Justine et Juliette/Avis de l’éditeur

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AVIS

DE L’ÉDITEUR.





Le manuscrit original d’un ouvrage qui, tout tronqué, tout défiguré qu’il était, avait néanmoins obtenu plusieurs éditions, entièrement épuisées aujourd’hui, nous étant tombé entre les mains, nous nous empressons de le donner au public tel qu’il a été conçu par son auteur, qui l’écrivit en 1788. Un infidèle ami à qui ce manuscrit fut confié pour lors, trompant la bonne-foi et les intentions de cet auteur, qui ne voulait pas que son livre fût imprimé de son vivant, en fit un extrait qui a paru sous le titre simple de Justine, ou les Malheurs de la Vertu, misérable extrait bien au-dessous de l’original, et qui fut constamment désavoué par celui dont l’énergique crayon a dessiné la Justine et sa sœur que l’on va voir ici.

Nous n’hésitons pas à les offrir telles que les enfanta le génie de cet écrivain à jamais célèbre, ne fut-ce que par cet ouvrage, persuadés que le siècle philosophe dans lequel nous vivons ne se scandalisera pas des systêmes hardis qui s’y trouvent disséminés ; et quant aux tableaux ciniques, nous croyons, avec l’auteur, que toutes les situations possibles de l’ame étant à la disposition du romancier, il n’en est aucune dont il n’ait la permission de faire usage : il n’y a que les sots qui se scandalisent ; la véritable vertu ne s’effraie ni ne s’alarme jamais des peintures du vice, elle n’y trouve qu’un motif de plus à la marche sacrée qu’elle s’impose. On criera peut-être contre cet ouvrage ; mais qui criera ? ce seront les libertins, comme autrefois les hypocrites contre le Tartuffe.

Nous certifions, au reste, que dans cette édition tout est absolument conforme à l’original que nous possédons seul : coupe de l’ouvrage, scènes libidineuses, systêmes philosophiques, tout s’y trouve ; les gravures même ont été exécutées d’après les dessins que l’auteur avait fait faire avant sa mort, et qui étaient annexés à son manuscrit.

Aucun livre, d’ailleurs, n’est fait pour exciter une curiosité plus vive. En aucun, l’intérêt, ce ressort si difficile à mouvoir dans un ouvrage de cette nature, ne se soutient d’une manière plus attachante ; dans aucun les replis du cœur des libertins ne sont développés plus adroitement, ni les écarts de leur imagination tracés d’une manière plus forte ; dans aucun, enfin, n’est écrit ce qu’on va lire ici. Ne sommes-nous donc pas autorisés à croire que, sous ce rapport, il est fait pour passer à la postérité la plus reculée ? La vertu même dut-elle en frémir un instant, peut-être faudrait-il oublier ses larmes, par l’orgueil de posséder en France une aussi piquante production.




N. B. Les aventures de Justine que nous publions en ce moment contiennent quatre volumes, ornés d’un frontispice et quarante gravures. L’Histoire de Juliette, qui y fait suite et qui s’y lie, en contient six, ornés de soixante gravures ; ce qui forme une collection, unique en ce genre, de dix volumes et de cent estampes toutes plus piquantes les unes que les autres.

La mise au jour de cette suite, dont la partie typographique est traitée avec le même soin que celle-ci, n’est retardée que par la confection des gravures, dont nous avons voulu que l’exécution répondit à celles renfermées dans les quatre premiers volumes. Aussitôt qu’elles seront terminées, nous satisferons la curiosité de nos lecteurs.