire de la maxime de Vauvenargues : les grandes pensées viennent du cœur. — Il n’est pas un de ses livres, pas une de ses doctrines qui n’ait eu pour inspiration un sentiment, quelque grand amour.

S’il a montré dans le Peuple, dans l’Amour, dans la Femme, dans Nos Fils, que l’amour conjugal, le respect du foyer, les liens tendres et forts de la famille sont le point de départ nécessaire de tout progrès social, comme de toute éducation, c’est qu’il devait à ces sentiments le meilleur de lui-même. Il ne nous appartient pas de parler de l’unique et profond amour qui a fait l’harmonie et le bonheur des vingt-cinq dernières années de sa vie ; mais sans parler de cette inspiration, la plus puissante de toutes, combien vivants étaient demeurés en lui les souvenirs de son enfance, les liens qui l’unissaient à ses parents ! Il a conservé dans la préface du Peuple la mémoire des sacrifices accomplis par le frère et les sœurs de son père en faveur de leur frère, ceux que sa mère malade s’imposa pour lui-même. Il nous a laissé dans la préface de l’Histoire de la Révolution le témoignage du culte qu’il portait à son père et de la douleur que lui causa sa mort. Jamais il ne permit que l’oubli effaçât en lui l’image de ceux qu’il avait aimés ; et depuis la mort de sa fille en 1855 il garda au cœur une blessure qui dix ans après lui arrachait des plaintes d’une douloureuse éloquence[1]. Le culte des morts était pour lui une religion. Il appelait le cimetière « le vestibule du temple[2]. »

La famille était à ses yeux la base de la cité ; l’amour de la famille était lié en lui à l’amour de la patrie et celui-ci à l’amour de l’humanité. Ces deux derniers sentiments ont été la principale inspiration de ses livres d’histoire. Il n’avait point la passion désintéressée de la science ni la curiosité de l’érudit. Tout ce qui n’était pas action et vie le touchait peu. De même qu’en éducation, instruire lui paraissait un point secondaire, et que l’important à ses yeux était d’émouvoir le cœur et de former le caractère, l’étude et l’enseignement de l’histoire étaient pour lui un moyen de perpétuer, de renouveler, de rendre plus intense la vie nationale et d’agir sur l’avenir par le passé. Michelet aima passionnément la France ; il a tracé d’elle au second volume de son Histoire un portrait ému, enthousiaste, comme on ferait d’une personne adorée. Il vivait de sa vie dans le passé, et il est mort des coups qui l’ont frappée. Elle était pour lui une religion : « La patrie, ma patrie peut seule, disait-il, sauver le monde. » Son histoire lui semblait le plus beau, le plus utile des enseignements. Il rêvait « une école vraiment commune où les enfants de toute classe, de toute condition, viendraient un an, deux ans, s’asseoir ensemble, et où l’on n’apprendrait rien d’autre que la France[3]. » C’est cet amour pour la France qui lui a dicté son chef-d’œuvre, ces pages qu’on ne peut relire sans des larmes, la Vie de Jeanne d’Arc, l’héroïne, le messie de la patrie.

Mais le patriotisme de Michelet n’avait rien de commun avec le chauvinisme étroit de ceux qui ne savent aimer leur pays qu’en haïssant l’étranger. Bien loin d’y trouver des motifs d’égoïsme et de haine, il y trouvait la source d’un amour plus large encore. La patrie était pour lui « l’initiation nécessaire à l’universelle patrie ». « Plus l’homme, disait-il, entre dans le génie de sa patrie, mieux il concourt à l’harmonie du globe ; il apprend à connaître cette patrie, et dans sa valeur propre, et dans sa valeur relative, comme une note du grand concert ; il s’y associe par elle ; en elle, il aime le monde. » Si, de toutes les nations, la France lui paraissait la plus digne d’amour, c’est qu’elle est « le représentant des libertés du monde et le pays sympathique entre tous, l’apôtre de la fraternité « ; c’est qu’elle a eu plus qu’aucun autre le « génie du sacrifice ». La plus haute manifestation du génie de la France est à ses yeux la Révolution, qui restera dans l’avenir son « nom inexpiable, son nom éternel », et la Révolution symbolise pour lui les idées de justice et de concorde universelle. Il eût dit avec le poëte :

Je tiens de ma patrie un cœur qui le déborde.
Et plus je suis Français, plus je me sens humain[4].

