Kaatje/04

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(p. 131-164).


QUATRIÈME ACTE


Le printemps est venu ; sa lumière chaude réjouit la chambre où s’entretiennent Jean et son père.


LE PÈRE (rudement)

Il faut chasser ces souvenirs !

JEAN

Il faut chasser ces souvenirs ! Je me défends
Contre eux…

LE PÈRE

Contre eux… Mais non ! Tu te conduis comme un enfant !
Pourquoi ne veux-tu pas essayer tout au moins,
De trouver cet oubli dont ton cœur a besoin,
Dans l’effort où jadis ton talent s’est complu ?

JEAN (tristement, en montrant l’atelier)

J’ai fermé cette chambre et n’y rentrerai plus,
Mon père. Je suis calme. Il est vrai que là-haut
Se trouvent les premiers essais de mes pinceaux,
Et tout ce qui, durant de nombreuses années,
Fut l’encouragement de mon œuvre obstinée ;
Mais, puisqu’y dort aussi le passé qui me blesse,
Il vaut mieux, croyez-moi, que ma main les y laisse,
Et qu’ils demeurent là, dans la chambre fermée,
Avec le souvenir de cette femme aimée.

LE PÈRE (mécontent)

Je n’ai foi dans ton calme ni dans ta raison !
Et j’attendrai, pour espérer ta guérison,
Le jour où, rallumant d’orgueil tes yeux éteints,
Tu me diras : J’ai bien travaillé ce matin !
T’imagines-tu donc que ta tâche est remplie ?
Ton passé…

JEAN

Ton passé… Mais comment voulez-vous que j’oublie !
J’y pense incessamment ! Je voudrais tant savoir !

LE PÈRE

Savoir ?

JEAN
Savoir ? Où donc a-t-elle été cet affreux soir ?

Où donc ? Rappelez-vous comme nous la cherchâmes !
Ces italiens la cachaient-ils ? Hommes et femmes
Semblaient pourtant ne rien comprendre…

LE PÈRE (rudement)

Semblaient pourtant ne rien comprendre… Assez ! Assez !
Je t’ai dit qu’il fallait oublier ce passé !
Je ne veux plus qu’un seul mot, dans cette maison,
Le rappelle…

JEAN (surpris de cette violence)

Le rappelle… Mon père…

LE PÈRE (allant vers lui)

Le rappelle… Mon père… Écoute, mon garçon,
Il ne faut pas que nous jouions la comédie !
Quand, voici quatre mois, cette femme est partie,
Nous t’avons plaint du coup brutal qu’on te portait ;
Mais, depuis, nous savons que tu le méritais !

JEAN

Comment ?…

LE PÈRE (continuant)

Comment ?… Ta mère et moi n’avions pas soupçonné
Que… ta femme était libre de t’abandonner !
Oui, nous eûmes tous deux, le soir de ton retour,
L’incroyable candeur d’écouter tes discours,

Et votre mariage au bout de votre idylle,
Tout ça, nous l’avons cru parole d’Évangile !
Mais depuis, nous savons !…

JEAN

Mais depuis, nous savons !… Mon père…

LE PÈRE (se contenant)

Mais depuis, nous savons !… Mon père… Je n’accuse
Pas cette femme. A-t-elle imaginé la ruse
Qui l’installa chez nous ? Même si c’est probable,
J’estime encor qu’elle n’est pas la plus coupable.
C’est une malheureuse et qui, peut-être, paie
Durement aujourd’hui cette folle équipée !
Que par cette aventure elle ait été séduite,
Et puis se conduisît comme elle s’est conduite,
Étant ce qu’elle était, la chose est naturelle,
Et mon ressentiment ne sera pas pour elle.
Mais c’est t’en dire assez dès lors, pour que tu saches
Contre qui je me fâcherai, si je me fâche !

JEAN

Mon père, écoutez !…

LE PÈRE

Mon père, écoutez !… Non, non ! Je n’ai pas envie
De t’entendre ! Je sais quelle fut votre vie
Là-bas ! Je sais que vous n’étiez pas mariés !
Je sais comment, au jour de te rapatrier,

— Que ce soit de l’audace ou de l’inconscience —
Il vous plut d’abuser de notre confiance !
Et, vraiment, je t’engage à bénir le destin
Qui voulut, ce soir-là, son départ clandestin,
Sans attendre que j’eusse appris ce que je sais,
Car quelques jours encore, et vous étiez chassés !
Aussi, ma volonté formelle et péremptoire,
C’est qu’on ne dise plus un mot de cette histoire !
Et quand je parle ainsi je me sens ridicule
Autant d’être trop bon que d’être si crédule !…
Il ne s’agit donc plus de te plaindre ! Il s’agit
De nous montrer un homme énergique, assagi,
Et prêt à mériter par sa droite vaillance,
Le pardon — que nous lui avons donné d’avance.
Eh bien ?

