K.Z.W.R.13/Ce qu’il y avait dans le coffre

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Imprimerie Financière et Commerciale (p. 210-221).

Chapitre IV

CE QU’IL Y A DANS LE COFFRE


Au moment où tous les assistants, parmi eux Weld et Cecil, renaissant au bonheur, fixaient sur Stockton leurs yeux interrogateurs, la sonnerie du téléphone retentit.

— Peut-être est-ce monsieur Boulard, suggéra Suttner.

— J’en serais heureux, car avec cette histoire de vol prémédité, de voleur ayant peut-être des accointances avec le gouvernement mexicain, je commence à être vraiment inquiet de sa disparition.

Tout en parlant, Stockton se dirigeait vivement vers l’appareil téléphonique et appliquant le récepteur à son oreille :

— Allo ?

. . . . . . . . . . . . 

— La banque Weld, oui.

. . . . . . . . . . . . 

— Si monsieur Obrig est encore là ?

Oui.

. . . . . . . . . . . . 

— Qu’il vienne à l’appareil ? Bien.

— Monsieur Obrig, voulez-vous prendre le récepteur ?

. . . . . . . . . . . . 

— Oui, c’est moi, Obrig.

. . . . . . . . . . . . 

— Diable !

. . . . . . . . . . . . 

— Vous êtes certain de ce que vous dites ?

. . . . . . . . . . . . 

— Le général Kendall ? Il est ici.

. . . . . . . . . . . . 

— Je vais le lui dire. Voulez-vous venir près de moi, Kendall : il paraît qu’il est arrivé pour vous une dépêche chiffrée de Washington et qu’un exprès est parti depuis près d’une heure à votre habitation.

— Grand Dieu ! Si c’était ?…

— Écoutez et ne parlons pas trop haut, il y a beaucoup de monde ici. C’est X. le sénateur qui est à l’appareil. Prenez le second récepteur.

— Allo.

. . . . . . . . . . . . 

— Oui, c’est moi, Kendall.

. . . . . . . . . . . . 

— Oui. Obrig et moi seulement.

. . . . . . . . . . . . 

— Vous n’avez pas connaissance de la teneur de la dépêche ?

. . . . . . . . . . . . 

— C’est juste, elle est chiffrée.

. . . . . . . . . . . . 

— Mais le renseignement que vous avez reçu est-il de source officielle ?

. . . . . . . . . . . . 

— Officieuse seulement. Donc vous n’êtes sûr de rien.

. . . . . . . . . . . . 

— Je serai fixé par la dépêche. Vous désirez que je vous prévienne au cas où ce que vous croyez serait confirmé ?

. . . . . . . . . . . . 

— C’est entendu Bonsoir.

— Eh bien qu’en dites-vous ? lui demanda Obrig dès qu’il eut raccroché le récepteur.

— Je dis, mon vieil ami, que si dans la dépêche qui m’est envoyée se trouve — comme je le crois et comme tout l’indique — l’ordre d’intervention, je n’ai plus qu’à me loger une balle de revolver dans la tête.

Kendall avait parlé en élevant la voix ; Cecil et Weld se séparèrent vivement.

— Que dites-vous, général ? s’écria ce dernier.

— Voyons, Weld, d’après ce que déclare Stockton, vous seriez innocent ?

— Je l’ai déclaré et je le répète, répondit en s’avançant le détective ; il y a encore dans cette affaire quantité de choses obscures, qui s’éclairciront plus tard ; mais pour moi, dès à présent, l’innocence de monsieur Weld ne peut être mise en doute ; les déclarations de Georges Martin l’établissent indubitablement.

— Certes, dit Suttner, et vous venez de dessiller nos yeux ; votre déduction est la logique même, et puisqu’il est certain qu’on a volé les clefs de Weld, on les lui a dérobées dans le but de voler.

— Ou peut-être, objecta Stockton, dans le but de l’empêcher d’ouvrir le coffre-fort et de s’apercevoir qu’on avait touché à ce qu’il contenait, le vol une fois commis.

— Vous croyez donc qu’on a volé ce qui était dans le coffre ?

— Si ce qu’a dit cet homme est la vérité…

— Je vous ai dit tout ce que je savais.

— Alors je suis perdu !

— Mon père !

— Laisse, Cecil. Je suis soldat et la mort ne me fait pas peur.

