Kachmir et Tibet, étude d’ethnographie ancienne et moderne/03

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LA POLYANDRIE
AU TIBET ET CHEZ LES ARYAS HINDOUS


RÉPONSE À M. DE UJFALVY
lue à la séance du 15 mars 1883


À la suite des intéressantes communications que nous ont faites, il y a quelques semaines, M. Rousselet et M. Vinson sur les mœurs conjugales des populations de l’Inde méridionale, j’ai demandé à témoigner de l’usage de la polyandrie chez les Aryas Hindous de l’Inde du Nord, dès les premières époques historiques de leur nationalité.

Je viens satisfaire à l’engagement que j’ai pris, mais avant de fournir sur la question que j’ai ainsi mise en avant les détails circonstanciés que j’ai pu recueillir, je tiens à présenter de courtes observations sur des points d’ethnographie et d’histoire qu’a traités M. de Ujfalvy à la réunion du 18 janvier dernier.

Il s’agit, d’une part, de rapporter à leur véritable cause les angoisses de famine qui, au Ladâk et au Tibet, se produisent, paraît-il, chez les familles coloniales établies sur de vastes territoires, et, d’autre part, de ramener à l’exactitude historique les critiques plus que sévères que notre collègue n’a pas craint d’émettre sur le caractère de Jules Klaproth.

Ici et là, je serai bref.

I

Revenant, une fois encore, à onze mois de distance, sur la pratique de la polyandrie au Tibet, M. de Ujfalvy, qui, dans ces derniers temps, a pu fouiller et vider tous les compartiments de son portefeuille de voyage, nous a de nouveau affirmé que la polyandrie est, pour les populations tibétaines, une garantie de conservation et de perpétuité.

La première fois que notre collègue produisit ici cette affirmation, il négligea de l’appuyer de témoignages justificatifs. Il renouvelle aujourd’hui son affirmation, et soucieux, cette fois, de nous convaincre, il en accompagne l’expression de témoignages dont l’importance lui paraît de nature à nous entraîner à sa suite.

Au Ladâk[1], car c’est de cette province que M. de Ujfalvy entend surtout nous entretenir ; au Ladâk, nous dit-il, la terre est si rebelle à la production qu’il y a nécessité de faire obstacle à l’extension de la population, afin que, suffisamment tenue en arrêt et mise en rapport avec la pauvreté du sol, cette population puisse y trouver à vivre, et, doublant la dose de cette argumentation typique, notre collègue ajoute, en façon de preuve : « Il existe au Ladâk des familles qui, chacune, possèdent des territoires dont la superficie mesure jusqu’à 10 kilomètres carrés et plus, et dont chacune de ces familles tire à grand’peine sa subsistance. » Là-dessus, notre collègue exalte les bienfaits de la polyandrie qui, en supprimant quatre femmes, c’est-à-dire quatre agents de reproduction effective, dans un ménage commun à cinq maris, réduit ainsi à de moindres proportions les maléfices de la famine[2].

Il y a dans cette affirmation de M. de Ujfalvy une singulière méprise, et son raisonnement triomphal, tout concluant qu’il soit en apparence, ne vaut pas mieux, au fond que le procédé curatif du pâtre Agnelet, qui, on le sait, tuait ses brebis pour qu’elles ne mourussent pas de la clavelée[3].

Toutefois, si bizarre qu’il soit, ce raisonnement mérite de fixer notre attention, à cause du fait monstrueux qu’il nous dénonce ; à savoir : que la terre est au Ladâk de si pauvre rendement qu’il y est de nécessité absolue, pour mettre la population en rapport numérique des maigres ressources alimentaires qu’elle fournit, de sacrifier méthodiquement quatre générations sur cinq.

Ce triste phénomène a des causes supérieures que ne nous a point dites notre collègue, et je vais tâcher de suppléer à son silence sur ce point.

II

M. de Ujfalvy nous a dépeint le Ladâk sous de bien tristes couleurs, mais il eût pu faire ces couleurs plus tristes encore sans sortir de la vérité.

Depuis plus de quarante ans, le Ladâk, auparavant très prospère, est, en un seul jour, devenu le pays de la désolation.

Ladâk est la dénomination régionale d’une partie du territoire du second Tibet ou petit Tibet[4].

Le Ladâk est compris entre le 74° et le 78° degré de longitude et le 33e et le 35e degré de latitude. Il se limite, au sud, par les montagnes de la chaîne de l’Himalaya, et, au nord, par celles de Karakorum.

Le territoire du Ladâk s’étend à droite et à gauche de l’Indus supérieur, sur cette partie de son cours qui précède immédiatement le point de jonction de l’Indus et de la rivière Shayok.

La rivière Shayok coule des pentes méridionales des montagnes Karakorum, à la hauteur où le 35° 30′ de latitude croise le 75° 30′ de longitude.

Cette rivière descend d’abord directement du nord au sud jusqu’au 34e degré de latitude ; arrivée là, elle infléchit brusquement vers le nord-ouest et va, obliquement, se marier à l’Indus, au point d’intersection du 74e degré de longitude et du 35° 25′ de latitude.

L’espace compris entre ces deux cours d’eau est un plateau longitudinal, renflé d’une épine dorsale dont les prolongements latéraux, vers les deux rivières qui les bordent, ne dominent que par un faible relief le niveau ordinaire des eaux de ces rivières.

Lèh ou Ladâk, capitale de cette contrée, est située par 75° 30′ de longitude et 34° de latitude. Elle est assise, à droite de l’Indus et dans son voisinage, sur la partie orientale de la péninsule formée par l’Indus et le Shayok. Lèh est l’entrepôt principal des shalls du Kachmir, le centre du commerce dont ils sont l’objet.

Le territoire du Ladâk, autrefois plantureux, gras et fertile, produisait en abondance, avant 1841, des céréales en froment, orge et blé noir, et des fruits recherchés, pommes et abricots.

