Kéraban-le-Têtu/Première partie/15

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Hetzel (tome 1p. 243-260).

X V

DANS LEQUEL LE SEIGNEUR KÉRABAN, AHMET, VAN MITTEN ET LEURS SERVITEURS JOUENT LE RÔLE DE SALAMANDRES.

Taman n’est qu’une bourgade d’un aspect assez triste avec ses maisons peu confortables, ses chaumes décolorés par l’action du temps, son église de bois, dont le clocher est incessamment enveloppé dans un épais tournoiement de faucons.

La chaise ne fit que traverser Taman. Van Mitten ne put donc visiter ni le poste militaire, qui est important, ni la forteresse de Phanagorie, ni les ruines de Tmoutarakan.

Si Kertsch est grecque par sa population et ses coutumes, Taman, elle, est cosaque. De là, un contraste que le Hollandais ne put observer qu’au passage.

La chaise, prenant invariablement par les routes les plus courtes, suivit, pendant une heure, le littoral sud de la baie de Taman. Ce fut assez pour que les voyageurs pussent reconnaître que c’était là un extraordinaire pays de chasse, — tel qu’il ne s’en rencontre peut-être pas de pareil en aucun autre point du globe.

En effet, pélicans, cormorans, grèbes, sans compter des bandes d’outardes, se remisaient dans ces marécages en quantités vraiment incroyables.

« Je n’ai jamais tant vu de gibier d’eau ! fit justement observer Van Mitten. On pourrait tirer un coup de fusil au hasard sur ces marais ! Pas un grain de plomb ne serait perdu ! »

Cette observation du Hollandais n’amena aucune discussion. Le seigneur Kéraban n’était point chasseur, et, en vérité, Ahmet songeait à tout autre chose.

Il n’y eut un commencement de contestation qu’à propos d’une volée de canards que l’attelage fit partir, au moment où il laissait le littoral sur la gauche pour obliquer vers le sud-est.

« En voilà une compagnie ! s’écria Van Mitten. Il y a même là tout un régiment !

— Un régiment ? Vous voulez dire une armée ! répliqua Kéraban, qui haussa les épaules.

— Ma foi, vous avez raison ! reprit Van Mitten. Il y a bien là cent mille canards !

— Cent mille canards ! s’écria Kéraban. Si vous disiez deux cent mille ?

— Oh ! deux cent mille !

— Je dirais même trois cent mille, Van Mitten, que je serais encore au-dessous de la vérité !

— Vous avez raison, ami Kéraban, » répondit prudemment le Hollandais, qui ne voulut pas exciter son compagnon à lui jeter un million de canards à la tête.

Mais, en somme, c’était lui qui disait vrai. Cent mille canards, c’est déjà une belle passée, mais il n’y en avait pas moins dans ce prodigieux nuage de volatiles qui promena une immense ombre sur la baie en se développant devant le soleil.

Le temps était assez beau, la route suffisamment carrossable. L’attelage marcha rapidement, et les chevaux des divers relais ne se firent point attendre. Il n’y avait plus de seigneur Saffar, devançant les voyageurs sur le chemin de la presqu’île.

Il va sans dire que la nuit qui venait, on la passerait tout entière à courir vers les premiers contreforts du Caucase, dont la masse apparaissait confusément à l’horizon. Puisque la nuitée avait été complète à l’hôtel de Kertsch, c’était bien le moins que personne ne songeât à quitter la chaise avant trente-six heures.

Cependant, vers le soir, à l’heure du souper, les voyageurs s’arrêtèrent devant un des relais, qui était en même temps une auberge. Ils ne savaient trop ce que seraient les ressources du littoral caucasien, et si l’on trouverait aisément à s’y nourrir. Donc, c’était prudence que d’économiser les provisions faites à Kertsch.

L’auberge était médiocre, mais les vivres n’y manquaient pas. À ce sujet, il n’y eut point à se plaindre.

Seulement, détail caractéristique, l’hôtelier, soit défiance naturelle, soit habitude du pays, voulut faire tout payer au fur et à mesure de la consommation.