— Avant de vous désespérer, général, il faudrait, dit Stockton, savoir d’abord si la dépêche qui va vous être remise est l’ordre d’intervention au Mexique, ensuite si on a volé les millions que le coffre contenait. Pour le premier point, vous ne serez fixé qu’en téléphonant à Kendall House…

— Mon secrétaire connaît la clef du chiffre des correspondances secrètes et…

— Téléphonez alors immédiatement.

— Soit… Allo… E. 431.

. . . . . . . . . . . . 

— Kendall House ?

. . . . . . . . . . . . 

— Le capitaine Meechen est-il là ?

. . . . . . . . . . . . 

— Ah ! merci.

— Eh bien ?

— On a apporté une dépêche que le capitaine a lue ; il est monté dans l’auto qui avait amené le passager et est parti avec lui pour venir ici.

— Il savait où vous étiez ?

— Oui. Je l’avais prévenu.

— Avant qu’il soit arrivé, peut-être le coffre sera-t-il ouvert…

Et Weld interrogeait Stephenson du regard.

— Hélas, monsieur, je suis désolé de vous répondre par une mauvaise nouvelle, mais après l’examen très approfondi que nous venons de faire, les essais que nous avons tentés, j’ai la conviction qu’il faudra au moins plusieurs jours, huit ou dix peut-être, pour ouvrir la porte de la chambre-forte !

— Allons, tout espoir est bien perdu.

— Un instant, dit Obrig, prenant la parole à son tour. Quelle est donc la somme que contenait le coffre ?

— Environ dix-huit millions, répondit le banquier.

— Eh bien, Weld, je puis après-demain lundi avant deux heures vous les faire tenir.

— Comment cela ?

— Si la dépêche dont il s’agit apporte vraiment l’ordre d’intervenir au Mexique, vous aurez gagné, rien que par les ordres qui m’ont été donnés à moi seul, au moins cette somme un quart d’heure après l’ouverture de la Bourse.

— Impossible !

— Très possible, au contraire ! Comment pouvez-vous penser que je plaisanterais à un moment pareil ?

— Et vous les auriez en numéraire ?

— Je les ferai, par moi-même ou par mes collègues, je vous en réponds ; et je vous le répète, c’est une simple avance que je vous ferai, car Jarvis avait pris des positions telles que, si je crois les renseignements qui m’avaient été donnés par mes correspondants, vous feriez une différence de plusieurs dizaines de millions à votre avantage.

— Mais cet argent ne m’appartient pas !

— Pardon, tous les ordres m’ont été donnés au nom de votre banque, et je ne connais que vous.

— Pensez, Weld, qu’en cas de perte, c’était vous qui payiez — et de toute votre fortune, dit Suttner.

— Nous sommes sauvés !

— Vous oubliez, reprit le général, que le coffre ne contenait pas seulement de l’argent, mais des papiers.

— C’est vrai !

— Or, ces papiers dont je dois prendre connaissance seulement au reçu de la dépêche, je ne sais pas ce qu’ils m’ordonnent de faire !

— Grand Dieu !

— Comment expliquerai-je au ministre, devant lequel je suis seul responsable, que, ne croyant pas ces papiers en sûreté chez moi, je les avais remis dans une banque possédant un coffre-fort à toute épreuve, et que, par suite de circonstances tellement romanesques qu’elles sont incroyables, il est devenu impossible d’ouvrir celui-ci ! Je serai grotesque aux autres et odieux à moi-même… J’aime mieux…

— Mais voyons, Stephenson, s’écria Weld, il est impossible qu’on ne puisse ouvrir cette porte damnée !

— Je vous assure, monsieur…

— Je promets cinquante mille dollars à celui ou à ceux qui l’ouvriront, si nous pouvons pénétrer dans la chambre-forte avant demain matin.

— Cinquante mille dollars ! et Stephenson et les ouvriers se regardaient !

— Voyons, monsieur, il y a peut-être un moyen.

— Employez-le !

— Mais nous risquons de démolir la maison ?

— N’importe !

— Vous m’autorisez à employer la dynamite ?

— Oui !

— Et vous nous garantissez contre les risques ?

— Oui !

— Mais il nous faut une autorisation de la police.

— La donnerez-vous, Suttner ?

— S’il n’y a pas d’autre moyen, je me porte garant que j’obtiendrai cette autorisation.

— Nous ne pourrons malgré tout agir que demain matin.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il nous faut aussi prévenir tout le voisinage.

— D’autres maisons que celle-ci pourraient courir le danger d’être démolies ?

— Je ne crois pas, mais il faudrait prévenir les voisins, pour ne pas les effrayer, car toutes les vitres de leurs fenêtres seront peut-être brisées par l’explosion.