Mais, au mois de juin de l’année 1841, un cataclysme d’effrayante proportion s’est abattu sur la plus grande partie du territoire du Ladâk et y a porté la ruine pour bien longtemps encore, sinon pour toujours[5]. L’Indus et le Shayok, alors démesurément gonflés par d’abondantes fontes de neige, franchirent impétueusement leurs rives, et, de gauche et de droite, se ruant avec fureur à travers les territoires qui les avoisinent, décharnèrent le sol et, à la terre végétale, substituèrent d’épaisses couches de gravier et des débris de roches de toutes formes et de tous volumes[6].

C’est ce Ladâk ravagé qu’a vu M. de Ujfalvy et dont il fait la base de ses appréciations. De ce Ladâk en ruine, nous n’avons que faire pour l’objet qui nous occupe[7]. Au contraire, le Tibet s’offre à nous dans des conditions normales, et une étude succincte sur l’ensemble de son territoire va pouvoir nous édifier, sans déplacement, sur la portée économique de la polyandrie qui s’y pratique couramment.

III

Le Tibet s’étend entre le 28e et le 33e degré de latitude ; il relève ainsi de la latitude de la basse Égypte et du Maroc. Le relief du Tibet accuse, nous le savons, une contrée de hautes montagnes ; par conséquent, des vallées supérieures et des plaines intermédiaires. L’hiver, les montagnes du Tibet se couvrent d’épaisses couches de neige ; la température s’abaisse alors avec excès, et, de fait, la saison d’hiver est rude au Tibet.

L’été, au contraire, la chaleur y est fort vive et, de très bonne heure dans cette saison, les vallées supérieures et les plaines intermédiaires se dessèchent et deviennent arides.

Mais le Tibet, qui souffre ainsi de l’excès du froid et de l’excès de la chaleur, n’est point déshérité d’avantages capables de compenser les inconvénients de son climat.

Le Tibet a de profondes et larges forêts[8] où des familles religieuses et civiles, constituassent-elles une population des plus denses, trouveraient pour leurs foyers d’hiver tout l’aliment nécessaire à les égayer jusqu’à la consommation des siècles[9]. D’autre part, aux jours chauds, l’eau, c’est-à-dire la végétation presque facultative, ne peut pas manquer au Tibet. Les neiges que l’hiver amoncelle sur ses montagnes seront toujours, aux temps chauds, avec un peu de soin, d’inépuisables ressources d’arrosement pour ses hautes vallées et ses plaines intermédiaires.

Malheureusement, au Tibet, cette précieuse ressource n’est pas utilisée, et la fortune du Tibet s’expatrie périodiquement en pure perte[10].

Les Pyrénées, les montagnes de l’Auvergne, sous des latitudes moins favorables que celles du Tibet, mais ouvertes et exposées comme le sont les montagnes du massif tibétain, sont émaillées, à des altitudes de 1 000 à 1 500 mètres, de riches pâturages et de plantureuses terres arables[11]. Mais là on ne craint pas de faire des enfants ; on les multiplie, au contraire, le plus possible. On fait ainsi des bras qui creusent des rigoles de dérivation et d’irrigation, qui ouvrent des tranchées d’assainissement et dessèchent les terres trop humides au bénéfice des terres sèches. Là toute terre accessible est cultivée, là l’aisance est grande et la vie à bon marché.

Ces rigoles de dérivation et d’irrigation, ces tranchées d’assainissement, ces bras nombreux qui travaillent la terre et la préparent à des succès prochains, le Tibet ne les possède pas et c’est la polyandrie qui motive ce déplorable déficit de l’outillage humain.

IV

Un agent plus indispensable encore que l’outillage humain manque aussi au Tibet pour qu’il puisse bénéficier des avantages naturels qui lui sont départis. Cet agent, c’est le temps, le temps dont la vie est faite et sans large dotation duquel l’agriculture, la première et la plus utile des industries humaines, est absolument impraticable.

Ici, c’est le régime économique du Tibet qu’il faut accuser : nous allons voir dans quel sens et pourquoi.

Le Tibet qui depuis l’année 1750 relève politiquement de la Chine[12] est, on le sait, la terre d’élection et de prédilection du bouddhisme, et le Dalaï-lama[13], incarnation continue, perpétuelle et divine du Bouddha, le Dalaï-lama, chef suprême du bouddhisme, domine au Tibet toutes les consciences.

L’importance religieuse du Dalaï-lama est immense et l’attraction qu’elle exerce est telle, que toute la contrée semble ne plus être qu’une immense ruche de religieux[14] auxquels s’adjoignent, comme complément national, des artisans et des pasteurs.

Aussi la constitution de la propriété foncière directe et individuelle, telle que nous la comprenons, n’existe-t-elle pas au Tibet.

Le territoire de cette vaste contrée est, dans son ensemble, l’apanage domanial du Dalaï-lama, qui, ayant à pourvoir de moyens de subsistance le personnel de sa maison, son clergé de toutes classes et de tous ordres, ainsi que les couvents d’hommes et de femmes où se recrutent son clergé et le personnel de sa maison, concède à titre temporaire et congéable, presque facultativement, des portions détachées du territoire domanial, aux couvents, qui eux-mêmes, dans les conditions qui leur sont imposées, en font, chacun dans l’étendue de son ressort particulier, des attributions partielles, par tribus ou par familles[15].

Les tribus, les familles ainsi mises en jouissance temporaire des terres qui leur sont conditionnellement attribuées, sont tenues au payement — le plus souvent et surtout en nature — de redevances annuelles, dont le bénéfice par escales ascendantes arrive, diminué des parts des ayants droit intervenants, jusqu’au trésor personnel du Dalaï-lama[16].

C’est dans ces conditions de jouissance précaire et limitée, même dans le présent, par la crainte d’une dépossession toujours possible, que se présente au Tibet l’exploitation des terres de culture et de pâture.

Pour les familles coloniales, il n’y a là ni présent qui soit suffisant, puisqu’un travail de préparation partout nécessaire ne l’a pas précédé ; ni avenir qui provoque au travail d’assolement à long terme, puisque ici, plus encore que partout ailleurs, l’avenir manque d’essor et d’existence prévue.