Bien que les souvenirs de son enfance lui aient inspiré plus d’une fois des paroles dures pour l’Angleterre et qu’il n’ait jamais compris la grandeur sévère du génie anglo-saxon, il aimait les peuples étrangers ; il a été un des plus ardents apôtres de la paix, un défenseur de toutes les nationalités souffrantes et opprimées. En 1868, dans une préface nouvelle à son Histoire de la Révolution, il déclarait les guerres internationales désormais impossibles et saluait du cœur l’unité de l’Italie, l’unité de l’Allemagne[5]. La guerre de 1870 lui apparut comme un crime, et quand, au plus fort de nos revers, il en appelait au jugement de l’Europe des humiliations infligées à la France, il ne parlait pas de vengeance, mais de la mission de paix et de civilisation que sa patrie régénérée devait continuer à accomplir.

Son amour ne s’adressait pas seulement à cet être collectif qu’on appelle la nation ou à cette abstraction qu’on appelle l’humanité. Il aimait vraiment les hommes comme des frères, d’un amour évangélique, quels qu’ils fussent ; quelles que fussent leur langue, leur race et leurs convictions. Cet amour des hommes était toute sa politique ; il était républicain, non en vertu d’une théorie rationnelle et abstraite, mais parce que l’aristocratie était à ses yeux un principe d’exclusion, d’orgueil et de dureté, la monarchie un principe d’arbitraire[6], tandis que la démocratie seule lui paraissait pouvoir donner la liberté sans laquelle l’individu et ses forces intellectuelles ne peuvent se développer, et pouvoir seule pratiquer la fraternité qui d’un même cœur embrasse tous les hommes et les fait entrer dans la « cité du droit ». Ceux qu’il aimait surtout, c’étaient les plus malheureux, les plus simples, les plus déshérités. Et ce n’était pas en paroles seulement qu’il les aimait. Ce qu’il prêchait dans ses livres, il le mettait en pratique dans sa vie. De même que ses admirations littéraires s’adressaient, non aux écrivains les plus brillants, mais aux natures les plus aimantes, à Ballanche ou à Mme  Desbordes-Valmore[7], son amitié tenait moins de compte des dons de l’esprit que de ceux du cœur. Le génie à ses yeux était peu de chose, ou pour mieux dire, n’existait pas sans la bonté, et la bonté à elle seule tenait lieu de tout. Lui-même était d’une exquise bonté. Dans une âme passionnée comme la sienne, sa constante bienveillance, son inaltérable douceur était une haute vertu. Je ne lui ai jamais entendu parler de personne avec amertume, et je ne crois pas qu’il ait jamais volontairement fait de la peine à quelqu’un. Ce qu’il fut pour les pauvres, pour les souffrants, nul ne le saura jamais. Je l’ai vu dépenser son temps en démarches, en correspondances, en efforts de tout genre, pour un pauvre gardien de phare injustement destitué, qu’il avait rencontré par hasard dans un voyagé, et cela avec une simplicité extrême, sans aucune attitude de protection ; on eût dit un ami prêtant secours à un ami. La dignité et la bonté s’unissaient en lui dans un si parfait accord, qu’il savait autoriser la familiarité tout en imposant le respect.