— On leur dira pourquoi nous agissons ainsi. Rien n’étonne un Américain, rien ne l’effraye.

— C’est vrai. Alors je vais aller réveiller un maître maçon et l’amener ici avec ses ouvriers, car il y a des chambres de mine à faire.

— Prenez des automobiles et faites vite. Payez ce qu’il faudra.

— Bien, monsieur.

— Et Stephenson sortit vivement avec ses ouvriers.

— Je vois, Weld, que vous allez essayer l’impossible, et si ces papiers sont encore dans le coffre, nous les aurons, mais y sont-ils encore ?

— Que pensez-vous, monsieur Stockton ?

— Je n’ose dire ce que je pense, monsieur, car ce ne sont que des suppositions.

— Dites-les, surtout si vos paroles doivent nous donner un peu d’espoir.

— Eh bien, monsieur, depuis la déposition de cet homme, je me suis rallié à l’hypothèse que mon ami Boulard a émise tout à l’heure.

— Laquelle ?

— Vous vous rappelez qu’il fit remarquer à un moment donné que trois choses avaient disparu.

— Je me rappelle.

— L’arme du crime — peut-être ce grattoir — la valise et une troisième chose, si on peut appeler ainsi un homme, l’assassin !

— En effet.

— Quand il nous confia cette hypothèse, il me parut extravagant de le suivre dans ce que je considérais alors comme des divagations romanesques, mais depuis les derniers événements, je ne suis pas loin d’être de son avis.

— Et ?…

— Et si cet homme n’a pas menti…

— J’affirme encore avoir dit la vérité.

— Eh bien, si comme il le déclare, l’instigateur de tout ceci est Jarvis…

— Vous croiriez ?

— Je croirais qu’assassin, valise et grattoir sont, comme paraissait le penser Boulard, dans la chambre-forte !

— Enfermés par qui ?

— Par Jarvis.

— Impossible !

— Possible au contraire, et si vous voulez bien me suivre, je vais vous exposer ce qui s’est « peut-être » passé.

— Dites.

— Nous vous écoutons.

— Auparavant, permettez. Stoop…

— Monsieur ?

— Veuillez emmener monsieur Martin dans le hall, au rez-de-chaussée et gardez-le à vue.

— Bien, monsieur.

— Eh bien, continua Stockton, quand le grec fut sorti, Jarvis acculé par ses pertes de Bourse aux pires extrémités, combine le vol des sommes contenues dans le coffre. Mais il pense bien que toute la police sera mise à sa poursuite et il prend toutes ses précautions pour déjouer les recherches. Peut-être même, en compromettant monsieur Weld, le directeur en nom de la banque, espère-t-il que, pour éviter tout scandale, les administrateurs et les actionnaires de la société paieront le déficit. Il s’abouche avec une bande de gredins audacieux et adroits et pendant que l’un d’eux, maquillé de façon à pouvoir être pris pour vous…

— Mon Dieu ! s’écria Weld, interrompant le détective, serait-ce ?…

— Qui donc, vous connaissez quelqu’un qui vous ressemble au point d’être pris pour vous ?

— Non, non, c’est impossible, le malheureux ne serait pas descendu aussi bas !

— Quel que soit l’homme qui a copié vos traits, cet homme attend que vous soyez parti, il vous guette et comme on a besoin de vos clefs pour prendre quelque chose dans ce tiroir-caisse…

— Mes papiers d’identité, peut-être ?

— Probablement… On vous fait voler votre trousseau par des complices. Vous savez quels rôles ceux-ci doivent jouer. Pendant qu’ils attirent sur une fausse piste les policiers lancés après les voleurs, Jarvis et l’inconnu emportant les millions — les papiers peut-être — passent au Mexique…

— Vous voyez bien, interrompit Kendall, que ces papiers ont dû être volés !

— Attendez, général, je vous en prie. Je reprends la suite de mes idées. Tout a été réglé et bien réglé. Jarvis et l’inconnu emportent leur butin, et après avoir payé leurs acolytes, ils jouissent en paix du profit de leur crime. Peut-être même Jarvis restera-t-il à Brownsville et a-t-il machiné son affaire de façon à faire croire que monsieur Weld a simulé le vol pour payer ses différences à la Bourse. Ce qui est indiscutable, c’est qu’on lui a volé ses clefs, qu’on les a données à un homme qui lui ressemble d’allure et de physionomie, que celui-ci est entré à la Banque quelques instants après son départ. En le voyant, Jeffries a cru voir M. Weld. Or, s’il a vu entrer quelqu’un, Jeffries n’a vu sortir personne, du moins il l’affirme. Concluez !