Aussi chez les familles coloniales tous les efforts se rétrécissent et s’encadrent dans la stricte actualité, et tandis qu’elles modèrent l’importance de leurs troupeaux au peu de terre que ne dessèchent pas chaque année les chaleurs de l’été, c’est tout au plus si, pour elles-mêmes, et pour satisfaire en nature aux redevances fiscales, elles ensemencent quelques portions de terre en blé, en orge et en sarrasin.

Où l’avenir manque, le travail languit et s’éteint.

Ainsi s’expliquent, par l’imperfection de son régime économique, l’insuffisance de la culture des terres au Tibet ; par l’insuffisance de la culture, l’infertilité du sol ; par l’infertilité du sol, la disette ; par la disette, la pitoyable nécessité de la pratique de la polyandrie, qui fait la dépopulation systématique.

V

Cette fâcheuse pratique de la polyandrie, qui, en faisant ainsi la disette des bras au Tibet, contribue, pour une large part, à l’appauvrissement graduel du sol, est, par surcroît, aidée dans l’accomplissement de cette triste besogne, par l’exil au couvent, que s’imposent volontairement et en grand nombre les femmes de la société tibétaine.

Le 6 avril de l’année dernière, enregistrant cette dernière observation, j’avais accusé les couvents de femmes au Tibet d’aider, dans une large proportion, aux méfaits de la polyandrie[17].

M. de Ujfalvy me reprend sur cette accusation et, tout imbu qu’il est de la pensée que la polyandrie est une bonne fortune pour le Tibet, il assure que les couvents de femmes ne renferment qu’un petit nombre de pensionnaires professes[18], et il nous offre comme exemple les couvents de femmes de la province du Ladâk, qui, dit-il, ne recèlent dans leur ensemble pas plus de 6000 pensionnaires.

Je ne sais pas où notre collègue a recueilli cette donnée statistique, qu’il trouve modérée et que je trouve excessive[19], mais telle qu’elle est, elle va nous dire cependant à quelle énorme perte de population cette retraite de 6000 femmes condamne en dix ans la seule province du Ladâk.

La polyandrie, nous le savons tous, est, pour une seule et même femme, l’usage légitime et, au désir de la loi exclusivement personnel, de plusieurs maris. Mais comme il est absolument vrai qu’au jeu de la copulation une femme, eût-elle cent partenaires, ne peut acquérir qu’une seule fécondation, il s’ensuit que tous les maris, moins un, d’une femme polyandre, sont des maris surnuméraires.

Dans ces conditions, on ne peut douter que, rendues à la vie civile, les 6 000 recluses des couvents du Ladâk ne trouvent facilement à se pourvoir individuellement de maris, et il n’est pas téméraire de croire que les 6 000 ménages, montés pour l’action, ne puissent, au terme d’un an, fournir 6 000 naissances.

Les 6 000 recluses des couvents du Ladâk frustrent donc la société civile de cette province de 6 000 naissances possibles au terme d’un an ; pour dix ans, le déficit serait de 60 000.

Je sais bien qu’il y aurait, dans la réalité du fait, beaucoup à rabattre du chiffre de 60 000. Mais ce chiffre de naissances possibles fût-il en fin de compte réduit au tiers, c’est-à-dire à 20 000, il est bien certain que, dans un centre de population aussi clairsemé que le Ladâk, 20 000 absents constituent un fort sensible déficit ; déficit qu’il y a lieu d’imputer directement aux couvents de femmes du Ladâk, dont les méfaits sournois s’ajoutent ainsi aux mécomptes que crée méthodiquement la pratique générale de la polyandrie.

VI

L’autre observation que j’ai à présenter se rapporte, ainsi que je l’ai dit, à J. Klaproth.

M. de Ujfalvy, avec de bonnes intentions, je n’en peux pas douter, a cru devoir nous prémunir contre un trop facile entraînement vers le témoignage de Klaproth, invoqué par moi dans la discussion sur les tribus de l’Asie centrale.

À son avis, le témoignage de Klaproth doit être suspecté ; avec le concours d’un géographe russe, notre collègue a découvert, en effet, que Klaproth, pour parler de contrées qu’il n’a pas personnellement visitées, fait intervenir, comme voyageur, un personnage de fantaisie dont il se charge de préciser les impressions et les découvertes.

Que M. de Ujfalvy me permette de le lui dire, son géographe russe et lui-même ont tout simplement découvert le soleil.

La forme de composition littéraire dont a osé J. Klaproth n’est ni une invention qui lui soit propre, ni un expédient de mauvais aloi. Le procédé d’exposition qui fait parler un acteur imaginaire est de toutes les littératures anciennes et modernes, et l’abbé Barthélémy, qui a précédé Klaproth de trois quarts de siècle, l’a employé, après cent autres écrivains, avec le succès que chacun sait. Chez Klaproth, l’intervention d’un voyageur de convention n’est pas plus compromettante, pour l’exactitude et la véracité des faits avancés, que l’intervention du jeune Anacharsis chez l’abbé Barthélémy.

Klaproth a parlé de choses et de contrées qu’il n’a pas vues par lui-même ; mais s’il ne nous a pas trompés, où est ici le mal ?

D’Anville, qui a fait et refait une à une, avec une compétence que nul ne lui conteste, les cartes de toutes les contrées du monde ancien et du monde moderne, « connaissait, dit Dacier, dans l’éloge qu’il a fait de ce géographe, la terre sans l’avoir vue ; il n’était, pour ainsi dire, jamais sorti de Paris et ne s’en était pas éloigné de plus de quarante lieues ». Et M. Élisée Reclus, sous la plume de qui le monde entier aura bientôt passé, n’est qu’un voyageur sédentaire[20]. Il n’est point d’ailleurs de géographes ou de voyageurs quelque peu encyclopédistes qui puissent, en sûreté de conscience, affirmer avoir examiné en détail chacun des faits ou des objets qu’il fait connaître.

Ce n’est que par tierce information que les détails d’intimité sont connus, et, par exemple, M. de Ujfalvy, qui nous a dénoncé, avec l’entrain charmant de ses causeries humoristiques, les pantoufles des maris tibétains, en bonne fortune matrimoniale, n’affirmerait point, que je croie, avoir vu ces pantoufles en sentinelle à la porte du paradis conjugal.

