Kachmir et Tibet, étude d’ethnographie ancienne et moderne/01

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EN ASIE

KACHMIR ET TIBET

ÉTUDE D’ETHNOGRAPHIE ANCIENNE ET MODERNE


Séparateur

À la précédente réunion de la Société d’anthropologie — 16 mars 1882 — M. de Ujfalvy, récemment revenu du Kachmir et du Tibet, a fait, avec son entrain habituel, le pittoresque récit de son lointain voyage.

Notre collègue nous a parlé de la navigation sur les outres, d’un incident d’immersion ; il a énuméré les mensurations qu’il a pratiquées et nous a dit les applications ethniques qui, dans son esprit, en découlent ; il a parlé de la polyandrie au Tibet et d’un stigmate circulaire que portent sur le vertex les Tibétains des deux sexes ; enfin, par une insinuation pleine de bonhomie, il a si bien su aiguiser notre curiosité à l’endroit des dames asiatiques, que le colloque s’est franchement ouvert entre nous sur le commerce qu’elles feraient, en concurrence avec les danseuses et les bayadères, de tout ce qu’elles ont d’aimable.

La plupart des sujets qu’a touchés M. de Ujfalvy appellent, à mon avis, ici des observations, là des distinctions et ailleurs des compléments. Je demande à m’en expliquer.

Il est telles parties des communications de M. de Ujfalvy qui ne me retiendront pas longtemps ; d’autres, au contraire, et c’est la plus grande somme, voudront quelques développements. En tous cas, c’est un peu de temps et de patience que je sollicite de votre bienveillance, espérant bien, s’il vous plaît de m’entendre, que vous n’aurez pas à le regretter.



I

La navigation au moyen des outres est une confidence qui ne peut point nous arrêter. Ce mode de navigation est pour nous tous ici un souvenir d’école, un écho déjà vieux de deux mille deux cents ans. Quinte-Curce, le classique Quinte-Curce, nous a appris à tous que l’armée d’Alexandre de Macédoine a traversé l’Oxus sur des outres[1], et la Seine à Paris nous donne journellement le spectacle de cette navigation primitive[2].

II

L’anecdote héroï-comique de l’immersion de la dame tibétaine et de son sauvetage par un officier anglais doit, au contraire, à mon gré, attirer notre sérieuse attention.

Dans son ensemble, cette aventure porte en soi une valeur ethnique immédiate et réelle. Elle n’est plaisante ici que parce qu’elle est hors de son cadre naturel. La transplantation en modifie l’aspect. C’est une étrangère produite à l’improviste dans un milieu français. Sa gaucherie nous amuse. Il y a là pour nous une illusion d’optique ; nous voyons le plongeon de la dame tibétaine à travers nos sentiments et nos lois. »

Mais, pour un instant, faisons abstraction de notre éducation ; oublions ce sage axiome de notre droit civil, qui nous enseigne que la mauvaise foi et les mauvaises intentions ne se présument pas[3] et transportons-nous au Tibet, où il en est tout autrement.

Là nous verrons les dames qui nous ont été représentées comme tendres à la tentation du péché et toujours prêtes à s’y livrer, fort dignes au contraire, sans cesse épiées et d’ailleurs en état perpétuel de suspicion. Un coup d’œil échangé avec un homme ; une conversation un peu prolongée avec un homme ; la rencontre fortuite d’un homme et d’une femme en cours de visite ; le fait de badiner avec les agréments des vêtements d’une femme[4] ; chacune de ces circonstances, frivoles à notre avis, constitue, dans l’Inde et les pays adjacents, le crime d’adultère au premier degré, et, pour l’expiation de ce crime, la femme peut subir une punition corporelle et l’homme, d’avance et nécessairement son complice, payer une amende assez forte aux maris offensés.

Justement dans le cas cité, la présomption d’adultère était, suivant le code des Gentoux, qui par Bénarès[5] reflète au Tibet, plus vivement accentuée.

Prendre et porter une femme dans ses bras sans résistance de sa part[6] constitue contre l’homme et la femme le crime d’adultère au troisième degré et le plus grave ; et il est certain que, pour sauver cette femme en danger, son sauveteur a dû la prendre à bras-le-corps et la serrer sans résistance de sa part. Aussi, et dans ces conditions, c’est à bon droit — à bon droit tibétain, j’entends — que les maris de la dame immergée ont pu suspecter l’officier anglais d’intentions adultères et, pour ce fait, lui réclamer une indemnité. Nous avons quelque chose d’analogue dans notre Occident. On dit en Espagne : Ne touchez pas à la reine ! Or, il y a vingt-cinq ou trente ans, un accident arriva à la voiture de la reine d’Espagne. Elle allait faire une chute fâcheuse, quand l’officier de service la soutint et para la chute. Par le fait même de son intervention dévouée, l’officier espagnol, qui, comme l’officier anglais au Tibet, avait rempli son devoir d’homme de cœur, avait mérité la mort et il fallut un indulto royal pour le relever de la peine encourue.

Revenons au Tibet et au Kachmir.

III

M. de Ujfalvy a pratiqué ici et là des mensurations ; il a examiné autant qu’il a pu et d’aussi près qu’il a pu les bruns et les blonds et ses observations l’ont amené à conclure que les Durdis et les Baltis, dont quelques familles se rencontrent au nord du Kachmir et du Tibet où elles habitent, pourraient bien représenter de nos jours, par continuité, la souche des habitants primitifs du Kachmir et du Tibet.

Cette question ne se présente point à mon esprit aussi simple qu’elle paraît s’être offerte sur les lieux à l’esprit de notre collègue.

Je n’ai pas aperçu, dans l’exposé qu’il nous a fait de ses recherches ethniques au Kachmir et au Tibet, une préoccupation quelconque des exigences de l’antiquité historique, dont, ici comme ailleurs, il y a lieu cependant de tenir grand compte.

Je ne dis pas que l’antiquité historique fasse absolument échec aux acquisitions spéculatives de notre collègue ; mais il est certain que son intervention peut, sur pièces authentiques, mettre à la présence séculaire des Dardis tels qu’il nous les dépeint et sur les territoires qu’il leur assigne, un empêchement matériel d’une grande puissance.

M. de Ujfalvy n’est pas le seul voyageur qui confine les Dardis sur les territoires sis au nord du Kachmir, où il les désigne comme un des contingents de la primitive population de la haute Asie.

Klaproth, dans ses Tableaux historiques de l’Asie, ne fait aucune allusion aux Dardis quand il y parle du Tibet et du Kachmir ; mais l’itinéraire du Kachmir au Tibet que contient le second volume du Magasin asiatique[7], publié en 1826, signale les Dardis comme gens à craindre et dangereux[8], et, sur la carte de l’Asie centrale[9] qui parut dix ans plus tard, dressée sur les plans levés par ordre de l’empereur de Chine Khian-Loung, les versants septentrionaux des montagnes qui gisent au nord du Kachmir sont, par Klaproth, affectes aux Dardis.

Au Congrès international des sciences ethnographiques, en 1878, le docteur Leitner, de Lahore, a signalé de son côté à l’attention de ses nombreux auditeurs les Dardis, qui, à l’en croire, ont dû, à des époques qu’il n’a pas précisées, occuper le vaste territoire comprenant tous les pays situés entre Kaboul, le Badakhshan et le Kachmir. Ce serait, dit le docteur Leitner, un triangle ayant pour base Peshawer[10].

Enfin le colonel Prjévalski, dans son livre Mongolie et pays des Tangoutes, parle aussi des Dardis, dont il orthographie le nom Daldis[11] et voici le portrait qu’il nous fait du type Daldis[12] :

« Les Dâldis ressemblent beaucoup plus aux mahométans[13] qu’aux Chinois. Ils vivent sédentairement et sont agriculteurs.

« Leur visage est plat et à pommettes saillantes, leurs yeux et leurs cheveux sont noirs. Les hommes se rasent la barbe et la tête, mais portent la queue comme les Chinois. Les jeunes femmes réunissent leurs cheveux sur la nuque et se revêtent avec une sorte de parure en cotonnade de forme carrée. Les femmes âgées ne font pas usage de cette coiffure, mais disposent leurs cheveux en tresses tombant sur les épaules. L’habillement des deux sexes est le même que celui des Chinois avec lesquels ils vivent. Leur religion est le bouddhisme… Les Mongols disent des Daldis qu’ils sont de mauvaises gens et de petits esprits. »

C’est dans la province mongole de Han-Sou ou Kan-Sou que le colonel Prjévalski a rencontré les Daldis.

Cette province de Han-Sou ou Kan-Sou[14] est, par rapport au Kachmir, plus élevée dans le nord de 6 degrés environ, soit 150 lieues en ascension directe, avec un éloignement oblique vers l’est de plus de 20 degrés, soit 500 lieues.

Le colonel Prjévalski avertit d’ailleurs ses lecteurs qu’il n’a pu se procurer sur cette race aucun renseignement particulier[15]. C’est là une circonstance regrettable.

Apparentés par leur nom, les Daldis du colonel Prjévalski et les Dardis de M. de Ujfalvy s’offrent à nous avec des traits absolument disparates. Ceux-ci sont Aryas, ceux-là sont Mongols, et le résultat de l’enquête à laquelle je vais me livrer sera de faire des uns ou des autres des Dardis d’exil, des Dardis vaincus et transportés ; en définitive, un produit de valeur historique sans doute, un produit qui pour des études spéciales pourra, par sa présence ici ou là, indiquer des faits et en certifier la position, mais hors de portée comme originalité ethnique.

Quant aux Dardis de M. le docteur Leitner, nous savons tous quelle a été leur mésaventure.

Le docteur Leitner, pour rendre plus facilement intelligibles les communications verbales qu’il se proposait de faire au Congrès des sciences ethnographiques, avait pris soin de faire exécuter, au trait et en photographie, les plans, dessins et figures des contrées, des villes et des races diverses dont il aurait à parler. Cet ensemble de documents était à la disposition des intéressés. Or, l’examen que fit de ces plans, dessins et photographies M. le docteur Daily le convainquit que les types d’hommes représentés en photographie étaient en complet désaccord avec les indications verbales du docteur Leitner.

Au lieu du type arya, que, dans ses discours, le docteur Leitner donnait, avec le territoire supposé être celui des Aryas primitifs, aux Dardis dont il signalait l’existence au nord du Kachmir, M. le docteur Daily rencontrait un type hindou fortement caractérisé[16].

C’est sur ce même territoire qui a fourni au docteur Leitner ces types Dardis Hindous fortement caractérisés que M. de Ujfalvy a recueilli ses types Dardis Aryas aux yeux bleus et aux cheveux blonds.

Nous avons ainsi trois types de Dardis, tous les trois authentiques, mais dissemblables :

Type Dardi Mongol, du colonel Prjévalski ;

Type Dardi Hindou, du docteur Leitner ;

Type Dardi Arya, de M. de Ujfalvy.

Tous nous viennent en ligne directe de leur pays natal et par les parrains nous avons leur certificat d’origine.

Nous avons de plus l’embarras du choix.

Les notes écrites de M. de Ujfalvy nous fourniront-elles les éléments d’un accord parfait à l’usage particulier de ce brelan de Dardis ?

Pour ma part, je l’espère.

Je n’en veux pas à l’existence des Dardis, tant s’en faut.

Ces Dardis peuvent avoir une valeur ethnique fort considérable. Si nous les trouvons en bon état de conservation, nous aurons en eux le type des Darada des auteurs sanscrits[17]. Ce serait là bien certainement une bonne fortune anthropologique et c’est tout justement en conséquence de l’importance de l’acquisition possible que nous devons être gens sceptiques et de précaution.

Le développement plus précis que donnerait M. de Ujfalvy aux indications un peu lâches qu’il nous a présentées à la hâte peut être l’occasion d’identifications capables de concilier des exigences qui semblent d’abord inconciliables.

J’en sais plus d’un exemple, et c’est avec le désir d’aider à la solution du problème qui se dresse devant nous, que je demande la permission de risquer ici quelques confidences arrachées par l’étude comparative à des livres qui me paraissaient d’abord n’avoir aucun rapport entre eux.

Ces confidences ne sortiront point du programme que les circonstances me tracent. Ce ne sera qu’une brève étude sur une des peuplades qui, dans l’antiquité, ont occupé les territoires situés pour leur partie orientale à 1 100 lieues des frontières occidentales de la Chine, pour leur partie occidentale à 150 lieues de la Sogdiane, et compris du sud au nord entre la latitude du Kachmir et celle de Kachgar.