— Je ne vois pas…

— Une fois enfermés tous deux dans ce bureau, les deux complices ne s’entendent plus. Pourquoi ? Cela n’importe pas. L’assassin, probablement à la vue du magnifique butin, inespéré, aura agi de façon à tout garder pour lui. Il poignarde Jarvis. Le coup fait, il ne songe plus qu’à voler ; tous ses nerfs sont tendus vers ce seul besoin : emporter ce trésor qui est là, plonger ses mains dans cet or, emplir à pleines poignées sa valise, puis fuir, fuir au plus vite.

Pour plus de facilité, il entre dans la chambre-forte avec sa valise et il continue à entasser pêle-mêle les billets et les plans. Pendant qu’il s’occupe, Jarvis, lentement, revient à lui, une idée fixe lui fait trouver une volonté surhumaine. Il se glisse jusqu’à la porte, il se traîne, lamentable, contenant de la main le flot de sang qui gicle de sa gorge… le meurtrier ne l’a pas vu… que va-t-il advenir… Jarvis rampe, rampe… enfin il atteint la porte du coffre, il la pousse, elle roule sur ses gonds… se ferme…

Et Jarvis meurt vengé, barrant de son cadavre le seuil du coffre-fort, devenu un tombeau.

— Et vous croyez ?…

— Que la chambre-forte renferme le secret de cette affaire ténébreuse.

— Et les papiers ?

— Les papiers et les millions n’ont pas quitté le coffre.

— Et l’assassin ?

— Il est là, derrière la paroi d’acier, je l’affirme. Réfléchissez donc. Si le meurtrier avait pu emporter son butin, si le vol avait pu être accompli, l’assassin aurait-il vraiment perdu son temps à replacer le cadavre de sa victime contre la porte du coffre-fort ?

— Pourquoi pas, il écartait ainsi les soupçons.

— Réfléchissez-y, il aurait en ce cas jeté à côté de sa victime l’arme du crime.

— Peut-être avez-vous raison.

— J’affirme, je vous ai dit, avoir raison. Mon raisonnement n’est-il pas simple, logique. Convenez-en…

— Vous croyez donc vraiment… sincèrement ?

— J’affirme qu’à l’ouverture du coffre-fort, tout sera expliqué et je crois aussi, je suis sûr, général, que vous retrouverez intacts les papiers et l’argent que vous avez confiés à monsieur Weld.

— Dieu vous entende !

Un grand silence plana. Les acteurs de cette scène restaient muets, ne sachant que dire, que penser.

Était-ce la vérité ce qu’ils venaient d’entendre ?

Un coup grave de timbre dans le hall les fit frissonner.

Qu’était-ce encore ?

— On sonne à la porte d’entrée ; ouvrez, Stroop, et attention à votre prisonnier.

— Monsieur, cria l’agent, ce sont deux dames.

— Sans doute mistress Trubblett et sa fille, la fiancée de monsieur Boulard.

— Qu’a-t-il pu devenir ?

— Mon Dieu, monsieur Stockton, dit Ketty en apparaissant en haut des marches, Marius n’est-il pas ici ?

— Non !

— Que lui est-il arrivé ! Un accident sans doute.

— Calmez-vous, mademoiselle.

Et Weld s’avançait :

— Nous allons le faire chercher partout et il faudra bien qu’on le retrouve !

— Monsieur Stockton, réclama avec dignité mistress Trubblett, voudriez-vous nous présenter à la société ?

— Mais, maman, nous avons autre chose à…

— Mistress Trubblett a raison, répondit Stockton, souriant malgré la gravité de la situation.

Et il fit les présentations requises dans les règles.

Au moment où il les achevait, Stéphenson revint, ramenant outre ses ouvriers des maçons munis de leurs outils.

Tous, avec Horner, pénétrèrent dans le bureau du banquier et commencèrent les travaux préparatoires.

— Oui, messieurs, disait pendant ce temps mistress Trubblett, ce monsieur Boulard n’est pas un gentleman. Il nous a quittées sans un mot d’excuse, poussant des cris, avec des gestes de fou, entremêlant ses incohérences de nombres qui ne voulaient rien dire…

— Mais, maman, mon pauvre Marius a eu évidemment quelque chose que nous ignorons…

— Le voici peut-être, car on sonne.

