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L'Écriture phonétique internationale (1921)

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Association phonétique internationale
L’Écriture phonétique internationale
Association phonétique internationale.
L’Écriture phonétique internationale
Exposé populaire
avec application au français et à plusieurs autres langues
2e édition
Chez les secrétaires de l’Association phonétique internationale

Paul Passy,
à Liéfra,
par Fontette,
(Aube)

Daniel Jones,
University College,
London, W.C.1,

1921
Prix: 3 shillings
Principes de l’Association Phonétique Internationale

Les principes de l’Association, en ce qui concerne l’enseignement des langues étrangères, sont résumés dans le programme suivant:

1. Ce qu’il faut étudier d’abord dans une langue étrangère, ce n’est pas le langage plus ou moins archaïque de la littérature, mais le langage parlé de tous les jours.

2. Le premier soin du maître doit être de rendre parfaitement familiers aux élèves les sons de la langue étrangère, Dans ce but il se servira d’une transcription phonétique, qui sera employée à l’exclusion de l’orthographe traditionnelle pendant la première partie du cours.

3. En second lieu, le maître fera étudier les phrases et les tournures idiomatiques les plus usuelles de la langue étrangère. Pour cela il fera étudier des textes suivis, dialogues, descriptions et les récits, aussi faciles, aussi naturels et aussi intéressants que possible.

4. Il enseignera d’abord la grammaire inductivement, comme corollaire et généralisation des faits observés pendant la lecture ; une étude plus systématique sera réservée pour la fin.

5. Autant que possible, il rattachera les expressions de la langue étrangère directement aux idées, où à d’autres expressions de la même langue ; non à celles de la langue maternelle. Toutes les fois qu’il le pourra, il remplacera donc la traduction par des leçons de choses, des leçons sur des images, et des explications données dans la langue étrangère.

6. Quand plus tard il donnera aux élèves des devoirs écrits à faire, ce seront d’abord des reproductions de textes déjà lus et expliqués, puis de récits faits par lui-même de vive voix; ensuite viendront les rédactions libres; les versions et les thèmes seront gardés pour la fin.

N.B.—Ce programme indique les tendances générales de l’Association, non l’opinion individuelle de chaque membre.


En ce qui concerne la langue maternelle, l’Association préconise l’emploi d’un alphabet phonétique pour l’enseignement de la lecture aux enfants, aux illettrés et aux sourds-muets.

Les personnes qui approuvent ce programme sont invitées à s’inscrire à l’Association, en envoyant à l’un des secrétaires les frais d’inscription (4 shillings) et la cotisation annuelle (8 shillings pour, les membres adhérents, ou 12 shillings pour les membres actifs).

L’Écriture Phonétique Internationale

On appelle écriture phonétique un système d’écriture d’après lequel on écrit une langue comme elle se prononce. Il y a dans presque toutes les langues beaucoup de mots écrits phonétiquement, c’est-à-dire comme ils se prononcent ; ainsi en Français ni, si, lu, bu, nu, sel, bec, sec, sac, bac, roc, cor, sur, pur, avec, ami, képi, curé, sofa, été, canapé, aplanir, démolir, amiral, animalité. Mais il y en a d’autres, en grand nombre, qui ne le sont pas ; ainsi eau qui se prononce o, tort et loup dont la dernière lettre est muette, chant et champ qui s’écrivent différemment et se prononcent de même, les fils qui se lit lé fil ou lé fiss, etc.

Dans une écriture phonétique, ces mots s’écrivent comme ils se prononcent, aussi bien que les autres.

On a reconnu depuis longtemps qu’une écriture phonétique est indispensable pour certaines choses ; ainsi la sténographie, et l’étude de l’histoire des langues.

Plus récemment on a songé à s’en servir pour enseigner les langues étrangères ; et on s’est aperçu qu’elle pouvait rendre, dans ce domaine, des services considérables. En effet, quand on se sert de l’orthographe traditionnelle dès le début, on est constamment gêné par les contradictions entre cette orthographe et la prononciation, et les progrès des élèves sont retardés et rendus difficiles. Au contraire, en représentant la véritable prononciation par une écriture phonétique, on la fixe rapidement dans la mémoire, et les progrès sont bien facilités. Ce n’est ensuite qu’un jeu d’enfants d’apprendre à lire et à écrire l’orthographe traditionnelle. Ici, comme partout, il y a avantage à diviser et à graduer les difficultés.—Des expériences innombrables ne laissent aucun doute à cet égard.