Elphinstone, qui a signalé le même fait, ne dit point, non plus, avoir vu les pantoufles en faction d’amour, et les commentateurs de Marco Polo, qui mentionnent cette même circonstance, n’engagent point leurs informateurs dans une aussi téméraire affirmation.

Cela dit, pour attester que la parole de Klaproth vaut celle des écrivains et des voyageurs respectables que je viens de citer, je vais passer aux confidences que j’ai à faire sur la pratique de la polyandrie chez les Aryas-Hindous du nord de l’Inde aux premiers siècles historiques de leur existence en corps de nation.

VII

Nous n’avons, en général, que fort peu de détails sur la vie intime des Aryas-Hindous de primitive civilisation, mais sur le fait spécial que je viens d’indiquer, il existe des notions précises et formelles qui ne laissent aucune place au doute.

Ces notions sont d’un caractère tel, qu’elles nous permettent, tout à la fois, d’affirmer le fait lui-même et de prouver que la pratique en était déjà établie de quinze à vingt siècles avant l’éclosion de l’ère vulgaire.

Il ne semble pas toutefois qu’à cette époque reculée la polyandrie existât dans les mœurs à titre d’usage général et recommandé, mais il est certain qu’alors les classes supérieures de l’antique société hindoue en usaient à leur aise et que l’institution de la polyandrie a sa place dans les mœurs comme acte légitime et dûment sanctionné.

Voici sur ce point historique, sur cette pratique d’ordre intime, quelques indications tout à fait circonstanciées.

VIII

Youdhishthira[21] est un nom des plus retentissants dans les fastes de l’Inde antique.

Trois princes ont porté ce même nom. L’un d’eux a régné sur la province du Couroudésa, contrée du nord de l’Inde ; les deux autres ont régné sur le Kachmir.

Le premier est Youdhishthira-Pandava[22], l’aîné des fils de Pandou. L’époque de son règne, qui peut être de beaucoup antérieure au douzième siècle avant notre ère, semble ne pas pouvoir descendre au-dessous de ce douzième siècle.

Les règnes des deux Youdhishthira du Kachmir, distants l’un de l’autre de quatre siècles environ, avoisinent l’éclosion de l’ère vulgaire par une distance à peu près égale, soit en deçà, soit au-delà.

C’est du Youdhtshthira-Pandava qu’il sera question ici, et par conséquent l’épopée polyandrique dont je vais parler relève de son époque et aussi des annales de sa famille.

Ici, en effet, les acteurs ne sont point de ces petites gens qui exploitent en participation les caresses d’une femme pour éviter la multiplicité des dépenses et des enfants, mais bien des princes, des Kchatriyas.

Le Mahâbhârata signale plusieurs autres cas de polyandrie, mais celui qui est le sujet de cette communication est plus particulièrement en vue dans le grand poème, surtout mieux connu dans les causes et les incidents qui en ont amené la consécration.

C’est, dans l’Adi-parva, premier livre du Mahâbhârata, au chapitre intitulé : le Swayamvara — fête pour le choix d’un

époux — qu’intervient le récit des faits qui ont procuré, le même jour, cinq maris à une seule princesse.

Voici, abrégé autant que je l’ai pu faire, le récit du poète :

« La fille du magnifique Yajnaséna[23] nommé aussi Drou-pada, la brune et belle Krichnâ Draâupadi[24], ayant fixé le moment où elle choisira un époux, son père Droupada fit annoncer dans toutes les directions et à toutes les cours la fête du Swayamvara. »

Pour donner à cette fête plus d’attrait et d’éclat, le roi Droupada avait imaginé un concours de force et d’adresse, où le vainqueur serait nécessairement le plus vigoureux et le plus habile des archers.

« Un arc pesant et raide à bander ; cinq flèches à décocher vers un but mobile à abattre ; but au-devant duquel était suspendu un anneau dont les flèches devaient traverser le champ avant de frapper le but. »

Tel était le programme.

La belle Krichnâ Draâupadi était l’enjeu du concours, le prix destiné au vainqueur.

Partout l’ambition fut surexcitée. Toutes les cours, prochaines ou éloignées, fournirent de nombreux contingents de compétiteurs, et chacun d’eux se croyait le plus fort et le plus habile.

En ce temps-là — et pour des raisons ici indifférentes — vivaient, retirés dans la forêt Kâmiaka, chez le potier Bhargava, les cinq fils de Pandou, savoir : Youdhishthira, Bhimasêna[25], Ardjouna[26], Nakoula[27] et Sahadèva[28], qui demeuraient là, avec Kounti, mère des trois premiers princes[29].

Kchatriyas par la naissance, ces jeunes princes avaient, dans leur retraite, vêtu l’habit de brahmane, et, comme les anachorètes, c’est à l’aumône qu’ils demandaient leur subsistance quotidienne[30].

Les cinq frères, en habit de brahmane, se rendirent ensemble à la fête de Swayamvara de Draâupadi. Ardjouna, vainqueur au concours, reçut en prime la belle princesse, heureuse d’ailleurs de lui appartenir, et le soir même de la fête, tous ensemble, et malgré de dramatiques incidents, hâtèrent leur retour vers l’habitation de la forêt.

Arrivés à la maison et déjà sur le seuil de la porte, deux des princes annoncèrent Draâupadi en ces termes : « Mère, voici l’aumône ! » Kounti, alors occupée dans l’intérieur de la maison, répondit sans regarder : « Partagez-la également entre vous. » Puis, en voyant Draâupadi, Kounti, confuse de sa méprise, s’écria : « Quelle affreuse parole j’ai proférée ! »

Mais cette parole ne put être retirée. Draâupadi dut être donnée pour femme aux cinq frères[31], et les exemples à suivre en pareil cas ne firent point défaut.

« Youdhishthira fit observer que, dans les temps antérieurs, Gaâutami, la plus vertueuse entre les femmes vertueuses, épousa sept Rishis[32], et qu’une dryade, fille d’un solitaire, s’unit à dix frères appelés d’un nom commun les Pratchètasas[33]. »

Appuyés des légendes et des préceptes que, de son côté, fit intervenir le Brahmane saint et sacré Divaïpayana, ces exemples décidèrent du sort de Draâupadi et légitimèrent sa quintuple union avec les cinq Pândavas (fils de Pandou[34]).