— Non, dit Weld, qui s’était avancé au haut de l’escalier, c’est le capitaine Meechem.

— Eh bien, capitaine, s’écria Kendall, en s’élançant, qu’y a-t-il ? Vous avez déchiffré la dépêche. Oh ! vous pouvez parler, ajouta-t-il, voyant que le capitaine hésitait.

— L’intervention, mon général.

— Décidée ?

— Immédiate.

— Vous gagnez des millions, Weld, dit Obrig.

— Et je perds mon honneur, murmura. Kendall.

Tandis qu’il s’écartait avec le capitaine Meechem et qu’ils relisaient ensemble la dépêche gouvernementale, la sonnerie du téléphone retentit.

............

— On vous demande, Stockton.

— Quoi donc ? Allo ?

............

— Comme un fou ?

— C’est Marius, sanglota Ketty.

............

— Oui, j’entends bien, c’est du bureau de police. Qu’est-ce que vous voulez ?

............

— Vous avez arrêté un fou qui se réclame de moi ?

............

— Mais lâchez-le, malheureux ! Ou plutôt amenez-le ici en automobile, avec les plus grands égards. C’est un haut fonctionnaire de la police française.

............

— C’est vous, Boulard ?

............

— Je ne comprends rien à ce que vous dites !

— Il est certainement fou à lier, suggéra mistress Trubblett. Pourvu qu’il ne devienne pas dangereux.

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— Quoi ? 26 ? le double W ?

............

— Oui, oui, venez, vous nous expliquerez cela ici.

............

— Il va venir ; et Stockton raccrochait l’appareil. Il s’est, paraît-il, trompé de chemin et son aspect a paru tellement étrange au policeman auprès de qui il s’est renseigné que celui-ci l’a pris pour un fou et l’a emmené au bureau de police. Là, après bien des pourparlers et des discussions — on a failli le doucher — il a demandé qu’on téléphonât ici où il savait me trouver. Le mal est réparé. Dans cinq minutes, il sera ici.

— Eh bien, dit le général, il n’y a plus à espérer. Cette dépêche m’ordonne d’ouvrir les plis cachetés qui m’ont été remis. Elle m’apprend que les premières mesures de l’intervention au Mexique doivent être prises demain, ou plutôt ce matin, car il est plus de minuit, je dois suivre les instructions que ces papiers contiennent… Tout est fini pour moi.

— Mais non, général. Espérons. Eh bien, Stéphenson ?

— Rien à faire, monsieur Weld. Nous avons tout essayé ! Le plus formidable explosif qui soit, la dynamite elle-même, n’aurait aucune prise sur les murailles faites de barres de fer et de briques solidement enchevêtrées de la chambre cuirassée.

— J’ai promis tout à l’heure cinquante milite dollars, je donne maintenant deux cent mille dollars à qui ouvrira le coffre cette nuit !

— Hélas, monsieur, cette nuit ! Ce que vous demandez est impossible. Il nous faudra, en ne cessant pas le travail, au moins huit jours !

— Mon Dieu, dit Cecil en sanglotant, en se jetant dans les bras de son père.

— Tu vois, ma chère enfant, qu’il n’y a plus rien à tenter.

— Ah ! coffre maudit, huit jours pour pouvoir l’ouvrir ! Huit jours !

— Huit jours ! pas même huit minutes, cria Marius d’une voix essoufflée, montant l’escalier quatre à quatre.

Il s’élança, écartant tous ceux qui se trouvaient sur son passage, repoussa mistress Trubblett qui se jetait devant sa fille pour la protéger contre ce fou furieux, ce vampire enragé, hurlait-elle, puis il entra dans le bureau et d’un ton de maître, il demanda :

— La clef !

— La clef, quelle clef ?

— La clef du coffre, parbleu !

— Pourquoi faire ?

— Pour l’ouvrir.

— La voici, dit Stéphenson en la lui tendant.

Marius la prit.

Il l’introduisit dans la serrure ; il fit jouer les boutons, amena devant les encoches les lettres K. Z. W. R. compta treize crans au cadran de la clef, tira à lui…

Et la porte de la chambre-forte s’ouvrit ! D’un même mouvement, tous se précipitèrent.

— Un cadavre ! s’écria Suttner.

— La valise !

— Mes papiers !

Weld s’était précipité auprès du mort et le regardait avidement

— Mon frère Arthur, gémit-il en tombant à genoux près de lui.

— Emmenez les femmes dans le salon d’attente, Horner, ordonna le juge d’instruction.