JEAN (très ému)

Eh bien ? Vous êtes bon… Je voudrais, en luttant,
Vous en remercier, mais…

LE PÈRE

Vous en remercier, mais… Quoi ?

JEAN

Vous en remercier, mais… Quoi ? Je souffre tant !

LE PÈRE

Eh ! c’est ton châtiment, si ce n’est pas ta honte !
Mais souffre comme un homme au moins, et rends-toi compte

Qu’un chagrin n’est viril, que lorsqu’il laisse intacte
La volonté d’une œuvre ou la force d’un acte !
N’as-tu plus rien en toi ? N’es-tu plus un artiste ?
Le monde est-il, soudain, devenu sombre et triste
Au point que rien ne vaut qu’on dessine ou qu’on peigne ?
Et quel est ce beau feu que trois larmes éteignent ?

JEAN

Ah ! mon père ! Si je pouvais ! Si cet orgueil
Même y pouvait suffire !

LE PÈRE

Même y pouvait suffire ! Il suffit que tu veuilles !
Et, pour que nous puissions nous regarder en face,
Que te dises d’abord : Ce passé, je l’efface !
Puis qu’ensuite, fidèle à tes anciens travaux,
Tu t’en ailles, si c’est utile, de nouveau.

JEAN

Que je parte ?…

LE PÈRE

Que je parte ?… Oui ! Veux-tu te mettre à travailler
Ici ? Veux-tu rentrer tantôt dans l’atelier ?

Jean fait un geste découragé.

Soit !… Mais alors, va-t’en travailler autre part
Mon garçon. Je comprends que rien ne te prépare

Chez nous, à retrouver la force nécessaire ;
Il te faut un milieu jeune et vivant. Ta mère
Et moi nous sommes vieux…

JEAN

Et moi nous sommes vieux… Où voulez-vous que j’aille ?

LE PÈRE

N’importe où ! Plus là-bas ! Après tout, on travaille
Avec autant d’ardeur aux Pays-Bas qu’à Rome.
Pourquoi n’irais-tu pas visiter ce jeune homme,
À Anvers, ce Rubens qu’on prône à la folie ?
On dit qu’il est resté longtemps en Italie,
S’il n’est pas un grand peintre, il peut faire un bon maître,
Donner un bon conseil, te parler d’art ?…

JEAN (sans courage)

Donner un bon conseil, te parler d’art ?… Peut-être.

LE PÈRE

Peut-être ? Non. Il faut me dire : « C’est promis ! »
Et nous redeviendrons alors les bons amis
D’autrefois…

JEAN (touché par cette bonté)

D’autrefois… C’est promis ; si ça vous tranquillise,
Je partirai…

LE PÈRE (entendant les notes lointaines d’un carillon)

Je partirai… Voici le retour de l’église…

Il revient vers Jean.

Et sans tarder ?

JEAN

Et sans tarder ? Oui.

LE PÈRE

Et sans tarder ? Oui. Bien. C’est bien. Je te retrouve.
Mais il faut maintenant que ta mère l’approuve…

JEAN

Dites-le lui ; cela vaut mieux !

Jean sort à droite. La mère et Kaatje, endimanchées, leur livre d’heures en main, entrent par le fond.
KAATJE (joyeusement)

Dites-le lui ; cela vaut mieux ! Comme il fait beau !
Comme il fait bon ! Nous avons pris le long de l’eau.
Le soleil est déjà brûlant comme au mois d’août,
Et l’air a un parfum qui vient on ne sait d’où,
Car on y sent les flots, les roses et le miel,
Et c’est si doux qu’on croit sentir l’odeur du ciel !

LE PÈRE

Eh ! petite, pourquoi donc parlez-vous si bien ?

KAATJE

Parce que je me sens heureuse et qu’il n’est rien
Que je trouve meilleur et qui m’émeuve autant
Qu’un bel après-midi de dimanche au printemps !

LA MÈRE

Jean n’était pas ici ?

LE PÈRE

Jean n’était pas ici ? Oui ; nous causions ensemble,

LA MÈRE

Comment est-il ?

LE PERE

Comment est-il ? Toujours sombre ; mais il me semble
Un peu mieux cependant.

LA MÈRE (tristement)

Un peu mieux cependant. On lui parle ; on s’étonne
De le voir écouter les avis qu’on lui donne ;
Puis quand on a fini de lui parler, on sent
Qu’il est un peu plus loin de vous, qu’en commençant !

LE PÈRE

Non, non, femme ! Il va mieux ! Il n’est pas enjoué
Bien sûr ; mais j’ai tâché d’un peu le secouer
Tantôt ; je lui ai dit, qu’il se doit à son art,
Et puis…

LA MÈRE

Et puis… Et puis ?…

LE PÈRE (hésitant)

Et puis… Et puis ?… Que s’il faut qu’un nouveau départ
L’éloigne — pas trop loin de nous — pour quelques mois —
Tu saurais supporter ce tourment comme moi.