Il y a là de l’histoire, de l’histoire que l’on ne peut pas supprimer même en faveur des Dardis authentiques que nous recherchons ou plutôt dont nous recherchons l’antique dem eure.

C’est cette histoire que je veux brièvement exposer ; mais, pour procéder avec ordre, sachons d’abord ce que, dans l’antiquité, peuvent pour les Dardis le Kachmir et le Tibet.

IV

Les annales qui nous restent sur le Kachmir sont tout entières renfermées dans la Radjatarangini de Kalhana[18], c’est-à-dire dans l’histoire des rois du Kachmir, histoire écrite avec l’enthousiasme d’un poète d’Orient du douzième siècle (1148), suspecte par conséquent d’exagération, mais non de parti pris d’inexactitude.

Là, quoique, comme dans le Schah-Namèk de Firdousi, la poésie domine l’histoire, nous pouvons cependant apercevoir des enseignements qui ne sont point à négliger, et, par exemple, nous devons croire que si Kalhana donne les Nagas pour premiers ancêtres aux Kachmiriens, c’est que lui, poète national, a quelques bonnes raisons pour faire cette attribution.

Le mot naga signifie serpent, dragon. Il désigne aussi des êtres fantastiques mi-partis hommes et serpents, qui ont leur place au ciel indien, mais nous ne devons pas nous arrêter à la signification qu’à ce mot dans la langue courante ; il faut ne nous en préoccuper ici que pour la valeur ethnique qu’il représente dans l’ouvrage de Kalhana.

M. Troyer a traduit la Radjatarangini et il a fait suivre sa traduction de commentaires en tous points fort remarquables[19].

Ces commentaires, auxquels chacun de nous peut recourir, concluent, quant aux Nagas, en faveur de Kalhana et jusqu’à plus ample informé nous devons accepter la tribu des Nagas comme la tribu mère des tribus aborigènes du Kachmir. Les Darada-Dardis peuvent en sortir, mais c’est là une notion à acquérir et il y a des circonstances qui s’opposent à sa réalisation.

En effet, quant au Tibet, nous sommes sur le fait de l’origine de l’ensemble de la population primitive plus sûrement renseignés que sur celle du Kachmir.

Nous savons d’où viennent les tribus qui ont, dans l’antiquité, peuplé les montagnes du Tibet ; sur une tribu centrale du Tibet, nous avons une légende qui en fait évidemment une tribu de négritos autochtones et nous trouvons la tribu des Darada inscrite seulement parmi les tribus avoisinant au nord la famille mongolo-tibétaine. C’est aux écrivains chinois et aux livres des bouddhistes que nous devons la connaissance de ces particularités dont je vais faire ici l’exposé.

Les historiens chinois, Ma-touan-lin en tête, nous apprennent qu’à une époque, maintenant vieille de cinq à six mille ans, les peuplades qui fondèrent l’empire chinois vinrent des contrées septentrionales, qu’elles durent défricher de grandes et profondes forêts, afin de conquérir le sol sur la primitive nature et pour avoir raison des sauvages habitants indigènes.

Ces sauvages indigènes qui, vivant dans les forêts, tenaient alors les contrées septentrionales de la Chine, sont dénommés par les chroniqueurs chinois Y’, c’est-à-dire Porteurs de grands arcs, et aussi Miao-Tseu, c’est-à-dire Fils des champs incultes.

Toujours poussés de proche en proche, vers le sud, ces sauvages se réfugièrent dans les hautes et difficiles montagnes qui se pressent à l’ouest de la Chine, c’est-à-dire vers le massif tibétain[20].

Là, dans une position facile à défendre, ils ont pu avec des chances diverses maintenir jusqu’au milieu du treizième siècle de notre ère leur complète indépendance[21].

À la première appellation de Miao-Tseu a succédé dans les mémoires de la Chine la dénomination de San-Miao, c’est-à-dire les Trois (tribus de) Miao. Plus tard le mot Khiang désigna l’ensemble de toutes les tribus tibétaines, et la contrée par elles occupée fut indifféremment appelée Si-Jound, c’est-à-dire Pays des barbares occidentaux, et Kouei-fang, c’est-à-dire Pays des démons[22].

Les Tibétains ont sur leur origine une légende qui, je le crois, est d’invention bouddhique. Dire pourquoi je crois cette légende d’invention bouddhique serait trop long, et d’ailleurs hors de propos[23], et je donne ici la légende telle que je la trouve dans les Tableaux historiques de l’Asie par Klaproth :

« Ainsi que toute la nation tubétaine, dit ce sinologue, les Khiang prétendaient être issus d’une espèce de grands singes. Encore aujourd’hui la partie moyenne du Tubet s’appelle Pays des singes. D’après les ouvrages des bouddhistes, ses habitants descendent du singe Sarr Metchin et de sa femelle Raktcha. Ils se glorifient de cette origine et se croient plus anciens que les autres hommes. Jæhrig, qui pendant longtemps a vécu avec les Mongols à la frontière russo-chinoise, prétendait que les traits des Tubétains offrent une grande ressemblance avec ceux des singes. Cette ressemblance, disait-il, se montre principalement chez les vieillards qui parcourent souvent la Mongolie comme émissaires du clergé du Tubet[24]. »

Cette légende est intéressante à plus d’un titre, mais je n’en veux ici retenir que l’enseignement que voici : les hymnes du Rig-Véda abondent en désignations ethniques, et justement, au nombre des peuplades que maudissent presque à chaque stance les hymnes védiques, je trouve les Mletchas — barbares, hommes sans caste — et les Rakchasas — autres barbares, peuple de voleurs. — Et, sans crainte de nous tromper, nous pouvons identifier les noms de Mletchas et de Rakchasas à ceux de Metchin et de Raktcha que portent dans les livres des bouddhistes, invoqués par Klaproth, le singe mâle Metchin et sa femelle Raktcha, donnés comme générateurs des tribus centrales du Tibet.

Abel Rémusat, après Ma-touan-lin, nomme comme tribus du Tibet : les Yang-Thoung, les Si-li et les Thang-Kieou-pa[25] ; mais ce ne sont là que des tribus partielles qui relèvent de l’origine première des tribus du Tibet, qui sont généralement mongoles.

Le P. Huc, dans son Voyage au Tibet, mentionne Tsong-Kaba ; mais c’est là un réformateur, et un réformateur moderne, puisqu’il réforme le bouddhisme, qui date au Tibet du septième siècle de notre ère[26], et non pas une tribu.

En tout cela je ne vois ni Dardis ni Baldis, et je ne sais rien de plus qui soit spécial à l’origine des Tibétains.

V

Mais, sur les tribus diverses qui ont avoisiné à une autre époque les contrées dont une partie dépend aujourd’hui du Tibet, les géographes chinois nous fournissent des indications qu’il nous faut noter ici tout spécialement et étudier avec un soin particulier, car, comme nous l’avons vu, c’est surtout la question de voisinage qui nous intéresse.

Il s’agit, en effet, de savoir qui, dans l’antiquité, des peuples historiques que je dénommerai tout à l’heure, ou des Dardis de Klaproth, du docteur Leitner et de M. de Ujfalvy, — quels que soient d’ailleurs chez ces Dardis le poil et l’ouverture de l’angle facial — a occupé les territoires que M. le docteur Leitner a spécifiés ainsi : « Dans le sens le plus large, le Dardistan comprend les pays situés entre le Kaboul, le Badakhshan et le Kachemyr. Ce serait un triangle ayant pour base Peshawer[27]. »

Dans ces conditions de délimitation, le Dardistan serait l’ensemble des contrées le plus ordinairement et pour des temps anciens dévolues — à tort ou à raison, je ne veux pas le savoir ici, — aux Aryas-Bactriens.

À la question ainsi posée nos classiques : Hérodote, Ctésias, Justin, Pline, Ptolémée, Strabon, Méla, Diodore, doublés aujourd’hui de l’érudition des géographes chinois, répondent : Gètes et Massagètes-Amazones ; MM. Leitner et de Ujfalvy répondent : Dardis.

Je vais, par un court exposé, faire comprendre que dans l’antiquité et même jusqu’au treizième siècle de l’ère moderne les territoires dont nous nous occupons ont été tenus par les Gètes, les Massagètes et leurs congénères, et il nous faudra alors ou accommoder les Dardis à la Massagète, c’est-à-dire identifier les deux peuples, ou renoncer à nous représenter les Dardis comme nous offrant, sur son berceau primitif, la descendance d’une antique tribu de premier essor.

L’écrivain chinois Ma-touan-lin, parlant des contrées situées au-delà des frontières occidentales de l’empire chinois, signale tout spécialement, sous le nom de Youei-chi[28], deux tribus nombreuses assises à peu de distance l’une de l’autre.

De ces deux tribus, l’une est indiquée sous la dénomination de Grands Youei-chi et l’autre de Petits Youei-chi.

Les Grands Youei-chi[29] sont établis à 11 600 ly ou 1 160 lieues environ de la frontière occidentale de la Chine, et se trouvent éloignés de quarante-neuf jours de marche — 150 à 200 lieues — du Khang-kiu, qui est la Sogdiane[30].

Déterminant la position de Khôkhan, Klaproth écrit :

« L’ancien royaume de Ta-wan, qui est le Khôkhan de nos jours, avait au nord celui de Khang-kiu — qui est la Sogdiane, — à l’ouest les Grands Youei-tchi[31]. »

Les Petits Youei-tchi, dit Ma-touan-lin, avaient pour capitale la ville de Fou-leou-cha, Peshawer ; cette ville est au sud-ouest de Pho-lo, qui est Balkh. Ils habitaient primitivement entre Si-phing et Tchang-ye ; leurs habillements avaient beaucoup de ressemblance avec ceux des Kiang, c’est-à-dire les Tibétains[32], auxquels ils ont même été mêlés[33].

Les villes de Si-phing et Tchang-ye sont situées au nord-ouest du Chen-si et le Chen-si est une des provinces occidentales de la Chine ; sa capitale est Si-ngan-fou, dont la position géographique s’exprime par 34° 16′ 45″ latitude nord et 100° 37′ 45″ longitude orientale[34].

Au commencement du septième siècle de notre ère, les Grands Youei-chi avaient réussi à faire mettre un des leurs sur le trône du Khang-kiu, qui est la Sogdiane[35].

Enfin, parlant du Grand-Wan, qui est le Fargana, l’auteur chinois dit que ce royaume se trouve voisin de la Sogdiane au nord et du pays des Grands Youei-chi au midi[36].

Toutes ces indications topographiques placent les Grands et les Petits Youei-chi[37], en prolongement de leur point de départ qui est le nord-ouest de la province de Chen-si, au nord-ouest du Kachmir et au nord du Tibet pour la partie antérieure de leur territoire.

Avec une compétence sans conteste et une persévérance d’ailleurs heureuse, Abel Rémusat a étudié une à une et aussi dans leur ensemble le plus grand nombre des langues tartares[38] ; au cours de son travail, il a su, avec un luxe tout à fait édifiant d’érudition et de preuves, identifier les Grands Youei-chi avec les Massagètes et les Petits Youei-chi avec les Gètes de nos auteurs classiques, et dans une note il fait observer que le nom chinois Ta-Youei-ti est l’équivalent exact du mot Massagètes, qui avait bien certainement la même signification[39].

Cette identification constatée, poursuivons la démonstration de la localisation, telle que je l’ai indiquée, des Gètes et des Massagètes, en n’employant désormais que ces dénominations ethniques.

Nous connaissons tous l’étendue du vaste empire de Cyrus le Grand Vainqueur des peuples qui confinaient à la rive méridionale de l’Oxus, il avait porté ses armes au-delà de ce fleuve et, toujours vainqueur, il avait fondé Cyropolis sur le Jaxarte.

Bientôt une guerre de voisinage éclate, et dans cette guerre, où il périt, c’est aux Massagètes que Gyrus se trouve avoir affaire.

Le territoire des Massagètes, qui, comme nous l’avons vu, avoisine le Kachmir et le Tibet, avoisine donc aussi l’Oxus et le Jaxarte, et, particularité dont nous devons prendre note, ces Massagètes sont les Amazones des classiques grecs et latins, leur pays est gouverné par les femmes, et au temps de Cyrus, nous le savons assez, c’est la reine Tomyris qui le gouverne.