En effet, le spectacle était horrible : le visage de l’assassin, convulsé par une lente agonie, était affreux à contempler !

Arthur Weld avait dû endurer des souffrances abominables : il avait essayé de forcer la grille qui le séparait d’environ un mètre de la porte d’acier ; il avait même tordu un de ses barreaux, mais ce suprême effort avait dû l’épuiser, et vaincu par l’asphyxie il était tombé sur les liasses de bank-notes amoncelées de toutes parts autour de lui et avait vécu son dernier souffle sur cette fortune entassée qu’il avait un instant cru bien à lui !

Georges Weld et Marius transportèrent le cadavre au milieu du bureau. Depuis de longues heures, la mort avait déjà fait son œuvre. Rien n’était à tenter.

Pendant qu’ils essayaient vainement et contre toute apparence, par acquit de conscience, de rappeler un reste de vie dans ce corps à jamais inanimé, Stockton et Suttner pénétraient dans la chambre,

— Général, dit celui-ci, voici sans doute vos papiers.

Et il lui tendait un volumineux paquet entouré de cordes et cacheté.

— Ce sont eux en effet ! Et rien n’y manque, répondit Kendall, pâle de joie.

— Quant aux millions, ils sont là également — et voici la valise et le grattoir, ajouta Stockton.

— Mon malheureux frère !

— Allons, monsieur Weld, ne restez pas là. Allez auprès de miss Cecil, car elle aussi a droit à vos remercîments !

— C’est vrai. J’oubliais ce que je dois faire vis-à-vis de tous !

Et Georges Weld, donnant un dernier regard au corps du meurtrier, passa dans le salon d’attente où avaient été emmenées miss Cecil, mistress Trubblett et Ketty !

Les premiers regards qu’échangèrent les deux fiancés continrent un monde de pensées :

— Comment reconnaîtrai-je jamais l’amour, la confiance que vous n’avez cessé de me témoigner, mon adorée Cecil !

— En m’aimant, mon ami.

— Cela me sera aisé. Pourquoi faut-il qu’une ombre diminue le bonheur que j’éprouve en ce moment !

— Qu’y a-t-il ?

— Mon frère…

— Ne pensez plus à lui ! Songez qu’il n’a pas dépendu de sa volonté que vous fussiez condamné pour le meurtre qu’il commit et qu’il a voulu vous dépouiller, vous ruiner sans scrupule !

Et Cecil, avec l’égoïsme de la femme qui aime, voyant un lugubre cortège, sortit du bureau :

— Ne regardez que mes yeux en ce moment et ne pensez qu’à notre amour.

Des larmes cependant brillaient dans les yeux de Weld :

— Nous nous aimions tant, Arthur et moi, quand nous étions enfants !

— Pleurez, mon aimé. C’est le rôle de la femme de consoler et de faire oublier tout ce qui n’est pas elle…

Les deux hommes qui emportaient le corps d’Arthur Weld passèrent, descendirent lentement et disparurent.

— Je veux du moins que sa dépouille ne soit pas profanée…

— Soyez tranquille, mon cher ami, j’ai donné les ordres nécessaires et tout sera fait comme vous le désirez. Jarvis se sera suicidé dans un moment de folie et l’affaire sera classée.

— Ah ! Suttner, comment vous remercier ! Quel ami vous êtes pour moi.

— Ne suis-je pas heureux de votre bonheur, c’est ma récompense.

— Ingrat que je suis, j’oublie ceux qui m’ont aidé dans cette épreuve, ceux qui m’ont soutenu, qui m’ont sauvé !

Stephenson sortait à ce moment du bureau :

— Mon cher monsieur Stephenson, vous voudrez bien annoncer à tous les ouvriers que vous avez amenés qu’une gratification de cent dollars attendra chacun d’eux lundi aux guichets de la banque ; ils n’auront qu’à se présenter avec un mot de vous. Je ne puis vous offrir de l’argent à vous personnellement, mais vous avez maintenant un ami sur qui vous pouvez compter. Merci encore merci toujours.

— Et le chauffeur que nous oublions.

— C’est vrai, Cecil, vous avez raison. Puis-je lui parler, Suttner ?

— Je crois bien. Stoop, envoyez-nous Eric Walter, le chauffeur de l’auto.

— Tenez, mon ami, lui dit Weld quand Walter fut monté, voici les cent dollars que vous avez rapportés et cent autres pour vous dédommager de la perte de votre journée. Puis, ne partez pas de Brownsville sans revenir me voir, j’aurai peut-être une place à vous offrir.