Précieuse pour l’enseignement, l’écriture phonétique devient plus nécessaire encore pour l’étude des langues faite sans maître. Quiconque en possède la clé peut étudier une langue inconnue, vivante ou morte, sans être arrêté à chaque instant par la difficulté de savoir comment doivent se lire les mots qu’il voit écrits. L’avantage qui résulte de là est surtout précieux pour les langues à écriture bizarre et compliquée : Arabe, Hébreu, Chinois, Japonais, etc. De même aussi l’écriture phonétique est indispensable pour recueillir d’une manière utile les mots d’une langue non encore écrite ; elle rend ainsi les plus grands services aux voyageurs, explorateurs, missionnaires, fonctionnaires coloniaux, et aussi aux personnes, spécialistes ou non, qui s’intéressent aux charmants patois populaires de nos campagnes.

Mais l’écriture phonétique trouve aussi son application dans l’enseignement de la langue maternelle. Autant c’est long et laborieux d’apprendre à lire à un enfant par les méthodes usuelles, autant c’est facile de lui apprendre à lire les textes phonétiques ; et quand une fois il lit ceux-ci couramment, il apprend en un rien de temps à lire l’orthographe courante. Il y a là un procédé pédagogique dont on n’a pas encore fait usage suffisamment ; on pourrait en tirer un grand parti, notamment pour l’enseignement des illettrés, et aussi des personnes affligées d’une infirmité qui rend leur instruction difficile, comme les aveugles et les sourds-muets.

Tous ceux qui s’occupent d’enseignement ou de questions sociales doivent donc posséder au moins les premiers principes d’écriture phonétique. Du reste, malgré l’aspect rébarbatif de cette écriture, on apprend à la lire en quelques minutes.

On peut écrire phonétiquement de diverses manières ; ainsi pour représenter le premier son des mots car, quand, képi, on peut choisir le c, le q ou le k ; pourvu qu’on prenne toujours la même lettre pour le même son. On peut écrire phonétiquement avec des caractères latins ou grecs, gothiques ou russes, arméniens ou arabes. En sténographie, on prend des lettres qui ne ressemblent pas du tout aux nôtres.

Le système que nous présentons ici est basé sur l’alphabet lalin, qui est employé par la majorité des peuples civilisés. On l’a complété en introduisant un certain nombre de lettres nouvelles, absolument comme nous ajoutons k, w, x et y aux 22 lettres employées en Italien, et comme les Islandais ajoutent encore les deux lettres þ et ð.

En outre, notre alphabet est basé sur l’usage international ; c’est-à-dire qu’on a choisi, pour représenter chaque son, la lettre qui représente ce son dans le plus grand nombre de langues employant l’alphabet latin. Ainsi on prend z pour le premier son de notre mot zèle, contrairement à l’usage Allemand, Italien, Espagnol ; et v pour le premier son de notre mot vin, malgré l’usage Allemand et Espagnol ; mais on prend j pour le premier son de notre mot yole, malgré l’usage Français, mais conformément à l’usage Allemand, Hollandais, Italien, Scandinave.

C’est même la seule difficulté de notre alphabet : on est dérouté tout d’abord en voyant écrire pour yeux et ʃjɛ̃ pour chien. Mais cette difficulté est vite surmontée ; alors c’est un grand avantagé d’avoir un système unique pour toutes les langues[1].

L’Alphabet appliqué au Français

Voici la liste des lettres employées pour représenter la prononciation du Français (du Nord). Chaque lettre doit se prononcer comme la lettre italique des mots mis en regard.

a patte, part ɡ gant, dogue o peau, côte ʃ champ, hache
ɑ pas, pâte h haut, oho ɔ note, tort t tas, patte
 ɑ̃ en, tante i ni, pire ɔ̃ rond, ronde u tout, tour
 b bout, robe j yeux, bien œ seul, peur v vent, rive
 d dent, rude k car, roc œ̃ un, humble y pu, pur
 e été, dé l long, seul ø peu, creuse ɥ huile, nuage
 ɛ lait, tête m mot, dame p pas, tape w oui, poêle
 ɛ̃ vin, teinte n ni, âne r rare, rond z zèle, rose
 ə de, crever ɲ enseigner, vigne s si, rosse ʒ Jean, rouge
 f fort, neuf

Le signé (ʹ) marque que la syllabe suivante est accentuée ou forte : baʹto bateau. Il est ordinairement sous-entendu.