Mais l’humanité ne suffisait pas à l’insatiable besoin d’aimer qui remplissait son cœur. La cité de Dieu lui paraissait trop étroite s’il se contentait d’y faire entrer tous les hommes : il voulait y admettre tous les êtres vivants. « Pourquoi les frères supérieurs repousseraient-ils hors des lois ceux que le Père universel harmonise dans la loi du monde ?» De ce tendre amour pour la nature sont nés l’Oiseau, l’Insecte, la Mer, la Montagne. Déjà, dans ses Origines du Droit, il reprochait aux hommes de manquer de reconnaissance envers les plantes et les animaux, « nos premiers précepteurs », « ces irréprochables enfants de Dieu » qui ont fait l’éducation de l’humanité. Dans le Peuple il avait élevé une réclamation touchante en faveur des animaux, « ces enfants » dont l’âme est dédaignée, « dont une fée mauvaise empêcha le développement, qui n’ont pu débrouiller le premier songe du berceau, peut-être des âmes punies, humiliées, sur qui pèse une fatalité passagère[8] ». Il avait béni la science qui fait chaque jour découvrir une parenté plus étroite entre les animaux et l’homme. Plus tard, quand la nature le consola des tristesses que lui causaient les hommes, son amour pour elle devint plus intense ; il l’étudia dans sa vie intime, dans les habitudes et les mœurs des êtres innombrables qui l’habitent. Comme une mère suit le moindre mouvement de son enfant et voit dans ses gestes, ses sourires et ses cris tout un monde de sentiments et de pensées, toute la vie d’une âme, cachée aux yeux indifférents, mais sensible déjà au cœur maternel ; Michelet sut à force d’amour comprendre et interpréter ce monde de rêves et de douleurs muettes que nous appelons de ce grand nom mystérieux : la Nature. De quel cœur il suit au bord du toit de l’église le petit oiseau à qui sa mère enseigne à essayer ses ailes, à croire en elle, qui lui dit d’oser ! C’est un spectacle plus touchant, plus émouvant à ses yeux que celui d’une mère surveillant le premier pas de son enfant. Quelle douleur éveillait en lui la vue des oiseaux prisonniers qui paraissent s’adresser à vous, vouloir arrêter le passant, ne demander qu’un bon maître[9]! Avec quelle tendre sollicitude il épie les lents et minutieux travaux de l’insecte ! On a parfois trouvé risible la sympathie avec laquelle il suit les animaux et les plantes, jusqu’au fond des mers, jusqu’au sommet des montagnes, dans leurs luttes, leurs souffrances, leurs amours, faisant des vœux pour leur bonheur et célébrant leurs triomphes par des effusions de joie et de reconnaissance. Cette émotion serait peut-être risible, si elle n’était profondément sincère. Mais en présence d’un si sérieux, d’un si puissant amour, on retient même le sourire et l’on se reproche les réserves et les objections mesquines qu’élève en nous le bon sens vulgaire et la froide raison.

Ce qui donnait à son amour pour la nature le caractère d’un culte enthousiaste et passionné, c’est qu’il voyait et aimait en elle plus qu’elle-même. Elle était pour lui la manifestation sensible et multiple d’une réalité invisible, d’une unité suprême que nous ne pouvons percevoir directement ; en un mot, son amour pour la nature n’est qu’une forme de l’adoration de Dieu. Il dit lui-même du livre de l’Oiseau : « Par-dessus la mort et son faux divorce, à travers la vie et ses masques qui déguisent l’unité, il vole, il aime à tire-d’aile, du nid au nid, de l’œuf à l’œuf, de l’amour à l’amour de Dieu[10]. » La nature toute seule ne pouvait satisfaire son cœur. Il avait en lui une vie trop intense pour accepter la mort comme une sentence définitive ; 76 JULES MICHELET.

il avait un trop grand besoin d’amour et d’harmonie pour voir autre chose que de passagères apparences dans les désordres, le mai, la souffrance qui accompagnent la vie terrestre, et pour ne pas croire à l’existence d’un amour infini et d’une harmonie parfaite. C’était son cœur qui lui dictait sa religion, comme il lui avait dicté sa politique. Il ne construisait point de théories philosophiques, il ne s’amusait point à la métaphysique. Dieu ne fut jamais pour lui un principe intellectuel, une cause abstraite, mais (( la source de la vie » , « l’amour éternel, l’àme universelle des mondes, l’impartial et immuable amour 1 ». S’il croit à l’immortalité, ce n’est pas en vertu d’une déduction logique, d’un raisonnement d’école, c’est par un sentiment, par une violente aspiration de l’àme ; ce n’€St point parce que l’homme est un être intelligent, un esprit qui se croit immortel, mais parce qu’il est un être aimant. « Je ne sens pas pour mon esprit, me disait-il un jour, le besoin d’une vie éternelle ; je sens que mes

I. Bible de l'humunité, page 486.

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forces intellectuelles ont donné tout ce qu’elles pouvaient produire. Mais je ne puis admettre que la puissance d’aimer qui est en moi soit anéantie. » Il trouvait encore une autre preuve de l’immortalité dans la nécessité d’une autre vie où seront réparées les injustices de la vie terrestre 1. Il a exprimé dans une page admirable de l' Oiseau cet invincible élan de son cœur vers l’immortalité.

<< Le plus joyeux des êtres, c’est l'oiseau, parce qu’il se sent fort au delà de son action ; parce que, bercé, soulevé de l’haleine du ciel, il nage, il monte sans effort, comme en rêve. La force illimitée, la faculté sublime, obscure chez les êtres inférieurs, chez l’oiseau claire et vive, de prendre à volonté sa force au foyer maternel, d’aspirer la vie à torrent, c’est un enivrement divin.

<< La tendance toute naturelle, non orgueilleuse, non impie, de chaque être, est de vouloir ressembler à la grande Mère, de se faire à son image, de participer aux ailes infatigables dont l’Amour éternel couve le monde.