LA MÈRE (anxieuse)

Ensuite ?

LE PÈRE

Ensuite ? Il a dit non d’abord, puis a compris
Que son pardon et son salut sont à ce prix.
Il partira.

LA MÈRE

Il partira. Pour où ?

LE PÈRE

Il partira. Pour où ? Pour Anvers ; dans trois jours.

Affectueusement.

Il faut que ton courage encor soit son secours !
Il faut l’aider ! Il doit sortir de sa torpeur !

LA MÈRE

J’y ai pensé ! Mais ce remède me fait peur !

LE PERE

Pourquoi donc ? Quel remède est meilleur que l’étude ?
Crains son désœuvrement !

LA MÈRE

Crains son désœuvrement ! Oui ; mais sa solitude ?
Depuis qu’elle est partie, il n’est plus en état
De vivre seul ! Il a pleuré ; mais il resta !
Parce qu’il a besoin, sans même s’en douter,
D’avoir auprès de lui nos cœurs pour l’écouter !

LE PÈRE

C’est parfait ; toutefois le meilleur témoignage
De notre amour vaut-il des amis de son âge ?
Un milieu plus vivant ? Dans le nôtre il s’isole…

LA MÈRE

Pour oublier, il faut d’abord qu’il se console !
Si le déchirement d’un pareil abandon
N’a pas blessé son cœur d’un chagrin sans pardon,
Je crains qu’il ne soit faible et ne succombe au charme
De consolations plus tristes que ses larmes !

LE PÈRE

Son courage n’est pas à ce point déprimé !
Quoi ? Parce qu’il aima…

LA MÈRE

Quoi ? Parce qu’il aima… Parce qu’il fut aimé !
Il connut ce bonheur, et, sachant ce qu’il vaut,
S’il se guérit au point d’y songer de nouveau,
N’éprouvera-t’il pas dans le fond de son âme,
L’obscur pressentiment que, seuls, des yeux de femme,
En offrant leur sourire à ses yeux désolés,
Effaceront les pleurs qu’une autre a fait couler ?

LE PÈRE

Soit !

LA MÈRE

Soit ! Mais, découragé, seul, éloigné de nous,
S’il s’abandonne aux premiers mots qui seront doux
D’un amour consolant, mais indigne de lui,
Ne préfères-tu pas son chagrin d’aujourd’hui ?

LE PÈRE

Encore faudrait-il qu’il consente à s’éprendre…

LA MÈRE

Ce cœur endolori s’offre à qui veut le prendre !

LE PÈRE (impatienté)

Il aurait donc perdu tout respect de soi-même !
Ne sais-tu pas…

LA MÈRE (pleurant)

Ne sais-tu pas… Je sais qu’il a besoin qu’on l’aime,
Qu’on prenne doucement son cœur et le réchauffe,
Et c’est parce qu’il faut qu’une femme le sauve,
Pour me le rendre heureux tel que je l’ai rêvé,
Que je songe en pleurant à qui va le sauver !

LE PÈRE

Voyons…

LA MÈRE

Voyons… Ah ! s’il le faut, qu’il parte !

LE PÈRE

Voyons… Ah ! s’il le faut, qu’il parte ! Tu t’agites !

LA MÈRE (sortant à gauche)

Non, laisse-moi pleurer !

LE PÈRE (à Kaatje qui, dans un mouvement de tendresse veut la suivre)

Non, laisse-moi pleurer ! J’y vais, reste. Ah ! petite,
Si nous ne t’avions pas, grand Dieu !

Il la serre dans ses bras.
KAATJE (en l’embrassant)

Si nous ne t’avions pas, grand Dieu ! Mais vous m’avez !

Le père sort à gauche. Seule, Kaatje demeure rêveuse, debout auprès de la table, puis répète ces mots, en essuyant une larme :

Et je songe en pleurant à qui va le sauver !…

À ce moment, Jean rentre par la porte de droite. Il est sombre. Sans regarder Kaatje, il remonte vers le fond de la chambre.
KAATJE (timidement)

Tu sors ?…

JEAN

Tu sors ?… Non.

KAATJE (après un silence)

Tu sors ?… Non. Le jardin est tout fleuri…

JEAN

Tu sors ?… Non. Le jardin est tout fleuri… J’en viens.

KAATJE (après un nouveau silence, s’approche de la fenêtre)

Puis-je ouvrir ?

JEAN (indifférent)

Puis-je ouvrir ? Si tu veux.

KAATJE (ouvre la fenêtre. Elle regarde Jean, puis,
après avoir hésité)

Puis-je ouvrir ? Si tu veux. Pourquoi ne fais-tu rien ?

JEAN (brusquement)

Toi aussi ?… Je t’en prie !… Assez de réprimandes !

KAATJE (prête à pleurer)

Oh ! ce n’est pas pour moi que je te le demande,
Tu le sais bien !

JEAN

Tu le sais bien ! Pour qui ?