Moins complaisant que le commentaire moderne, qui accompagne les écrits de Marco Polo, le Mahâbhârata ne dit point comment, dans l’antiquité indienne, s’alternait le service des caresses maritales auprès des femmes polyandres, il ne parle ni de pantoufles ni de lances en vigie de discrétion ; mais, sans laisser soupçonner qu’aucun des maris ait jamais chômé de bonheur, il adapte un fils à chacun d’eux avec des expressions de parfaite certitude qui, si le Mahâbhârata dit juste, font rêver pour la régularité[35] du service auprès des femmes polyandres, de l’usage de méthodes circonstancielles dont le secret nous échappe.

Le Mahâbhârata affirme que Draâupadi a donné, exactement et en suivant l’ordre de primogéniture de ses cinq maris, un fils à chacun d’eux. Elle eut Prativindhya de Youdhishthira, Soutasoma de Bhîmasêna, Çroutakarman d’Ardjouna, Çatanika de Nakoula, et enfin Croutasèna de Sahadèva[36].

Sans sortir de la famille de Pandou, nous trouvons encore deux femmes polyandres. Ce sont les femmes de Pandou lui-même : Kounti et Mâdrî.

Pandou, l’époux titulaire de ces deux princesses ; Pandou, le pâle ou le lépreux — son nom a cette double signification — avait été frappé d’impuissance par le fait de la malédiction d’un brahmane qu’il avait offensé, et les cinq fils dont il fut le père nourricier sont l’œuvre de cinq lieutenants que, dans leur bienveillance pour sa maison, les dieux prirent soin de mettre en temps utile au service des deux princesses, ses femmes.

IX

Par circonstance et pour compléter ici l’histoire assez originale de la belle Krichnâ Draâupadi, je dois ajouter qu’elle a été un jour enlevée par un adorateur quelque peu brutal ; ce qui n’empêche pas que cette femme aux cinq ou six maris[37], que cette mère aux cinq enfants ne soit, personnellement, une des cinq vierges — Pantcha-Kanya — à qui les brahmanes adressent journellement d’ardentes prières.

X

Le royaume de Pantchâla, sur lequel a régné Droupada, le père de Krichnâ-Draâupadi, était situé au nord et dans le voisinage du confluent de la Yamounâ et de la Ganga — le Jumnâh et le Gange. — Le Harivausa donne l’étymologie et la raison de ce nom de Pantchâla, dans le passage suivant :

« Je te dirai maintenant, ô fils de Bharata, quelle fut, d’un autre côté, la noble race d’Adjamîdha. Ce monarque eut, de Nilini, le prince Sousanti. Celui-ci donna le jour à Pouroudjâti, et Pouroudjâti à Vahyaswa. Vahyaswa eut cinq fils, pareils à des immortels : Mondgala, le roi Srindjaya, Vridichou, Yavinara, l’invincible, et Crimilâswa. Ces cinq princes sont, dit-on, suffisants pour la défense des provinces (pantcha alam). Telle est l’origine de ce nom de Pantchâla[38]. »

Cet État s’est aussi nommé Kanyakoubja, du nom de sa capitale. Ce mot Kanyakoubja est fait de Kanya, vierge, et Kubja, bossu, par allusion à une ancienne légende d’après laquelle les cent filles de Kucanabha, roi de cette contrée, devinrent bossues par la vengeance de Vâyu, dieu des vents, aux désirs amoureux de qui elles avaient résisté[39].

Le Pantchâla est un royaume de création aryane des temps anciens. Les lois de Manou en constatent l’existence dans les termes suivants[40] :

« Kouroukchêtra[41], Matsya, Pantchâla ou Kanyakoubja, Souracénaca ou Mathoura, forment la contrée nommée Brahmarchi, voisine de celle de Brahmâvarta[42].

La capitale du Pantchâla s’est nommée Kanyakoubja[43], d’où semble s’être formé le nom actuel de Canoge. Cet État de Pantchâla est devenu le Canoge des temps modernes. C’est un district qui relève aujourd’hui de la province d’Agra.

XI

La province de Couroudésa, sur laquelle régna Youdhishthira, est aujourd’hui représentée à peu près exactement par la province de Delhi.

Hastinâpoura[44], sa première capitale, fut un jour emportée par le Gange, et le siège de la puissance royale fut transféré à Côsâmbî, dont on ignore aujourd’hui l’exacte position[45].

Comme le Pantchâla, le Couroudésa est une des provinces du nord de l’Inde antique.

Ces provinces ont été le théâtre des faits de polyandrie dont il a été parlé.

XII

C’est au Mahâbhârata que j’ai emprunté tous les faits de polyandrie que je viens de citer. Par l’attribution que ce poème en fait aux époques antérieures aux rois Droupada et Youdhishthira, ou à celles qui leur sont contemporaines, c’est, pour cette pratique de la polyandrie, une antiquité qui peut remonter à 2 000 ans et qui ne descend pas au-dessous de 1 200 ans avant l’ère vulgaire.

Diverses circonstances permettent de croire que nous pourrions accepter ces indications chronologiques comme douées des conditions d’une satisfaisante approximation ; mais, pour répondre aux préoccupations exprimées par quelques-uns de nos collègues, je veux bien, dans cette discussion, ramener l’antiquité de cette pratique à l’époque où le Mahâbhârata, colligé de toutes parts, a été, par les Pandits[46] de l’antiquité moyenne, présenté en corps d’ouvrage, dans l’état où il nous est parvenu, et je vais, aussi succinctement qu’il me sera possible, chercher à déterminer cette date de présentation.