Le signe (ː), placé après une lettre, marque la longueur : rɛn renne, rɛːn reine.—En syllabe faible on l’emploie aussi pour les voyelles de durée moyenne : paːri Paris. Voici maintenant le tableau des lettres, classées selon le lieu et la manière d’articulation des sons qu’elles représentent :

Laryn-
gales
Vélaires Palatales Linguales Labiales
Consonnes Plosives k ɡ t d p b
Nasales ɲ n m
Latérales l
Roulées r
Fricatives h j ʃ ʒ s z f v w ɥ
Voyelles
Fermées u y i
Mi-fermées o ø e
ɔ̃ ə
Mi-ouvertes ɔ œ ɛ
œ̃ ɛ̃
Ouvertes ɑ̃ ɑ a
Textes

Nous allons donner maintenant quelques spécimens de textes imprimés en caractères phonétiques ; tout d’abord, le Corbeau et le Renard de Lafontaine.

mɛːtrǝ kɔrbo, syr on arbrǝ pɛrʃe,
tənɛt ɑ̃ sɔ̃ bɛk de fromaːʒ.
mɛːtrǝ rǝnaːr, par l oːdœr allɛʃe,
lɥi tɛ̃t apøprɛ sǝ lɑ̃ːɡaːʒː
“eː! bɔ̃ːʒuːr, məsjø dy kɔrbo !
kə vuz ɛt ʒɔli! kǝ vu mǝ sɑ̃ːble bo !
sɑ̃ mɑ̃ːtir, si vɔtrǝ ramaːʒ
sǝ raport a vɔtrǝ plymaːʒ,
vuz ɛt lǝ feːniks dez oːt dǝ sə bwa.”
a se mo, lǝ kɔrbo nǝ sǝ sɑ̃ pa dǝ ʒwa ;
e pur mɔ̃ːtre sa bɛl vwa,
il uːvr œ̃ larɡə bɛk, lɛːs tɔ̃ːbe sa prwɑ.
lə rǝnaːr sɑ̃ sɛːzi, e diː ”mɔ̃ bɔ̃ mǝsjø,
aprǝne kǝ tu flatœːr
vit o depɑ̃ də səlɥi ki ll ekut ;
sɛt lǝsɔ̃ vo bjɛ̃n œ̃ fromaːʒ, sɑ̃ dut.”
lǝ kɔrbo, hɔ̃ːtø e kɔ̃ːfy,
ʒyːra, mɛz œ̃ pø taːr, k ɔ̃ nǝ ll i prɑ̃ːdrɛ ply.

Il est fort probable qu’en déchiffrant le grimoire qui précède, plus d’un lecteur se sera dit: “Je ne prononce pas comme ça”; et, bien qu’on se trompe souvent là-dessus, il est probable aussi qu’il a raison sur plusieurs points. En effet, à y regarder de près, il n’y a pas deux personnes qui prononcent absolument de la même manière ; en outre, chaque personne prononce différemment selon les circonstances. L’écriture phonétique reproduit ces différences, ou du moins les plus frappantes ; en conséquence, un texte qui reproduit exactement la prononciation d’une personne ne convient pas a une autre.

Pour rendre plus apparent ce fait, qu’il est d’une importance extrême de bien constater, nous allons donner maintenant un méme morceau transcrit en trois prononciations différentes ; non plus la prononciation littéraire comme dans le texte précédent, mais la prononciation usuelle—la prononciation familière ralentie—du Nord, du Midi et de la Suisse romande, ou plus exactement des personnes cultivées de centres tels que Paris, Toulouse et Lausanne. Le lecteur fera bien de noter les points sur lesquels sa prononciation diffère de chacune de celles-ci.

Prononciation du Nord

œ̃ ʒuːr œ̃ peizɑ̃ pɔrtɛt œ̃ panje d pwaːr o ʃɑːto d œ̃ ɡrɑ̃ sɛɲœːr. il ariːv o ʃɑːto, e syr l ɛskalje i rɑ̃kɔ̃ːtrə dø sɛ̃ːʒ ki etɛt abije kɔm dez ɑ̃ːfɑ̃ ; mɛːm iz avɛ də trɛ boz abi tu brɔde d ɔːr avɛk œ̃ ʃapo syr la tɛːt e yn pətit epe o koːte.

lə peizɑ̃, ɑ̃ le vwajɑ̃, oːt ˊrɛspɛktɥøzmɑ̃ sɔ̃ ʃapo. vwala le sɛ̃ːʒ ki s aprɔʃ dy panje,—s ɛ trɛ ɡurmɑ̃ le sɛ̃ːʒ—e ki s mɛt a prɑ̃ːdrə le pwaːr. e a le mɑ̃ːʒe. lə peizɑ̃ n di rjɛ̃ e s lɛs prɑ̃ːdr yn ɡrɑ̃ːd yn ɡrɑ̃ːd parti d se pwaːr. pɥi i mɔ̃ːt ʃe l sɛɲœːr.