KAATJE

Tu le sais bien ! Pour qui ? Pour mère ! Elle a pleuré
Tantôt ! Elle te voit toujours désespéré…

JEAN

Mais non !…

KAATJE

Mais non !… Distrait de tout, sinon de ta souffrance ;
Elle attend un effort…

JEAN

Elle attend un effort… J’en fais plus qu’on ne pense !

KAATJE

Hélas ! Je sais !

JEAN

Hélas ! Je sais ! Oh non ! Tu ne t’en doutes pas !…
Mais à quoi bon parler encore de cela ?

KAATJE

Si tu voulais pourtant…

JEAN (impatienté)

Si tu voulais pourtant… Si je voulais quoi ? Certes
Le reproche est aisé ! On raisonne, on disserte,
On dit : « Si tu voulais, ce serait bientôt fait ! »
Quand on ne souffre pas, c’est tout simple, en effet !

KAATJE (tristement)

Crois-tu notre tourment à ce point égoïste ?…

JEAN (radouci)

Pardonne-moi ; je suis méchant ; … mais je suis triste !

KAATJE

Je le sais bien. C’est pour cela que je croyais
Donner un bon conseil à ton cœur, inquiet
Et douloureux, qu’il faut soigner comme un malade,
En te montrant ce beau soleil de promenade.

JEAN

Je suis plus triste encor lorsque je me promène !
Chaque pas que je fais, dirait-on, me ramène
Vers un endroit où se réveille un souvenir,
Et le ciel est trop bleu pour ne pas m’attendrir !…

Après un silence :

Et pourtant, je fus presque joyeux, ce matin,
De voir, là, flamboyer tout à coup, le satin,
La soie et le velours de tes tulipes d’ocre
Et de pourpre, qui font les autres fleurs médiocres !
Mes yeux les admiraient, énergiques, tenaces,
Fières d’avoir bravé l’hiver et ses menaces,
L’humidité, les nuits de gel, et, peu à peu,
Superbement ouvert leur calice de feu !
Leur tige était solide et leurs feuilles épaisses ;
Elles n’avaient ni pâleurs tristes, ni mollesses,
Mais une grâce forte et mâle, et l’on voyait
Qu’éclipsant les iris et les premiers œillets
Par la belle santé de leurs couleurs loyales,
Elles se sentaient fleurs maîtresses et royales !
Pendant un bref instant elles m’ont enivré
Comme enivre ce qui est fort, ce qui est vrai,
Et j’eus l’illusion que mes yeux éblouis,
Avaient vu dans ces fleurs l’âme de mon pays !
N’est-ce pas enfantin ?

KAATJE (souriant)

N’est-ce pas enfantin ? Non, je ne trouve pas !

JEAN

Mon pays ! Mais j’espère encor qu’il est là-bas !
Tu sais bien… Mais comment saurais-tu !

KAATJE

Tu sais bien… Mais comment saurais-tu ! Je devine !
Tout ce qui te fait mal, tout ce qui te chagrine

À son écho dans notre cœur et nous alarme,
Et bien sûr, je comprends la raison de tes larmes !

JEAN

Oh ! la raison !…

KAATJE

Oh ! la raison !… Mais oui ! Tu vis ici, loin d’elle ;
Tu l’aimes, et ton cœur lui demeure fidèle,
Et ton devoir te dit qu’il faut le lui défendre,
Et tu souffres, et c’est bien facile à comprendre !

JEAN (sombre)

Non…

KAATJE

Non… Pourquoi dis-tu non ? Et pourquoi t’isoler ?
Ah ! ne crains pas que je cherche à te consoler
Par la compassion de mes soins indiscrets !
Mais, sans tarir tes pleurs ni chasser tes regrets,
— Ce qui te causerait bien du mal au contraire —
Noms voudrions tâcher, un peu, de t’en distraire !

JEAN

Me distraire de quoi ? D’elle ? De Pomona ?
Il t’a surprise aussi, ce nom qui résonna
Sur mes lèvres ! Je l’ai bien vu ! Pourtant, regarde,
Mes yeux sont secs ; et si ma bouche se hasarde

À prononcer le nom qui vient de l’effleurer,
C’est que j’ai résolu de ne plus en pleurer !

KAATJE (affectueuse)

Pourquoi ? Si ton chagrin peut trouver dans les larmes
Quelque soulagement ! Vois-tu, ce qui désarme
Tes parents, désireux de combattre ce mal,
C’est ton renoncement douloureux et total !
S’ils t’entendaient, demain, sans cesser d’être triste,
Leur parler de nouveau comme parle un artiste,
Si, sans cacher tes pleurs cependant, tu voulais
T’asseoir comme autrefois devant ton chevalet,
Cet effort leur ferait un bonheur indicible !