I. L’empereur Nicolas, disait-il, suffirait pour me faire croire à la vie future.

« La tradition humaine est fixée là-dessus. L’homme ne veut pas être homme, mais ange, un Dieu ailé. Les génies ailés de la Perse sont les chérubins de la Judée. La Grèce donne des ailes à sa Psyché, à l’âme, et elle trouve le vrai nom de l’âme, l’aspiration (ἆσθμα). L’âme a gardé ses ailes ; elle passe à tire-d'aile dans le ténébreux moyen âge, et va croissant d’aspiration. Plus net et plus ardent se formule ce vœu, échappé du plus profond de sa nature et de ses ardeurs prophétiques :

« Oh ! si j’étais oiseau ! » dit l’homme. La femme n’a nul doute que l’enfant ne devienne un ange.

« Elle l’a vu ainsi dans ses songes.

« Songes ou réalités ?… Rêves ailés, ravissements des nuits, que nous pleurons tant au matin, si vous étiez pourtant ! Si vraiment vous viviez ! Si nous n’avions rien perdu de ce qui fait notre deuil ! Si d’étoiles en étoiles, réunis, élancés dans un vol éternel, nous suivions tous ensemble un doux pèlerinage à travers la bonté immense !…

« On le croit par moments. Quelque chose nous dit que ces rêves ne sont pas des rêves, mais des échappées du vrai monde, des lumières entrevues derrière le brouillard d’ici-bas, des promesses certaines, et que le prétendu réel serait plutôt le mauvais songe. »

La religion de Michelet, on le voit, est toute de sentiment et l'adresse plus au cœur qu’à la raison. Comment s’expliquer alors ses jugements si sévères sur le christianisme dans ses derniers ouvrages, l’espèce d’aversion qu’il finit par manifester contre la religion qui enseigne que « Dieu est amour », et contre celui « qui a tant aimé les hommes qu’il est mort pour eux ? » Dans ses premiers livres pourtant il avait parlé du christianisme avec une sympathie émue et respectueuse, presque avec le regret de ne pas croire. Ici, comme toujours, c’est à son cœur qu’il faut demander l’explication des fluctuations de son esprit. Tout d’abord, il faut mettre le christianisme hors de cause. Élevé dans le catholicisme, vivant en pays catholique, Michelet n’a songé au christianisme que sous la forme du catholicisme. Il voyait toujours l’Évangile à travers l’Imitation de Jésus-Christ. Quand il commença son Histoire de France, les tendances cléricales semblaient à jamais vaincues et inoffensives ; on ne pensait pas que l’admiration pour le moyen âge pût servir de prétexte à un retour vers les institutions ou les idées du passé. Michelet, sans partager les croyances catholiques[11], admira le rôle bienfaisant de l’Église, la grandeur de son développement historique pendant les premiers siècles du moyen âge, et se laissa aller sans arrière-pensée à la sympathie que lui inspirait « cette mère du monde moderne ». La vie de l’Église se confondait pour lui avec la vie même de la patrie, et la renier c’eût été en quelque sorte renier la France. Non-seulement il écrivait sur l’architecture gothique, sur la sainteté du célibat ecclésiastique, sur la piété du roi Robert et de saint Louis, des pages d’une beauté incomparable, mais il éprouvait pour l’Eglise les sentiments d’une affection toute liliale : il n’osait toucher « aux plaies d’une Eglise où il était né et qui lui était encore chère… Toucher au christianisme ! ceux-là seuls n’hésiteraient point qui ne le connaissent pas. Pour moi, je me rappelle les nuits où je veillais une mère malade ; elle souffrait d’être immobile, elle demandait qu’on l’aidât à changer de place et voulait se retourner. Les mains filiales hésitaient ; comment remuer ses membres endoloris[12] ? Il se laissait même aller en contemplant les grandeurs du passé à de poétiques regrets. Après avoir cité les paroles de saint Louis à son fils, il ajoute : « Cette pureté, cette douceur d’âme, cette élévation merveilleuse où le moyen âge porta ses héros, qui nous la rendra ? » Mais à mesure qu’il avançait dans l’histoire, il voyait l’Église se dégrader, se corrompre, et, après avoir été la gardienne et l’apôtre de la civilisation, se faire l’ennemie de tout progrès et de toute liberté. Son cœur embrassa la cause des persécutés, des victimes de l’Église, avec la même sympathie qu’il avait embrassé la cause de l’Église elle-même. En même temps l’esprit clérical renaissant s’efforçait de ramener la société moderne non plus seulement à l’admiration, mais à l’imitation du moyen âge. Michelet dut prendre parti dans la lutte, et, pour la défense des idées modernes, rompre avec ses habitudes de respect envers l’Église, quelque profondément enracinées qu’elles fussent dans son cœur. « Le moyen âge, dit-il dans le Peuple, où j’ai passé ma vie, dont j’ai reproduit dans mes histoires la touchante, l’impuissante aspiration, j’ai dû lui dire : Arrière ! aujourd’hui que des mains impures l’arrachent de sa tombe et mettent cette pierre devant nous pour nous faire choir dans la voie de l’avenir[13]. »