Dans la préface qu’il a mise en tête de sa traduction du Ramayana, Hippolyte Fauche donne à ce poème une antiquité de 3 400 ans. « L’auteur de ce poème et son héros, dit-il, vivaient dans le même âge. On dit que Valmiki florissait au moins quinze centaines d’années avant la naissance de J.-C. Ainsi, la grande scène du Ramayana s’ouvrait avant la scène plus étroite où les guerriers d’Argos et d’Ilion allaient jouer le drame en dix années qui devait inspirer l’immortelle épopée de l’Occident ; ainsi, le sage Rama est antérieur au bouillant Achille ; ainsi, l’anachorète Valmiki précédait l’aveugle Homère de trois siècles dans la vie. »

C’est là, pour le Ramayana, un âge assez généralement accepté.

Quelques indianistes ont prétendu que l’auteur présumé du Mahâbhârata fut contemporain de l’auteur du Ramayana, et Langlois écrit à ce propos : « Valmiki, dit-on, fut invité à célébrer en vers la querelle des Pândavas et des Côravas, comme il avait chanté les hauts faits de Rama ; il s’y refusa. Pârâsara et Vyâsa, son fils, essayèrent quelques vers. Ceux du fils furent approuvés, et Vyâsa devint le chantre des Pândavas. Cette anecdote est un conte fondé sur un anachronisme, car on fait Valmiki contemporain de son héros, et Vyâsa n’a pu vivre que plusieurs centaines d’années après lui. »

À ce compte, le Mahâbhârata serait du douzième siècle avant l’ère vulgaire.

William Jones, dans la préface de la traduction des Lois de Manou, fait descendre à 700 ans environ l’antériorité du Mahâbhârata sur l’éclosion de l’ère moderne.

Pour lui, les Lois de Manou sont de treize siècles antérieures à notre ère, et les Purânas, dont le Mahâbhârata fait partie, sont venus 600 ans après les Lois de Manou[47]

Eugène Burnouf ne fixe point de date à l’antique composition du Mahâbhârata, mais au premier volume de sa traduction du Bhâgavata-Purâna (Préface, p. xiv), il dit que « le Mahâbhârata est un recueil de récits consacrés par la tradition » ; et plus loin (p. xxxii), il ajoute que « le Mahâbhârata rappelle les premiers âges de la société indienne. »

Ce sont là des attestations qui relèguent dans la plus lointaine antiquité de l’histoire des Aryas-Hindous la pratique, un instant assez active, de la polyandrie.

Enfin, M. Ph.-Éd. Foucaux, qui a traduit onze épisodes du Mahâbhârata, et qui l’a étudié dans toutes ses parties, tient pour certain que, « tel qu’il nous est offert aujourd’hui, le Mahâbhârata a précédé notre ère de plusieurs siècles ».

Il n’y a donc, chez les autorités les plus considérables et aussi les plus compétentes, aucun doute sur le fait que le Mahâbhârata « tel qu’il nous est offert aujourd’hui, a précédé notre ère de plusieurs siècles ». Il est de plus avéré, ainsi que le dit Eugène Burnouf, que le Mahâbhârata est un recueil de récits consacrés par la tradition et qu’il rappelle les premiers âges de la société indienne.

Dans ces conditions et sous la protection directe de maîtres entre tous respectables, je suis autorisé à affirmer que la polyandrie a traversé les mœurs de la société aryane de l’Inde du Nord ; que la pratique s’en est plusieurs fois répétée et qu’elle y est intervenue, au moins accidentellement, plus de douze siècles avant notre ère, chez quelques familles des classes nobles du monde indien (Brahmanes et Kchatriyas), et que l’attestation de ce fait, puisé dans le Mahâbhârata, à supposer qu’il faille, pour obéir à des scrupules exagérés, le ramener, pour toute antiquité, à l’époque où le Mahâbhârata a été mis en ordre et complété, dans l’état où il nous est parvenu, relèverait encore d’un âge qui a précédé de cinq à sept cents ans la date d’éclosion de l’ère vulgaire.



    sur l’Inde, t. II, p. 282, à propos de la campagne entreprise par l’ordre de Akbar pour trouver les sources du Gange : « On s’avança toujours du côté du nord, et plus on approchait de la source, plus le lit du fleuve s’étrécissait. On traversa des forêts inhabitées, où il fallut se faire des chemins nouveaux. »

  1. Ladâk, en tibétain La-tags. Le Ladâk est aussi dénommé dMar-youl ou dMar-po-youl, c’est-à-dire « Terre rouge », ou encore Kha-chan-pa, c’est-à-dire « Terre de neige ».
  2. Le major Alexander Cunningham, dans son ouvrage : Ladâk physical, statistical, historical with notices of the surrounding countries, London, 1854, exprime la même pensée.
  3. Théâtre de Brueys, t. III, l’Avocat Patelin, acte Ier scène vii.
  4. « Les indigènes du Ladâk, dit Pritchard, Natural History of Man, p. 217, relèvent, comme les Tibétains, de la famille tatare. Les traits de leur visage accusent ouvertement leur affinité avec les peuples de race mongole, tels que les Tongouses et les Kalmuks. »

    Les indigènes du Ladâk se donnent le nom de Bod-pa, qu’il faut prononcer Bot-pa. Ils parlent la langue tibétaine.

    Depuis l’année 1846, le Ladâk relève du gouvernement du mahârâdja du Kachmir.

  5. Ladâk physical, statistical, historical, with notices of the surrounding countries by Alexander Cunningham, 2 vol. gr. in-8o  London, 1854.
  6. La Râdjatarangini signale au Kachmir un pareil désastre par inondation sous le règne du roi Partha, au commencement du dixième siècle de notre ère. Voici comment s’en exprime Kalhana :

    « 269. Dans ce temps qui, semblable à une chute de sel dévorant, détruisait le peuple, il survint subitement une éruption d’eau qui noya toute la récolte du riz d’automne.

    « 270. Comme il était difficile de se procurer de la nourriture, un khâri (mesure de capacité dont je ne sais pas la juste équivalence) se vendant pour mille pièces de monnaie, une grande perte d’hommes eut lieu par la disette dans l’horrible année 93 (du cycle kachmirien) = 920.

    « 271. La Vitastâ (rivière du Kachmir et du Pendjab) fut partout couverte de cadavres gonflés de l’eau qui les avait pénétrés, de manière que le courant du fleuve pouvait à peine s’apercevoir.