JEAN (lentement)

C’est justement cela qui ne m’est plus possible !
Certes, à tout instant j’ai le soudain émoi
De revoir son image entre le monde et moi,
Et sa forme, son teint, la grâce de ses poses,
Je les retrouve aux tons comme aux lignes des choses.
Mais si je sens alors mon cœur irrésolu,
Je crois bien cependant que je ne l’aime plus,
Et que je souffre moins de ne l’avoir suivie,
Que du vide effrayant qu’elle a fait dans ma vie !

KAATJE (surprise)

Comment ?…

JEAN

Comment ?… Oui ; je t’étonne en te disant cela !
Je me suis figuré quand elle s’en alla
Sans vouloir écouter mon appel éperdu,
Que c’était notre amour seul que j’avais perdu,
Et, frappé de ce coup que j’ai cru meurtrier,
C’est vers son corps qui fut à moi que j’ai crié !
On guérit son amour pourtant ! Je le sais bien !
Mais, trompant votre espoir — et peut-être le mien —
Si je suis demeuré sans courage et sans force
Après l’inattendu de cet affreux divorce,
C’est qu’enfin j’ai compris, comment, abandonné,
J’avais perdu bien plus qu’elle ne m’a donné,
Et que le jour épouvantable de sa fuite,
Elle entraîna dans la nuit d’hiver, à sa suite,
Avec son corps, avec ses yeux, avec ses lèvres,
Tous mes efforts, tout mon courage et tous mes rêves !

S’animant.

Ah ! tu crois ma pensée encore sous son charme,
Tu crois que je l’appelle, et quand tu vois mes larmes,
Tu me dis : « Pleure-la ! Pleure, puisque tu l’aimes ! »
Ce n’est plus elle que je pleure ! C’est moi-même !

KAATJE

Jean, je t’en prie !

JEAN

Jean, je t’en prie ! Oh ! laisse-moi parler un peu
De ces choses ! Crois-moi, je fais ce que je peux.

Je blâme chaque jour mon cœur stérile et lâche ;
Je me dis : Ce matin je reprendrai ma tâche,
Mes doigts pourront refaire un effort qu’ils ont pu,
Et je continuerai mon rêve interrompu !
Puis l’heure passe ; en vain je tente d’éprouver
L’enthousiasme ancien qui me faisait rêver
Aux jeux de la lumière, aux caprices des formes ;
En vain je veux rouvrir sur eux mes yeux qui dorment ;
Rien ! Je ne vois plus rien sur la blancheur des toiles !
Ce cœur n’a plus de foi ! Ces yeux n’ont plus d’étoile !

KAATJE

Jean ! Jean !

JEAN (s’animant encore)

Jean ! Jean ! Rappelle-toi ! Le jour de son départ,
Nous avons discuté ; elle a ri de mon art
En parlant du tableau que je peignais alors.
Tu t’en souviens ? C’étaient mes tons fades et morts,
Mon sujet mal conçu, mon dessin sans beauté !
Elle a parlé du Bronzino ; j’ai protesté,
Et niant sa critique et ses comparaisons,
J’ai dit qu’elle avait tort ! Mais elle avait raison !

KAATJE

Dieu !

JEAN

J’avais mis en elle — et ce fut ma folie ! —
Le culte que mon art vouait à l’Italie !

Elle était le vivant souvenir de ma foi ;
Et lorsqu’il m’arriva de douter quelquefois,
J’ai retrouvé ma force et ma ferveur première,
En reposant mes yeux sur ses yeux de lumière !
Son regard rassurait ma pensée hésitante ;
Je songeais : Elle sait la gloire qui me tente,
Son amour m’encourage et m’aide à la vouloir !
Mais elle s’est enfuie aussi loin que la gloire ;
Je suis sûr désormais de ne plus les atteindre.
Et je n’ai plus d’amour, et je ne sais plus peindre !

KAATJE (essayant de le calmer)

Ah ! c’est tout doucement qu’il faudrait ranimer
Ton courage ! Il faudrait…

JEAN (sans l’écouter)

Ton courage ! Il faudrait… Je me suis enfermé
Là-haut, les premiers jours, souviens-toi ! J’ai voulu
M’abrutir de travail, et, sans y penser plus,
La laissant s’éloigner et courir les grand’routes,
Terminer mon dernier tableau, coûte que coûte !
Mais comment dire, hélas ! mes efforts, leur misère,
Mon découragement dans l’atelier désert
Où parfois mon esprit chavirait dans ses rêves ?
Devant moi, je voyais passer, passer sans trêve,
Un cortège inouï d’images immobiles !
Apollon couronné chantait près des sybilles ;

Un damné traversait de sa chute soudaine
L’ample sérénité de l’école d’Athènes ;
Les vierges et les martyrs, les saintes ingénues,
S’unissaient dans l’Olympe à des déesses nues,
Et tandis que vous m’affoliez de vos tumultes,
Héros de tous les temps et dieux de tous les cultes
J’entendais se mêler dans un concert étrange,
Les chants de Raphaël aux cris de Michel-Ange !