— Merci, monsieur Alors tout est arrangé à votre désir ?

— À peu près !

Et Weld soupirait cependant.

— Alors, monsieur, demanda Walter au juge d’instruction, je puis rentrer chez moi ?

— Je crois bien, mon brave ! Et il est temps, car voici bientôt une heure du matin !

— Pardon, monsieur, remonta dire Stephenson, la porte est gardée et on ne veut pas nous laisser sortir.

— C’est vrai, ma foi !

Se penchant sur la rampe de l’escalier :

— Stoop… appela Suttner.

— Monsieur le juge ?

— Laissez sortir tout le monde, la porte est libre maintenant.

— Bien, monsieur.

Suttner regarda autour de lui :

Cecil s’était rapprochée aimablement de Ketty et de sa mère et causait avec elles. Weld se dirigeait vers son cabinet et ils y entrèrent ensemble.

Le général Kendall et son secrétaire, installés au bureau de Jarvis, compulsaient les papiers si heureusement retrouvés.

Obrig, Marius et Stockton rétablissaient l’ordre dans la chambre-forte ; l’ouvrage tirait à sa fin.

— Eh bien ! Weld, vous voilà tiré d’affaire, avec, ce qui n’est pas à dédaigner, un accroissement de fortune d’une vingtaine de millions. Félicitations, mon cher.

Et l’agent de change venait au banquier, les mains tendues.

— Vingt millions, vous croyez ?

— Au moins ! Je vous fais une proposition : vous m’abandonnez votre gain et je vous garantis vingt millions nets !

— Il m’en resterait donc dix-neuf.

— Comment cela ?

— Vous oubliez que j’ai une dette sacrée,

— Laquelle ?

— J’ai promis deux cent mille dollars à celui qui ouvrirait la porte de la chambre-forte avant demain matin.

— C’est vrai !

Weld s’assit à son bureau, prit dans son tiroir-caisse un carnet de chèques et remplit les blancs de deux d’entre eux.

— Monsieur Boulard !

— Cher monsieur ?

Et Marius apparaissait sur le seuil de la chambre-forte.

— Je ne vous ai pas remercié, ni vous, ni monsieur Stockton, et cependant, que ne vous dois-je pas ?

— Vous ne me devez rien, monsieur Weld, répondit le détective en venant à lui, j’ai agi d’après ma conscience. Si vous aviez été coupable — je l’ai cru un instant, je dois l’avouer — j’aurais poursuivi la recherche de la vérité avec la même ténacité et la même insouciance des sympathies que je pouvais ressentir.

— Aussi ne vous remercié-je pas d’avoir fait votre devoir, mais suis-je heureux de vous féliciter de votre perspicacité. Puis, vous avez perdu toute une journée et presque toute une nuit, cela vaut un dédommagement. Voulez-vous me permettre de vous offrir ce chèque et mon amitié, dit Weld vivement, voyant que Stockton esquissait un mouvement de refus.

— L’un ne va pas sans l’autre ? demanda le détective en riant.

— Non, et vous voilà obligé d’accepter tout le lot.

— Alors, j’accepte avec reconnaissance.

Et Stockton, prenant le chèque de la main gauche, serrait vigoureusement de la droite la main que lui tendait le banquier.

— Quant à vous, mon cher monsieur Boulard, ce n’est pas un cadeau que j’ai à vous faire…

— Je…

— C’est une dette que j’ai à vous payer.

— Mais…

— Quelques minutes avant que vous n’entriez ce soir à la banque, je venais de promettre une prime à celui ou ceux qui ouvriraient le coffre-fort avant demain matin. Cette prime vous appartient, puisque vous avez ouvert cette porte. La voici.

Et Weld tendait à Marius le chèque, qu’il venait de prendre sur son bureau.

— Mais, mon cher monsieur Weld…

— Ce n’est pas un cadeau, je vous le répète, c’est une dette que j’acquitte.

— Certes, intervint Obrig, nous sommes tous témoins que vous avez promis deux cent mille dollars à celui qui ouvrirait cette maudite porte !

— Hein ! Deux cents…

— Deux cent mille dollars, affirma le général en se levant, et ce n’est pas cher !

— Mais deux cent mille dollars, cela fait…

— Un million de francs.

— Allons, vous vous moquez de moi…

— Mais non.

— Vous voulez me faire croire que vous êtes du Midi !

— Mais nous sommes en effet du Midi des États de l’Union.