Douze siècles plus tard, c’est-à-dire vers 650 de notre ère, le gouvernement féminin des Massagètes existait encore.

L’histoire des rois du Kachmir, la Radjatarangini, nous fait savoir, en effet, que Lalitâditya, le roi du Kachmir alors régnant, eut vers la fin de son règne à faire la guerre à un peuple voisin de ses États, peuple gouverné par des femmes.Lalitâditya fut vaincu et le poète Kalhana a soin de faire comprendre que ce fut, non point par les armes, mais bien plutôt par les charmes que déploya l’armée de femmes[40] qui lui fut opposée.

Ce peuple voisin du Kachmir et gouverné par les femmes n’est, nous l’avons vu, et ne peut être que les Massagètes.

Par le fait de cette dernière constatation, à l’est comme à l’ouest et même au midi, la position territoriale des Massagètes s’affirme donc plus énergiquement telle qu’elle a été précédemment indiquée.

Les écrivains chinois contemporains du roi Lalitâditya, ceux du temps de la dynastie des Soui vers 585 et ceux du temps de la dynastie des Thang vers 680 signalent, eux aussi, l’existence d’un État gouverné par les femmes au-delà de la frontière occidentale de la Chine[41].

Enfin, les historiens de la dynastie mongole des Yuan (1260) notent purement et simplement — ce qui indique la persistance du fait — que le royaume des femmes est au sud des monts Thsoung-Ling[42] et qu’il n’est gouverné que par des reines[43].

Ainsi, à toutes ses époques, l’histoire de tous les peuples que leur voisinage peut intéresser à cette question ne nous montre que des Massagètes sur les territoires indiqués comme ceux que les Dardis doivent dès longtemps occuper, à en croire les indications précises de Klaproth et de MM. Leitner et de Ujfalvy.

Mais les Massagètes et les Gètes — ces Grands et Petits Youei-chi des géographes chinois — ces Massagètes et ces Gètes dont la présence est signalée et s’est signalée dans le voisinage de la Sogdiane, et même jusqu’aux abords de la mer Caspienne, ces Massagètes et ces Gètes ont, nous l’avons constaté, d’après les écrivains chinois, leur point de départ et d’origine au nord-ouest de la province chinoise du Chen-si, c’est-à-dire dans la Mongolie propre ; ces Massagètes et ces Gètes sont donc, de toute certitude, gens de race mongole.

Comment se peut-il donc faire que nous trouvions des centres Dardis chez eux et sur la route habituelle de leurs caravanes allant de l’Oxus chez les Issedons et inversement ?

VI

La réponse à cette question, réponse que j’ai déjà fait pressentir, c’est que Dardis et Massagètes sont congénères, c’est-à-dire Mongols les uns et les autres.

Faisons la preuve de l’exactitude de cette affirmation.

Les Dardis étant les Darada des auteurs sanscrits, les Daradai des géographes et des historiens grecs et les Daradæ des géographes et des historiens latins, si je parviens à établir la position première des Darada en pays mongol, j’aurai prouvé que les Dardis sont, par origine, des congénères des Massagètes sur les anciens territoires de qui nous trouvons aujourd’hui quelques familles dardis.

Je vais produire, pour faire cette preuve, un témoignage qu’un bouddhiste dirait émané du Bouddha lui-même, et dont, moi, je reporte les bénéfices aux historiens du Bouddha[44]. C’est plus modeste, mais plus exact.

Le Rgya Tch’er Rol Pa, ou « Développement des Jeux », contient l’histoire du Bouddha Çakya-Mouni.

Sous ce titre, cet ouvrage est la version tibétaine de l’original sanscrit du Lalita vistâra.

M. Éd. Foucaux a traduit ce livre et il a accompagné sa traduction d’un commentaire perpétuel.

Le contenu de ce livre passe pour être la parole même du Bouddha, recueillie par Ananda, son cousin, alors auprès de lui à Çravasti, capitale du royaume du Kôçala (l’Aoude actuel), en compagnie d’un grand nombre de bhikchous[45] ou disciples attachés au Bouddha.

Le chapitre X du Rgya Tch’er Rol Pa est tout entier consacré à faire connaître les conditions extraordinaires dans lesquelles le Bouddha, encore enfant, prit sa première et suffisante leçon d’écriture.

C’est le texte d’une récitation impromptue, que fit alors le Bouddha, que j’ai besoin d’invoquer ; il convient donc d’éclairer la scène et de préciser ce texte. Nous sommes chez Viçvamitra[46] le professeur spécial préposé à cet enseignement de l’écriture[47].

Bien entendu, le divin étudiant arrive chez le maître en grand apparat ; il est lui-même fulgurant de splendeur, « Viçvamitra, ne pouvant soutenir l’éclat et la gloire du Bôdhisattvâ[48], tomba prosterné la face contre terre, » mais il fut relevé par un « Fils des dieux » qui du haut des cieux tint à l’assemblée un discours dont voici le début :

« Dans ce monde des hommes, ce qu’il y a de çastras[49], de nombres (saṅg-khyâ), d’écritures, de calculs, de charmes des éléments (dhâtou mantra), de branches innombrables d’arts du monde, celui-ci les connaît depuis des millions de kalpas[50]. Bien plus, il fait l’accord des créatures entre elles ; il mûrit de nombreux enfants pour le meilleur Véhicule… »

Après avoir parlé ainsi, le Fils d’un dieu jeta sur le Bôdhisattvâ une profusion de fleurs et disparut en ce lieu même[51].

Ainsi l’être à qui nous avons affaire, le Bouddha Çakya-Mouni, enfant, est un être qui connaît tout depuis des millions de kalpas, et qui fait l’accord des créatures entre elles, de sorte que, dès à présent, nous sommes avertis que tout ce que dira l’Enfant divin, étant connu de lui depuis longtemps, a, lors même que nous n’y comprenons rien, sa raison d’être pour l’objet de son intention et comme il le dit.

Or « le Bôdhisattvâ, ayant pris une feuille à écrire faite d’essence de sandal des Ouragas, enduite d’une couleur divine, parsemée de paillettes d’or, ornée tout autour de pierres précieuses, parla ainsi au précepteur Viçvamitra :

— Eh bien, maître, quelle écriture m’apprendras-tu ? »

Et, sans attendre la réponse du maître, le Bôdhisattvâ énumère soixante-quatre espèces d’écritures.

À propos de ces soixante-quatre espèces d’écritures, fort diversement dénommées, le traducteur du Rgya Tch’er Rol Pa, M. Éd. Foucaux, consigne en note l’observation que voici :

« Excepté quelques noms de pays faciles à reconnaître, toutes ces écritures semblent appartenir à des êtres fantastiques. »

Dans ces conditions et comme ce n’est pas aux devinettes que nous jouons ici, il est bien inutile que je poursuive la nomenclature complète des soixante-quatre écritures ; mais je vais transcrire, pour ce qu’il nous en faut, et en les appelant dans l’ordre où ils se trouvent énoncés, les noms des écritures désignées par des dénominations géographiques. Voici ; « Est-ce, dit le divin élève,… l’écriture de Magadha ?… l’écriture de Yavana ?… l’écriture de Darada ? l’écriture de Kouçâ ? l’écriture de Tchina ? » Arrêtons-nous sur ce mot de Tchina qui signifie Chine, et puisque nous avons affaire ici à l’Omniscient, qui sait faire l’accord des créatures entre elles, qui connaît tout depuis des millions de kalpas, qui par conséquent doit savoir ce qu’il dit, pourquoi il le dit et comment il se fait qu’il le dit d’une façon plutôt que d’une autre, nous sommes informés par lui, ou plus justement par les écrivains instruits qui parlent pour lui, grâce à l’ordre dans lequel il fait intervenir ces trois noms géographiques. : Darada, Kouça[52], Tchina, que le pays de Darada est situé à l’ouest de la Chine et dans le voisinage de sa frontière occidentale[53].

Cette constatation faite, rappelons-nous :

1o Que c’est dans la province mongole de Han-sou ou Kan-sou, située à l’ouest de la Chine, et limitrophe de la province chinoise du Chen-si, que le colonel Prjévalski a rencontré les Daldis à face mongole ;

2o Que les écrivains chinois placent le berceau des ' Youei-tchi (des Gètes) à l’ouest de la province chinoise de Chen-si et que conséquemment ces Youei-tchi (ces Gètes) ont eu leur berceau, ainsi que les Daldis, dans la contrée aujourd’hui connue sous la dénomination de Mongolie.

Et nous aurons ainsi acquis la certitude que Gètes-Massagètes et Dardis ou Daldis sont congénères et doivent être compris aujourd’hui sous la dénomination commune et moderne de Mongols.

Cette étude, que je suis heureux d’avoir faite avec vous, va avoir pour nous une application circonstancielle immédiate.

Nous avons à parler de la polyandrie, elle nous y aidera.

VII

La polyandrie n’est pas, en effet, comme le pourrait faire croire sa coexistence avec le bouddhisme au Tibet, une pratique d’institution moderne. Les femmes massagètes étaient polyandres longtemps avant l’éclosion de l’ère moderne, et je vais les montrer pratiquant la polyandrie dans sa simplicité primitive et pour le plus grand avantage de la communauté massagète[54].

Dans l’antiquité, comme aujourd’hui, les peuples vivaient par le travail. Connaître l’industrie spéciale à un peuple, c’est presque connaître son histoire et ses mœurs.

La justesse de cette observation s’affirmera à propos des Massagètes aussi exactement que pour tout autre peuple.

Reprenons en quelques mots l’histoire générale de l’enfance des peuples, elle nous dira quelle a été dans l’antiquité l’industrie principale des Massagètes.

Le jour où, dans la plus lointaine antiquité, deux tribus, tout à l’heure étrangères l’une à l’autre, ont été mises en contact amical, ce jour-là le commerce des échanges a commencé. Les plus vieilles chroniques attestent ce fait.

Vingt siècles avant l’établissement tout conventionnel de l’ère vulgaire, Abraham, cette personnification biblique des migrations chaldéennes, va trafiquer en Égypte[55] et quelques siècles plus tard nous voyons les Ismaélites[56] de l’Arabie se rendant des rives du golfe Persique en Égypte pour y prendre part aussi au commerce des blés.

D’Occident en Orient et inversement, un mouvement analogue d’échange de produits s’est établi actif et puissant à la suite des migrations répétées des peuples de l’Orient vers l’Occident en même temps que la mer Méditerranée était pour la marine des Phéniciens une carrière de féconde exploitation.

Pline et Ptolémée ont conservé le souvenir de la route du commerce de l’ouest à l’est et retour à travers le vieux monde[57].

Cette route est bien connue dans sa direction générale : Au Danube aboutissaient de tous les points de l’Europe occidentale les routes primitives qui la desservaient. Le fleuve était utilisé. La mer Noire était traversée ; sur sa rive orientale les marchandises en convoi, prenant la voie de terre, arrivaient à la mer Caspienne, dont elles franchissaient l’espace ; puis, par l’Oxus, elles atteignaient le pays des Massagètes[58].

Rompus au rude métier de convoyeurs, initiés à tous les détails d’une route longue, lente et difficile, les Massagètes se chargeaient alors du transport en caravanes des marchandises[59] à porter aux frontières de la Chine, chez les Issedons[60], où, dans ces temps reculés, étaient établis des marchés d’échanges.

Un pareil voyage était l’occasion d’une longue absence et c’était toujours une périlleuse campagne[61].

La route à suivre se mesurait par près de 1200 lieues à travers des contrées inhospitalières par le froid, la solitude, les animaux féroces et les hommes larrons[62].

Chaque voyage exigeait des années et demandait à une population clairsemée[63] des hommes par milliers pour servir et conduire les bêtes de charge, pour protéger et défendre au besoin les caravanes et pour garder les défilés, dont la possession a toujours excité la convoitise des Chinois[64].

Et puisque les maris s’absentaient pour longtemps, ce dut être pour s’assurer la possession d’un mari que les femmes massagètes en prirent plusieurs[65].

Et ce dut être aussi à cause de l’absence toujours prolongée de leurs maris que les femmes massagètes se firent amazones, pour garantir de tout dommage, aussi souvent que ce fut nécessaire, la jeune famille et les intérêts de la communauté.