Jusqu’alors il s’était interdit, par piété liliale, de juger l’Église ; à mesure qu’il étudia le catholicisme dans son action, dans ses doctrines, son cœur s’en éloigna de plus en plus. Il ne l’attaqua pas au nom de la raison comme illogique, il le réprouva au nom du sentiment comme injuste. La doctrine chrétienne se résuma à ses yeux dans l’opposition de la justice et de la grâce, opposition que son cœur ne pouvait admettre ; car la justice sans amour n’est plus qu’une légalité sauvage et impitoyable, et l’amour sans justice un caprice immoral. Il s’émut, s’indigna en voyant la dureté de l’Église pour la femme qu’elle regarde comme un être impur, cause de tentation et de chute ; sa dureté pour l’enfant, qu’elle damne, s’il meurt sans baptême ; sa dureté pour l’animal à qui elle refuse une âme et en qui elle incarne les démons ; sa dureté pour la nature entière, qui représente le mal et le péché. Il regarde le célibat des prêtres comme un attentat contre la vie ; la doctrine du péché originel comme un blasphème contre l’enfance ; la distinction des élus et des damnés, du ciel et de l’enfer, comme une injure à la bonté de Dieu. L’amour divin enseigné par l’Évangile ne lui apparaissait que défiguré par les mièvreries de la dévotion et par l’orgueil de la théocratie ; il ne le trouvait ni assez large ni assez ardent pour satisfaire son cœur. Comment la Bible juive et chrétienne, issue d’un seul peuple, pourrait-elle répondre aux besoins de l’humanité ? Il lui fallait une Bible plus vaste, où toutes les nations auraient mis le meilleur de leur âme et de leur histoire. C’est de cette Bible de l’humanité que Michelet ébaucha le plan grandiose.

« Jérusalem ne peut rester, comme aux anciennes cartes, juste au point du milieu, immense entre l’Europe imperceptible et la petite Asie, effaçant tout le genre humain… Revenant des ombrages immenses de l’Inde et du Râmayana, revenant de l’Arbre de vie, où l’Avesta, le Shah Nameh, me donnaient quatre fleuves, les eaux du paradis, — ici j’avoue, j’ai soif. J’apprécie le désert, j’apprécie Nazareth, les petits lacs de Galilée. Mais franchement, j’ai soif… Je les boirais d’un seul coup. — Laissez plutôt, laissez que l’humanité libre aille partout. Qu’elle boive où burent ses premiers pères. Avec ses énormes travaux, sa tâche étendue en tous sens, ses besoins de Titan, il lui faut beaucoup d’air, beaucoup d’eau et beaucoup de ciel, — non, le ciel tout entier ! — L’espace et la lumière, l’infini d’horizon, — la terre pour terre promise, et le monde pour Jérusalem[14]. »


Si l’on demandait quelle a été la qualité dominante, la faculté maîtresse de Michelet, je dirais donc que c’était la puissance et le besoin d’aimer. Si sa pensée a quelque chose de saccadé, de fiévreux, c’est qu’on y sent les battements d’un cœur toujours ému. Son imagination même est gouvernée par son cœur et n’est qu’une des formes de sa puissance de sympathie. S’il anime toute la nature, s’il ressuscite les personnages qui ne sont plus, c’est que son cœur ne reste jamais étranger à ce qui occupe son esprit. Il prend parti dans les luttes des éléments comme dans celles des hommes ; il aime ou il hait ; il raconte les événements passés depuis des siècles comme le ferait un contemporain passionné, et il décrit l’existence des animaux ou des plantes comme s’il avait vécu de leur vie, joui de leur bien-être et souffert de leurs souffrances. Il s’adresse à la sensibilité plus qu’aux sens ; son style est plus ému qu’il n’est imagé. Il ne frappe pas notre esprit, comme d’autres grands poètes, comme Victor Hugo par exemple, par des couleurs et par des sons, mais par le mouvement, les sentiments et la vie dont il anime tout ce dont il parle. La forme n’est pour lui que l’expression Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/108 Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/109 Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/110 Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/111 son cœur avaient de chaleur et d’énergie, à ce point qu’il semblait indifférent au monde, aux hommes, aux personnes même qui lui tenaient de plus près, et qu’il pouvait passer dans la vie ordinaire pour froid et insensible. Les douleurs, les humiliations de son enfance l’avaient tout refoulé en lui-même ; ce n’est que plus tard, après ses cours du collège de France et surtout à l’époque de l’Oiseau, que son cœur s’ouvrit et révéla ce qu’il contenait de bonté.