KAATJE

Mais jadis, cela fut ta force !

JEAN (exalté)

Mais jadis, cela fut ta force ! Ah ! n’en crois rien !
Je suis anéanti par cet art italien
Dont la splendeur m’attire et m’étreint et m’écrase !

KAATJE

Autrefois, tu disais pourtant…

JEAN

Autrefois, tu disais pourtant… C’étaient des phrases !
Ah ! ces peintres ! Comme un enfant j’ai cru pouvoir
Les égaler !

KAATJE

Les égaler ! Mais ton tableau…

JEAN (ricanant, se dirige vers les marches du fond)

Les égaler ! Mais ton tableau… Tu veux le voir,
Mon tableau ? Le Festin ! Tous les dieux réunis !

KAATJE (tandis que Jean gravit les marches)

Il est fini ?…

JEAN (avec un éclat de rire)

Il est fini ?… Mais je crois bien qu’il est fini !

Entrant dans l’atelier.

Tu vas voir ! Tu vas voir !

Il a ouvert rapidement la porte, disparut un instant, puis revient, tenant en main une grande toile entièrement lacérée ; il la brandit en descendant les marches.

Tu vas voir ! Tu vas voir ! Tiens ! Regarde ! Contemple !

KAATJE (avec un cri)

Mon Dieu !

JEAN (s’exaltant de plus en plus)

Mon Dieu !Nouveau Samson, j’ai renversé le temple !
J’ai déchiré l’azur de mes mains redoutables !
Regarde ! Le nectar a coulé sur la table,
Et le repas divin se termine en orgie !
Ah ! j’aurai bien peiné cette mythologie !
Mes doigts ont commencé, mes poings ont fait le reste !
Mais le chef-d’œuvre est prêt, car mettant dans mon geste

Ce que j’avais encor de force et de courage,
Par un dernier crachat j’ai signé mon ouvrage !

En sanglotant, il jette la toile dans un coin de la chambre.
KAATJE (l’implorant)

Jean ! Jean ! Je t’en prie !

JEAN (se passe la main sur le front et se calme brusquement)

Jean ! Jean ! Je t’en prie ! Oui ; c’est vrai ; je gesticule
Comme un gamin, et tous ces cris sont ridicules !
C’est fini ! Mes pinceaux sont là ! Pleurons sur eux !

Tristement.

Ah ! ce chagrin vaut bien un chagrin d’amoureux,
Je t’assure ! Des mots d’amour, on en retrouve !
Mais un cœur, éprouvant ce que mon cœur éprouve,
Une pensée émue au frisson de la mienne
Et qui rallume en moi la flamme et l’entretienne,
Hélas ! où retrouver cela ?

KAATJE (après un long silence, parlant avec peine)

Hélas ! où retrouver cela ? Que vas-tu faire ?
Il faudrait…

JEAN (avec un geste las)

Il faudrait… Oui, je sais, m’en aller ! Tantôt père
M’a parlé d’un nouveau départ. Je partirai !

Amèrement.
J’irai voir comment font les artistes, les vrais !

Et je promènerai chez eux, de ville en ville,
Mon cœur désabusé de son rêve inutile !
Allons ! ne parlons plus de cela !…

Après un silence, il remonte vers le fond et regarde par la fenêtre

Allons ! ne parlons plus de cela !… Quel soleil
Éblouissant !

Il rêve un instant.

Éblouissant ! C’était par un printemps pareil,
Que je m’en suis allé gaîment vers l’Italie !
Ah ! comme la gaîté meurt en mélancolie !
Quel silence ironique après l’appel des Muses !

Pendant qu’il prononçait ces dernières phrases, Kaatje, le cœur lourd, s’est assise près de la fenêtre ; machinalement elle a posé sur ses genoux son coussin de dentellière et s’est remise à la besogne. Jean s’approche d’elle distraitement, puis la regarde travailler. Au bout d’un instant il lui dit :

C’est un joli dessin… Très joli… Ça t’amuse ?

KAATJE (péniblement, avec un sourire triste)

Oui ; c’est mon art à moi ; mon pauvre petit art…
Je l’aime d’exiger seulement mon regard
Pour conduire le jeu de mes mains cadencées,
Et de laisser tout son caprice à ma pensée…

JEAN

C’est difficile ?

KAATJE (tout doucement et de plus en plus émue)

C’est difficile ? Non ; puis ce que j’aime encore,
C’est de voir, peu à peu, point par point, mes décors

Les plus majestueux comme les plus subtils,
Naître, mystérieusement, d’un peu de fil…
Il ne faut rien qu’un peu de fil… Mes mains le nouent
Si vite et si gaîment qu’on dirait qu’elles jouent
Du clavecin… Quelques épingles, peu de chose,
Et voici cependant des étoiles, des roses,
Des palmes qui vont l’une à l’autre s’enroulant,
Et ce n’est que du fil, rien qu’un peu de fil blanc…
L’heure passe, mes doigts travaillent, et, tandis
Que légère comme un oiseau du paradis,
La dentelle apparaît, peu à peu, point par point,
L’âme légère aussi, je suis mon rêve, au loin,
Battant de l’aile comme une voile qui cingle…
Il ne faut rien qu’un peu de fil et des épingles…

JEAN (attendri)

Et ce rêve ? Où va-t-il ?