Ces conclusions se présentent d’elles-mêmes et je tiens pour certain qu’une étude plus développée de cette question les ratifierait complètement. Quant à présent pourtant, je ne veux les indiquer ici que pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire pour des probabilités, mais des probabilités qui ressemblent fort à des acquisitions définitives.

VIII

Si de ces recherches sommaires des causes de la polyandrie chez les Massagètes de l’antique géographie nous passons à l’étude des causes de la polyandrie dans le Tibet moderne, nous trouverons que les circonstances qui en maintiennent l’usage diffèrent essentiellement de celles qui autrefois convièrent les femmes massagètes à la pluralité des maris.

Il y a pour ainsi dire changement de front.

Tout à l’heure nous avons vu que, chez les Massagètes, la polyandrie trouvait sa raison d’être dans la nécessité, pour les femmes, de s’assurer la possession de plusieurs maris afin qu’il leur en pût rester au moins un quand les devoirs publics appelaient les autres à un service lointain et prolongé. Au moderne Tibet nous allons voir les hommes dans la fâcheuse nécessité de partager en famille la possession d’une seule femme par suite de la rareté des femmes disponibles dans la vie civile.

Samuel Turner, cet intelligent agent de la Compagnie de l’Inde anglaise, qui fut envoyé en ambassade au Tibet en 1783, a publié une intéressante relation des observations qu’il a pu recueillir au Tibet, où son séjour prolongé et sa position officielle lui ont permis en tous genres de précieuses informations.

La polyandrie est tout naturellement de la part de Samuel Turner un objet de grande attention. Dans sa relation, il constate le fait et ajoute :

« Les chefs du gouvernement, les officiers de l’État et tous ceux qui aspirent à le devenir, regardent comme au-dessous de leur dignité et de leurs devoirs le soin d’avoir des enfants. Ils s’en exemptent et l’abandonnent presque exclusivement aux gens du peuple.

Les Thibétains regardent le mariage comme une chose odieuse, un fardeau gênant et honteux, que tous les mâles d’une famille doivent chercher à rendre plus léger en le partageant entre eux[66]. »

Et, après quelques considérations sans grande portée, Samuel Turner fait observer que la pauvreté du pays peut bien aussi motiver la polyandrie, qui nécessairement restreint la production des enfants.

Cette raison de la polyandrie au Tibet est aussi celle que nous a donnée M. de Ujfalvy.

Je crois qu’après Samuel Turner, notre vaillant collègue se trompe.

Il n’y a, pour faire la richesse d’une nation, rien de meilleur, rien de mieux que le travail ; et les premiers et les meilleurs outils de travail sont les hommes.

C’est là une vérité économique d’une justesse, d’une exactitude et d’une sévérité absolues.

Au Tibet[67] toutes les terres ne sont pas cultivées[68] ; celles qui sont cultivées sont mal cultivées et les terres incultes aussi bien que les terres cultivées réclament des bras[69].

Ce qui fait la pauvreté des terres au Tibet, c’est l’insuffisance de sa population active. Et depuis des siècles déjà le Tibet aurait renoncé à la polyandrie, si la polyandrie n’avait pas, pour s’y perpétuer, des raisons que les gouvernants de cet intéressant pays n’avoueront jamais, parce que l’aveu qu’ils en feraient serait pour eux un suicide.

Au Tibet, il y a des villes entières, comme H’Lassa[70], sa capitale spirituelle, qui ne renferment que des couvents et des palais ; au Tibet toute la surface du pays, du nord au sud et de l’est à l’ouest, est pour ainsi dire couverte de couvents, couvents d’hommes, couvents de femmes[71].

C’est le lamaïsme bouddhique qui fait au Tibet l’insuffisance de la population[72] et la pauvreté du pays.

Plus de la moitié de la population est renfermée dans les couvents, et, circonstance à noter, cette population conventuelle est très inégalement répartie.

Les moines y sont en moins grand nombre que les religieuses. Un moine bouddhiste n’est pas le premier venu. Les règlements conventuels exigent beaucoup d’un bouddhiste qui aspire à devenir moine. Les épreuves préalables de sanctification sont rudes et la somme de science dont il faut témoigner pour être admis dans un couvent bouddhiste est immense. La littérature bouddhique[73] est un inépuisable trésor de controverses sans fin, de commentaires à perte de vue et plus nuageux que les sommets de l’Himalaya[74]. Un religieux bouddhiste doit connaître à fond la partie canonique de cette littérature compliquée et la bien connaître, s’il veut être admis moine dans un couvent. Très peu d’aspirants arrivent à satisfaire aux exigences de ces épreuves multipliées.

L’admission comme religieuse, dans un couvent de femmes, est également entourée de beaucoup de précautions ; mais ici les précautions et les exigences sont d’un autre ordre et dans tous les cas douces et faciles, en comparaison de celles qui barrent la porte des couvents aux hommes.

L’extase est surtout ce qui est requis des femmes, et, nous le savons, le tempérament de la femme se prête partout à cette condition à peu près facultative pour chacune d’elles.

La vocation de religieuse, qui assure aux femmes le repos dans cette vie et qui leur fait entrevoir pour l’existence d’outre-tombe le repos extatique du Nirvana, a ainsi un attrait particulièrement alléchant pour une population toute préparée au mysticisme par le milieu où elle vit.

Aussi la légion des religieuses bouddhistes est-elle au Tibet plus nombreuse que partout ailleurs, au grand dommage de la vie civile, où, pour longtemps encore, la rareté des femmes du monde maintiendra l’institution de la polyandrie.

Rien ne manque du reste au Tibet pour donner aux couvents de femmes une vogue d’actif recrutement.

Si les couvents d’hommes ont au Tibet leur directeur spirituel, le dalaï lama, en qui revit sans interruption, par transmission immédiate de l’un à l’autre, la vie divine ; les couvents de femmes ont leur directrice, en qui revit la Divinité sans interruption et par voie de transmission directe de l’une à l’autre.

Toute religieuse peut devenir directrice, et nous pouvons croire qu’au Tibet les aspirantes à la divinité ne font point défaut.

Pour les femmes, la Divinité incarnée est Bhavani.

Dans les institutions d’un peuple tout se lie et se commande logiquement et pour cette raison je dois fournir ici, à propos de cette incarnation de Bhavani, des indications capables d’appuyer ce que j’en vais dire et de faire comprendre la raison de ce stigmate circulaire que portent au vertex les Tibétains des deux sexes et que M. de Ujfalvy a signalé à notre attention.

Bhavani est dans l’Olympe indien une divinité d’ordre supérieur. Elle est l’épouse de Siva, l’une des trois personnes de la Trimurtis ou Trinité des Hindous.

Toutefois, ce nom de Bhavani n’est que l’expression d’une des qualités de la divine épouse de Siva et son nom plus synthétique est Parvati[75].

Sous le nom de Bhavani, Parvati est la nature personnifiée et ici sous le vocable particulier de Bhavani elle est ce que, dans nos contrées occidentales, nous appellerions : Notre-Dame du Tibet.

Une légende — il y a beaucoup de légendes dans les croyances religieuses de l’Asie brahmanique et bouddhique, — une légende rapporte qu’aux siècles des temps perdus, Bhavani, voulant fuir les persécutions d’un chef de la contrée, se sauva sous la forme d’une truie[76].

La directrice supérieure des couvents de religieuses au Tibet porte en effet le titre de Dordzi-pa-mo, c’est-à-dire la Sainte Mère de la Truie[77].

À leur naissance tous les enfants lui sont consacrés, et le signe distinctif de cette consécration est l’image d’un groin de truie[78] appliqué d’une façon indélébile sur le sommet de la tête des enfants, et qui constitue le stigmate circulaire qui marque le vertex des Tibétains des deux sexes.

La religieuse qui, pour la direction des couvents de femmes, doit prendre, à la mort d’une directrice, — je devrais dire, pour me conformer aux convenances des bouddhistes, au changement d’enveloppe d’une directrice — la survivance d’une incarnation de Bhavani, se recommande au choix du sacré collège des électeurs par l’image naturelle du groin qu’elle porte bien indiqué sur le sommet de la tête, et on comprendra sans que je le dise, que la distinction à faire entre ce stigmate natif et le stigmate artificiellement provoqué n’est pour le sacré collège des électeurs qu’une affaire de convention et d’entente préalable.

La Dordzi-pa-mo, la Sainte Mère de la Truie, réside au couvent de l’île du lac Yar-Brok-youm-thso, c’est-à-dire grand lac des Turquoises. Ce lac est aussi nommé lac de Paldi, du nom d’une ville assise sur sa rive septentrionale[79].

Cette île est formée de trois montagnes qui toutes les trois sont couvertes de couvents d’hommes et de femmes ; l’ensemble de ces couvents relève de l’autorité de la Sainte Mère de la Truie[80].

La Sainte Mère de la Truie, l’incarnation de Bhavani, ne quitte jamais son couvent et son île qu’en grande pompe pour se rendre à H’Lassa, la capitale du Grand Tibet.

« Pendant tout le voyage, dit la relation chinoise à qui j’emprunte ces renseignements, on porte devant elle des encensoirs. Elle-même est assise sur un trône couvert d’une vaste ombrelle. Sa suite se compose de plus de trente religieux qui forment sa cour. Quand elle arrive à H’Lassa, chacun s’empresse de solliciter sa bénédiction, qu’elle donne en faisant baiser le sceau que porte son anneau[81]. »

Les couvents de femmes au Tibet absorbent, on peut le croire, plus des trois quarts de la population féminine du Tibet.

Turner, à l’occasion de ces couvents de femmes, s’exprime ainsi :

« Quand on réfléchit à la coutume qui existe au Tibet relativement à l’union des deux sexes, on est moins surpris de voir qu’un grand nombre de femmes renoncent aux occupations et aux plaisirs du monde pour se retirer dans ces asiles solitaires (les couvents)[82]. »

Turner prend ici la cause pour l’effet : ce n’est pas l’horreur de la polyandrie qui peuple les couvents de femmes au Tibet ; c’est au contraire la rareté des femmes disponibles, rareté que provoque et réalise l’attrait des couvents, qui force à la polyandrie les femmes tibétaines qui restent attachées à la vie du monde, et la polyandrie persistera aussi longtemps que les femmes du Tibet continueront à s’exiler dans les couvents[83].

L’établissement du bouddhisme lamaïque au Tibet date du septième siècle de notre ère, et on peut, dans des conditions de satisfaisante probabilité, fixer à cette date l’évolution rénovatrice de la polyandrie au Tibet.

IX

Cette question de la polyandrie et une confidence par insinuation sur la position délicate où a pu se trouver un instant M. de Ujfalvy vis-à-vis d’une femme qui lui continuait avec insistance l’offre de ses bons offices, ont provoqué sous la rubrique de Prostituées et Prostitution une série de questions auxquelles je vais tâcher de donner satisfaction.

Si nous entendons ici par prostitution l’œuvre courante, active et débraillée qui, par spéculation, de luxure d’abord, de paresse et de lucre plus tard, fait passer la femme par tous les degrés de l’impudicité et la jette enfin dans l’abjection ; je peux hardiment répondre qu’en Asie comme en Europe la prostitution est et a toujours été une honteuse infirmité qui se dérobe au grand jour et n’existe, quant à son personnel, qu’à l’état d’infime exception.

Dans l’antiquité et en tous les temps la prostitution a été sévèrement condamnée en Asie.

Les lois de Manou[84] et le code des Gentoux[85] font des adultères et des courtisanes une même classe de femmes abjectes et dégradées dont le contact est impur et criminel.

Le Deutéronome chasse d’Israël la femme qui se prostitue et punit de mort l’adultère et le viol[86].

Dans les temps modernes la prostitution reste, dans toute l’Asie, l’objet de la sévérité des lois et du mépris de la société.

À Ispahan, les prostituées sont confinées dans un quartier excentrique qui leur est spécial. C’est le quartier des femmes découvertes, des dévoilées[87].

Au pays des Birmans, à Rangoun, ou plutôt près de Rangoun, sur la rive occidentale de la rivière de Syriam et dans le voisinage de Maindu, se trouve, au fond d’une crique, le village de Mima-Schun-Rua, c’est-à-dire le village des filles publiques, qu’habitent seules et que doivent habiter, par ordre, les femmes prostituées[88].