La vie qu’il avait menée dans son enfance, l’éducation qu’il avait reçue, avaient favorisé ce développement excessif de l’imagination. On dit parfois que pour développer l’imagination il faut la nourrir, l’enrichir ; c’est le contraire qui est vrai, il faut l’appauvrir et l’affamer. Elle est le résultat d’une exaltation de l’esprit à qui la simple réalité des choses ne suffit pas, et qui supplée à son indigence en la revêtant de couleurs ou de formes créées par lui-même, en en exagérant les proportions, en réunissant selon sa fantaisie en combinaisons nouvelles ce que la nature a séparé ; en un mot, en créant ce qu’il désire à force de passion et Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/113 Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/114 Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/115 Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/116 fantaisie, tant de joyeuse sérénité et tant de sympathique bonté, de l’esprit sans malice et de la poésie sans déclamation ! Sa conversation était ailée ; les idées jaillissaient comme des flèches vives, dardées d’un trait ; ou bien il les laissait s’envoler une à une, d’un vol inégal et capricieux, comme des oiseaux, mais sans les suivre ni les rappeler. Il n’insistait jamais, ne développait pas. Il était un causeur incomparable, et l’on sentait en lui, sans qu’il cherchât à le faire sentir, ce je ne sais quoi de divin qui fait l’homme de génie.

Ce qui donnait à ce génie la grâce, c’est qu’il y joignait la modestie. Il savait écouter, il se laissait contredire, il demandait avis. Même devant des hommes plus jeunes que lui et dont le talent n’était pas égal au sien, il émettait souvent ses idées avec réserve, les questionnant, s’informant de leur opinion. Ce n’est pas qu’il feignît d’ignorer ce qu’il valait. Il a dit de son histoire « mon monument ; » et quand il attaquait l’usage du tabac, en montrant que tous les esprits créateurs du siècle, Hugo, Lamartine, Guizot, n’ont jamais fumé, il y ajoutait Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/118 Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/119 Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/120 un rythme, une harmonie parfaitement d’accord avec le caractère de la pensée et aussi varié que la pensée elle-même. Son style est comme la notation musicale de sa pensée ; il en suit tous les mouvements, les allées et les retours, les secousses, les saillies ; de là cette variété infinie de rythme ; ces phrases tantôt amples et cadencées, tantôt brèves et saccadées, où les mots agissent à la fois sur l’oreille et sur l’esprit par leur son et par leur sens. Michelet avait besoin de calme et de tranquillité pour noter ainsi ses pensées. Les bruits du dehors l’empêchaient d’entendre le rythme intérieur. Quand, en octobre 1859, au milieu d’une tempête, il cherchait à écrire ses impressions, il vint un moment où il dut s’arrêter ; la violence du vent et de la mer, la fatigue et le manque de sommeil avaient blessé en lui une puissance, « la plus délicate de l’écrivain, le rythme. Ma phrase venait inharmonique. Cette corde, dans mon instrument, la première se trouva cassée ». Ces expressions nous montrent que Michelet sentait qu’il écrivait comme un musicien compose. Dans ce même récit de la tempête, au chapitre VIIe de la Mer, se trouvent de nombreux exemples de la puissance d’expression qu’il trouve dans la variété du rythme de ses phrases. Au début, il peint le charme de la plage de Royan.