    « 272. Tout l’espace de la terre, devenu une couche épaisse d’ossements, présenta un seul cimetière remplissant d’horreur tous les êtres. » (Râdjatarangini, t II, liv. V.)

    Mille ans environ auparavant, sous le règne de Tundjîna (troisième roi de la quatrième période), un siècle avant l’établissement de l’ère vulgaire, le Kachmir souffrit d’une grande disette, dont un hiver prématuré fut la cause. Voici le passage de la Râdjatarangini à ce sujet :

    « 18. Un grand froid survint tout d’un coup dans le mois de Bhâdrapada (août), lorsque tous les champs, revêtus du riz de l’automne, touchaient à leur maturité.

    « 19. Par ce froid, qui ressemblait au rire violent de Khâla (nom de Civa comme dieu destructeur), quand il se préparera la destruction de l’univers, périrent les récoltes futures du riz, avec l’espoir de la subsistance du peuple.

    « 20. Alors survint le ravage de la disette, et il s’éleva, pour ainsi dire, un rempart funèbre, formé confusément de cadavres d’hommes qui étaient morts de faim. »

    Dans cette lugubre situation, le roi Tundjîna et la reine Vakpuchtâ se disposaient à se sacrifier à la colère céleste, quand une averse de pigeons, chaque jour répétée, s’abattit sur les habitants survivants et arrêta les effets de la disette.

    « 50. Après qu’elle (la reine) eut parlé ainsi avec véhémence et par une inspiration divine, une multitude de pigeons tomba sans vie dans chaque maison.

    « 51. Le roi, ayant vu cela le lendemain, se désista de sa résolution de mourir, et ses sujets sauvèrent leur vie au moyen des pigeons qu’ils obtenaient chaque jour.

    « 52. En effet, cette femme vertueuse n’était-elle pas, dans cette occasion, égale à un créateur ? Les pigeons n’ont-ils pas servi à la conservation de la vie des hommes ? » {Râdjatarangini t. II, liv. II.)

  7. Le revenu du Ladâk n’est estimé qu’à 8 000 livres sterling (200 000 francs environ).

    Dans les conditions fâcheuses où il se trouve aujourd’hui, le Ladâk, pour ses terres improductives, est exempté de l’impôt foncier.

  8. « Et après les .V. journées que je vous ai dit, a donc entre l’en en une forest qui est moult grant, qui est en la province de Tebet. » (Le Livre de Marco Polo), édition de G. Pautier, 2e partie, chap. cxiv, p. 870.)

    On lit encore dans J. Bernoulli, Recherches historiques et géographiques

  9. L’ouvrage : Account of Koonawur, in the Himalaya, by the late capt. Alexander Gerard, etc., London, 1841, fournit d’intéressantes indications topographiques sur ces contrées himalayennes, et à la fin, en appendice, une note très étendue des essences forestières et des arbres fruitiers qui croissent dans les montagnes et sur leurs pentes. Voir aussi : Asiatic Researches, Serampore, 1825, vol. XV, p. 339 et suivantes.
  10. Par le fleuve Zzang-bo-tsiou. Ce fleuve est le plus grand cours d’eau du Tibet ; il reçoit les eaux de presque toutes les rivières de cette région. Son nom Zzang-bo-tsiou signifie « eau pure ».

    Ce fleuve est l’Irrawaddy de l’empire des Birmans, dont il arrose le territoire du nord au sud.

  11. L’ouvrage déjà cité du capt. Alexander Gerard constate les mêmes faits dans les montagnes du Koonawur.
  12. Le gouvernement chinois entretient auprès du Dalaï-lama, depuis plus de cent ans, deux commissaires civils. Cette circonstance donne une grande autorité à ce que disent du Tibet les géographes chinois.
  13. Ce terme « Dalaï-lama » est mongol. Il a été adopté à la suite d’une entente préalable, intervenue entre le grand prêtre du bouddhisme et le souverain mongol Altan-Khagan (vers 1580) et substitué au titre tibétain de « Gyamdzo ». Dalaï signifie : mer, océan, immensité ; Lama comporte l’idée de supérieur, de suprême. Dalaï-lama peut se traduire par « Immensité suprême » ; il s’entend alors comme nous entendons : Sa Sainteté, Sa Majesté, Son Excellence.

    Le mot tibétain Gyamdzo a la même valeur. (Conf. Abel Rémusat, Mélanges posthumes d’histoire et de littérature orientales, analyse de l’histoire des Mongols de Sanang-Setsen, et Breve notizia del regno del Thibet, dal Fra Francesco Orazio della Penna di Billi, p. 37 et note.)

  14. Consulter à ce propos la carte de l’Asie centrale, dressée d’après les cartes levées par l’ordre de l’empereur Kiang-Loung. Edition J. Klaproth, 1836. Voir aussi : An account of a tour made to lay down the course and level of the River Setlej or Satûdrâ, etc., by capt. J.-D. Herbert ; dans Asiatic Researches or Transactions of the Society, instituted in Bengal for inquiring into the history and antiquities, the arts and sciences, and literature of Asia, vol. XV, p. 339 et suivantes.

    Chemin faisant, le capitaine Herbert a pu recueillir des notions itinéraires sur le Tibet et le Ladâk. Voici un itinéraire des sept stations de Garû (Gertop) à Mansarower.

    1. Tûkyû, eight houses.
    2. Mensar, twelve houses, inhabited by lamas.
    3. Chupta, four houses.
    4. Ghekûng, two houses.
    5. Karlep, six houses.
    6. Turjan, twelve houses, inhabited by lamas.
    7. Mansarower, sixty-four houses, inhabited by lamas.

    Ainsi, sur 108 maisons que compte l’ensemble des sept stations, 88 sont occupées par des lamas, et trois des stations, les plus considérables, sont exclusivement occupées par des lamas.