Au Cambodge, ce sont les hommes qui se prostituent aux hommes. « Chaque jour ils vont en troupes de plusieurs dizaines dans les marchés et sur les places, sollicitant de honteuses caresses. » Ils portent une dénomination flétrissante.

En Chine, les filles publiques sont reléguées dans les faubourgs ou sur des bateaux[89].

Enfin au Tonkin, l’adultère, cette prostitution de la foi jurée et du corps, est puni d’une mort barbare.

Ainsi donc partout, en Asie comme en Europe, la prostitution est une pratique vile et reconnue dégradante, et il n’y a pour elle de merci nulle part.

X

Ce n’est pas à dire pourtant que les mœurs des pays asiatiques soient l’exacte et fidèle représentation des mœurs de l’Europe ; il y a des nuances, et des nuances très accentuées, qui distinguent les mœurs des deux contrées, et il est certain que dans leurs expressions journalières les mœurs sociales de l’Asie offrent, à l’encontre de nos mœurs et de nos habitudes européennes, des disparates bien faites pour nous étonner et aussi des apparences capables de nous induire en erreur, au jour où nous en sommes les témoins insuffisamment préparés.

Les relations de voyages des Européens en Asie, surtout dans l’Asie centrale, abondent en confidences de ce genre.

Mais, pour témoigner de la rigoureuse justesse de cette observation et pour en faire, pour ainsi dire, la démonstration authentique, il suffira, je pense, de citations empruntées aux relations de voyageurs officiels et bien connus.

En même temps que ces anecdotes expliqueront la position embarrassée où s’est un instant vu poussé M. de Ujfalvy par l’insistance obséquieuse d’une personne dont il avait reçu les soins au Kachmir, elles infirmeront l’impression fâcheuse qu’il a pu en éprouver.

Nous allons voir combien aux pays asiatiques peuvent, et quelquefois même doivent être grands l’abandon et l’empressement d’une honnête femme vis-à-vis d’un galant homme, sans que la situation de cette femme en soit compromise, sans que la considération qui l’entoure en doive être affectée.

Deux officiers de l’armée anglaise du Bengale, MM. Christie et Henry Pottinger, sont envoyés, en 1810, par le gouverneur de l’Inde en mission en Perse. Ils ont traversé l’Indus, parcouru le Sindhy, ils sont à Kélat. Là, malgré le soin qu’ils ont pris de se vêtir du costume régional, ils sont jugés être des Européens, on les croit médecins ; ils sont appelés chez le gouverneur dont les enfants sont malades. Le lendemain, allant par la ville, ils sont rencontrés par les femmes du gouverneur, qui les suivent avec insistance en les interpellant à plusieurs reprises par ce mot charmant : « lallalkou », c’est-à-dire « mon chéri, mon mignon », et avec raison les deux voyageurs ne crurent pas que ces femmes les voulussent, pour un instant, conduire au paradis des houris[90].

L’aventure du général Ferrier est plus vivement accentuée encore.

Le 12 juillet 1845, le général Ferrier, porteur d’une lettre de khan de Sirpool qui le recommande à Timour-beg, gouverneur de la contrée, arrivait à Div-Hissar. Par son interprète, il envoie au gouverneur la lettre du khan de Sirpool et il attend la réponse.

Je laisse maintenant parler le général Ferrier. Je traduis sa relation.

« Roustan remit à Timour-beg la lettre du khan de Sirpool.

Timour-beg la baisa trois fois et l’éleva au-dessus de sa tête avant de l’ouvrir. Après l’avoir lue, il m’envoya, à ma grande surprise, par une jeune et charmante esclave, l’invitation d’entrer dans la forteresse. Je ne devais pas m’attendre en effet à ce que cette gracieuse autorisation d’entrer dans Div-Hissar me pût venir par une femme. J’avais bien remarqué que les femmes que je rencontrais sur la route n’étaient pas voilées comme il est d’usage en Turkestan et je pensais qu’il en était de même ici, mais je ne comptais point que l’invitation d’entrer me viendrait par le beau sexe.

« Timour m’accueillit avec la cordialité simple et franche des Tartares. C’est un homme de trente-cinq à quarante ans, imberbe, court, mais bâti comme un Hercule. Accentuant son bon accueil, il nous fit servir un repas qui aurait pu satisfaire au moins trente convives. Notre boisson fut à ce repas une sorte de cidre avec lequel notre hôte finit par s’enivrer. Quand nous l’entendîmes ronfler, nous demandâmes la permission de nous retirer, ce qui nous fut accordé. Les dames du palais qui avaient assisté au repas, nous conduisirent à nos appartements. Les attentions dont alors nous fûmes l’objet méritent réellement d’être notées. Non seulement elles assistèrent à notre toilette, mais encore elles nous lavèrent les pieds et enfin, à mon grand ébahissement, elles se mirent à me masser de la tête aux pieds, et cela de la façon la plus franche et la plus dégagée. Il n’eût pas été convenable de refuser les soins gracieux dont les dames du palais croyaient devoir me faire l’honneur au nom sacré de l’hospitalité. C’est mon habitude de me conformer aux usages des pays où je voyage. Pourtant, prévoyant une longue traite pour le lendemain, je me hasardai à prier les dames qui me servaient de suspendre leurs bons soins et de me laisser reposer…

« Tout d’abord je m’étais flatté que j’avais été exceptionnellement bien traité et qu’en cela Timour-beg avait tenu à me donner un témoignage particulier de considération ; mais j’appris plus tard que mes compagnons de voyage et même mes domestiques avaient également reçu les soins des dames du palais et que la sœur de Timour-beg elle-même n’est pas dispensée de remplir les devoirs qu’imposent ces singulières habitudes d’hospitalité[91].

Div-Hissar est une forteresse sise sur un des affluents du haut Oxus, nous sommes au pays bactrien.

Au Tibet, autre surprise. L’usage a consacré là des mœurs faciles bien faites pour nous étonner, et cependant, ces mœurs faciles, malgré les soupçons d’analogie qu’elles peuvent nous suggérer, ne sont pas et ne peuvent pas être considérées comme une expression de prostitution.

Turner, qu’il faut nécessairement citer dès qu’on parle du Tibet[92], esquissant à grands traits les mœurs de cette contrée, consigne l’observation que voici :

« Les Thibétains peuvent quelquefois être accusés de froideur envers les femmes, mais aussi ils sont loin de les tyranniser. Quoiqu’une femme mariée soit tenue de garder la fidélité conjugale sous des peines assez sévères, il n’en est pas moins vrai qu’avant de se marier elle peut se livrer à ses goûts sans que cela fasse tort à sa réputation et sans que les maris qu’elle épouse lui en sachent mauvais gré. »

Bien plus — et soit dit par occasion, le cas de notre collègue affirme une fois de plus la véracité du voyageur vénitien, longtemps suspectée, — Marc Pol, dans son chaud et pittoresque langage du moyen âge, nous dit en parlant du mariage chez les Tibétains :

« Nul homme de celle contrée pour riens du monde ne prendrait à femme une garce (jeune fille) pucelle ; et dient que elles ne vallent riens, se elles ne sont usées et coustumées de gésir (coucher) avec les hommes. Et font en tel manière que quant les cheminans passent, si sont appareilliées, les vielles femmes, avec leurs filles ou leurs parentes, et vont avec ces garces pucelles et les mainnent aus genz estranges, qui par là passent, et les donnent à chascun qui en veult prendre pour faire en leur volonté. Et les hommes en prennent et en font ce qu’il veulent. Et puis les rendent à ces vielles qui leur ont menées, car il ne les laissent pas aler avec la gent. Et en ceste manière treuvent, les cheminans, quant il vont par les voies, à vingt ou à trente tant que il veulent ; c’est quant ils passent par devant un casal ou un chastel, ou une autre habitation. Et quant il hebergent avec cette gent en leur casaus (cases, maisons), si en ont aussi tant comme il veullent, qui les viennent prier. Bien est voir que il convient, que vous donnez à celle avec qui vous aurez geu (couché) un anelet, ou aucune petite chosete, ou aucunes enseignes qu’elle puisse monstrer, quant elle se voudra marier, qu’elle a eu plusieurs hommes. Et ne le font pour autre chose. En telle manière convient à chascune pucelle, pourchacier (se procurer) plus de vingt icex seignaus (de ces bijoux) avant qu’elle se puisse marier, par la voie que je vous ai dit. Celles qui plus ont de seignaus, et qui plus auront monstré qu’elles auront esté le plus touchiées, si sont pour meilleurs tenues. Et plus volontiers l’éspousent, pour ce qu’il dient qu’elle est plus gracieuse. Mais quant elles sont mariées, si les tiennent trop chières, et ont pour trop grand vilonnie se l’un touchast la femme à l’autre ; et se gardent moult de ceste honte tretuit, depuis qu’il se seront mariés avec si faites femmes[93]. »

Marc Pol, dans un chapitre qu’il consacre au pays des Ghendou, province du Tibet, nous apprend que là la complaisance des indigènes envers les étrangers est plus complète encore. Quand un voyageur étranger passe et vient demander l’hospitalité, le maître de la maison s’éloigne, il s’en va au loin dans ses vignes ou aux champs ; il ne rentre à la maison qu’après le départ de l’étranger, qui durant tout son séjour a eu à sa disposition la femme, les filles et les sœurs de l’hôte complaisant[94].

Nous sommes là bien loin des exquises délicatesses qui règlent tous nos rapports avec les femmes ; mais il faut considérer que notre éducation est l’œuvre complexe et comme la quintessence de trois générations de civilisations successives que les montagnards du Tibet n’ont connues ni de près ni de loin, puisque nous savons par ce qui nous est revenu de leur histoire, qu’ils se sont séquestrés du monde le plus et le plus longtemps qu’ils ont pu et jusqu’au terme du seizième ou dix-septième siècle.

À Couch, qui est au Bengale un canton de la province du Behar, un usage séculaire a consacré, de créancier à débiteur, un procédé qui exhale comme une âcre senteur de notre moyen âge.

Un créancier, rapporte Turner, peut exiger de son débiteur insolvable qu’il lui livre sa femme en garantie de sa créance ; dans ces conditions, le créancier a la jouissance de cette femme aussi longtemps que dure la position de débiteur chez son mari. Il arrive qu’une femme ainsi mise en gage reste pendant plusieurs années à la disposition du créancier. Les enfants qui naissent de cette union circonstancielle et temporaire sont, au jour de la libération du débiteur, partagés entre le créancier et le mari[95].

Turner fait observer qu’il est acquis dans la contrée que le chagrin que ressent le mari de l’absence de sa femme en pareil cas, est un puissant stimulant à la libération.

Au royaume d’Ava, les Birmans des classes inférieures « ne se font pas de scrupule, dit le major Michel Symes, de vendre passagèrement leurs filles et leurs femmes à un étranger qui voyage dans leur pays. Cela n’est pas regardé comme un mal parmi eux et la femme n’en est pas déshonorée[96]. »

Dans ce même royaume d’Ava les lois contre les débiteurs sont d’une exigence et d’une dureté excessives. Comme à Couch du Béhar, mais plus cruellement encore, elles mettent le débiteur et sa famille à la merci du créancier en aggravant de la façon la plus fâcheuse la position des femmes.

« Suivant les lois du Pégu[97], le débiteur insolvable appartient à son créancier, dit le major Michel Symes, et d’honnêtes femmes, devenues esclaves pour des dettes dont l’origine leur est souvent inconnue, sont livrées par leur créancier à un vil proxénète qui trafique de leurs agréments[98]. »

Et ce n’est pas seulement la femme du débiteur qui suit le sort de son mari, les filles qu’il peut avoir viennent comme leur mère en appoint des exigences du créancier. Elles aussi sont vendues et, si elles sont belles, elles sont payées fort cher.

L’acheteur en fait la joie des passants ; et comme partout l’amoureux de la joie clandestine est, à l’heure de l’appétit, très facile à la bourse, au Pégu comme ailleurs, la ruine des uns fait la fortune des autres et ce n’est pas toujours la morale qui gagne à ce jeu de bascule.

Dans l’Inde brahmanique, les lois de Manou ont autorisé et organisé la génération directe par procuration.

Cette étrange dérogation aux lois de convenance et d’amour que préconise Manou est commandée à tous les Hindous brahmaniques par d’impérieuses exigences de conscience.