Ainsi, lorsqu’il apporta du pain :

« C’est dix kopeks[1] » dit-il.

Et Ahmet dut donner dix kopeks.

Et, lorsque les œufs furent servis :

« C’est quatre-vingts kopeks ! »

Et Ahmet dut payer les quatre-vingts kopeks demandés.

Pour le kwass, tant ! pour les canards, tant ! pour le sel, oui ! pour le sel, tant !

Et Ahmet de s’exécuter.

Il n’y eut pas jusqu’à la nappe, jusqu’aux serviettes, jusqu’aux bancs qu’il fallut régler séparément et d’avance, même les couteaux, les verres, les cuillers, les fourchettes, les assiettes.

On le comprend, cela ne pouvait tarder à agacer le seigneur Kéraban, si bien qu’il finit par acheter en bloc les divers ustensiles nécessaires à son souper, mais non sans de vives objurgations, que l’hôtelier reçut, d’ailleurs, avec une impassibilité qui eût fait honneur à Van Mitten.

Puis, le repas acheté, Kéraban rétrocéda ces objets, qui lui furent repris avec cinquante pour cent de perte.

« Il est encore heureux qu’il ne vous fasse pas payer la digestion ! dit-il. Quel homme ! Il serait digne d’être ministre des finances de l’empire ottoman ! En voilà un qui saurait taxer chaque coup de rames des caïques du Bosphore ! »

Mais, on avait assez convenablement soupé, c’était l’important, ainsi que le fit observer Bruno, et l’on partit, lorsque la nuit était déjà faite, — une nuit sombre et sans lune.

C’est une impression toute particulière, mais qui n’est pas sans charme, que de se sentir emporté au trot soutenu d’un attelage, au milieu d’une obscurité profonde, à travers un pays inconnu, où les villages sont très éloignés les uns des autres, les rares fermes disséminées dans la steppe à de grandes distances. Le grelot des chevaux, le cadencement irrégulier de leurs sabots sur le sol, le grincement des roues à la surface des terrains sablonneux, leur choc aux ornières de chemins fréquemment ravinés par les pluies, les claquements de fouet du postillon, les lueurs des lanternes, qui se perdent dans l’ombre, lorsque la route est plane, ou s’accrochent vivement aux arbres, aux blocs de pierre, aux poteaux indicateurs, dressés sur les remblais de la chaussée, tout cela constitue un ensemble de bruits divers et de visions rapides, auxquels peu de voyageurs sont insensibles. On les entend, ces bruits, on les voit, ces visions, à travers une demi-somnolence, qui leur prête un éclat quelque peu fantastique.

Le seigneur Kéraban et ses compagnons ne pouvaient échapper à ce sentiment, dont l’intensité est par instant très grande. À travers les vitres antérieures du coupé, les yeux à demi fermés, ils regardaient les grandes ombres de l’attelage, ombres capricieuses, démesurées, mouvantes, qui se développaient en avant sur la route vaguement éclairée.

Il devait être environ onze heures du soir, quand un bruit singulier les tira de leur rêverie. C’était une sorte de sifflement, comparable à celui que produit l’eau de Seltz en s’échappant de la bouteille, mais décuplé. On eût dit plutôt que quelque chaudière laissait échapper sa vapeur comprimée par son tuyau de vidange.

L’attelage s’était arrêté. Le postillon éprouvait de la peine à maîtriser ses chevaux. Ahmet, voulant savoir à quoi s’en tenir, baissa rapidement les vitres et se pencha au dehors.

« Qu’y a-t-il donc ? Pourquoi ne marchons-nous plus ? demanda-t-il. D’où vient ce bruit ?

— Ce sont les volcans de boue, répondit le postillon.

— Des volcans de boue ? s’écria Kéraban. Qui a jamais entendu parler de volcans de boue ? En vérité, c’est une plaisante route que tu nous as fait prendre là, neveu Ahmet !

− Seigneur Kéraban, vous et vos compagnons, vous feriez bien de descendre, dit alors le postillon.

— Descendre ! descendre !

— Oui !… Je vous engage à suivre la chaise à pied, pendant que nous traverserons cette région, car je ne suis pas maître de mes chevaux, et ils pourraient s’emporter.