« Les deux plages semi-circulaires de Royan et de Saine-Georges, sur leur sable fin, donnent aux pieds les plus délicats les plus douces promenades, qu’on prolonge sans se lasser dans la senteur des pins qui égayant la dune de leur jeune verdure. »

Quelle douceur, quelle lenteur dans cette longue phrase qui continue tout en paraissant prête à s’arrêter à chaque pas ! Un peu plus loin la tempête éclate :

« Le grand hurlement n’avait de variante que les voix bizarres, fantasques, du vent acharne sur nous. Cette maison lui faisait obstacle ; elle était pour lui un but qu’il assaillait de cent manières. C’était parfois le coup brusque d’un maître qui frappe à la porte, des secousses comme d’une main forte pour arracher le volet ; c’étaient des plaintes aiguës par la cheminée ; des désolations de ne pas entrer, — des menaces si l’on n’ouvrait pas, enfin, des emportements, d’effrayantes Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/123 Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/124 Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/125 Page:Monod - Jules Michelet, 1875.djvu/126 voyons revenir constamment le même rythme, la même ritournelle. C’était un premier signe où l’on reconnaissait que son talent se ressentait des atteintes de l’âge.


Et pourtant on hésite à prononcer les mots d’âge, de vieillesse, à propos de Michelet, tant il resta toujours jeune de cœur, d’esprit et d’imagination, en dépit des années, en dépit des hommes. Lorsqu’on embrasse dans son ensemble cette vie si simple et si pure, cette série d’œuvres si variées, si originales, si poétiques, on se demande quel a été le trait de son caractère et de son génie qui le distingue nettement de tous les autres écrivains français ; comment il se fait qu’il soit pour ainsi dire unique en son genre, qu’il n’ait pas eu d’ancêtres et qu’il n’ait pas de postérité littéraires. Il faut attribuer, je crois, cette originalité si marquée à ce qu’il a conservé à travers l’âge mûr et jusqu’à la vieillesse quelque chose de l’enfant ; ce mot implique dans mon esprit un éloge et non un blâme. Les Français, d’ordinaire, n’ont rien de l’enfant ; d’autres peuples au contraire, les races germaniques par exemple, en conservent toujours quelque chose ; aussi gardent-ils bien plus la fraîcheur des sentiments, la jeunesse du cœur et l’intelligence des choses simples qui sont si souvent en même temps les choses profondes. Michelet avait en lui ce trait germanique qui, mêlé à une nature d’ailleurs toute française, lit sa grande originalité. Comme l’enfant, il n’était blasé sur rien ; il admirait, s’étonnait, trouvait à chaque chose une beauté ou un intérêt toujours nouveaux ; il se livrait tout entier à l’émotion, à l’affectation du moment, et pouvait transporter sans cesse sa sympathie d’un objet à un autre sans qu’elle perdît rien de sa vivacité et de sa fraîcheur. Comme l’enfant, il était toujours sincère, et c’était de l’abondance de son cœur que parlait sa bouche ; comme l’enfant, il prenait toutes choses au sérieux, et n’avait pas ce qu’on appelle le sentiment du ridicule, qui n’est le plus souvent qu’une frivolité inintelligente ou une moquerie irrespectueuse ; comme l’enfant, il était souvent gai et jamais railleur, parfois triste et jamais découragé ; comme l’enfant enfin, il comprenait les choses par intuition plus que par analyse, et d’un simple regard pénétrait souvent plus profondément dans la réalité que ne l’aurait fait la critique la plus subtile. Ce qu’il a écrit dans le Peuple sur l’homme de génie peut s’appliquer à lui-même :

« Si vous étudiez sérieusement dans sa vie et dans ses œuvres ce mystère de la nature qu’on appelle l’homme de génie, vous trouverez généralement que c’est celui qui, tout en acquérant les dons du critique, a gardé les dons du simple… La simplicité, la bonté sont le fond du génie, sa raison première ; c’est par elles qu’il participe à la fécondité de Dieu… Le génie a le don d’enfance, comme ne l’a jamais l’enfant. Ce don, c’est l’instinct vague, immense, que la réflexion précise et retient bientôt, de sorte que l’enfant est de bonne heure questionneur, épilogueur et tout plein d’objections. Le génie garde l’instinct natif dans sa forte impulsion, avec une grâce de Dieu que malheureusement l’enfant perd, la jeune et vivace espérance. »

Michelet l’eut toujours dans le cœur, la jeune et vivace espérance. C’est ce qui rend la lecture de ses livres si bienfaisante. On oublie les défauts de l’enfant ; sa vue seule fait aimer la nature et bénir la vie. Comment n’oublierions-nous pas les défauts de Michelet, quand nous apprenons de lui à aimer, à agir, à espérer ?