Tous les Hindous brahmaniques sont tributaires de la vie d’outre-tombe et des renaissances à intervenir suivant les mérites et les démérites dont chez eux la vie de ce monde a été marquée.

La première des conditions exigées pour se présenter décemment de l’autre côté de la vie de ce monde, c’est que les honneurs funèbres aient été rendus au mort dans les règles prescrites par la loi de Manou.

Les honneurs funèbres sont pour les Hindous une suprême satisfaction qui a toute la valeur d’une expiation majeure.

Les honneurs funèbres doivent être rendus au père par le fils à l’exclusion de tout autre membre de la famille.

Être privé des honneurs funèbres, c’est, pour les Hindous, mourir deux fois.

De là l’absolue nécessité d’avoir un fils, dût-on en aller chercher le germe dans la poche du voisin.

« Lorsqu’on n’a pas d’enfants, dit la stance 59 du livre IX des lois de Manou, la progéniture que l’on désire peut être obtenue par l’union de l’épouse convenablement autorisée, avec un frère ou un autre parent. »

Et l’enfant ainsi engendré est considéré comme engendré par le mari titulaire, car, dit la stance 145 du même livre IX, « la semence et le produit appartiennent de droit au propriétaire du champ, » et c’est surtout pour obtenir un fils que le propriétaire du champ livre sa propriété à l’œuvre de l’ensemencement par le voisin.

Le Cambodge, sous le nom de Tchin la[99], a fait partie intégrante de la Chine et lui a payé tribut jusqu’en 1428[100] de notre ère. Les relations que les écrivains chinois ont conservées sur cette contrée s’étendent jusqu’aux premières années du dix-huitième siècle.

Après Amyot, qui les a un peu défigurées, Abel Rémusat a traduit ces annales au moins en partie, et c’est à la version de ce sinologue que j’emprunte les indications qui suivent[101] :

Les croyances religieuses qui ont cours au Cambodge relèvent du bouddhisme ou des pratiques du tao (raison suprême).

Au Cambodge une fille riche se marie ordinairement entre sept et neuf ans. Celles qui sont très pauvres attendent quelquefois jusqu’à onze ans[102].

Selon que les fiancés appartiennent par leurs croyances au bouddhisme ou au tao, c’est ou un prêtre du Bouddha ou un tao sse qui est chargé de préparer la fiancée pour l’œuvre du mariage.

L’annaliste chinois nomme cette œuvre de préparation t’chin-than, expression qui tout à l’heure va s’expliquer d’elle-même.

Chaque année, à l’époque qui correspond à la quatrième lune[103], l’officier de la province fait connaître le jour choisi pour le t’chin-than[104]. Ce jour-là, chaque prêtre a sa cliente et n’en peut avoir qu’une.

Au jour dit, le cortège d’amis des fiancés, avec musique et tambours, va en grand apparat au-devant du prêtre et l’accompagne à la maison de la fiancée.

Là, sont préparés deux dais recouverts d’étoffes de diverses couleurs. Le prêtre occupe l’un, la fiancée occupe l’autre.

La nuit est venue, le gros de l’escorte se retire, mais tambours et trompettes s’acharnent à tapager devant la maison de la fiancée.

Pour cette nuit, dit la relation, le prêtre n’est retenu par aucune défense, et voici, aussi honnêtement que je puis l’exprimer, ce qui se passe alors[105].

De la main, le prêtre déchire l’hymen ; sa main est ensanglantée, il la lave dans du vin ; ce vin, il le présente, dit-on, au père, à la mère, aux parents et aux autres invités. Tous y trempent les doigts et humectent leur front de ce liquide, quelques-uns affirment qu’ils en boivent.

Bientôt et de nouveau laissé seul avec sa cliente, le prêtre met, dit-on, à profit le temps qui lui reste pour compléter l’éducation de la fiancée.

L’annaliste chinois termine ce chapitre du mariage au Cambodge par l’observation que voici :

« Il y a au Cambodge nombre de femmes qui ont commencé par mener une vie licencieuse et qui se marient ensuite ; dans leurs mœurs cela n’a rien de honteux ni de surprenant[106]. »

M. le capitaine de vaisseau commandant de Villemereuil, qui en 1878, au Congrès des sciences ethnographiques, a fait une conférence sur les mœurs et les institutions du Cambodge, n’entre pas dans les détails que je viens de signaler ; mais il a, semble-t-il, à ce propos des paroles de raillerie qui cachent un sous-entendu dont il faut tenir compte.

« La dernière nuit de sa vie de jeune fille, dit-il, la fiancée la passe dans la maison bâtie pour elle, tandis que le jeune homme couche sous l’abri extérieur de ce futur domicile conjugal. Voici une veillée des armes qui ne manque pas d’originalité et qui fait honneur à la bonne foi des maris en herbe, à moins qu’elle ne trahisse l’indolence innée de ce peuple[107]. »

Je n’irai pas plus loin en Orient et, résumant les indications que j’ai présentées sur l’attitude commandée aux femmes par les usages sociaux d’une grande partie de l’Asie, je constate :

1o Que la prostitution, telle que nous la comprenons, a été dans l’antiquité et est encore aujourd’hui en Asie stigmatisée d’infamie ; que là, les femmes qui s’offrent à tous, au mépris des convenances et de la foi jurée, sont à peu près mises hors la loi ;

2o Que chez quelques nations de l’Asie, les jeunes filles avant le mariage peuvent ici et doivent là, pour trouver à se marier, avoir au préalable complété par la pratique leur éducation d’amour ;

3o Qu’il est au moins une tribu, au Tibet, chez qui les devoirs de l’hospitalité commandent l’abandon à l’hôte reçu de la jouissance de la maison qui l’abrite et des femmes — épouses, filles ou sœurs — de l’hôte qui reçoit ;

4o Que dans l’Inde brahmanique les lois de Manou ont, par une dérogation aux chastes précautions dont elles ont entouré la couche conjugale, autorisé tout ménage sans enfants à en acquérir à l’aide d’une greffe collatérale.

XI

Pour épuiser la série des observations sommaires que je m’étais promis de présenter à propos de la communication de M. de Ujfalvy, il me reste à parler des « danseuses et des bayadères », à l’existence accidentée desquelles a fort indûment été mêlée l’existence des dames asiatiques.

L’attitude désormais connue des dames du monde asiatique les dégageant complètement d’une compromettante promiscuité, je m’abstiendrai ici de tout parallèle à leur endroit et je me bornerai, sur les danseuses et les bayadère, à quelques indications professionnelles.

Je pourrai ainsi être plus bref et plus net.

Comme expression de la joie et de la satisfaction, les sauts et les gambades sont de tous les temps et de tous les peuples.

Les nègres de Saint-Domingue ont la danse du Vaudou, orgie de gambades et de lubricité.

Les sauvages de l’Océanie ne comptent pour bonnes fêtes que celles où la danse la plus dégingandée les assouvit de fatigue, et nos Tahitiennes ont encore la danse upa-upa, entraînante et voluptueuse.

Au Cambodge, à la huitième lune, toute la nation célébré le Yaï-lan, danse religieuse qui, pour un jour, met en liesse toutes les jambes de la contrée. Le roi lui-même sacrifie à la coutume antique, et ce jour-là il danse en personne, à huis clos, dans son palais[108].

Chez les anciens Égyptiens, la danse, comme gymnastique, faisait partie du programme d’éducation nationale avec la lutte et la course.

Chez Israël, nous voyons Marie, sœur de Moïse, danser en chantant pour célébrer l’heureuse délivrance des tribus sorties d’Égypte[109].

Aux fêtes de Sparte, jeunes garçons et jeunes filles dansent tout nus, et chez les Romains, aux Bacchanales, la danse aux larges allures avait la plus belle part des acclamations publiques.

Aucun peuple n’a le droit de se dire l’inventeur de la danse. La danse est, comme l’expression de la douleur, quelque chose d’automatique et d’universel.

Avec le temps et comme les peuples, la danse s’est civilisée ; elle a pris des allures réglées sur les sentiments de convenance et les élans de la passion, et l’étude nous a donné la danse de caractère et d’expression.

Il semble que la danse savante et passionnée nous vienne de l’Orient.

L’Orient arabe et musulman a ses almées, qui sont chez les croyants un décalque des houris de leur paradis, et l’Inde a ses bayadères, institution liturgique créée pour être, dans le monde indien d’ici-bas, la contre-partie des Apsaras de l’Olympe de Manou[110].

Les bayadères de l’Inde se divisent en deux classes : les unes sont attachées au service des temples et relèvent régulièrement du personnel religieux des temples ; les autres sont indépendantes et font du chant, de la déclamation, des gestes et de la danse une industrie que les accessoires rendent fort lucrative.

Les premières paraissent chaque jour au temple, dansant et chantant en l’honneur de la divinité à laquelle elles sont consacrées.

Le nombre des danseuses affectées au service des temples varie avec l’importance religieuse de ces édifices ; il est en moyenne de douze.

La corporation liturgique des danseuses se recrute de jeunes filles vouées de bonne heure par leurs parents à la divinité. Toutes les classes de la société indienne peuvent fournir des danseuses aux temples, mais la classe des artisans se charge surtout de pourvoir les temples de leur personnel féminin.

La beauté des traits du visage, l’ensemble gracieux de la personne, une voix agréable et sympathique sont les qualités que doivent réunir les jeunes filles qui se présentent à l’admission pour le service des temples.

La dénomination de « bayadères » que nous donnons aux danseuses de l’Inde n’est qu’une dénomination de convention. Nous l’avons empruntée au portugais balhadeira — danseuse — d’où d’abord balladère, puis enfin bayadère.

Le nom sanscrit des danseuses attachées aux temples dans l’Inde est dêva-dasi, c’est-à-dire « servante de la Divinité ». En hindoustani elles se nomment facultativement râm-djenny, kantchény, naûtchy.

Les Anglais les dénomment d’une appellation mi-hindoustanie, mi-anglaise ; ils disent : nauch-girl, c’est-à-dire jeune fille de la danse.

Le mariage est interdit aux dêva-dasi — aux bayadères des temples, — mais le célibat n’implique pas, paraît-il, le vœu de virginité. Elles sont généralement trop belles pour être négligées, et comme,

Pour être bayadère, on n’en est pas moins femme,

il n’est pas rare de voir des bayadères devenir mères.

Leurs fils seront musiciens aux temples, et leurs filles, pourvu qu’elles soient belles, seront à leur tour bayadères.

Les bayadères usent pour l’harmonie de leur parure de recherches intelligentes, qu’elles savent se rendre fort avantageuses[111].

Les danseuses, qui dans l’Inde ne relèvent pas du service des temples, reconnaissent dans chacun de leurs centres principaux une directrice qui porte le titre de daïyâ, c’est-à-dire « mère ».

Sous la dénomination de naûtchî ces danseuses sont fort employées dans l’Inde et par conséquent fort nombreuses.

Les familles hindoues, pour peu qu’elles soient aisées, n’ont pas de fêtes intimes, pas de solennités particulières, sans un nâtch, c’est-à-dire une récréation à domicile dont la danse, le chant et la déclamation font partie, et c’est aux naûtchî ou’nauch-girl, comme disent les Anglais, que revient la tâche de figurer activement dans ces récréations de famille. Elles s’adjoignent toujours quelques musiciens et se font bien payer.

Les filles de la daïyâ ne sont, pas plus que les dêva-dasi des temples, vouées à la virginité perpétuelle ; elles ne négligent au contraire aucune bonne et fructueuse occasion de justifier leur réputation d’aimables et complaisantes personnes[112].

Aux pays arabes et musulmans les almées font les plus charmantes délices des fêtes publiques et particulières.

Le mot arabe almée signifie savante.

La danse des almées est surtout composée d’attitudes voluptueuses, attitudes que ces femmes savent adapter aux faits que relatent leurs chants et aux scènes en vers qu’elles débitent assez ordinairement avec un véritable talent.

Les almées sont le plus souvent de belles femmes et toujours de complaisantes personnes.

Les almées ne sont point admises dans l’intimité des familles respectables[113].

L’existence débraillée des danseuses en Orient y a fait de la danse un exercice déshonnête auquel les dames du monde ne se livrent point.

En Orient, les hommes ne dansent pas, ils sont musiciens instrumentistes. Les femmes dansent, chantent et déclament.