— Allons, dit Ahmet, cet homme a raison. Il faut descendre.

— Ce sont cinq ou six verstes à faire, ajouta le postillon, peut être huit, mais pas plus !

— Vous décidez-vous, mon oncle ? reprit Ahmet.

— Descendons, ami Kéraban, dit Van Mitten. Des volcans de boue ?… Il faut voir ce que cela peut être ! »

Le seigneur Kéraban se décida, non sans protester. Tous mirent pied à terre ; puis, marchant derrière la chaise qui n’avançait qu’au pas, ils la suivirent à la lueur des lanternes.

La nuit était extrêmement sombre. Si le Hollandais espérait voir, si peu que ce fût, des phénomènes naturels signalés par le postillon, il se trompait ; mais, quant à ces sifflements singuliers qui emplissaient parfois l’air d’une rumeur assourdissante, il eût été difficile de ne pas les entendre, à moins d’être sourd.

En somme, s’il avait fait jour, voici ce qu’on aurait vu : une steppe boursouflée, sur une grande étendue, de petits cônes d’éruption, semblables à ces fourmilières énormes qui se rencontrent en certaines parties de l’Afrique équatoriale. De ces cônes s’échappent des sources gazeuses et bitumineuses, effectivement désignées sous le nom de « volcans de boue », bien que l’action volcanique n’intervienne en aucune façon dans la production du phénomène. C’est uniquement un mélange de vase, de gypse, de calcaire, de pyrite, de pétrole même, qui, sous la poussée du gaz hydrogène carboné, parfois phosphoré, s’échappe avec une certaine violence. Ces tumescences qui s’élèvent peu à peu, se découronnent pour laisser fuir la matière éruptive, et s’affaissent ensuite, quand ces terrains tertiaires de la presqu’île se sont vidés dans un espace de temps plus ou moins long.

Le gaz hydrogène, qui se produit dans ces conditions, est dû à la décomposition lente mais permanente du pétrole, mélangé à ces diverses substances. Les parois rocheuses, dans lesquelles il est renfermé, finissent par se briser sous l’action des eaux, eaux de pluie ou eaux de sources, dont les infiltrations sont continues. Alors, l’épanchement se fait, ainsi qu’on l’a très bien dit, à la manière d’une bouteille emplie d’un liquide mousseux, que l’élasticité du gaz vide complètement.

Ces cônes de déjections s’ouvrent en grand nombre à la surface de la presqu’île de Taman. On les rencontre aussi sur les terrains semblables de la presqu’île de Kertsch, mais non dans le voisinage de la route suivie par la chaise de poste, — ce qui explique pourquoi les voyageurs n’en avaient rien aperçu.

Cependant, ils passaient entre ces grosses loupes, empanachées de vapeurs, au milieu de ces jaillissements de boue liquide, dont le postillon leur avait tant bien que mal expliqué la nature. Ils en étaient si rapprochés parfois, qu’ils recevaient en plein visage ces souffles de gaz, d’une odeur caractéristique, comme s’ils se fussent échappés du gazomètre d’une usine.

« Eh, dit Van Mitten, en reconnaissant la présence du gaz d’éclairage, voilà un chemin qui n’est pas sans danger ! Pourvu qu’il ne se produise pas quelque explosion.

— Mais vous avez raison, répondit Ahmet. Il faudrait, par précaution, éteindre… »

L’observation que faisait Ahmet, le postillon, habitué à traverser cette région, se l’était faite aussi, sans doute, car les lanternes de la chaise s’éteignirent soudain.

« Attention à ne pas fumer, vous autres ! dit Ahmet, en s’adressant à Bruno et à Nizib.

— Soyez tranquille, seigneur Ahmet ! répondit Bruno. Nous ne tenons point à sauter !

— Comment, s’écria Kéraban, voilà maintenant qu’il n’est pas permis de fumer ici ?

— Non, mon oncle, répondit vivement Ahmet, non…, pendant quelques verstes du moins !

— Pas même une cigarette ? ajouta l’entêté, qui roulait déjà entre ses doigts une bonne pincée de tombéki avec l’adresse d’un vieux fumeur.