  1. La Sorcière, chap. VII, au sujet du jour des morts.
  2. Nos Fils, page 422. Ce culte pour les morts se montrait chez lui par des traits touchants. Il souffrait à la vue d’une tombe mal soignée, et quand il allait visiter les siens au Père-Lachaise, il lui arrivait souvent de taire orner de fleurs les tombes voisines de celles de ses proches. Il fit même une fois refaire la grille brisée du tombeau d’une personne qui lui était entièrement inconnue. Il est douloureux de penser que l’homme qui a eu tant de vénération pour les morts, au lieu de reposer à Paris, dans la ville qu’il a si passionnément aimée, où il serait à son tour l’objet de ce culte pieux auquel il attachait tant de prix, a été retenu à Hyères, condamné à un exil solitaire par l’interprétation pharisaïque de la lettre d’un testament.
  3. Le Peuple, page 352.
  4. Sully Prudhomme.
  5. Histoire de la Révolution, 2e édition, page 4.
  6. On a dit que Michelet avait commencé, comme Victor Hugo, par être royaliste. Cela est inexact. Il appartenait à l’école libérale de la Restauration, tout en se défiant plus qu’elle du bonapartisme. Il admirait l’empereur, mais se souvenait qu’il avait ruiné son père et la France. Il évita toujours de rien écrire sur Napoléon, se sentant trop partial contre lui. Quand, à la fin de sa vie, il entreprit l’histoire de Bonaparte, on a vu la force de ses ressentiments. Ce qui a fait croire au royalisme de Michelet, c’est qu’il donna des leçons à la fille du duc de Berry, plus tard duchesse de Parme, alors âgée de huit ans, et ressentit pour elle une tendresse dont il aima toujours à se souvenir. « Elle a ému mes entrailles de père », disait-il. — Il avait d’ailleurs un sens historique trop profond pour s’associer aux étroitesses intellectuelles des hommes de parti. Les dernières paroles qu’il a prononcées avant de mourir en sont un curieux témoignage. Sortant d’une demi-torpeur, il dit tout à coup : « On eût dû faire manger à Henri V des cœurs de lion. — Pourquoi ? lui demanda-t-on. — Parce qu’il aurait eu le tempérament plus militaire. » Sans vouloir attacher un sens trop précis à ces paroles, ne semble-t-il pas que Michelet ait eu à ce moment le sentiment que la faiblesse de la France contemporaine vient de la rupture de toutes ses traditions historiques ? N’a-t-il pas éprouvé un vague regret, regret d’historien et d’ami de la vieille France, en pensant qu’Henri V eût pu peut-être renouer ces traditions, s’il avait été capable de comprendre les aspirations légitimes et les besoins du monde moderne ?
  7. Sa plus vive admiration était Virgile. « Je suis né, disait-il, de Virgile et Vico. » Il méditait un commentaire sur Virgile. Il fit en 1841 un voyage en Lombardie pour voir les lieux où Virgile a vécu et qu’il a chantés. Nous trouvons dans le Peuple un témoignage éloquent de cette prédilection pour Virgile, prédilection du cœur plus encore que de l’esprit : « Tendre et profond Virgile ! moi qui ai été nourri par lui et comme sur ses genoux, je suis heureux que cette gloire unique lui revienne, la gloire de la pitié et de l’excellence du cœur… (Michelet vient de parler des beaux vers de Virgile sur le bœuf de labour, et des vers à Gallus : nec te pœniteat pecoris.) Ce paysan de Mantoue, avec sa timidité de vierge et ses longs cheveux rustiques, c’est pourtant, sans qu’il l’ait su, le vrai pontife et l’augure, entre deux mondes, entre deux âges, à moitié chemin de l’histoire. Indien par sa tendresse pour la nature, chrétien par son amour de l’homme, il reconstitue, cet homme simple, dans son cœur immense, la belle cité universelle dont rien n’est exclu qui ait vie, tandis que chacun n’y veut faire entrer que les siens. » P. 232.
  8. Le Peuple, page 228.
  9. Il fut ce bon maître pour plus d’un. Il avait toujours avec lui des oiseaux, il les emmenait en voyage. Il y avait un pinson surtout à qui toute la maison obéissait.
  10. L’Oiseau, page 57.
  11. Il eut pourtant vers dix-huit ans une période de mysticisme et de foi ; n’ayant pas reçu le baptême dans son enfance, il se fit volontairement baptiser en 1816. Mais dans ses premiers écrits, on voit que, s’il conserve du respect pour l’Église, il n’a plus la foi.
  12. Mémoires de Luther, préface.
  13. Page 361.
  14. Bible de l’humanité, préface.