Les gouverneurs des grandes provinces, en Perse, ont généralement dans leur train de maison une bande de danseuses et une bande de musiciens. Les femmes y sont plus nombreuses, afin de parer aux vides que font parmi elles les indispositions passagères.

Dans l’Asie moyenne comme dans l’Inde, il n’y a pas de fêtes sans danseuses. En Perse elles sont appelées à tous les grands festins nommés megelez, c’est-à-dire assemblées, et aussi à toutes les audiences des ambassadeurs.

Mais, en somme, malgré leur fréquente intervention dans le monde officiel et dans les familles, bayadères ou almées, les danseuses sont dans tout l’Orient une classe de femmes aux mœurs légères et faciles, et pour cela notées d’infamie et excommuniées de toute honnête société[114].

CONCLUSION.

J’en ai fini. Parcourant le programme que m’avait tracé la communication de M. de Ujfalvy, j’ai pu constater :

1o Que l’incident d’immersion de la dame tibétaine, dont il nous a parlé comme d’une circonstance purement plaisante, renferme au contraire un enseignement ethnique de quelque importance ;

2o Que les Dardis dont a parlé M. de Ujfalvy après Klaproth, après le docteur Leitner, sont, contrairement à ce qu’il a cru, d’origine mongole, comme les Daldis du colonel Prjévalski, qui les a vus dans la province mongole de Kan-sou pour ainsi dire sur leur berceau ;

3o Que les Gètes et les Massagètes de l’antiquité historique étaient d’origine dite aujourd’hui mongole au même titre que les Darada des écrivains sanscrits, les Daradæ des classiques latins et les Daradai des auteurs grecs, ce qui explique la présence d’une colonie de Dardis sur un territoire anciennement occupé par les Massagètes ;

4o Que chez les Massagètes de l’antiquité historique les femmes ont pratiqué la polyandrie dans des conditions spécifiées ;

5o Que les races du Tibet sont mongoles ;

6o Que les raisons de politique religieuse qui ont maintenu la polyandrie au Tibet relèvent du lamaïsme bouddhique et que leur influence semble devoir persister longtemps encore ;

7o Que le stigmate que portent au vertex les Tibétains des deux sexes a une signification de consécration religieuse dont j’ai spécifié l’origine ;

8o Que la prostitution est et a toujours été en Asie, comme en Europe, une pratique dégradante et marquée d’infamie ;

9o Que les devoirs de l’hospitalité obligent les dames, chez quelques peuplades de l’Asie centrale, à pourvoir, envers l’hôte reçu, à des soins qui contrastent si bien avec nos habitudes européennes, qu’il y a lieu à méprise pour l’hôte à qui s’appliquent ces soins, s’il est insuffisamment préparé ;

10o Que, chez quelques tribus ou peuplades de l’Asie, les hommes n’attachent pas à la virginité des femmes qu’ils doivent épouser la haute estime que nous en faisons ;

11o Que dans l’Inde brahmanique les ménages sans enfants sont autorisés par les lois de Manou à se réclamer, pour combler ce déficit de famille, des complaisances intimes d’un collatéral notoirement prolifique ;

12o Que les bayadères et les almées sont, dans toute l’Asie, indique et musulmane, des classes de femmes hors cadre social, faites aux yeux de tous pour le plaisir des sens et l’agrément de l’intimité brutale.

De grands développements peuvent être donnés à chacune de ces questions, qui, pour la plupart, ont une portée historique de l’ordre le plus élevé ; mais, dans les conditions où elles se sont produites, j’ai dû, le plus souvent, me borner à de simples indications, estimant d’ailleurs, si mes observations ont la faveur de provoquer des éclaircissements contradictoires, que j’aurai au moins bien mérité de ma conscience. »

  1. Q. Curtius, liv. VII, chap. v.
  2. J’entends parler ici des trains de bois qui viennent à Paris par l’Yonne et la haute Seine.

    La pesanteur spécifique du chêne, surtout du chêne récemment abattu, est supérieure à celle de l’eau ; pour maintenir en flottaison les trains composés de poutres et de poutrelles de chêne, les expéditeurs ont soin d’y attacher sur les flancs et aussi en tête et en queue un certain nombre de barriques vides hermétiquement fermées.

    Je n’ai pas à expliquer l’analogie dans l’emploi des barriques vides et des outres.

  3. C’est l’adage du droit romain : Ubi jus incertum, ibi jus nullum.
  4. Code des Gentoux, chap. xix, sect. 1.
  5. Walter Hamilton, East India Gazetteer, London, 1815, p. 813 A.
  6. Code des Gentoux, loc. cit.
  7. Magasin asiatique ou Revue géographique et historique de l’Asie centrale et septentrionale, par J. Klaproth, 2 vol. in-8o, 1825-1826.
  8. Klaproth, Magasin asiatique, t. II, p. 5.
  9. Carte de l’Asie centrale, dressée d’après les cartes levées par ordre de l’empereur Khian-Loung, par les missionnaires de Pe-King, et d’après un grand nombre de notions extraites et traduites de livres chinois, par M. J. Klaproth, 1836.
  10. Congrès international des sciences ethnographiques tenu à Paris en juillet et octobre 1878, 2e période, p. 615.
  11. Les Chinois n’ont pas l’articulation R, ils la remplacent par l’articulation L.
  12. N. Prjévalski, Mongolie et Pays des Tangoutes, traduit du russe par G. du Laurens. Paris, libr. Hachette et Cie, 1880.
  13. Ce n’est pas là une appellation ethnique, pas plus que la dénomination de Kafirs appliquée aux Tibétains. Un musulman est un sectateur de l’islam et kafir signifie infidèle ; c’est la qualification que les musulmans donnèrent aux Tibétains, qu’ils ne purent ni soumettre ni convertir à leur foi religieuse.

    Kafiristan veut dire tout simplement : la contrée des infidèles, par rapport aux musulmans.

  14. La prononciation aspirée de la première syllabe prête à ces deux transcriptions han ou kan une égale valeur.
  15. Mongolie et pays des Tangoutes, chap. ix, p. 173.
  16. Congrès international des sciences ethnographiques, 2e période. Paris, juillet et octobre 1878, p. 614.
  17. Voici la note de quelques identifications déjà acquises parmi les tribus Mletchas, qui comprennent toute tribu qui n’est pas indienne :

    Les Pôudracas sont les peuples de Tchandail chez les Mahrattes ;

    Les Odras sont les Ourîyas de l’Orissa septentrional ;

    Les Dravidas sont le peuple du sud de la côte de Coromandel ;

    Les Gambodjas sont les Arachosiens ;

    Les Yavanas sont les Grecs ou Bactriens ;

    Les Sacas sont les Saces ;

    Les Pâradas sont les Paropamisiens ;

    Les Pahlavas sont les anciens Persans ;

    Les Tchinas sont les Chinois ;

    Les Khasas sont généralement les montagnards ;

    Les Daradas sont les Daradæ, les Dards ;

    Les Khasas sont les Chasas, habitants du pays de Kachgar.

    A. Langlois, Chefs-d’œuvre du théâtre indien, t. II, table alphabétique, au mot Mletchas. Voir aussi Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. II, Philosophie des Indous, p. 335, et Lois de Manou, liv. X, stance 44.

  18. Radjatarangini, Histoire des rois du Kachmir, traduite et commentée par M. A. Troyer, 3 vol.  in-8o, Imp. nationale, 1840-1852.
  19. Ces commentaires font suite au deuxième volume ; consulter aussi la préface du troisième volume.
  20. Chine, par G. Pauthier, 1re partie, in-8o. Paris, Firmin Didot frères, 1837.
  21. C’est Ou-liang-ou-taï, lieutenant de Mangou-Khaân, qui en 1253 pénétra dans le (Tou p’ho) Tibet à la tête d’une armée considérable.

    En 1209, Dchinghis-Khaân avait déjà conquis la partie septentrionale du Tibet, qui est le Tangut (Marco Polo, G. Pauthier, 2e partie, chap.  cxiv, p. 370, note 1). Le Tibet est passé sous la suzeraineté de la Chine en 1648.

  22. Klaproth, Tableaux historiques de l’Asie, p. 131.
  23. Voici cependant une indication sommaire : les tribus dont il va être question ayant été maudites par le Code des lois de Manou et les écrits brahmaniques, cette malédiction dut être pour les bouddhistes une raison de les préconiser.
  24. Tableaux historiques de l’Asie depuis la monarchie de Cyrus jusqu’à nos jours, 1 vol.  texte in-4o et un atlas de 27 cartes in-folio.
  25. Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier, p. 190, 191, 192.
  26. Le Tibet est divisé en quatre grandes provinces, nommées Om, Dzang, Kam, Ari (Klaproth, Magasin asiatique, t. II, p. 200).
  27. Congrès international des sciences ethnographiques tenu à Paris, juillet et octobre 1878. Paris, Imp. nationale, 1881, p. 615.
  28. Ou Youei-ti, Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier, p. 220, note 3.
  29. En chinois, Ta-youei ti. Grands Gètes, équivalent de Massagètes (Abel Rémusat, ut supra).
  30. Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier, p. 221.
  31. Klaproth, Magasin asiatique, t. Ier, p. 83.
  32. Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier, p. 224.
  33. Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier, p. 221.
  34. Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier, p. 224.
  35. Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier, p. 227.
  36. Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier, p. 200.
  37. Notons ici au bénéfice de ces Grands et Petits Youei-chi (Massagètes et Gètes) cette constatation de leur génie industriel et commercial : « Au temps de Thaï-Wou de la deuxième dynastie des Weï, 220 à 280 de notre ère, des marchands vinrent de ce pays (Kan-tho-lo, Candahar) à la capitale de la Chine. Ils se vantaient de savoir fondre les pierres pour en fabriquer du verre de toutes couleurs. Là-dessus on alla ramasser divers minéraux dans les montagnes, on les leur apporta dans la capitale et ils les fondirent. Quand ils eurent terminé ce travail, le produit se trouva plus brillant et plus beau que celui qui vient des pays occidentaux. » (Ma-touan-lin, Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier, p. 123).
  38. Abel Rémusat, Recherches sur les langues tartares.
  39. Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier, p. 220, note 3.
  40. Voici le singulier euphémisme qu’emploie Kalhana pour dissimuler la défaite de Lalitâditya :

    « Il fut cause que les femmes des ennemis offrirent, de leurs mains jointes, les dons funèbres à leurs parents morts, inondant de larmes leurs visages qui étaient embellis par des joyaux et des signes coloriés. » (Radjatarangini, liv. II, stance 130.)

  41. Klaproth, Magasin asiatique, t. Ier, p. 230 et suiv.
  42. Montagnes au nord-est de Khachgar.
  43. Klaproth, Magasin asiatique, t. Ier, p. 235. L’auteur dit même : « Le royaume des femmes dans le Tibet. »
  44. La rédaction sanscrite supposée recueillie de la bouche du Bouddha lui-même est le vénérable Soûtra du grand Véhicule appelé Lalita vistara (Ph.-Éd. Foucaux, Rgya Tch’er Rol Pa, 2e partie, p. 403).
  45. Bhikchous, nom général des religieux bouddhistes.
  46. Viçvamitra, l’ami de tous.
  47. Rgya Tch’er Rol Pa, chap.  x, p. 120 et suiv.
  48. Bôdhisattva, c’est-à-dire l’Être uni à l’intelligence.
  49. Çastras, œuvres littéraires.
  50. Kalpa, période de 4 320 000 000 d’années astronomiques.
  51. Rgya Tch’er Rol Pa, chap.  x, p. 121.
  52. Kouça est la moderne Kouçinagara, ville de la province d’Oude. Sa latitude (26 degrés à peu près), beaucoup plus méridionale que celle de la province mongole Kan-sou, la place à 200 lieues environ de cette province. Sa longitude lui assigne une position correspondante intermédiaire entre la province mongole de Kan-Sou, des Daldis du colonel Prjévalski, et la Chine, ce qui confirme avec une précision presque mathématique ce que je dis de la position des Darada-Dardis.
  53. Rappelons-nous aussi que l’écriture sanscrite et l’écriture tibétaine se lisent de gauche à droite.
  54. Ma-touan-lin dit à ce propos, 1o à l’adresse des Gètes : « La coutume est que les frères épousent en commun une même femme. Si un mari n’a pas de frères, sa femme porte sur sa tête un bonnet qui n’a qu’une seule corne (aigrette). S’il a des frères, leur bonnet s’accroît en proportion de leur nombre » ; 2o à l’adresse des Ta-Youei-tchi ou Massagètes habitant le Turkestan : « Ils suivent le culte de Fo (Bouddha). Comme il y a chez eux beaucoup plus d’hommes que de femmes, les frères épousent en commun une seule femme, et quand celle-ci a cinq maris, elle porte un bonnet à cinq cornes ; si elle en a dix, son bonnet est surmonté de dix cornes. Quand un homme n’a pas de frères, il s’associe avec d’autres hommes et c’est alors seulement qu’il peut se marier ; autrement il resterait célibataire jusqu’à la fin de ses jours. Les enfants qui naissent dans ces unions appartiennent à l’aîné des frères.

    Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. II, p. 240 et 245.

  55. Genèse, chap. xii.
  56. Genèse, chap. xxxvii.
  57. Reinaud, dans son ouvrage Relations politiques et commerciales de l’empire romain avec l’Asie orientale, l’Hyrcanie, l’Inde, la Bactriane et la Chine, Paris, Imp. impériale, 1863, a relevé avec soin tous les souvenirs de nos vieux auteurs classiques sur cet objet ; c’est un résumé d’un intérêt de premier ordre. Voir aussi Ernest Pariset, Histoire de la soie, 2 vol. in-8o.
  58. Les Massagètes ont un instant occupé le bas Oxus. Cette route ayant été plus tard barrée par la guerre des Parthes, le commerce prit alors la voie de Palmyre, à qui le transit a fait la fortune si belle que sa splendeur a affirmée.
  59. Ils montent, dit Ma-touan-lin, sur des chars à quatre roues, traînés par quatre, six ou huit bœufs, selon la grandeur des chars (Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier, p. 221).
  60. Issedons, c’est la nation qui dans les historiens chinois est nommée Kao-Tché, ce qui signifie : les Hauts Chariots (D’Anville, Recherches sur la Sérique des anciens, p. 225).
  61. Voir Reinaud, Relations politiques et commerciales de l’empire romain avec l’Asie orientale, passim.
  62. Ils avaient à passer les défilés qui précèdent le plateau de Pamir, à traverser ce dangereux plateau, puis le Chamo.
  63. Les auteurs chinois n’estiment qu’à 100 000 le nombre des familles Youei-tchi.
  64. Les Chinois en ont été deux fois les maîtres : une première fois vers la fin du premier siècle de notre ère, une seconde fois vers la moitié du septième siècle. Ils en ont toujours été facilement dépossédés.
  65. La rareté des hommes semblerait appeler la polygamie et non la polyandrie. Cependant c’est bien polyandrie qu’il convient de dire ici. La polygamie supposerait la subalternisation de la femme à l’homme, et ce n’est pas ici le cas, nous le savons.

    D’ailleurs, pour faire la disette des femmes, même en présence d’un contingent d’hommes fort réduit, il suffisait qu’il fût d’usage chez les Massagètes que toute femme, notoirement fécondée, dût être sevrée de maris jusqu’après ses relevailles.

    quibusdam credideris, pater, mater, proximi tandem atque vicini frontem signant ; si aliis, vinum ore ipsi degustant. Sunt et qui sacerdotem puellœ pleno coïtu miscere asserunt, alii contra contendunt.

    Je trouve, dans un appendice qui termine cette notice sur le Cambodge, la phrase suivante :

    « Quand une fille a atteint sa neuvième année, on invite un prêtre à venir réciter les prières et pratiquer les cérémonies prescrites par la loi des Hindous. » En renvoi, Abel Rémusat écrit en latin : Deinde virginitatem aufert digito quo et frontem rubrâ maculâ notat, maculam accipit mater puellœ. Hoc est quod vocant ti-chi. (Abel Rémusat, Opera laudata, p. 118-151).

    Enfin, comme affirmation des confidences qui précèdent, je note ici qu’au jour de son ordination un prêtre bouddhiste birman se trouve avoir à répondre à cette question :

    « Ne vous manque-t-il rien de ce qui affirme la virilité ? » Pour être admis à l’ordination, le néophyte doit pouvoir répondre : Non, il ne me manque rien (Transactions of the Royal Asiatic Society, vol. III 2e partie, p. 275.)

  66. Ambassade au Thibet, t. II, p. 144.
  67. Marco Polo définit le Tibet « une grande forêt » (G. Pauthier, chap. cxiv, p. 370).
  68. Le Tibet, compris entre les 80e et 104e degrés de longitude et les 28e et 36e degrés de latitude, mesure ainsi en étendue horizontale 600 lieues environ et en hauteur 200 lieues. Ce vaste pays ne compte que soixante villes, dit Klaproth, Magasin asiatique, t. II, p. 220, mais les couvents abondent.
  69. Une des causes de l’infertilité du sol au Tibet, c’est la sécheresse au temps chaud ; mais dans une contrée de montagnes, de montagnes neigeuses surtout, les ruisseaux ne manquent pas, et un aménagement, même tout primitif, des eaux de ces ruisseaux donnerait au sol arable l’humidité qui lui fait défaut. Cette observation abécédaire manque de bras pour devenir, au Tibet, un instrument de grande prospérité.
  70. H’Lassa ou L’Hassa signifie séjour de l’âme divine (Klaproth, Magasin asiatique t. II, p. 222). Je trouve encore cette étymologie : Lhà, dieu ; , terre ; terre de Dieu (Horace de la Penna di Billi, Notice sur le Tibet, 1730, p. 61.
  71. The Cabinet Gazetteer, p. 805 A.
  72. Quatre-vingt-quatre mille lamas, dit The Cabinet Gazetteer, vivent aux dépens de l’État dans les couvents, sans parler des lamas libres.
  73. La collection complète des livres de la loi bouddhique se compose de deux parties bien distinctes : la première (le Kah gyour, traduction des commandements), qui est aussi la plus ancienne, passe pour être la parole même du Bouddha, recueillie par ses principaux disciples ; la seconde (le Stan gyour, instructions traduites), au contraire, n’a pas le caractère de tradition directe.

    La première partie compte cent volumes in-folio oblongs, contenant mille quatre-vingt-trois traités.

    La seconde partie compte deux cent vingt-cinq volumes in-folio oblongs, renfermant près de quatre mille traités (É. Foucaux, Rgya Tch’er Rol Pa, 2e partie, introduction, p. vi et vii et notes).

  74. Il peut suffire, pour se convaincre de ce que vaut cette littérature de métaphysique transcendante, de se donner la satisfaction de lire dans Burnouf, Introduction à l’histoire du buddhisme indien, le Sûtra de mândhrâti, p. 74 et suiv.
  75. Langlois, Théâtre indien, t. II, table alph., p. 399.
  76. Dubeux, Tartarie, Tibet, p. 260, 261.
  77. Klaproth, Magasin asiatique, t.  II, p. 286.
  78. Dubeux, Tibet, p. 261.
  79. Klaproth, Magatin asiatique, t.  II, p. 286.
  80. Klaproth, Magasin asiatique, t. II, p. 286.
  81. Klaproth, Magasin asiatique, t. II, p. 286.
  82. Turner, Ambassade au Thibet, t. II, p. 142-143.
  83. Csoma de Coros estime seulement à 130 000 familles la population du Tibet (Notice sur le royaume du Thibet, Horace de la Penna di Belli, note de Klaproth, p. 6).

    Klaproth estime que les six provinces peuvent fournir un ensemble de 5 millions d’habitants (ut supra, p. 7). C’est toujours très peu pour une contrée qui mesure 600 lieues x 200 lieues.

  84. Lois de Manou, liv. XI, stances 58, 66, 169 et suiv.
  85. Code de lois des Gentoux, chap. xix, sect. i à viii.
  86. Deutéronome, chap. xxii, versets 20 et suiv., et chap. xxiii, verset 17.
  87. Chardin, Voyage en Perse, t. Ier, p. 228, édit. d’Amsterdam, 1785.
  88. Michel Symes, Relation de l’ambassade anglaise dans le royaume d’Ava, t. II, chap. ii, p. 15-16.
  89. De Guignes, Voyages à Pe-King, etc., t. III, p. 107.
  90. Henry Pottinger, Voyage dans le Béloutchistan et le Sindhy, 2 vol. in-8o, Paris, 1878. t. Ier, chap. v.
  91. J.-P. Ferrier, Caravan Journeys and Wanderings in Persia, Afghanistan, Turkestan and Beloochistan, London. 1857, chap. xvi, ad finem.
  92. D’autres voyageurs méritent aussi d’être signalés à l’attention du monde de l’ethnographie : ainsi George Bogle et le docteur Hamilton, qui précédèrent Turner au Tibet, et Samuel Davis et Saunders, qui l’y accompagnèrent, et surtout et avant tous Alexandre Csoma, né au village de Coros en Transylvanie, mort au mois d’avril 1842, à Darjiling, dans le Népal, au moment où il se disposait à retourner au Tibet pour y continuer ses études sur l’histoire du pays et sur la littérature bouddhique.

    Dans un premier voyage, Csoma était allé s’établir dans le monastère bouddhique de Kanoum, dans la vallée du haut Sedledge et y demeura quatre années.

    L’Europe, et par elle toutes les nations savantes doivent à Csoma la connaissance de l’intéressante et riche littérature du Tibet.

    Csoma est le fondateur de l’étude du tibétain et, dit M. Éd. Foucaux, le seul Européen qui s’en soit occupé dans l’Inde.

  93. Le Livre de Marco Polo, par G. Pauthier. Firmin Didot frères et Ce, 1865, 2e partie, chap. cxiv, p. 373.
  94. Même ouvrage, chap. cxvi, p. 384-385.
  95. Turner, Ambassade au Tibet et au Boutan, t. Ier, chap. i, p. 30.
  96. Michel Symes, Relation de l’ambassade anglaise dans le royaume d’Ava, t. II, p. 17.
  97. Le Pégu n’est pas précisément une province du royaume d’Ava, mais il en relève politiquement.
  98. Michel Symes, Ambassade dans le royaume d’Ava, t. II, p. 16-17.
  99. Tchin-la est le nom chinois du Cambodge. Le nom que les habitants du Cambodge donnent à leur pays est Kan-phou-tchi, d’où Cambodge (Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier, p. 99).
  100. Le P. Legrand de la Liraye, Notes historiques sur la nation annamite, p. 88.
  101. Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier. Description du royaume de Cambodge, p. 71 et suiv.
  102. Abel Rémusat, loc. cit., p. 116.
  103. La première lune commençant vers la fin de janvier ou au commencement de février, la quatrième lune arrive vers le mois de mai.
  104. Mot à mot, en latin, strati dispositio.
  105. Voici la traduction latine que donne Abel Rémusat du texte chinois : Audivi illum cum virgine simul in proximum cubiculum ingredi, ibique eam, manu adhibitâ constuprare. Manum deinde in vinum immisit, quo, si
  106. Abel Rémusat, Opera laudata, p. 118.
  107. Congrès international des sciences ethnographiques, 1878, p. 383.
  108. Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. Ier, Cambodge, p. 124.
  109. Exode, chap. xv, p. 20 et suiv.
  110. Lois de Manou, liv. Ier, stance 37. « Ils (les Dévas) créèrent les gnomes (yakchas), les géants (râkchasas), les vampires (piçâtchas), les musiciens célestes (gandharvas), les nymphes (apsarâs), les titans (asouras), les dragons (nâgas), les serpents (sarpas), les oiseaux (souparnas), les différentes tribus des ancêtres divins (Pitris).
  111. Quelques bayadères se sont fait remarquer dans la littérature ; l’histoire littéraire de l’Inde a consacré les noms de Farh (joie), ou plutôt Farh Raksch (donneuse de joie). Ziya (éclat), Gauchin, et aussi celui de Jàn (Mir Yar Ali Jan Sahib), plus célèbre que les précédentes. Elle naquit à Farrukhabad, mais elle a surtout habité Lakhnau, théâtre de sa célébrité.
  112. Dupeuty-Trahon, Moniteur indien, passim.
  113. E.-W. Lane, Manners and Customs of the modern Egyptians, passim.
  114. Chardin, Voyage en Perse, Amsterdam, 1785, t. Ier, p. 224 et suiv.