KAATJE (relevant la tête)

Et ce rêve ? Où va-t-il ? J’aurais bien de la peine
À te le dire ! Un rien l’éveille et puis l’entraîne.
Mais il reste, en dépit de ses métamorphoses,
Le rêve d’une enfant qui sait si peu de choses !

JEAN

Comment ?

KAATJE

Comment ? Je ne sais rien ! Si j’en avais un doute
Il suffirait que tu me parles ! Je t’écoute ;

Tu me dis ce que l’art commande ; tu essaies
D’accorder mon esprit au vol de ta pensée ;
Je vois tes yeux fixés sur ton but idéal ;
J’entends bien que c’est beau… Mais je comprends si mal !

JEAN

Mais non !

KAATJE

Mais non ! Oui. J’avais cru te comprendre autrefois !
Était-ce ton accent, la fièvre de ta voix,
L’enthousiasme ardent qu’elle me révélait ?…
Mais quand tu m’as montré ce pays de palais
Où la beauté s’offrait en fleurs épanouies,
Comment n’aurais-je pas été tout éblouie ?
Puisque tu le disais, j’ai cru que c’était là,
Chez ces peintres qu’aucun des nôtres n’égala,
Qu’en t’inspirant de leurs tableaux les plus fameux,
Tu pourrais devenir un grand peintre comme eux !
Mais depuis ton retour je regarde, je pense,
Je tremble de l’effort auquel tu te dépenses,
Le vertige me prend du songe qui t’enivre,
Et je sens ma pensée incapable à te suivre !…
Ah ! ne t’afflige pas d’entendre ces paroles ;
Je ne suis qu’une enfant ! Mais ce grand art m’affole
À présent ! L’Italie apparaît à mes yeux
Comme un jardin rempli de bosquets merveilleux
Qui s’étagent au gré des pentes galonnées,
Mais dont toutes les fleurs seraient empoisonnées !

JEAN

Non ! L’odeur est divine et ces fleurs ont raison !
Les incapables seuls y trouvent du poison !

KAATJE

Les incapables ?

JEAN (amèrement)

Les incapables ? Oui. Je n’étais pas de taille
À livrer ce combat ; j’ai perdu la bataille !
Les vaincus seuls ont tort et c’est tant pis pour eux !
Et c’est juste après tout !… Mais c’est si douloureux,
Quand la réalité, tout à coup, vous convainc
Que le rêve était fou ; que l’effort était vain ;
Qu’ayant un idéal hors d’atteinte pour cible,
On a tiré vers lui des flèches impossibles,
Et qu’après tant d’élans vers les biens qu’on préfère,
On n’en a rien ! Et qu’il n’y a plus rien à faire !

En prononçant ces derniers mots, Jean s’est assis, accablé, sur un siège un peu éloigné de Kaatje et demeure longtemps pensif. Kaatje, toujours assise près de la fenêtre, ne travaille plus ; elle semble absorbée par sa pensée.
KAATJE (après un long silence, et comme en ne parlant
que pour elle-même, à voix basse)

Plus rien à faire ?… Hélas !… Et pourtant, il me semble
Que puisque rien de ces gens-là ne nous ressemble,
Il vaudrait mieux ne pas les imiter… S’ils vont
Par des chemins plus beaux que ceux que nous suivons,

Ce qui fait avant tout leur talent surhumain,
C’est d’aller vers leur but, en suivant leur chemin ;
Ils pleurent leurs tourments comme ils chantent leurs joies,
Et s’ils peignent des dieux si beaux, c’est qu’ils les voient !…
Je songe alors : Pourquoi ne pas faire comme eux ?
Ils aiment leur azur ; aimons nos ciels brumeux ;
Et si notre soleil darde moins de rayons,
Qu’importe ! Peignons-le tel que nous le voyons !
Ah ! ce n’est pas possible à celui qui s’exile ;
Mais cela me paraît si simple, si facile,
Pour l’artiste qui peint dans son pays natal !…

Jean a levé la tête ; il écoute ; Kaatje, alors, hésite un peu,
mais continue pourtant.