— Oui, mais de mon Midi à moi, le seul vrai ! le seul où on blague sérieusement !

— Mais je ne blague pas, affirma Weld en riant aux éclats avec tous les assistants de cette scène. Prenez donc.

— Un million, un mill…

Marius n’acheva pas. Ses jambes se dérobèrent sous lui ; il chancela !

— Hé là, mon brave ami, lui dit Stockton en se précipitant pour le soutenir, un peu de courage, que diable !

— J’en ai, certainement, j’en ai dans la mauvaise fortune, mais dans la bonne…

— Vous en manquez. Tenez, voici mademoiselle Ketty, apprenez-lui la nouvelle.

— Marius, venait dire la blonde enfant, maman est furieuse, elle demande si vous allez la faire coucher ici ?

— Ketty…

— Quoi ?

— Ketty, regardez-moi.

Et Marius se redressait.

— Je vous regarde.

— Je n’ai rien de changé ?

— Non, vous êtes un peu pâle, mais cela vous donne l’air distingué.

— Ketty, vous voyez devant vous un millionnaire !

— Un millionnaire…

— Je possède à l’heure qu’il est, en plus de l’argent que vous avez à moi, un million…

— Un million ?

— Un joli million, tout neuf.

— Maman a raison, vous êtes fou !

— Demandez à ces messieurs.

— C’est vrai ?

— Mais oui, miss Ketty, nous pouvons vous le certifier.

— Et vous m’épousez toujours ?

— Plus que jamais !…

— Ah ! mon chéri ! Il faut que je vous embrasse… Maman, maman…

— Qu’y a-t-il, demanda mistress Trubblett, accourant aux cris de sa fille.

— Chère madame Trubblett, s’écria Marius en se précipitant vers elle…

— Arrêtez-le, il va me mordre…

— Mais non, je veux vous demander la main de Ketty…

— La main de Ketty ! Jamais de la vie.

— Vous savez qu’il est millionnaire, ajouta Stockton avec flegme.

— Millionnaire ?

— Absolument, affirma Weld.

— Il a vraiment un million ?

— Mais oui.

— De dollars ?

— Non, de francs !

— Ah ! c’est peu, mais puisque vous avez de quoi nourrir une femme, autant que ce soit Ketty.

— Alors, vous consentez ?

— Je consens.

— Vive mistress Trubblett, cria Marius.

— Et je ne me crois pas quitte envers vous, ajouta Weld, car vous nous avez tous sauvés.

— Certes : c’est Boulard qui a tout découvert, l’arme du crime, l’assassin, les complices… À propos ?

— Quoi donc ? demanda Suttner.

— Martin Borchère, Cinque Iglesias ?

— Oui ?

— Il est toujours en bas ?

— Je le pense.

— Stoop… Il faut le faire écrouer. Stoop…

— Monsieur…

— Conduisez le prisonnier provisoirement au bureau de police.

— Quel prisonnier, monsieur ?

— Mais celui que j’ai amené.

— Mais il est parti, monsieur.

— Comment parti ?

— Monsieur Suttner m’a donné l’ordre de laisser partir tout le monde.

— C’est ma foi vrai…

— Alors il est parti, et il doit être bien loin, s’il court toujours.

— Sapristi ! Je n’ai plus pensé à lui.

— Damnation, il m’échappe encore.

— Calmez-vous, dit Marius, calmez-vous, mon cher Stockton, je vous le rattraperai.

— Vous en êtes bien capable, car enfin, aujourd’hui, vous avez été mon maître, et c’est d’après vos indications que j’ai pu débrouiller l’écheveau si emmêlé de cette affaire, mais, dites-moi ?

— Quoi ?

— Je me rends compte que par vos déductions, vous avez pu arriver à tout pressentir, mais le mot ?

— Quel mot ?

— Le mot du coffre-fort.

— Ah ! oui.

— Comment l’avez-vous découvert ?

— Vous tenez à le savoir ?

— Oui !

— Eh bien, voilà.

Et Marius allait entrer dans des explications, quand il se ravisa ; le Méridional l’emportant.

— Eh bien, voilà, répéta-t-il, cela m’est venu comme un éclair, comme dans une vision !

— C’est extraordinaire !

— C’est incroyable !

— C’est pourtant comme cela. C’est que, voyez-vous, conclut l’incorrigible Méridional, nous autres, Français, nous manquons de méthode, seulement…

— Seulement ?

— Seulement, de temps en temps, nous avons du génie !