— Plus tard, ami Kéraban, plus tard… dans notre intérêt à tous ! dit Van Mitten. Il serait aussi dangereux de fumer sur cette steppe qu’au milieu d’une poudrière.

— Joli pays ! murmura Kéraban. Je serais bien étonné si les marchands de tabac y faisaient fortune ! Allons, neveu Ahmet, quitte à se retarder de quelques jours, mieux eût valu contourner la mer d’Azof ! »

Ahmet ne répondit rien. Il ne voulait point recommencer une discussion à ce sujet. Son oncle, tout grommelant, remit la pincée de tombéki dans sa poche, et ils continuèrent à suivre la chaise, dont la masse informe se dessinait à peine au milieu de cette profonde obscurité.

Il importait donc de ne marcher qu’avec une extrême précaution, afin d’éviter les chutes. La route, ravinée par places, n’était pas sûre au pied. Elle montait légèrement en gagnant vers l’est. Heureusement, à travers cette atmosphère embrumée, il n’y avait pas un souffle de vent. Aussi, les vapeurs s’élevaient-elles droit dans l’air, au lieu de se rabattre sur les voyageurs, — ce qui les eût fort incommodés.

On alla ainsi pendant une demi-heure environ, à très petits pas. En avant, les chevaux hennissaient et se cabraient toujours. Le postillon avait peine à les tenir. Les essieux de la chaise criaient, lorsque les roues glissaient dans quelque ornière ; mais elle était solide, on le sait, et avait déjà fait ses preuves dans les marécages du bas Danube.

Un quart d’heure encore, et la région des cônes d’éruption serait certainement franchie.

Tout à coup, une vive lueur se produisit sur le côté gauche de la route. Un des cônes venait de s’allumer et projetait une flamme intense. La steppe en fut éclairée dans le rayon d’une verste.

« On fume donc ! » s’écria Ahmet, qui marchait un peu en avant de ses compagnons et recula précipitamment.

Personne ne fumait.

Soudain, les cris du postillon se firent entendre en avant. Les claquements de son fouet s’y joignirent. Il ne pouvait plus maîtriser son attelage. Les chevaux épouvantés s’emportèrent, la chaise fut entraînée avec une extrême vitesse.

Tous s’étaient arrêtés. La steppe présentait, au milieu de cette nuit sombre, un aspect terrifiant.

En effet, les flammes, développées par le cône, venaient de se communiquer aux cônes voisins. Ils faisaient explosion les uns après les autres, éclatant avec violence, comme les batteries d’un feu d’artifice, dont les jets de feu s’entre-croisent.

Maintenant, une immense illumination emplissait la plaine. Sous cet éclat apparaissaient des centaines de grosses verrues ignivomes, dont le gaz brûlait au milieu des déjections de matières liquides, les uns avec la lueur sinistre du pétrole, les autres diversement colorés par la présence du soufre blanc, des pyrites ou du carbonate de fer.

En même temps, des grondements sourds couraient à travers les marnes du sol. La terre allait-elle donc s’entr’ouvrir et se changer en un cratère sous la poussée d’un trop-plein de matières éruptives ?

Il y avait là un danger imminent. Instinctivement, le seigneur Kéraban et ses compagnons s’étaient écartés les uns des autres, afin de diminuer les chances d’un engloutissement commun. Mais il ne fallait pas s’arrêter. Il fallait marcher rapidement. Il importait de traverser au plus vite cette zone dangereuse. La route, bien éclairée, semblait être praticable. Tout en sinuant au milieu des cônes, elle traversait cette steppe en feu.

« En avant ! en avant ! » criait Ahmet.

On ne lui répondait pas, mais on lui obéissait. Chacun s’élançait dans la direction de la chaise de poste, qu’on ne pouvait plus apercevoir. Au delà de l’horizon, il semblait que l’obscurité de la nuit se refaisait sur cette partie de la steppe… Là était donc la limite de cette région des cônes qu’il fallait dépasser.