    J. Bernoulli, ouvrage cité, t. III, p. 228, porte à plus de 30 000 le nombre des couvents au Tibet.

  15. Cette constitution, qui rappelle le partage primitif de la Chine entre les huit familles, et aussi le partage des terres acquises par l’endiguement des fleuves, peut relever au Tibet d’une haute antiquité ; mais elle paraît avoir été renouvelée au commencement du neuvième siècle de notre ère par le roi Thisrong, intronisé au Tibet à l’âge de treize ans, dans l’année 803 de notre ère. (Conf. Abel Rémusat, Fra Francesco Orazio della Penna, p. 38, ouvrages déjà cités ; Anquetil-Duperron, Législation orientale. Enfin et tout particulièrement dans : Transactions of the Royal Society of the Great Britain and Ireland ; Remarks on the religions and social institutions of the Bouteas or inhabitants of Boutan. Vol. II, seconde partie, p. 491 et suivantes.
  16. Il ne faut pas oublier, dans l’appréciation à faire des institutions du Tibet, que le Dalaï-lama est l’incarnation de la divinité. La mort individuelle et le changement de personne ne sont pour la divinité lamaïque qu’un changement d’enveloppe.
  17. Page 271 des Bulletins, mars-avril 1882, et p. 35 du tirage à part.
  18. Religieuse, en sanscrit : bhikchouni, — Religieux : bhikchou.
  19. Moorcroft (Travels in the Himâlayan provinces, 1822, t. Ier p. 320) estimait alors la population du Ladâk à 165 000 habitants. Pour Csoma de Körös, la population du Ladâk ne compte que 20 000 familles, et M. Cunningham la porte à 166 000 habitants, d’après diverses données qu’il a contrôlées. Même sur ce dernier chiffre une proportion de 6 000 recluses est énorme.
  20. Notre collègue M. Élie Reclus me fait observer que son frère Élisée Reclus a voyagé dans l’Amérique du Nord, et M. de Ujfalvy m’annonce que ce géographe vient de partir ou va partir pour l’Asie Mineure. Mon expression de voyageur sédentaire est donc trop absolue et pour le passé et pour le présent. Il est bien certain pourtant que M. Élisée Reclus n’a pas étudié sur place toutes les contrées dont il parle dans les huit ou dix gros volumes qu’il a déjà publiés.
  21. Ce nom signifie : Ferme sur le champ de bataille ; il se traduit en tibétain par : Gyoul-ngor-brtan-pa.
  22. Pandava : fils de Pandou.
  23. Yajnaséna : celui qui marche à la tête d’une armée de sacrifiées.
  24. Krichnâ signifie : noir, et Draâupadi : fille de Droupada.
  25. Bhimaséna : Redoutable armée ; en tibétain : Hdjigs sde.
  26. Ardjouna ; qui a obtenu le monde ; en tibétain : Srid sgroub.
  27. Nakoula : sans famille ; en tibétain : Rigs med.
  28. Sahadèva : avec un dieu ; en tibétain : Lhar Bichas.
  29. La mère de Nakoula et de Sahadèva se nommait Madri.
  30. Le vêtement des anachorètes était fait d’un grossier tissu d’écorce. Ce vêtement couvrait l’épaule gauche et venait s’agrafer sous le bras droit. C’était là l’Outtara-Sânghati, vêtement de dessus, le manteau. La Sânghati était une sorte de blouse serrée à la taille et descendant jusqu’aux genoux. Il y avait enfin un autre vêtement de dessous, l’Antara-Vasaka, sorte de chemise dont on s’enveloppait pour dormir.

    Le panier et la bêche complétaient le costume. L’anachorète devait vivre d’aumônes et de racines.

  31. Le Mahâbhârata caractérise Krichnâ Draâupadi d’un mot plein de force, d’élégance et d’originalité ; il la nomme, après son union avec les cinq frères : « Le cœur visible des Pandavas ».
  32. Mahâbhârata Adi-parva, slokas 7264, 7265.
  33. Même poème, sloka 7266.
  34. Le Mahâbhârata représente cette union de Krichnâ-Draâupadi avec les cinq Pandavas comme l’exécution d’un engagement pris dans une vie antérieure. (Voir Mahâbhârata-Adi-parva, slokas 7319 à 7328.)
  35. Voir le Mahâbhârata-Adi-parva, sloka 8046.
  36. Mahâbhârata-Adi-parva slokas 8039 à 8045.
  37. Kounti en a eu cinq. Car une légende enseigne que Kounti, avant d’épouser Pandou, avait eu de Soûrya, dieu du soleil, un fils nommé Karna.
  38. Harivansa ou histoire de la famille de Hari (Vichnou-Krishna), traduction de A. Langlois, t. Ier, 32e lecture, p. 148, 149.
  39. Troyer, Râdjatarangini, t. Ier, notes, p. 486.
  40. Lois de Manou, liv. II, sloka 19.
  41. Cette contrée, voisine de Delhi, a été le théâtre de la sanglante bataille livrée par les Pandavas aux Côravas.
  42. L’espace compris entre la rivière Saraswati (aujourd’hui Sarsouti) et la Drichadwati qui coule au nord-est de Delhi jugé digne des dieux, a reçu le nom de Brahmâvarta, (Lois de Manou, liv. II, p. 28, 29.
  43. Quand Hiouen-Thsang visita Kanyakoubja (vers le milieu du septième siècle de notre ère), cette ville renfermait une centaine de retraites où vivaient environ dix mille religieux bouddhistes. (Stanislas Julien, Vie et Voyages de Hiouen-Thsang, t. Ier, p. 111.)
  44. Hastinâpoura. Cette ville s’est aussi nommée Nagasahvaya. Le premier nom peut lui venir de Hastin, prince de la dynastie lunaire, qui en fut, dit-on, le fondateur ; mais les deux noms Hastinâpoura et Nagasahvaya sont synonymes, l’un et l’autre signifient Ville des Éléphants.
  45. Wilson pense que Côsâmbî est la même ville que Vatsapattana et que ce n’est plus aujourd’hui qu’un village du district de Goracpore. D’autres affirment qu’il est juste de reconnaître la position de Côsâmbî dans le village de Currah.

    Le Ramayana dit que Côsâmbî fut fondée par Cousâmba, fils de Cousa, descendant de Brahmâ.

  46. Sanscrit : Pandita, nom donné au brahmane instruit et capable d’enseigner.
  47. Préface, p. xi.