… Je me trompe bien sûr… Je dis cela bien mal…
Car je divertirais mon esprit et mes yeux
Des combats des titans et des festins des dieux,
Et je rapporterais du voyage de Rome,
L’orgueil d’avoir aimé l’œuvre de ses grands hommes !
Mais au lieu d’imiter leurs tableaux grandioses,
Si je peignais alors, ce serait d’autres choses.
Puisqu’on ne peut livrer son âme tout entière,
Qu’à celles qu’on connaît, qui lui sont familières,
Qu’on a là, dans sa vie, et qui, tant on les aime,
Donnent l’impression d’être un peu de soi-même !
Simples, telles que chaque aurore les éveille,
Elles m’enchanteraient sans fin de leurs merveilles ;
Mes yeux leur souriraient ; toutes en seraient dignes.
Je connaîtrais si bien leurs couleurs et leurs lignes,

Que mon œuvre en serait le beau portrait vivant !
Ah ! l’on n’y verrait pas Jupiter enlevant
Europe, sur la mer, au clair éveil du jour ;
Mais j’y mettrais du moins tant de soin, tant d’amour,
Que devant cet aveu de ma tendresse émue,
On sentirait toute son âme qui remue…
Au doux plaisir de voir mêlant ma rêverie,

Je vais m’asseoir dans la prairie,
Parmi les fleurs et l’herbe grasse ;
Je place là mon chevalet,
Devant le tableau qui me plaît
Par sa grandeur ou par sa grâce.

Je regarde attentivement
Les champs de seigle et de froment,
Les saules gris, les ormes verts,
Le ciel, les plantes et les bêtes,
Et tout ce que mes yeux reflètent
Depuis que Dieu les a ouverts.

Puis, je peins, doucement ravie,
Comme si je peignais ma vie
Au milieu du bel horizon,
Car je mêle à l’œuvre ainsi faite,
L’émotion la plus secrète
De mon bonheur à la maison…

S’adressant à Jean plus directement.

Oui, je songe à celui qui choisirait pour tâche
De nous faire éprouver la beauté qui s’attache
Aux décors de chez nous, reflétés fervemment
Par le miroir pensif de ses beaux yeux flamands !
S’il peignait, librement dans sa sollicitude,
Ce monde dont notre âme a la douce habitude,
Quand il nous l’offrirait dans son œuvre achevée,
Belle d’être réelle et non d’être rêvée,
Peux-tu croire qu’un seul parmi ceux qui l’entourent,
Ne lui sourirait pas d’un sourire d’amour ?
Ayant touché nos cœurs, exalté nos esprits,
Penses-tu qu’il vivrait solitaire, incompris ?
Que personne, aux instants où sa force est rebelle,
Ne lui dirait : J’ai foi dans ton œuvre ; elle est belle !
Et que pour reposer son front découragé,
Il devrait s’endormir contre un cœur étranger ?

S’animant et lui montrant la campagne ensoleillée.

Ah ! regarde ! Aussi beau qu’un tableau de légende
Ou d’histoire, ce vaste horizon de Hollande,
Avec son fleuve lent, ses moulins dans les branches,
Et leurs ailes en croix sur le ciel du dimanche !
Regarde le canal où se mire en tremblant
Le voyage éternel des beaux nuages blancs !
Ô ! décor de sa vie, embrasé de soleil,
Soyez son bel exemple après son bon conseil !
Dites-lui que l’on peut faire une œuvre immortelle
En aimant son pays, en lui restant fidèle,

En mettant sur sa toile avec votre lumière,
La bonne intimité des choses coutumières,
La ville, le jardin, la maison des parents,
La vieille chambre où rôde un parfum pénétrant,
Fait d’ordre, de bien-être et de fleurs invisibles…

Jean, depuis longtemps, a écouté Kaatje avec plus d’attention. Il s’est levé, ému, quand elle lui a montré, toujours assise près de la fenêtre et baignée par les rayons du soleil couchant, le bel horizon de son pays. Peu à peu, il a semblé plus touché par ses paroles et maintenant, soudain, il l’interrompt et continue, la voix tremblante :
JEAN

Et, près de la fenêtre où son profil, paisible,
Baigné par la clarté du jour à son déclin,
Se penche doucement sous sa coiffe de lin,
Celle dont le cœur clair et simple me révèle
Un monde palpitant d’une beauté nouvelle !
Ah ! Kaatje… dis-tu vrai… Me montres-tu ma voie ?…

De plus en plus ému.

Mais pour m’avoir donné, tout à coup, tant de joie,
Pour avoir deviné mon cœur mieux que moi-même…
Kaatje… tu m’aimes donc un peu ?

KAATJE (qui s’est levée, très émue et très simplement)

Kaatje… tu m’aimes donc un peu ? Ah ! si je t’aime !…

JEAN (prêt à pleurer)

Ô mon bonheur ! Mon art ! Vous ai-je retrouvés ?
Ah ! petite, bonne petite !…

Il s’approche de Kaatje et pose, en pleurant de joie, son front sur l’épaule de la jeune fille. Et tandis que, de la main, elle lui caresse les cheveux, le père, puis la mère apparaissent au seuil de la porte de gauche et s’arrêtent surpris.
KAATJE (se tournant un peu vers les parents, leur dit doucement,
avec un sourire de bonheur)

Ah ! petite, bonne petite !… Il est sauvé !…