Tout à coup, une plus vive explosion éclata sur la route même. Un jet de feu avait jailli d’une énorme loupe, qui venait de boursoufler le sol en un instant.

Kéraban fut renversé, et on put l’apercevoir se débattant à travers la flamme. C’en était fait de lui, s’il ne parvenait pas à se relever…

D’un bond, Ahmet se précipita au secours de son oncle. Il le saisit, avant que les gaz enflammés n’eussent pu l’atteindre. Il l’entraîna à demi suffoqué par les émanations de l’hydrogène.

« Mon oncle !… mon oncle ! » s’écriait-il.

Et tous, Van Mitten, Bruno, Nizib, après l’avoir porté sur le bord d’un talus, essayèrent de rendre un peu d’air à ses poumons.

Enfin, un « brum ! brum ! » vigoureux et de bon augure se fit entendre. La poitrine du solide Kéraban commença à s’abaisser et à se soulever par intervalles précipités, en chassant les gaz délétères qui l’emplissaient. Puis il respira longuement, il revint au sentiment, à la vie, et ses premières paroles furent celles-ci :

« Oseras-tu encore me soutenir, Ahmet, qu’il ne valait pas mieux faire le tour de la mer d’Azof ?

— Vous avez raison, mon oncle !

— Comme toujours, mon neveu, comme toujours ! »

Le seigneur Kéraban avait à peine achevé sa phrase, qu’une profonde obscurité remplaçait l’intense lueur dont s’était illuminée toute la steppe. Les cônes s’étaient éteints subitement et simultanément. On eût dit que la main d’un machiniste venait de fermer le compteur d’un théâtre. Tout redevint noir, et d’autant plus noir que les yeux conservaient encore sur leur rétine l’impression de cette violente lumière, dont la source s’était instantanément tarie.

Que s’était-il donc passé ? Pourquoi ces cônes avaient-ils pris feu, puisque aucune lumière n’avait été approchée de leur cratère ?

En voici l’explication probable : sous l’influence d’un gaz qui brûle de lui-même au contact de l’air, il s’était produit un phénomène identique à celui qui incendia les environs de Taman en 1840. Ce gaz, c’est l’hydrogène phosphoré, dû à la présence de produits phosphatés, provenant des cadavres d’animaux marins enfouis dans ces couches marneuses. Il s’enflamme et communique le feu à l’hydrogène carboné, qui n’est autre chose que le gaz d’éclairage. Donc, à tout instant, sous l’influence peut-être de certaines conditions climatériques, ces phénomènes d’ignition spontanée peuvent se produire, sans que rien les puisse faire prévoir.

À ce point de vue, les routes des presqu’îles de Kertsch et de Taman présentent donc des dangers sérieux, auxquels il est difficile de parer, puisqu’ils peuvent être subits.

Le seigneur Kéraban n’avait donc pas tort, quand il disait que n’importe quelle autre route eût été préférable à celle que les impatiences d’Ahmet lui avaient fait suivre.

Mais enfin, tous avaient échappé au péril, — l’oncle et le neveu, un peu roussis sans doute, leurs compagnons, sans même avoir eu la plus légère brûlure.

À trois verstes de là, le postillon, maître de ses chevaux, s’était arrêté. Aussitôt les flammes éteintes, il avait rallumé les lanternes de la chaise, et, guidés par cette lueur, les voyageurs purent la rejoindre sans danger, sinon sans fatigue.

Chacun reprit sa place. On repartit, et la nuit s’acheva tranquillement. Mais Van Mitten devait conserver un émouvant souvenir de ce spectacle. Il n’eût pas été plus émerveillé, si les hasards de sa vie l’eussent conduit dans ces régions de la Nouvelle-Zélande, au moment où s’enflamment les sources étagées sur l’amphithéâtre de ses collines éruptives.

Le lendemain, 6 septembre, à dix-huit lieues de Taman, la chaise, après avoir contourné la baie de Kisil-Tasch, traversait la bourgade d’Anapa, et le soir, vers huit heures, elle s’arrêtait à la bourgade de Rajewskaja, sur la limite de la région caucasienne.

  1. Le kopek est une monnaie de cuivre qui vaut quatre centimes.