“mɔ̃sɛɲœːr” lɥui dit i, “vwala le pwaːr k ɔ̃ m a kɔmɑ̃ːde.”

“e bjɛ̃,” di l sɛɲœːr, “me tɔ̃ panje ɛt a mwatje vid ; purkwa skə ty n l a pɑ rɑ̃pli ?”

“il etɛ bjɛ̃ plɛ̃ mɔ̃sɛɲœːr,” di l brav ɔm ; “me syr l ɛskalje ʒ e rɑ̃kɔ̃tre vo dø fis ; se meːsjø ɔ̃ truve le pwaːr a lœr ɡu, e ʒ n e pɑ oːze lœr rəfyːze.”

Prononciation du Midi[2]

œ̃ ʒur œ̃m peizɑ̃m portɛt œ̃m pɑnje də pwɑr o ʃɑto d œ̃ŋ ɡrɑ̃ sɛɲœr. il arriv o ʃɑto, e syr l ɛskɑlje i rɑ̃ŋkõntrə dœ sɛ̃ʒə ki etɛ̃nt abiʎe komə dez ɑ̃fɑ̃ŋ ; mɛm iz ɑvɛ̃n də trɛ boz ɑbi tu brode d or, ɑvɛk œ̃ ʃɑpo syr lɑ tɛt e ynə pətit epe o kote.

lə peizɑ̃ŋ, ɑ̃ le vwɑjɑ̃ŋ, otə rɛspɛktɥœzəmɑ̃ sõ ʃɑpo. vwɑlɑ le sɛ̃ʒə ki s ɑproʃə dy pɑnje,—s ɛ trɛ ɡurmɑ̃ŋ le sɛ̃ʒə—e ki sə mɛtət a prɑ̃ndrə le pwar e ɑ le mɑ̃ʒe. lə peizɑ̃n nə di rjɛ̃n e sə lɛsə prɑ̃ndr ynə ɡrɑ̃ndə parti də se pwɑrə. pɥiz i mõntə ʃe lə sɛɲœr.

“mõsɛɲœr,” lɥi dit i, “vwɑlɑ le pwɑrə k õm m ɑ komɑ̃nde.”

“e bjɛ̃n,” di lə sɛɲœr, “me tõm pɑnje ɛt a mwɑtje vidə ; purkwa skə ty nə l ɑ pɑ rɑ̃mpli ?”

“il etɛ bjɛ̃m plɛ̃m mõsɛɲœr,” di lə brɑv omə ; “me syr l ɛskɑlje ʒ e rɑ̃ŋkõntre vo dœ fis ; se mesjœ õn truve le pwɑrəz a lœr ɡu, e ʒə n e pɑz oze lœr rəfyze.”

Prononciation Suisse[2]

œ̃ ʒuːr œ̃ peizã pɔrtɛt œ̃ panje də pwɑːr o ʃɑːto d œ̃ ɡrã sɛɲœːr. il ariːv o ʃɑːto, e syr l ɛskalje il rãkɔ̃ːtrə dø sɛ̃ːʒ ki etɛt abiʎe kɔm dez ãːfã ; mɛːm ilz avɛ də trɛ boz abi tu brɔde d ɔːr, avɛk œ̃ ʃapo syr la tɛːt e yn pətit epei o koːte. Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/7 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/8 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/9 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/10 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/11 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/12 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/13 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/14 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/15 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/16 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/17 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/18 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/19 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/20 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/21 Page:L'Écriture phonétique internationale (1921).pdf/22

  1. L’écriture internationale est employée dans plusieurs centaines d’ouvrages. Une liste d’environ 200 de ces ouvrages se trouve dans la brochure anglaise Principles (1912). Une nouvelle liste sera publiée prochainement.
  2. a et b Pour la valeur de ʎ, ŋ, ã, õ, voir pages 6 et 7.